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La langue en guerre : rhétorique de la propagande
par Florence Noël

 

Comment développer les négatifs ou l’« Analyse d’intentionnalité par l’évitement».

La langue de fer :quelques-unes des méthodes couramment utilisées

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La langue de fer : quelques-unes des méthodes couramment utilisées

 


« Méthode de discréditation »

EX : « Les forces de la coalition ont été prises à partie par les forces irrégulières irakiennes » (ici,
le groupe paramilitaire fayssil sous le commandement du fils de Saddam Hussein)
Effet suggestif : l’ennemi ne se bat pas « honnêtement », il utilise des armées irrégulières et donc des
méthodes crapuleuses, il fait une guerre « sale » ( en opposition à la guerre propre suivant strictement tous les codes tacites de l’honneur et de la chevalerie des conflits modernes).
Mécanisme de propagande véhiculé : l’ennemi par son comportement apporte une justification morale au fait qu’on lui fasse la guerre.

 

« Méthode d’atténuation par l’inversion des valeurs »

Associer un qualificatif du registre sémantique diplomatique, scientifique ou médical à un terme
résolument guerrier :

Citons évidemment les fameuses « frappes chirurgicales» mais aussi le sublime « guerre préventive ». On sait en effet combien la prévention est associée dans l’esprit de tout un chacun à la conscientisation concernant les soins de santé. Parler de guerre préventive c’est justifier presque « sanitairement » l’acte de violence. L‘analogie avec la médecine, profession confrontée à la souffrance inévitable des patients mais dispensant la guérison en faisant des choix parfois difficiles relève du génie de la propagande. Pourtant… Qu’y a-t-il de plus éloigné comme professions que celle qui cherche au minimum à provoquer des blessures de celle qui lutte au maximum pour les soigner ?


Et que dire de ces millions de dollars dépensés par le gouvernement américain en « diplomatie publique » et en « influence stratégique » : deux concepts teinté de respectabilité démocratique et pourtant facilement assimilable à ceux de propagande et de désinformation…?

 

« Méthode d’atténuation par la banalisation»

Certes, la perte de soldat au combat est une tragédie, surtout pour sa propre opinion publique, et il est
vrai qu’il ne faut surtout pas en montrer les images même si nous filmons allègrement les prisonniers et morts que nous avons faits parmi les rangs ennemis. Mais enfin, qu’est-ce sinon une atténuation par la banalisation que d’écrire des phrases telles que « un dilemme : accepter des pertes de «routine» tout au long du conflit ou sécuriser très solidement les unités logistiques » .

Autre exemple cruel…. l’appellation de "cibles molles" ne parlant de ces cibles mal protégées comme les stations touristiques, supermarchés et lieux où se réunissent des Occidentaux. Ce qui est banalisé, c’est toujours, sans aucun doute, ce qui est le plus important, ce qui est le plus essentiel : la part de responsabilité, la part d’humanité. La part « faible » de la guerre. Sa dénonciation intrinsèque en quelque sorte. Et comme on ne peut éliminer les « facteurs humains » ni la part violente et profondément injuste de la guerre, on banalise les termes qui la disent, qui la dévoilent, sans artifice.

 

« Méthode de l’omniscience, omnipotence »

Cette méthode est très liée aux nouvelles technologies, alimentée dans notre imaginaire par des
films nous démontrant combien les USA sont à même de tout savoir partout et n’importe quand grâce à leurs satellites, leurs écoutes d’internet et des communications, leurs services de renseignement. Le
doute a pourtant pu nous envahir face à la totale surprise que fut le 11 septembre, face à l’incapacité
des états-uniens à retrouver Ben Laden même en y mettant toute une armée, face à leur ignorance de
certaines réalités du terrain…Cependant, et c’est là la puissance du langage dans l’entreprise de convaincre les foules, on voit réapparaître des mythe comme « la guerre en temps réel» qui suppose que tout gradé américain sait à tout moment ce qu’il se passe partout sur le champ des opérations.

Evidemment, il est piquant de remarquer que lorsque l'on est confronté à un fait difficilement défendable face aux opinions publiques comme un un missile malheureux tombant sur des civils, un cette omniscience est vite remplacée par la

« Méthode de la stratégie du flou ou du flou stratégique »


En ces temps où la presse, avide de shows télévisés en lettres d’or, veut devenir l’acteur principal de
l’événement, cherche à tout prix à se mettre des informations sous la dent, on assiste à un curieux discours de l’à-peu-près et des communications invérifiées car invérifiables mais alimentant sans discontinuer le cordon cathodique avec un téléspectateur rapidement mis en état de manque *. On mangerait n’importe quoi. Et pourtant, l’autre grand démon de la presse vient à rendre tout cela encore plus difficile à gérer : la déontologie minimale qui demande de citer et de croiser ses sources.

Alors… en l’absence d’autres sources que les services de presse militaires, on constate une pléthore de formulations floues directement reproduites ou maladroitement atténuées, où des nuances douteuses surgissent, entre ces belligérants-là et ces autres, entre ce terme-ci et cette conception-là, entre cette rumeur-ci et ce démenti-là. Et des phrases comme « essuyer des tirs indirects » (Ils passaient par là par hasard quand ils ont entendu tirer ? ), « pertes sensibles mais faibles » (où est la nuance… ? A partir de combien ? ), « poches de résistance sporadiques » (plic ploc comme ça, au gré du vent ?), "missile errant" en parlant d'un missile qu'on réfute avoir tiré mais dont on ignore tout ce qui est gênant quand il a malheureusement fait une quinzaine de victimes civiles ( le missile se promenait de ville en ville quêtant peut-être un endroit hospitalier où se loger, et pris sans doute d'une immense fatigue est tombé là, où, vraiment, on ne l'attendait pas?).

Il ne faut pas croire que c’est seulement dû à l’incompétence de nos journalistes, non, c’est dû surtout à une stratégie de l’information, voulue par les belligérants et dont la presse, piètre contre-pouvoir, n’arrive pas à se désengluer. N’est-elle cependant pas aussi responsable de son manque de recul ? De sa volonté aveugle de sauter sur tous les événements et de faire feu de tout bois… Pour quel objectif ? Informer l’opinion publique ou bien rivaliser avec ses concurrents ? Chercher en vérité ou bien gaver le convive au festin du tout venant ?*

 


« Méthode d’inversion sémantique qualificative :humaniser le matériel, matérialiser l’humain »

La quête d’intérêt économique et matériel, principale et véritable motivation des guerres depuis toujours, agit comme révélateur sur bon nombre d’expressions utilisées en temps de conflit.

On va ainsi choisir des termes habituellement utilisés pour les êtres humains en temps de paix pour qualifier des objectif matériels. Et a contrario, on va déshumaniser les personnes civiles, obstacles
inévitables de la guerre dont le tort est de soudain se trouver là où il n’y a plus de place pour eux. Ils
sont évoqués comme un élément parmi d’autre à prendre en compte dans la logistique : le fameux « facteur humanitaire » qui sonne souvent plus de trois fois avant qu’on daigne lui ouvrir.

Ainsi on peut s’étonner de voir que les militaires consacrent beaucoup d’énergie à « sécuriser des champs pétrolifères « tandis que l’on minimisera les «dégâts collatéraux » (certainement le terme le plus cynique de toute l'Histoire des guerres). Les uns, stratégiques méritent toute l’attention des militaires, tandis que les autres, individus dépouillés même dans leur statut d’humains dans la mort, sont relégués au rang de simples gravats et autres écroulements d’immeuble. Cette méthode a pour but d’entraîner à se réjouir des prises géostratégiques quand dans le même temps on amoindrit l’impact des victimes innocentes sur l'opinion publique.


Il reste une méthode qui est plus insidieuse, plus grave aussi, car elle est de la responsabilité principale de la presse, par un effet de construction ou de peur psychologique difficilement démontable en quelques lignes:

Il s’agit de ce mécanisme qui consiste à ne pas énoncer clairement l’évidence : ne pas parler d’agression, d’invasion des USA lorsque c’est un fait stricte et vérifiable mais plutôt d’ « intervention » ( chirurgicale ??? ), de « franchissement de frontières »…. Parler de « forces de coalition » (ou pire à TF1 de « Coalition pour le désarmement de l'Irak ». ) en jouant sur la proximité suggestive avec « forces alliées » aux plus glorieux souvenirs et à la plus légitime intervention. Parler de « poche de résistance résiduelle » plutôt que de défense de l’armée irakienne et préférer le spectre de « guérilla urbaine » aux termes de « résistance irakienne au siège de leur ville» . Laisser en quelque sorte, les Etats-Unis exporter librement leur propagande intérieure, destinée à rassurer leur population, sans se révolter non pas au nom d’idées complexes, mais au simple nom de la liberté de la presse d’utiliser son principal outil de travail… les mots.

 

 

Liens utiles aux décryptologues amateurs

 

 

* Les exemples cités sont tous issus des dépêches de presse de l'AFP, l'AP et Reuters qui alimentent presque essentiellement les organes de presse sur les opérations militaires en Irak.

 

Florence Noël - mars 2003

 

 

 

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Créé le 1 mars 2002

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