D'une langue à l'autre...
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Archives : D'une langue à L'autre

 

Mai-juin 2022

 

 

Ara Alexandre Shishmanian:

 

Deux poèmes inédits

traduits du roumain par Dana Shishmanian

 

Le vieux Russe

L’oiseau boit sous la lune des étangs de miroirs •

écrit avec son bec les cimetières de l’air –

et dépose dans le labyrinthe aux fenêtres murées des archives de plumes •

à l’absurde avec seul je creuse dans l’orbe cendreux l’inutile –

mon regard évaporé dans naguère •

j’habite une chambre de nerfs et de serpents –

je me dissipe dans le lointain et le vague de même que le souvenir et la tour •

et voilà encore l’encre violette du crépuscule –

corde étrangère et larme du funambule qui se pend tous les jours •

et le temple de chaos où j’adore des fantômes d’étoiles –

pour voler des lettres dévorées par les chiens de l’oubli •

trop de chemins promis ne furent qu’autrefois –

trop de manteaux ne se sont avérés que pluie et vent •

des vieux livres nous ne pouvons plus cueillir que des sources asséchées –

des vieux livres nous ne pouvons plus boire que les épis de la sécheresse •

ta chevelure est or de poussière – tes lèvres sont sommeil de cendres •

et à nouveau je coupe avec des lames de dégoût et de sourire les amarres du monde •

je danse – moi, le funambule –

sur les cordes de la frustration qui me carie la vie et l’âme •

avec des échardes de cris, je me cherche –

et je me demande – et je m’appelle •

oui, je me demande – comment je pourrais habiter

une autre demeure que le souterrain •

oui, je me cherche – où ailleurs que dans la ruine

des sous-marins et des croiseurs coulés •

je m’appelle – où ailleurs que dans les effondrés –

les maudits pays et cités des damnés •

parmi les équipages innombrables des peuples assombris par le sang •

oh! ce fer, il est exil – et invasion – et envie bleue •

et vide de souffrance – peau sans corps •

oui, cette peau qui cherche son corps quelque part – nulle part •

cette flamme de torturante névrose qui quelque part – nulle part –

cherche son éteint •

et ce vieux Russe – comme un géant de résignation et noirceur •

oui, ces fosses létales – toujours étrangères, tel un lait ultramarin •

comme un matin de métal toujours assoiffé •

et la maison de nerfs et de poussières d’or –

la chambre de serpents et du sommeil de cendres •

et la mort qui se coagule de nulle part et d’ailleurs –

la mort qui finit toujours dans l’obscur –

et laisse derrière elle des squelettes de sang •

et les violons aux ailes aveuglantes –

nous exterminant tels de sombres seigneurs •

... oui, et ce vieux Russe comme un géant de résignation et noirceur... •

 

 

Diable pleurant

Lune, déesse des insomnies •

absurde lumineux glissant à travers le miroir et la nuit •

sourire oublié comme une barque sur des pleurs livides •

le diable pleure en chantant les automnes de l’éphémère aux splendeurs abolies •

larmes étrangères sur les joues obscures de l’âme –

voyageuses invisibles sur les voies de la peine •

rayons mystérieux comme les murmures prophétiques de la fin

si pleine de commencement •

des clés obscures déverrouillent ma fièvre et mon froid •

et l’amour née de la double écume – le vin abyssal de l’océan •

ainsi je suis devenu – ainsi je me suis méconnu •

ainsi je me suis jeté labyrinthe dans un royaume de douleur •

me mêlant à la semence chaude rougie par le sang –

dans une double ivresse d’incandescence et d’innocence froide •

et toi espérance – étrange fantôme que le soleil ne chasse point –

toi qui prolonges la nuit dépressive dans le jour •

personne erre dans l’ombre comme une bouche des illusions –

comme une gare des mirages •

à chaque pas plus seul avec insoluble en exil •

mais le dilemme est un prétexte pour de plus létales voies •

impondérable je sors par les fenêtres blanches

et je ramasse dans des paradis éblouissants

les nouvelles fleurs aux corolles atomiques •

je fais l’amour aux nymphes de lueur brisée –

et je comprends avec plus de nostalgie les ténèbres •

le bleu s’est arrêté dans une obscurité d’en dessous –

et l’horloge promène en moi ses heures blanches •

comme si mille yeux aspiraient d’un sol invisible les regards hélés –

aveuglant d’aveuglant •

tu descends sur les marches imaginaires de l’eau –

t’égares dans les canaux étroits entre barques et chandelles •

et tu cherches une sortie dans chaque éclat de ta disparition impossible •

dans chaque bris de ce jeu extatique à l’oubli •

dans chaque débris du jeu à n’avoir jamais été •

oui, dans chaque débris...

 

 

 


A.A. Shishmanian inédit

traduit par Dana Shishmanian

 

      Francopolis mai-juin 2022 



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