Je ne me doutais
pas que ce petit livre m’entraînerait aussi loin. De Primo Levi, je n’en
étais pas à ma première lecture : adolescent, j’avais goûté avec émotion Si c’est un homme, je n’avais pas hésité à le
relire à l’âge adulte. A Une heure
incertaine regroupe
des poèmes. On y retrouve des
thèmes chers à l’auteur, notamment l’anéantissement du peuple juif,
l’horreur des camps d’extermination.
Jorge Semprun, dans
sa préface, éclaire le lecteur sur l’importance de la poésie dans le
contexte de la déportation. Outre Primo Levi, il évoque un autre poète
marqué par cette triste expérience, Paul Celan. Ils sont, selon ses mots,
« des poètes qui ont écrit après Auschwitz ». Tous deux se
donneront la mort, Celan en 70, Levi en 87. Semprun souligne leur différence en ce
qui concerne la conception de l’écrit pour dire l’horreur, la noirceur.
Primo Levi opte pour un langage limpide qui s’oppose à la ‘’langue
mortifère ‘’de Celan. La lumière pour le premier, l’ombre pour le second.
Connaissant mal
Paul Celan, j’ai cherché à en savoir plus. Les circonstances de sa mort
ont rappelé à mon souvenir deux autres poètes, Ghérasim
Luca, comme lui juif et d’origine roumaine, et le français Roger Milliot.
J’ai découvert le
premier au cours d’une séance de lecture ayant eu lieu dans une petite
localité de la Drôme au cours d’un week-end consacré au livre-objet
auquel j’étais invité.
Quant à Roger Milliot, je possède dans ma bibliothèque l’Edition Complète et Définitive de son œuvre parue en 1973 sous le titre QUI emprunté à l’un de ses poèmes.
Je la dois à son éditeur, Félix Castan, que
j’ai eu la chance de côtoyer durant des années, et qui a présenté le
poète dans l’anthologie Poètes maudits d’aujourd’hui
1946-1970 (Seghers).
Les textes y sont imprimés sur des feuilles de bristol d’un gris bleuté,
une matière forte pour des mots fragiles, une teinte limpide pour une
œuvre sombre, celle d’un homme qui dit la difficulté de mener à bien son
destin, et écrit dans un de ses derniers poèmes ‘’Pour une claire mort / Après la vie sans but’’.
Paul Celan, Ghérasim Luca, Milliot,
poètes en quête d’absolu, qui, tous trois se donneront la mort en livrant
leur corps à la Seine.
Je n’ai pas eu la
chance, jusqu’à aujourd’hui, d’entrer dans le travail pictural d’Anselm
Kiefer autrement que par l’intermédiaire de revues d’art. Comment
ressentir face à une photo l’intensité qui se dégage de ses œuvres ?
Comment un cliché de petites dimensions peut-il transmettre la force
d’une installation monumentale, d’une toile de grand format dans laquelle
sont associés à la peinture divers matériaux, la terre comme la
ferraille, le plomb comme la craie ?
Ce qui m’amène à
évoquer cet artiste ? De la poésie à la peinture, il n’y a qu’un pas. Le
rapprochement avec Celan est tout naturel. Anselm Kiefer lui a dédié
plusieurs séries, certaines inspirées par la Shoah. L’un comme l’autre,
condamnant l’homme destructeur, répandant la peur, mettant un pays en
ruines, se rendant coupable de génocide, font œuvre de mémoire. Les mots
pour l’un, la matière pour l’autre, ils parlent le même langage :
celui-là même de Primo Levi, extrait du poème Shema ‘’ N’oubliez
pas que cela fut / Non ne l’oubliez pas’’. Cependant, Anselm Kiefer
réfute la noirceur fréquemment reprochée à ses peintures. S’il brûle, si
la cendre, la suie sont partie intégrante de certaines réalisations, cela
n’empêche pas la couleur d’être présente dans ses gris…
Voilà que ma pensée
à nouveau rebondit. Les gris issus de la couleur rappellent à mon
souvenir une autre rencontre, physique celle-ci, celle d’une jeune
personne que le hasard m’a fait rencontrer un jour devant un mur de tubes
de peinture…
C’est un fait,
après bien des détours dans le champ de la poésie et de l’art, ce petit
recueil de Primo Levi m’a fait remonter dans un lointain passé… non sans
un certain plaisir.
©Michel
Racois
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