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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 

Été 2025

 

Béatrice Pailler :

« éternelle est la plaie… »

Poèmes inédits

 

Une image contenant herbe, plein air, paysage, ciel

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

Orage dans l’Aube (photo de l’autrice)

 

(*)

 

 

Cavale

 

 

Sabots des quatre vents

Le temps s’achève.

Sur la pierre le feu

Sur la terre l’eau.

 

Une jument

En sa course

Inonde le ciel

Signe de sa crinière

Sur de morts soleils.

 

Œil noir nuit de l’eau

Encre votive posée au seuil.

Le temps fuit de nos poitrines.

 

Voix rouge nuit du feu

Sueur et salive corps du deuil

Le sang luit sur l’aubépine.

 

Une jument à terre se couche

Se couple à l’orage.

De sa bouche tombe le soir

À son cou la veine éternelle

À son flanc l’attente.


 

Sabots du fond des âges

Déchirent le ciel

Frappent les mâts d’injustice.

 

Brûlure de sel

Clous sur chair

Le bois forge l’espoir.

Brûlure des éclairs

S’étoile son corps de croix.

 

Une jument parée à sang

De sa crinière essuie l’opprobre

Dans l’ombre met bas sa douleur.

 

Infini de l’instant

Le temps s’incarne

Demain pour fruit.

Vers lui Aujourd’hui

Fait route.

 

Une jument

De sa crinière

Réenchante Le ciel.

En son pas L’amble du jour.

 

S’éloignent les chevaux de rage.

 

 

Impression de l’après

 

D’une secousse se libérer

d’un battement toucher ciel.

 

Mots soufflés vent passant

du feuillage un silence :

mémoire  de sa présence.

 

Coups sonnant

au bois la vrillette appelle

de l’horloge le temps sans appel.

 

La lézarde

creuse l’oubli

déchire un gouffre.

 

Sur le sombre la blancheur

la chevelure des racines

fils de vies rompues.

 

Sans repère sans appui

un vide acéré coupe le silence

coupe les racines, découpe demain.

 

 

Gorge dénouée

terre en fuite tombe la pluie

où racines et demain s’ébruitent

brisures mêlées de l’être et du temps

 

Au tourment du vide

froissement d’elle

un tournoiement de naufrage

longtemps encore ce sentiment

d’une chute immobile

d’une chute en soi.

 

POURQUOI reste muet

une idole martelée

du refus et des larmes

une idole suppliée.

POURQUOI est de bois muet.

 

Lentement dépose le vide.

Pensée blanche d’un blanc aveugle

écumant son lait buvant le silence

soutirant l’absence.

 

Tournoiements et sillages

sel à verse : flottaison

le courant mène

le courant pousse.

 

L’instant, sa trace à saisir pour respirer

c’est aujourd’hui temps vierge

où la pensée cède.

 

Plus loin, demain

la fin inatteignable.

 

Le sel est sur l’absence

la morsure ensemence.

Racines en nœud

temps sans promesse

prémices de demain.

Demain portant sa fêlure :

mémoire de sa présence.

 

 

Phoenix

une Vie

 

Compagnon de route

Le voici devant.

Son pas égal l’éloigne du nôtre

Qui lui n’est plus le même.

Ainsi le corps suit le temps

Qui jamais ne reviendra.

 

L’eau des fontaines remplace l’eau libre

Où seule la pensée se risque encore.

Peu à peu, la pierre prend le corps.

 

Au temps d’hier

De feu et d’oiseaux

Sa peau, tel le pré

Fut le lit de sa joie.

La sève le poussait.

Grandir n’était pas vain.

 

Le paradis coulait dans ses veines.

De grands cris sortaient de sa chair.

L’âge le prit sous son aile

Et lui, devenu arbre

Fît de ses branches

Le reposoir de ses chants.

Vents, pluies et soleil

Le nourrissaient.

Sa ramure frôlait d’autres ramures.

Ses racines se mêlaient à d’autres racines.

Et de sa nuit naquit le jour.

 

Le temps le fortifiait.

Vieillir n’était pas vain.

 

Longtemps, il arpenta

La lumière de ses branches

Visitant les fruits de sa vie.

 

Un à un

Ils sont tombés.

Il a senti la cassure.

Il a senti le vide.

Il ne les a pas reconnus.

Dans ses branches

Où sa pensée ne se risque plus

L’absence a pris place.

 

Le présent l’amenuise.

Aujourd’hui est un long sommeil.

Il est tombé

Comme la pierre lancée

Rejoint la terre.


 

Autour de lui hier fructifie.

La vie le visite encore.

Au jeu de l’ombre sur la pierre

La lumière parfois se risque.

 

Autour de lui demain s’affirme

De feu et d’oiseaux

À eux le vent, la pluie, le soleil.

 

Le silence n’est pas vain.

 

 

 

Sans âge était la plaie

 

La poésie

Comme le pommier

Venue du paradis

Donne des fruits interdits

           Chams Langaroudi Les cendres de l’envol

Érès, Po&psy, 2024

 

 

De chair ancienne, sans âge était la plaie

Et comme toutes présences

Soumise au temps.

Lui s’attelant à cette béance

Fit son œuvre pareil au vent.

Il éroda la plaie, la façonna

En aveugle car telle est sa nature.

Ainsi s’offrit à tous un coin de plaie

Comme un coin de terre

De celle que l’on gratte pour un fruit

L’amère discorde au jus de fiel

De celle que l’on soigne pour le fruit

Cette paix à goût de miel. 

 

La plaie patiemment fut irriguée

Parfois plus parfois moins

Toujours par le sel des sources :

Salives et sueurs, larmes et sangs

Humaines sources de nos horizons :

Épousailles de chairs et de temps

Celles des batailles et des moissons.

 


 

De vie douce, tendre était la plaie

Qui trop jeune pour résister, pour savoir

Et ne cherchant que consolation

Accueillit en elle toutes les floraisons.

Sans peine, le mal y logea sa griffe.

Sans peine, il s’y trouva bien.

Racines fortes, il força la plaie

L’envenimant d’une liqueur injuste.

Gardant pour lui son visage

Mais souriant de promesses

Jusqu’au cri de l’éclosion

Il sut rester muet.

Ainsi, silence sur silence

Et d’ombre vêtu, il grandit

S’étendant sur la plaie

Épanouissant sa discorde en fleurs

Seules parmi toutes à être mauvaises.

Elles écloses vint le murmure du mal.

 

Heureuse d’être jardin

La plaie ne vit que les fleurs

Récompense du temps passant

N’entendit que leur cri

Cet appel espoir d’un fruit.

Revêtue d’abondance, de vie

Sensible au murmure

Elle s’imagina être un nouvel éden.

 

 


 

Serpente le murmure du mal

Et d’inassouvi, devint la plaie.

Mordus d’orgueil, piqués d’envie

Et la discorde pour fruit

Tous subirent le mensonge

Tous par eux-mêmes furent trompés.

Parfois moins parfois plus

Car tous avaient le choix :

D’élargir en la plaie

La brèche de leurs appétits

Pour mieux satisfaire l’instant

L’ensevelir de leur avidité

Ou de porter en elle le soin qui guérit

Pour toujours croire aux semailles

Celles d’où lèveraient paroles et pain

Les horizons de notre humanité

Qui de tant de nations, de visages

Nous fait frères d’un seul peuple.

 

De longue attente, éternelle est la plaie

Sépulture du frère en espérance de vie.

Racines fortes l’arbre y viendra

Se cueilleront alors pour tous les fruits

Pommes et poèmes sans interdit

Paroles où s’apprivoise le murmure

Parfois moins parfois plus.

Paroles où s’endort le mal

Sommeil profond et sans rêve

Bercé d’humanité.

 

 

©Béatrice Pailler

 

(*)

 

« Je suis rémoise (née en 1966) et j’ai exercé à Reims pendant vingt ans le métier de libraire. Je me consacre maintenant à l’écriture, en alternant prose et poésie, et uniquement à celle-ci, mais dans la diversité des échanges et rencontres. Mon écriture prend sens dans la langue. Je m’en imprègne et la transforme, la travaille, pour façonner mon langage poétique. Mon but est d’approcher de ce que j’appelle "la poétique du monde" qui est pour moi indissociable de la création et de la lumière. C’est pourquoi, je place celle-ci au centre de mon écriture. C’est la lumière intrinsèque de la création que je cherche à faire partager. La création, telle une terre d’avant l’homme, un ailleurs où les éléments sont omniprésents air/terre/feu/eau, où la respiration/le souffle du végétal et de l’animal s’animent. J’instaure des passerelles entre homme et animal. Je puise dans l’ensemble de la création : de nature ou humaine.  Le corps est présent, avec le geste et le mouvement ainsi que les sentiments et interrogations du vivre. La lumière est là et l’ombre l’accompagne. Ombre qui n’est pas moins belle, juste différente : une lumière qui ne se dit pas, qui ne se dit plus. Je tente d’exprimer ce qui m’habite par le biais d’une écriture qui n’est pas sans violence. Une écriture de contraste et de rupture ; sensuelle, elle fait appel à tous les sens et invoque le charnel. »

 

Recueils parus à ce jour :

D’un pas de luciole, 2024, aux Éditions du Cygne

L’Or-la-Nuit, 2024, aux Éditions Encres Vives

D’Écorce de Sable nov.2022 aux Éditions de la revue A L’INDEX collection Les Plaquettes

L’Autre Versant juin 2022 aux Éditions Le Silence qui roule ; prix Louis Guillaume 2023

Louves juin 2021 collection Fibre.s aux Éditions la tête à l’envers

SACRE, mai 2019, aux Éditions Racine & Icare

Goûte L’Eau, nov.2018, aux Éditions de la revue A L’INDEX collection Les Plaquettes 

ALBEDO, mars 2018, aux Éditions Encres Vives 

Mouvements, Panta Rhei, Poésie en voyage 4ème trimestre 2017 aux Éditions La Porte 

Jadis un ailleurs, recueil réunissant : L’heure métisse (Prix Jean Giono de la SPF en 2015) et Motifs /collection Poètes des Cinq Continents / sep.2016, aux Éditions L’Harmattan

 

Parutions en anthologies

Anthologies coordonnées par Marilyne Bertoncini pour Embarquement poétique (le Jeudi des Mots)

  Runes & Ruines aux éditions les Cahiers de Poètes & Co /2025

Participation avec le poème en vers libre : Vestiges

  Du corps du poète, au corps du poème aux éditions les Cahiers de Poètes & Co /2024

Participation avec le poème en vers libres Frères de langue

  Mots de paix et d’espérance aux éditions Oxybia /2022

Participation avec le poème en vers libres Regards croisés

 

Livres d’Artiste

Participations aux livres d’artiste de Maria Desmée pour son anthologie de poésie contemporaine ; anthologie faisant partie des collections du Musée Paul Valéry. Ainsi qu’aux Livres Pauvres de Daniel Leuwers

 

Parutions en revue

…Traversées, Décharge, Maugis : Les Amis de L’Ardenne, À L’INDEX, ARPA, Haies Vives, Écrit(s) du Nord, Poésie-Première, Les hommes sans épaules, Terre à ciel, Recours au poème, Concerto pour marées et silence, Diérèse, La Pierre et le Sel, Francopolis, Embarquement Poétique, Verso, Phoenix, Possibles, Voix d’Encre, Margelles, Spered Gouez, Hespérie & la Revue Alsacienne de Littérature….

 

***

 

Nous avons découvert l’écriture de Béatrice Pailler en l’accueillant à la rubrique Terra incognita de mars-avril 2023 : Béatrice Pailler « le marcheur va cherchant le lieu » (textes inédits et quelques extraits de ses recueils).

 

 

Béatrice Pailler

Francosemailles, Été 2025

Recherche Dana Shishmanian

 

 

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