
Reykjavik endormie
Cette ville s’étend profondément vers la mer,
les rayons du soleil se faufilent
entre mes doigts gourds.
Toutes les rues semblent plonger dans la mer
La montagne massive barre l’horizon
Et attire jusqu’à sa racine glissante
Ne t’inquiète pas mon amour
Il n’y a rien que du vent, et du givre
Et je rêve à tes lèvres chaudes
Ton baiser
Les longues heures de la nuit exaltent mon désir
Ici tout te ressemble
La lumière des
jours sombres
court le long des gorges sèches.
Les lumières
de l'hiver.
Ici tout te ressemble
Ici le ciel n'a pas de limites, ni les volcans
débordant d’incandescence, d’ardeur, d’embrasement
Mers
houleuses, sables noirs
Ici tout te ressemble
Les laves à l’âme pétrifiée
Le soleil dense dans l’air vif turquoise
Les fils de vie croisés dans l’antre des nuages
avec des paysages tourmentés par la lave.
Ici tout te ressemble !
La terre tumultueuse et claire
Et la neige, et la braise
Et l’espoir de paroles jamais dites
Le soleil en feu du crépuscule
Ici tout te ressemble !
La lueur de la lune et des étoiles veille
On dirait cette terre à l’origine du temps
Peu visibles sont les crêtes dans les brumes humides
Profondes sont les sources qui courent dans les montagnes
Ici tout te ressemble !
Reykjavik mercredi 12
février 2020

Reykjavik un jour ordinaire d’hiver
les chants de solitude résonnent avec l’île, la neige et le vent
couleurs blanc, et rouge et bleu, et jaune et vert
des toits et des façades
l’air sombre parfois, étrange toujours.
Les rares arbres dénudés, secoués de blizzard
Quel sang circule en dehors du poème ?
du désir des mots, de la réalité des rêves ?
Un rayon de soleil rit et s’efface
Des petites gouttes glissent au bas des baies vitrées
Le gel se coule dans les interstices
Et l’âme est semblable, cristalline à hauteur de gelée
La neige sur l’herbe fait reculer les nuits sombres
Ne t’inquiète pas de mon amour,
Tout est ainsi, la ville, la maison, la fuite des voitures sur la
chaussée
Et montent les forces primitives de la langue
Retrouvée dès l’aube avec la rage d’absolu, la grâce
et l’innocence des mots directs et nus
Voix exaltée, unique ? claire, fusionnelle, violente ?
transmuée en beauté
Souffle, souffles…
Temps et vents de terre lointaine
Quelque part un ciel bleu et pur comme la turquoise
Plus bas un lac endormi voit bouger les branches de la vie
Puise dans les mots simples le chemin des runes,
Les vœux exaucés d’où tombent nos chaînes.
Tu es mon amour. La nuit maintenant est noire
Peu d’étoiles me répondent
Et me noient dans la brume de l’attente.

La tempête
Devant la
fenêtre, je vois les arbres bousculés par le vent
La tempête a
soufflé toute la nuit, tout le matin
J’expérimente
l’isolement.
Seul le vent
me parle depuis des heures
C’est un
ronflement saccadé, avec des grosses bourrasques déchainées
Puis des temps
d’accalmie
Comme si le
vent reprenait son souffle.
Les branches
des quelques arbres sont malmenées, arrachées
Le vent semble
furieux.
Mais pourquoi
le voulais-je l’humaniser ?
***
La tempête est
seulement ce déplacement d’immenses masses d’air, mais elle est aussi
l’expérience commune et redoutée des hivers
Dire la nature
sous la tempête et l’expérience de l’isolement constitue presque une
épreuve spirituelle.
Raconte le
tourment, raconte la tourmente…
Soudain le
temps a changé, s’est presque radouci tandis que le ciel noircissait, les
vents se déchainaient, mais cela est venu graduellement.
La tempête
était annoncée, alerte rouge annonçait-on, on voyait dans l’obscurité
ambiante, l’air plus épais, les brouillards, loin sur la mer, les embruns
et on s’attendait à tous les météores, tonnerre, pluie, foudre, éclairs,
mais rien sauf le vent soufflant, rugissant, avec des bruits de
déchirement, d’arrachement, de cassures.
Combien de
temps durerait la tempête, on disait un jour ou deux mais l’inquiétude
incitait à se recueillir, à invoquer et à louer quelque dieu ?
Dieu du
vent. Des vents ?
Le vent
soufflait et avec lui quelques tourbillons de neige, dans l’air, la neige
de la colère cinglait au ras de la terre, s’accumulait implacablement,
tandis que l’air indomptable assénait sur le sol des frappes déchainées.
La tourmente,
qu’est ce qui tourmente la terre et l’homme quand se déchaine une
tempête ? Tourmente monotone et répétitive, une certaine grisaille
lancinante, des nuages noirs, des airs troublés, épais, obscurs
Tourmente
merveilleuse quand la neige descend des nuées, quelle neige ? La
neige tourbillonnant en fines particules gelées, un grésil, un givre
éclairant soudainement le ciel noir, le jour encore obscur.
La tempête
tourmentait les ciels troublés et les airs assombris, et le grand vent
enflait et faisait frémir. Le vent traversait, renversait, effondrait. On
se sentait s’infiltrer à travers les murs.
Raconte le
tourment, raconte la tourmente…
Dans l’espace
devenu inhospitalier, le vent perturbait l’ordre des choses, virait et
revirait jusqu’à la disparition ou la séparation. Alors on se prenait à
rêver d’un autre à aimer et à chérir.
Le décor
changeait de nuit à pluie
Le vent
tressaillait à chaque rafale, levait la tempête. La ville tanguait comme
si on était en pleine mer, dans un fracas assourdissant et un ronflement
tenace, tout est confusion, bouleversement, chaos primitif. C’est
cela ! la tempête nous fait revenir au chaos primitif, tous éléments
mêlés, divinités absentes.
Tandis que
lentement le jour se lève, le ciel s’éclaircit, quelques nuées blanches
sur fond bleu. Pourtant le vent continue sa course folle arrache,
projette, brise, déchire, rompt, emporte.
Le sable, les
pierres, les roches, les plantes luttent contre la tempête, carguent
leurs racines jusqu’au large des hauts fonds.
On se lie, on
s’attache quand le pressentiment de danger persiste, ultimes prières
d’avant naufrage…voilà un rituel de fin du monde !
Se sentir
misérable,
Se sentir
démuni,
Renoncer, Tout
perdre
Voir
l’abandon, la perte, la mort,
Chercher le
salut, la confiance, la vérité
Expérimenter
la tourmente : douleur, effroi, traumatisme, et
Dire et se
dire vivant contre le domaine des choses noires de la peur.
Raconte le
tourment, raconte la tourmente…
Tout devenait
flou, plus de limite entre le ciel et l’eau comme si les tempêtes
déviaient toutes les prévisions, perturbaient les mesures, faussaient les
calculs. Et les calculs différaient, là où en France on mesurait les
vents en km/h, en Islande c’était en m/s… : la violence intense et
somptueuse des éléments déchaînés, propres à susciter l’effroi, à
engendrer la terreur, à faire sentir à l’homme sa petitesse, sa
fragilité, son impuissance et le côté magnifique, imprévisible, exigeant
et invincible de la nature.
Reykjavik 15
février 2020

Dimanche à Reykjavik
J’ai vu la grande église
portes ouvertes
sur les arbres de l’enfance
Les arbres de l’enfance
Disent les secrets de la vie
Dans l’herbe tombent des étoiles
Neige et grains réunis sur la butte
Chaque pierre recèle un secret de vague
Ou de houle, qui se referme sur le ciel
Reykjavik 16 février 2020
