Les
deux derniers livres de Richard ROGNET, « Élégies
pour le temps de vivre » et « Dans les
méandres des saisons » parus respectivement en 2012 et
2014 dans la collection Blanche des éditions Gallimard,
sont dans la continuité éclairée de l’œuvre du
poète et donnent au poème et à notre lecture le
temps nécessaire pour accueillir les promesses des mots. Donner
du temps au poème pourrait être l’une des devises de
Richard Rognet qui sait que l’observation des fleurs, le passage de la
pluie, la marche dans la forêt qu’il pratique sans cesse se
mêlent aux sentiments profonds et indéfectibles qu’il
offre à ceux qui ont le bonheur d’être aimés de
lui. Affection, amour, amitié, fraternité s’unissent
à son vivre poétique et se confrontent aux mots du
poème dans un creusement de mémoire qui ne peut
qu’altérer la joie d’être au monde en regard de toux ceux
qui nous quittent.
Mais
alors. Comment autant de mélancolie peut conduire à
autant d’harmonie ? Richard Rognet n’accepte pas la seule tristesse, il
puise dans la matière du monde et dans le magma du langage les
mots qui le font tenir ; car il est toujours en quête de ses
propres trésors : pluie, silence, jardins de fleurs,
forêt, enfance, amour. Puis, au détour du poème et
comme une apparition sacrée « une femme sort de chez elle
avec une brassée de dahlias ».
Dans
ce jardin d’ombres qu’est l’œuvre de Richard Rognet, les roses
finissantes ne trahissent jamais le regard du poète, elles
l’accompagnent inexorablement vers une nature qui fut éclatante
mais vouée à la disparition. Disparition
éphémère pour le monde vivant ou définitive
pour celui qui s’identifie aux bouleversements de la planète et
« résiste » à une catastrophe qu’il tente
d’endiguer en saisissant mieux tous les instants de vie, l’éclat
d’une fleur, le chant d’un oiseau.
« Tu pars
à la rencontre des autres tremblements »
écrit-il,
Nous parle-t-il de ces tremblements inconnus que la disparition offre
en dernier cadeau de vie mais qui ne pourront être
partagés ? Ils sont tracés, livrés au lecteur qui
reçoit comme une grâce cet acte de foi qui l’aide à
mieux saisir les couleurs changeantes du ciel, à mieux respirer
l’odeur des forêts, à écouter avec toujours plus
d’audace le chant des oiseaux et caresser les épines des roses.
Le
poète nous livre son univers, un univers qui ne nous semble ni
métaphorique, ni virtuel ni tout à fait réel mais
rêvé. Ou bien, et c’est la grande force du poète,
le rêve est vécu avec tant d’intensité et de
ferveur qu’il devient la seule réalité possible. Qu’il
sauve quelques maigres bourgeons de roses ou qu’il ramasse des
cailloux, qu’il arpente la route d’un col vosgien et accompagne le
pinson revenant à son nid avec quelques brindilles ou encore
qu’il boive une bière à la terrasse d’un café,
c’est toujours vers la lumière que le poète porte son
regard et que son souffle s’agrandit. Le passé, l’enfance, les
êtres aimés, l’intime de son environnement, tout ici
s’inscrit dans le poème :
Passé, passé,
présence du passé
Vous soufflez à
l’aujourd’hui enguirlandé
Des phrases et des phrases de
poèmes
Qui ne sont que les gestes des
hommes
Le
poète se promène avec ses ombres qu’il chérit et
appelle en s’interrogeant sur l’obscur du chemin et sur cette
lumière qui, peut-être, n’a pas
révélé à temps sa présence. Le temps
s’est usé à son rythme et « la maison
résignée se couvre de fatigue » comme ce temps de
vivre qu’il fallait célébrer avec joie et tristesse, ces
deux pôles positif et négatif qui soutiennent le
poème de Richard Rognet.
Élégiaques
sont également les poèmes qui accompagnent le
poète « Dans les méandres des saisons
». La nature y est chantée au plus haut de sa gloire
même si le poète constate avec tristesse sa perte. Dans la
solitude et le silence, la mémoire, le poète poursuit sa
quête d’une vérité qui pourrait s’ouvrir sur un
autre monde. Cet autre monde qui serait un silence habité de
craquements d’écorces, de chants d’oiseaux, un monde où
la nature resterait primaire dans ses ressentis et où les fleurs
officieraient un culte fraternel. Car le poète qu’est Richard
Rognet ne peut respirer sans douleur l’air d’aujourd’hui. Sa
mémoire sait des douceurs d’antan qui l’aident à saisir
celles d’une vie quotidienne et accueillir la nature comme
représentation d’un monde essentiel dans lequel le poète
accorde à quelques hommes et femmes de pénétrer.
Grâce sans doute aux « mots fraternels qui hantent mon
poème » écrit-il.
Cette
fraternité fait partie et de la vie du poète et de ses
poèmes. Dialogue franciscain avec les fleurs, la forêt,
les cailloux du chemin, les nuages, dialogue avec soi-même car le
poète ne cesse de s’interpeller pour mieux saisir ses sources
afin qu’elles ne se tarissent pas dans un terrain peu propice au
poème et que ce terreau, chaque jour semé de mots,
d’émotion, d’espérance, continue d’offrir ses
brassées de fleurs et cela malgré « les
méandres des saisons ».
La
nostalgie de l’enfance n’est pas celle des paradis perdus chez Richard
Rognet, elle dévoile plutôt une crainte de perdre à
jamais l’innocence de l’enfance. Il invoque sa fratrie, ses parents,
ses amis poètes tout comme il s’accompagne plus
particulièrement de sa mère maintenant disparue, la
vénérant comme un élément de la Nature
elle-même, celle qui savait les fleurs et les plantes, celle qui
savait les mots, le soleil, la neige et toutes les saisons.
«
Un poème s’éveille quand un autre s’endort »
écrit le poète mais à la lecture de son œuvre nous
savons que pour nous, ses poèmes sont toujours en éveil
et nous éveillent.
Le
poème, quoiqu’en écrive le poète, vient bien
à notre secours, il nous aide à franchir les portes vers
l’ouvert même si peu à peu le jardin de poèmes se
rétrécit faute de forces et d’espérance. Pour
l’heure, les parterres de fleurs resserrent leurs senteurs de plus en
plus sur l’essentiel. Richard Rognet nous permet vivre la poésie
jusqu’à ce que lumière et obscur s’épousent dans
le jardin du silence.
***
* Monique W. Labidoire (présence à Francopolis :
Gueule des mots
de janvier 2014,
Une vie, un poète
: Charles Dobzynski, novembre 2014) nous fait
connaître par ce texte un poète qui publie
régulièrement chez Gallimard et a reçu presque
tous les prix de poésie possibles en France. N’empêche que
c’est toujours une découverte…
* Richard Rognet, poète abondamment primé et
pourtant très discret, voir avant tout son catalogue aux éditions
Gallimard. Une belle chronique également par Matthieu
Baumier sur Recours
au poème.
Richard Rognet
présenté par Monique W. Labidoire
recherche Dana Shishmanian