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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Mars-Avril 2022

 

 

Michel Racois :

 

De fil en aiguille

 

Réflexions.

 

 

 

Je ne me doutais pas que ce petit livre m’entraînerait aussi loin. De Primo Levi, je n’en étais pas à ma première lecture : adolescent, j’avais goûté avec émotion Si c’est un homme, je n’avais pas hésité à le relire à l’âge adulte. A Une heure incertaine regroupe des poèmes. On y retrouve des thèmes chers à l’auteur, notamment l’anéantissement du peuple juif, l’horreur des camps d’extermination.

 

Jorge Semprun, dans sa préface, éclaire le lecteur sur l’importance de la poésie dans le contexte de la déportation. Outre Primo Levi, il évoque un autre poète marqué par cette triste expérience, Paul Celan. Ils sont, selon ses mots, « des poètes qui ont écrit après Auschwitz ». Tous deux se donneront la mort, Celan en 70, Levi en 87.  Semprun souligne leur différence en ce qui concerne la conception de l’écrit pour dire l’horreur, la noirceur. Primo Levi opte pour un langage limpide qui s’oppose à la ‘’langue mortifère ‘’de Celan. La lumière pour le premier, l’ombre pour le second. 

 

Connaissant mal Paul Celan, j’ai cherché à en savoir plus. Les circonstances de sa mort ont rappelé à mon souvenir deux autres poètes, Ghérasim Luca, comme lui juif et d’origine roumaine, et le français Roger Milliot. 

J’ai découvert le premier au cours d’une séance de lecture ayant eu lieu dans une petite localité de la Drôme au cours d’un week-end consacré au livre-objet auquel j’étais invité. 

Quant à Roger Milliot, je possède dans ma bibliothèque l’Edition Complète et Définitive de son œuvre parue en 1973 sous le titre QUI emprunté à l’un de ses poèmes. Je la dois à son éditeur, Félix Castan, que j’ai eu la chance de côtoyer durant des années, et qui a présenté le poète dans l’anthologie Poètes maudits d’aujourd’hui 1946-1970 (Seghers). Les textes y sont imprimés sur des feuilles de bristol d’un gris bleuté, une matière forte pour des mots fragiles, une teinte limpide pour une œuvre sombre, celle d’un homme qui dit la difficulté de mener à bien son destin, et écrit dans un de ses derniers poèmes ‘’Pour une claire mort / Après la vie sans but’’. 

Paul Celan, Ghérasim Luca, Milliot, poètes en quête d’absolu, qui, tous trois se donneront la mort en livrant leur corps à la Seine.

 

Je n’ai pas eu la chance, jusqu’à aujourd’hui, d’entrer dans le travail pictural d’Anselm Kiefer autrement que par l’intermédiaire de revues d’art. Comment ressentir face à une photo l’intensité qui se dégage de ses œuvres ? Comment un cliché de petites dimensions peut-il transmettre la force d’une installation monumentale, d’une toile de grand format dans laquelle sont associés à la peinture divers matériaux, la terre comme la ferraille, le plomb comme la craie ?  

Ce qui m’amène à évoquer cet artiste ? De la poésie à la peinture, il n’y a qu’un pas. Le rapprochement avec Celan est tout naturel. Anselm Kiefer lui a dédié plusieurs séries, certaines inspirées par la Shoah. L’un comme l’autre, condamnant l’homme destructeur, répandant la peur, mettant un pays en ruines, se rendant coupable de génocide, font œuvre de mémoire. Les mots pour l’un, la matière pour l’autre, ils parlent le même langage : celui-là même de Primo Levi, extrait du poème Shema  ‘’ N’oubliez pas que cela fut / Non ne l’oubliez pas’’. Cependant, Anselm Kiefer réfute la noirceur fréquemment reprochée à ses peintures. S’il brûle, si la cendre, la suie sont partie intégrante de certaines réalisations, cela n’empêche pas la couleur d’être présente dans ses gris… 

 

Voilà que ma pensée à nouveau rebondit. Les gris issus de la couleur rappellent à mon souvenir une autre rencontre, physique celle-ci, celle d’une jeune personne que le hasard m’a fait rencontrer un jour devant un mur de tubes de peinture…

 

C’est un fait, après bien des détours dans le champ de la poésie et de l’art, ce petit recueil de Primo Levi m’a fait remonter dans un lointain passé… non sans un certain plaisir.

 

©Michel Racois

 

Michel Racois, peintre et écrivain, a honoré la rubrique Creaphonie de notre précédent numéro (janvier-février). Nous saluons cette nouvelle contribution de sa part.

 

 

 

Michel Racois

Francosemailles, mars-avril 2022

 

 

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Créé le 1 mars 2002