Intimité
Une tasse ébréchée sur la
table,
une femme solitaire qui
boit son café du matin.
C'est une vieille dame aux
cheveux argentés.
Elle tourne et retourne sa
cuillère
qui tinte à l'aube comme
le carillon de l'église.
Le cliquetis de l'argent
sur la porcelaine
fait un bruit doux à ses
oreilles.
Sa cuillère écrase le
sucre roux
resté accroché au fond de
la tasse
et qui fond comme neige
d'or au soleil.
De sa main tremblante,
elle y trace
des signes en silence,
en écho à son passé,
à son amour d’enfance.
Elle tourne et retourne le
marc noir
qui s'est déposé au fond
de la tasse
comme le palimpseste de
son passé
qui frémit et se froisse.
Ses pensées divaguent
comme des volutes de
vapeur,
parfois s’effacent
puis tracent des lettres
de nuée
au-dessus de son café et
de ses rêves.
Des lettres qui esquissent
des vers d’écolière
appris autrefois par cœur,
poèmes effarés, effrayés
de silence.
Elle songe à son enfance,
au bruit des oiseaux,
aux restes de roses
encore accrochés à son
collier.
L’espace d’un instant,
son visage s’illumine.
Et brille la lune
cristalline
dans ses yeux sans soleil
qui ne voient déjà plus,
qui sont déjà ailleurs,
dans le gouffre béant
de son intime éternité.
La nuit attend
Et la nuit attend l’oiseau qui ne vient pas,
les zébrures de la lune
qui se décalquent
vacillantes, révoltées,
sur la mer violette,
sur son indécence à peine
voilée.
La nuit attend l’aube
rose, sa semence flétrie
et les restes d’un ciel
accroché au silence.
La nuit attend la morsure
du jour bleu,
son rire rauque qui
accable l’infini.
Dans mon lit, les yeux
grands ouverts
écoutent la rumeur de la
nuit.
Les restes de fleurs
voûtées
sur le vase, moisissent au
creux
de mon corps
recroquevillé,
pétri d’angoisse,
perclus de soir et
d’agonie.
La nuit attend, seule,
que se réveillent les
morts,
que germe la lune d’or
dans la déflagration du
ciel gris.
La nuit attend son
éclipse, sa noyade lente,
son naufrage dans l’aube
triste.
Sur des ailes de moineaux
J'avale mes mots scarifiés
de silence,
des roses d'automne qui
s'égratignent
sur la grille de mon
jardin d'enfance.
Rêves violets évaporés
sur des ailes de moineaux.
Je heurte sur le sol des
bogues de châtaignes
qui ont ce parfum éphémère
de l'automne.
Et en foulant au pied
la poussière amassée de
septembre,
je découvre quelques
trophées d'automne :
Des roses sèches, des
physalis,
leur cohorte de feuilles
mortes qui m'encercle
comme un collier
d'obsolescence,
une corolle de vieillesse
avancée.
Le ciel est bleu pétrole,
les libellules dansent
dans l’air chargé de
cuivre
et d'un lourd parfum
d’orage.
Voix
Écho de la lune comme le
cri
d’une lampe silencieuse
décalquée sur le ciel.
Voix d’enfant
et gémissements d’oiseaux
qui ressemblent à des
silences
emportés par le vent.
Quelques roses froissées
desséchées par le souvenir
de mes rêves chuchotent
comme dans l’été de nos
vingt ans.
Entre chien et
loup
Des châtaignes crissent
dans le silence des
étoiles.
Il fait jour encore à
cette heure tardive
lorsque les moineaux
descendent du ciel,
se posent en riant au-
dessus des toits
martelés de soleil.
Il fait jour encore à
cette heure bleue
bien que la nuit ne soit
pas loin,
qu'elle attende à l'ombre,
tapie dans un coin
de rugir comme un lion
affamé de ténèbres.
Souvenir sans
parole
Sur le mur égratigné de
roses et de ronces,
je vois inscrit ton nom en
lettres tremblées de lumière.
Sur ce mur de pierres en
quinconce
qui laisse filtrer le
soleil et la tristesse de ce jour blanc,
je vois inscrites,
recroquevillées dans les interstices noirs de nuit,
les quatre lettres du mot
«mère» tannées par un soleil sans visage.
Sous le lichen bleu, les
herbes jaunes qui se fanent,
la pierre est comme une
feuille de papier froissé,
où l'écriture serrée d’une
plume de pluie
laisse une trace des
derniers mirages
d’un amour qui n’a pas
éclos, qui n’a pas vécu.
Face à ce mur de pierre et
de rage,
une petite fille t’appelle
mais tu ne réponds plus.
© Alix Lerman Enriquez
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