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Articles sur les poètes francophones contemporains
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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 


Septembre-Octobre 2021

 

 

 

Deux notes de lecture de Sonia Elvireanu.

 

 

 

Les méta-poèmes de Monique W. Labidoire.

 

(*)

 

 

Le recueil Voyelles bleues et consonnes noires de Monique W. Labidoire (Éditions Alcyone, 2019) renvoie par son titre au célèbre poème art poétique d’Arthur Rimbaud Les Voyelles.  En effet, la poète fait de son livre un ars poetica, ses poèmes envisagent la poésie dans tous ses aspects : le silence d’avant la naissance du poème, son murmure indicible, l’état de grâce de l’inspiration, son corps graphique, les lettres, voyelles et consonnes, griffonnées sur la page blanche, leur agencement secret en mots et phrases ; une certaine  structure de la parole, un sens, des images, la présence d’un moi lyrique, sa voix modulant idées et sentiments,  formes et sens pour faire entendre le chant issu des profondeurs du soi, d’une manière incomprise.

C’est « le chant sinueux de nos vies », une présence impalpable en nous, qui jaillit du « plus obscur de nous-mêmes » en mots « porteurs de feu », le feu de la vie, pour se matérialiser en poème. Il doit tout dire – beauté, amour, nature, douleur, mort, désillusion, espérance – sans rester figé dans la mémoire, mais se ressourcer d’amour et d’espoir dans le renouveau de ses formes.

Né du labyrinthe mental et psychique de chaque poète, le poème parle du vécu de celui-ci, des drames et des joies de sa vie et des autres, de l’Histoire, de ses bouleversements et désastres, de la mémoire individuelle et collective. Il les réactualise par le choix du verbe au présent, ancrés ainsi dans le présent éternel qui contient le passé et les germes de l’avenir. Se souvenir c’est donner vie à ce qui n’est plus, à la mémoire fragile du passé :

« Le poème rassemble, égalise, caresse, s’invente une vie présente. »

Monique Labidoire nous propose des métapoèmes. Elle dévoile son intention de privilégier le discours métapoétique par les titres de ses poèmes, tous pareils, Du poème, Le poème, Art poétique, regroupés en quatre parties. Sa voix se fait entendre par le « je » qui interroge et réfléchit aux « pratiques centenaires » de la poésie, au chemin sinueux du poète, à son rôle, au langage poétique, à la source des mots :

« Je suis celle qui de mot en mot interroge l’écriture dans ses méandres et ses lumières, dans son sens et son non-sens, dans sa conscience et son indifférence ».

« Celle qui persiste à arrondir la langue et rejeter ses angles »

Elle adresse aux poètes du monde l’appel à surmonter la plainte, à retrouver la joie de la vie, la lumière de la beauté. Au lieu de s’immobiliser dans le passé, de faire de la poésie un requiem, il faut seulement être à l’écoute de la mémoire et redécouvrir la joie de vivre :

 « Ancrer son chant pour démêler les cheveux du destin » 

 « Être avec soi, pour regarder sans mélancolie, les visages du monde et ses paysages décryptés de nos usages »

 « Ancrer son chant, ancrer son sang en reliant cris, sons, appels, murmures et rester présent au monde à chaque vibration de la lumière »

 « Ancrer son chant pour vaincre la terreur ».

Le poète doit chanter la vie, retrouver la beauté, l’espérance, la lumière et les partager avec les autres. Le langage poétique sera ressourcé, travaillé sans cesse sur le sens et la forme, « la main du poète guidée par la magie du secret ». Sa fraîcheur et sa beauté seront puisées à la beauté concrète de la terre. Il faut savoir écouter le silence, regarder, s’imprégner de lumière, laisser le poème éclore telle la fleur, murmurer son chant, alliance de vécu et de mystère :

« Il est unique et multiple selon qu’il se couvre de sentiments qui le font trembler ».

 

©Sonia Elvireanu

 

(*)

Voyelles bleues, consonnes noires. Editions Alcyone (collection Surya), novembre 2019. Des poèmes extraits de ce recueil ont été reproduits à la rubrique « Une vie, un poète » de janvier-février 2020 (avec une présentation de Dana Shishmanian).

 

 

Isabelle Poncet-Rimaud, Dialogues avec le jour

(éditions Unicité, 2021)

 

 

Le quotidien bouleversé par la pandémie ne manque pas de surgir de façons différentes dans l’écriture des poètes et des prosateurs. Le ressenti de ce temps,qui a renversé les habitudes de tous, est le noyau du recueil Dialogues avec le jour d’Isabelle Poncet-Rimaud.

Face à l’agression d’un événement qui oblige au confinement, la profonde sensibilité de la poète cherche refuge dans la poésie. Un dialogue avec soi-même, jour à jour, lui permet d’observer plus attentivement la réalité et de s’observer soi-même à travers ses sentiments et ses états d’âme. Mais elle se garde de faire de son écriture une chronique de ce temps, comme le font certains poètes et romanciers qui adoptent la forme du journal intime. Isabelle Poncet-Rimaud ne cède pas la place de la vraie poésie au minimalisme, au prosaïque du réel trop accrochant, elle se tient à la hauteur de la grande poésie qu’elle a toujours écrite.

Les poèmes s’enchaînent sans titres, il n’y en a que de très rares à en avoir un titre pour marquer un événement, comme le premier, Confinement, pour nommer une situation hors du commun, vécue non seulement par la poète, mais par le monde entier. C’est le début d’un temps fracassé, lourd, paralysant, celui de l’exil imposé.

Elle surprend l’atmosphère pesante de l’espace qui se rétrécit et se ferme sur l’homme, la sensation d’être prisonnier, l’incompréhension d’une force obscure qui s’infiltre dans la vie des gens, les tenant immobilisés contre leur volonté, l’inquiétude et la peur face à la mort, autant d’images qui renvoient à l’absurde existentiel de Camus. On se rend compte de l’authenticité du vécu pendant l’isolement, chacun se retrouve dans les vers d’Isabelle Poncet-Rimaud.

La première image est celle de la ville immobilisée, où le rythme de la vie s’arrête brusquement. Un silence écrasant règne partout, pareil au linceul, présage de la mort, il pèse comme un fardeau sur l’âme:

« La ville

en arrêt, 

comme un chien de chasse

renifle la proie cachée.

Tout se tait. »

La ville est paralysée, suspendue entre la vie et la mort, l’homme solitaire, isolé, désorienté, en attente : fin ou renouveau.

Seul l’oiseau traverse le silence de la ville immobile, symbole du vol, de la liberté, alors que la poète, « sentinelle au balcon », guette l’heure de vie ou de mort, nuit et jour, entre l’angoisse et l’espérance :

« Attente traversée de l’humeur vagabonde

des oiseaux-sémaphores

qui relie l’homme mis à terre

au langage oublié du ciel.»

Rendu à la solitude insupportable, à la claustration, à la peur, le dialogue avec soi devient source de résistance psychique, de même que le printemps qui fait renaître les arbres, alors que les mots s’efforcent de livrer des sentiments confus, faire sentir la fragilité de l’être dont les heures semblent comptées.

De fenêtre en fenêtre, le long des rues désertes, les regards de survie, de reconnaissance d’une humanité vouée à l’incertitude du demain, l’appel à la vie, l’amour, le souvenir, le regret sans consolation pour ceux emportés par ce temps « fou », malheureux.

Comment faire face à la solitude, à l’isolement, à la peur de mourir sinon en les affrontant, rêver, espérer, retrouver le rythme naturel de la vie paralysée par la peur ? La fête de Pâques devient « signe d’Espérance »:

« Faire de l’exil

une terre de retour,

de l’immobile une transhumance,

de la distance

un accueil,

de la perte

une partition

pour les notes de la vie. »

La métaphore ne manque pas de créer les images de la vie sur l’horizontale et sur la verticale, surtout celle de l’oiseau que retient le regard captif. Il ranime l’envie de s’échapper du confinement, de se réjouir de la vie ; ou l’image de l’arbre, lien entre la terre et le ciel, riche de sens :

« Chien de garde tapi

en creux d’âme,

le manque attend

prêt à bondir

sur l’ombre fugace

d’un souvenir de liberté. »

Dialogues avec le jour d’Isabelle Poncet-Rimaud ne reste pas dans la pesanteur de l’isolement et de la peur, mais retrouve l’espérance, exhorte à la vie, « à la ferveur d’exister ».

 

©Sonia Elvireanu

 

 

 

 

Sonia Elvireanu

Francosemailles, septembre-octobre 2021

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