Des rires de jeunesse, des jambes de femmes,
Des regards de douceur, des rencontres d’amis,
Puis l’amour, puis la vie.../... JCD.
Le
poème liminaire du dernier ouvrage de Jean-Charles Dorge
– Les sabots dans la masure – est annonciateur et s’offre à nous
telle une explosion d’amour, une révélation, un éblouissement
intérieur ; une femme en devient soudain la révélation :
Elena !
Ce
recueil est traduit en russe, preuve d’un bel éclectisme, d’une volonté
d’unité et d’ouverture intelligente en ces temps - hélas ! - où nous
sommes encore confrontés à l’ignorance, l’obscurantisme et où nous avons
tristement tendance à faire des amalgames entre une quête profondément
humaniste et les dissonances de l’histoire.
Les
poètes, les artistes, les créateurs ne sont pas responsables des errances
incertaines, douteuses et dangereuses générées par l’avidité
inextinguible de leurs dirigeants.
Installons
donc notre campement dans le pays de la poésie où « Les champs
d’orge parfument l’air de Paris » !
Jean-Charles
Dorge n’est pas loin, dans son expression
pastorale, de nous faire songer au grand penseur et poète Philéas Lebesgue, auteur de Mes semailles.
La
symbolique du sabot nous situe dans un espace où flotte une certaine
rêverie nostalgique, les vibrations du temps passé serti de regrets. La
note est donnée : « Les cœurs dansent dans les sabots...
». Le ton s’impose, la plume du poète amorce un retour sur la mémoire où
le vin de la joie enveloppe de ses brumes les rêves. « Des pipes
fument.../...on rit, on trinque, on chante.../... ».
Voici
un ouvrage attachant, qui sent bon le terroir, la terre fraîchement
labourée, les blés moissonnés sous le soleil d’été, la senteur des foins
coupés et les odeurs d’antan, celle du bon pain de campagne, du lard
fumé, du pot au feu au coin de la cuisinière en fonte.
Les
poèmes, de factures diverses, évoluent au rythme de la vie : des rires
d’enfants, des femmes aux belles jambes et robes affriolantes, des larmes
de joie, de peine et d’amour. Le poète se met en observance et chaque
bribe du quotidien nourrit et alimente son moulin à poèmes.
Voici
aussi qu’il se fait parisien et place ses pas dans les empreintes des
grands aînés du passé, où flottent toujours leurs ombres à la Closerie
des Lilas. Bonheur pour le lecteur de croiser les scènes de vie au
fil d’un chemin de hasard, de rencontrer des artistes, des badauds, de
regarder passer les bateaux sur la Seine, de s’enivrer des parfums de
femmes, que le poète observe d’une terrasse de café ; le tout noyé dans
les effluves des rues. Que serait Paris sans ses « putains noires
ou blondes
montrant leurs jambes vagabondes .../... où coule une odeur
de pas perdus » ?!
Dans
ses errances rêveuses, le poète nous gratifie d’une petite balade
poético-géographique, nous entraînant du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest
: Picardie, Alsace, Provence...
Il
est bon, parfois, de retourner sur les pas de l’enfance, de retrouver les
jeux avec les copains, les premières petites amoureuses et les odeurs de
confitures.
Certains
poèmes plus légers respirent et jouent avec les échantillons de nos
existences. D’autres sont plus graves, solennels ; ils aimeraient voir un
monde plus sage et responsable, plus apaisé ; ils souhaiteraient voir
sécher les larmes et enterrer les armes.
Ils
ne portent plus de sabots, ou - pour le folklore - à la fête du village,
mais le constat est flagrant : les paysans, aujourd’hui, s’absentent de
leurs terres en raison des charges pléthoriques, des endettements forcés,
des impôts suicidaires, sans parler des normes crucifiantes,
du réchauffement de la planète et d’une écologie hystérique irréfléchie
et non maîtrisée. Cependant le poète voit juste car le paysan est bien le
seul à être « nécessaire au futur du vivant, lui seul peut
obliger les menteurs à se taire, il fabrique le vrai quand ils sèment
dans le vent ». Oui, « il faut urgemment revenir à la
terre ! ».
Les
parfums de la terre seraient inexistants s’ils ne se mêlaient pas à ceux
de la mer, des algues et du sel, qui passent comme un rêve d’écume.
Vivre,
vivre est le leitmotiv du poète, constatant que nous sommes bien trop
confiants et que nous ne nous méfions pas assez du temps, qui,
silencieusement, avance sournoisement en défiant le tic-tac et faisant
bonne figure, jusqu’à nous retrouver face au miroir des illusions, où il
ne reste dans la mémoire que les traces d’une sonate d’enfance.
L’évidence
nous rattrape : combien même le poète se ferait-il voyant, il ne peut pas
tout voir, en particulier dans le cœur bien souvent trop noir de l’homme.
Gageons
alors que la poésie demeure encore l’ultime moyen de l’illuminer !
©Michel
Bénard.
Lauréat
de l’Académie française.
Chevalier
dans l’Ordre des Arts et des Lettres.
(*)
Texte
paru aussi sur le blog Couleurs
poésie de Jean Dormac (le 17 mars 2023).
Sur Jean-Charles Dorge, Président
de la Société des Poètes Français, voir les sites :
https://lecoledelaloire.com/jean-charles-dorge.html,
https://www.larondepoetique.com/jean-charles_dorge.html,
http://www.societedespoetesfrancais.eu/editorial.html,
http://www.poetes-francophonie.com/.
Quant
à Michel Bénard, Vice-Président de la Société des Poètes
Français, il est
désormais bien connu de nos lecteurs, par sa plume poétique humaniste et inspirée,
par ses découvertes d’artistes, ainsi que par ses propres œuvres graphiques :
voir dans nos rubriques Créaphonie (septembre-octobre 2022), Gueule
des mots (novembre-décembre 2022), Boules
de Noël 2022.
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