D'une langue à l'autre...
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ou comme prétexte. Traduction.

 

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Archives : D'une langue à L'autre

 


D’une langue à l’autre…

MARS-AVRIL 2020

 


Nicole Barrière

 

Poèmes sur l’Islande

 

/

 

 Voir l’autre volet : Poètes d’Islande

 

présentés par Nicole Barrière



(*)

 

 

 

Reykjavik endormie

 

Cette ville s’étend profondément vers la mer,

les rayons du soleil se faufilent

entre mes doigts gourds.

 

Toutes les rues semblent plonger dans la mer

La montagne massive barre l’horizon

Et attire jusqu’à sa racine glissante

 

Ne t’inquiète pas mon amour

Il n’y a rien que du vent, et du givre

Et je rêve à tes lèvres chaudes

Ton baiser

Les longues heures de la nuit exaltent mon désir

 

 

Ici tout te ressemble

 

La lumière des jours sombres

court le long des gorges sèches.
Les lumières de l'hiver.

Ici tout te ressemble

 

Ici le ciel n'a pas de limites, ni les volcans

débordant d’incandescence, d’ardeur, d’embrasement
Mers houleuses, sables noirs

Ici tout te ressemble

 

Les laves à l’âme pétrifiée

Le soleil dense dans l’air vif turquoise

Les fils de vie croisés dans l’antre des nuages

avec des paysages tourmentés par la lave.

Ici tout te ressemble !

 

La terre tumultueuse et claire

Et la neige, et la braise

Et l’espoir de paroles jamais dites

Le soleil en feu du crépuscule

Ici tout te ressemble !

 

La lueur de la lune et des étoiles veille

On dirait cette terre à l’origine du temps

Peu visibles sont les crêtes dans les brumes humides

Profondes sont les sources qui courent dans les montagnes

Ici tout te ressemble !

 

Reykjavik mercredi 12 février 2020

 

 

 

Reykjavik un jour ordinaire d’hiver

 

les chants de solitude résonnent avec l’île, la neige et le vent

couleurs blanc, et rouge et bleu, et jaune et vert

des toits et des façades

l’air sombre parfois, étrange toujours.

Les rares arbres dénudés, secoués de blizzard

Quel sang circule en dehors du poème ?

du désir des mots, de la réalité des rêves ?

Un rayon de soleil rit et s’efface

Des petites gouttes glissent au bas des baies vitrées

Le gel se coule dans les interstices

Et l’âme est semblable, cristalline à hauteur de gelée

La neige sur l’herbe fait reculer les nuits sombres

Ne t’inquiète pas de mon amour,

Tout est ainsi, la ville, la maison, la fuite des voitures sur la chaussée

Et montent les forces primitives de la langue

Retrouvée dès l’aube avec la rage d’absolu, la grâce

et l’innocence des mots directs et nus

Voix exaltée, unique ? claire, fusionnelle, violente ?

transmuée en beauté

Souffle, souffles…

Temps et vents de terre lointaine

Quelque part un ciel bleu et pur comme la turquoise

Plus bas un lac endormi voit bouger les branches de la vie

Puise dans les mots simples le chemin des runes,

Les vœux exaucés d’où tombent nos chaînes.

Tu es mon amour. La nuit maintenant est noire

Peu d’étoiles me répondent

Et me noient dans la brume de l’attente.

 

 

La tempête

 

Devant la fenêtre, je vois les arbres bousculés par le vent

La tempête a soufflé toute la nuit, tout le matin

J’expérimente l’isolement.

 

Seul le vent me parle depuis des heures

C’est un ronflement saccadé, avec des grosses bourrasques déchainées

Puis des temps d’accalmie

Comme si le vent reprenait son souffle.

 

Les branches des quelques arbres sont malmenées, arrachées

Le vent semble furieux.

Mais pourquoi le voulais-je l’humaniser ?

 

***

 

La tempête est seulement ce déplacement d’immenses masses d’air, mais elle est aussi l’expérience commune et redoutée des hivers

Dire la nature sous la tempête et l’expérience de l’isolement constitue presque une épreuve spirituelle.

Raconte le tourment, raconte la tourmente…

Soudain le temps a changé, s’est presque radouci tandis que le ciel noircissait, les vents se déchainaient, mais cela est venu graduellement.

La tempête était annoncée, alerte rouge annonçait-on, on voyait dans l’obscurité ambiante, l’air plus épais, les brouillards, loin sur la mer, les embruns et on s’attendait à tous les météores, tonnerre, pluie, foudre, éclairs, mais rien sauf le vent soufflant, rugissant, avec des bruits de déchirement, d’arrachement, de cassures.

Combien de temps durerait la tempête, on disait un jour ou deux mais l’inquiétude incitait à se recueillir, à invoquer et à louer quelque dieu ?

Dieu du vent.  Des vents ?

Le vent soufflait et avec lui quelques tourbillons de neige, dans l’air, la neige de la colère cinglait au ras de la terre, s’accumulait implacablement, tandis que l’air indomptable assénait sur le sol des frappes déchainées.

La tourmente, qu’est ce qui tourmente la terre et l’homme quand se déchaine une tempête ? Tourmente monotone et répétitive, une certaine grisaille lancinante, des nuages noirs, des airs troublés, épais, obscurs

Tourmente merveilleuse quand la neige descend des nuées, quelle neige ? La neige tourbillonnant en fines particules gelées, un grésil, un givre éclairant soudainement le ciel noir, le jour encore obscur.

La tempête tourmentait les ciels troublés et les airs assombris, et le grand vent enflait et faisait frémir. Le vent traversait, renversait, effondrait. On se sentait s’infiltrer à travers les murs.

Raconte le tourment, raconte la tourmente…

Dans l’espace devenu inhospitalier, le vent perturbait l’ordre des choses, virait et revirait jusqu’à la disparition ou la séparation. Alors on se prenait à rêver d’un autre à aimer et à chérir.

Le décor changeait de nuit à pluie

Le vent tressaillait à chaque rafale, levait la tempête. La ville tanguait comme si on était en pleine mer, dans un fracas assourdissant et un ronflement tenace, tout est confusion, bouleversement, chaos primitif. C’est cela ! la tempête nous fait revenir au chaos primitif, tous éléments mêlés, divinités absentes.

Tandis que lentement le jour se lève, le ciel s’éclaircit, quelques nuées blanches sur fond bleu. Pourtant le vent continue sa course folle arrache, projette, brise, déchire, rompt, emporte.

Le sable, les pierres, les roches, les plantes luttent contre la tempête, carguent leurs racines jusqu’au large des hauts fonds.

On se lie, on s’attache quand le pressentiment de danger persiste, ultimes prières d’avant naufrage…voilà un rituel de fin du monde !

Se sentir misérable,

Se sentir démuni,

Renoncer, Tout perdre

Voir l’abandon, la perte, la mort,

Chercher le salut, la confiance, la vérité

Expérimenter la tourmente : douleur, effroi, traumatisme, et

Dire et se dire vivant contre le domaine des choses noires de la peur.

Raconte le tourment, raconte la tourmente…

Tout devenait flou, plus de limite entre le ciel et l’eau comme si les tempêtes déviaient toutes les prévisions, perturbaient les mesures, faussaient les calculs. Et les calculs différaient, là où en France on mesurait les vents en km/h, en Islande c’était en m/s… : la violence intense et somptueuse des éléments déchaînés, propres à susciter l’effroi, à engendrer la terreur, à faire sentir à l’homme sa petitesse, sa fragilité, son impuissance et le côté magnifique, imprévisible, exigeant et invincible de la nature.

 

Reykjavik 15 février 2020

 

 

 

Dimanche à Reykjavik

 

J’ai vu la grande église

portes ouvertes

sur les arbres de l’enfance


Les arbres de l’enfance

Disent les secrets de la vie

 

Dans l’herbe tombent des étoiles

Neige et grains réunis sur la butte

Chaque pierre recèle un secret de vague

Ou de houle, qui se referme sur le ciel

 

Reykjavik 16 février 2020

 

 

 

(*) Par suite de son séjour en Islande au mois de février, en résidence à la Maison des écrivains de Reykjavik, pour un travail de traduction avec Thor Stefansson, Nicole Barrière nous offre non seulement des poèmes traduits en français, pour faire connaissance avec quelques grands noms de la poésie islandaise, mais aussi quelques poèmes d’elle, écrits sous le ciel fascinant du pays des glaces. Merci pour tout, chère amie !

D.S.

 

La maison des écrivains

 

 



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Créé le 1 mars 2002

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