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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Novembre-décembre 2023

 

 

 

Alix Lerman Enriquez : « comme un collier d'obsolescence»

 

Poèmes inédits

 

(*)

 

 

Photo Alix Lerman Enriquez (FB, 25 octobre 2022)

 

 

Intimité

 

Une tasse ébréchée sur la table,

une femme solitaire qui boit son café du matin.

C'est une vieille dame aux cheveux argentés.

Elle tourne et retourne sa cuillère

qui tinte à l'aube comme le carillon de l'église.

Le cliquetis de l'argent sur la porcelaine

fait un bruit doux à ses oreilles.

 

Sa cuillère écrase le sucre roux

resté accroché au fond de la tasse

et qui fond comme neige d'or au soleil.

De sa main tremblante, elle y trace

des signes  en silence,

en écho à son passé,

à son amour d’enfance.

 

Elle tourne et retourne le marc noir

qui s'est déposé au fond de la tasse

comme le palimpseste de son passé

qui frémit et se froisse.

 

Ses pensées divaguent

comme des volutes de vapeur,

parfois s’effacent

puis tracent des lettres de nuée

au-dessus de son café et de ses rêves.

 

Des lettres qui esquissent

des vers d’écolière

appris autrefois par cœur,

poèmes effarés, effrayés de silence.

 

Elle songe à son enfance,

au bruit des oiseaux,

aux restes de roses

encore accrochés à son collier.

L’espace d’un instant,

son visage s’illumine.

 

Et brille la lune cristalline

dans ses yeux sans soleil

qui ne voient déjà plus,

qui sont déjà ailleurs,

dans le gouffre béant

de son intime éternité.

 

 

 

La nuit attend

 

    Et la nuit attend l’oiseau qui ne vient pas,

les zébrures de la lune qui se décalquent

vacillantes, révoltées, sur la mer violette,

sur son indécence à peine voilée.

 

La nuit attend l’aube rose, sa semence flétrie

et les restes d’un ciel accroché au silence.

La nuit attend la morsure du jour bleu,

son rire rauque qui accable l’infini.

 

Dans mon lit, les yeux grands ouverts

écoutent la rumeur de la nuit.

Les restes de fleurs voûtées

sur le vase, moisissent au creux

de mon corps recroquevillé,

pétri d’angoisse,

perclus de soir et d’agonie.

 

La nuit attend, seule,

que se réveillent les morts,

que germe la lune d’or

dans la déflagration du ciel gris.

La nuit attend son éclipse, sa noyade lente,

son naufrage dans l’aube triste.

 

 

 

 Sur des ailes de moineaux

 

J'avale mes mots scarifiés de silence,

des roses d'automne qui s'égratignent

sur la grille de mon jardin d'enfance.

Rêves violets évaporés

sur des ailes de moineaux.

 

Je heurte sur le sol des bogues de châtaignes

qui ont ce parfum éphémère de l'automne.

Et en foulant au pied

la poussière amassée de septembre,

je découvre quelques trophées d'automne :

 

Des roses sèches, des physalis,

leur cohorte de feuilles mortes qui m'encercle

comme un collier d'obsolescence,

une corolle de vieillesse avancée.

 

Le ciel est bleu pétrole,

les libellules dansent

dans l’air chargé de cuivre

et d'un lourd parfum d’orage.

 

 

 

Voix

 

Écho de la lune comme le cri

d’une lampe silencieuse

décalquée sur le ciel.

 

Voix d’enfant

et gémissements d’oiseaux

qui ressemblent à des silences

emportés par le vent.

 

Quelques roses froissées

desséchées par le souvenir

de mes rêves chuchotent

comme dans l’été de nos vingt ans.

 

 

 

Entre chien et loup

 

Des châtaignes crissent

dans le silence des étoiles.

Il fait jour encore à cette heure tardive

lorsque les moineaux descendent du ciel,

se posent en riant au- dessus des toits

martelés de soleil.

 

Il fait jour encore à cette heure bleue

bien que la nuit ne soit pas loin,

qu'elle attende à l'ombre, tapie dans un coin

de rugir comme un lion affamé de ténèbres.

 

 

 

Souvenir sans parole

 

Sur le mur égratigné de roses et de ronces,

je vois inscrit ton nom en lettres tremblées de lumière.

Sur ce mur de pierres en quinconce

qui laisse filtrer le soleil et la tristesse de ce jour blanc,

je vois inscrites, recroquevillées dans les interstices noirs de nuit,

les quatre lettres du mot «mère» tannées par un soleil sans visage.

 

Sous le lichen bleu, les herbes jaunes qui se fanent,

la pierre est comme une feuille de papier froissé,

où l'écriture serrée d’une plume de pluie

laisse une trace des derniers mirages

d’un amour qui n’a pas éclos, qui n’a pas vécu.

Face à ce mur de pierre et de rage,

une petite fille t’appelle mais tu ne réponds plus.

 

 

© Alix Lerman Enriquez 

 

 

(*)

La poétesse Alix Lerman Enriquez s’adonne à l’écriture poétique depuis son plus jeune âge. Née à Paris le 5 mai 1972, elle vit depuis vingt ans à Strasbourg après avoir goûté à la vie rennaise et parisienne. Titulaire d’un doctorat de philosophie du droit, l’auteure a déjà publié une quinzaine de recueils de poésie comme Météores (Editions La Bartavelle 2005), À-Contre-jour (Hervé Roth Éditeur 2013), Les territoires de la nuit pourpre (Do Bentzinger Editeur 2012), Herbier d’errances (Editions Flammes Vives 2016), Au-delà de la nuit (Editions Les poètes français 2016), Tessons et miroir (Editions Vox Scriba 2017), Estuaire de l’espoir (Editions flammes vives 2018), La morsure du jour sur la mer (éditions les poètes français 2018), Bribes du jour, éclats de nuit, (Editions Stellamaris, 2019), Tombée du ciel (Éditons les poètes français 2021). Elle est également l’auteur de proses poétiques sur le site de l’éditeur Hervé Roth et anime elle-même deux blogs poétiques : Perles de poésie et Aphorismes et petits riens.

Présence à Francopolis : nous l’avons accueillie au Salon de lecture de septembre-octobre 2022 (où l’on trouve une notice biobibliographique plus détaillée).

 

 

 

Alix Lerman Enriquez 

Francosemailles, novembre-décembre 2023

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