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D'une langue à l'autre...
et textes
incidemment, sciemment
ou comme prétexte. Traduction.

 

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Archives : D'une langue à L'autre

 


Mars-Avril 2021

 

 

Jamel Jlassi

 

Herbes de la langue, Arbres de pêchés

 

Présentation de l’auteur et traduction du poème :

Kader Rabia

 

Photo de Kader Rabia (le cèdre de l’Atlas)

 

 

Herbes de la langue, Arbres de pêchés

 

Debout aux confins des langues

Et la chimie ronge les colonnes du ciel

Ne m'ont point échappé les couleurs des lettres

Et je n'ai pas oublié leur gout acide dans le sang

 

Debout,

Je tente de ravauder les atomes de l'être

Si au moins je savais le sens du sens

Et peut-on nommer les choses sans langage :

(Le rêve, la malédiction, l'oie, les tortues des mers, l'encre, les tremblements du sein affolant…)

Réponds sans ouvrir les dictionnaires

Laisse les morts se reposer un moment

(Le catapulte, l'honneur suprême, la pomme du pêché, les gardiens de la Kaaba, ses violeurs)

Ne réveille personne,

Laisse-les se sédimenter au fond du fleuve

Demain, après des millions d'années, ils se transformeront en pétrole, en légendes…

 

Debout,

Jusqu'à quand t'habiteront le rythme et la rime ?

Peut-on faire rimer la dance de l'abeille ?

Peut-on faire rimer l'odeur de la terre après la pluie ?

La mesure supportera-t-elle l'appel de l'amandier aux vents féconds ?

Comment font les chameaux pour éclaircir les contes du désert

Sans que, devant eux, s’entremêlent les routes ?

Mais l’arbre vert fut,

Et là, l’eau simple et naïve créatrice de tout.

 

Debout,

Je tente de libérer des sens la parole première :

L’amour ne signifie pas que nous soyons des étoiles

Et que nous ayons besoin de nuit pour pouvoir éclairer

Et ne veut guère dire que nous mourrions sans nous brûler

Et sans découvrir le désir et les espérances.

L’amour c’est aimer le voyage,

Pas la mer ni la barque

Revenir au port pour trouver une nouvelle terre

Et désirer davantage le sel du voyage

Ainsi est le sein de celle que j’aime

Que les langues ne maitrisent point… 

Même lorsqu’elles annoncent :

(C’est un trottoir en exil

Des voix de rossignols chosifiés

Âmes de jasmin dans les tourelles d’éther)

Il reste obscur et sacré comme les préambules des sourates

 

Debout,

J’essaie de distiller la douleur dans les choses

Je tendrais la main, si je pouvais

Pour cueillir une époque que je n’ai pas vécue

Et je vois des forêts qu’on appellera des villes

Des fleurs devenues mares dans les cages des immeubles

Et le singe nu, mon grand-père,

Couvre le corps des choses de significations

Apprivoise les chats et le diamant

Les pieds des montagnes le vin et les mythes

Il rêvait.

Il rêvait sans savoir que le rêve est pourvoyeur des fleuves

Vers les mers

Créateur d’arbres à partir des graines

Que le rêve est la rame des barques

Voile des bateaux, charbon des locomotives

Aile de l’homme vers la lune…

Dissimulé derrière la poésie.

Je tente de détruire l’inhabitable :

Y en a assez des prières des clercs devant la croix

Et des échos des cloches dans les étendues

Assez des courbettes de l’Indou devant le cobra

Et des prosternations de l’Africain devant les arbres

Assez de ces statues adorées que nous fabriquons

Et que nous mangeons dès que nous avons faim.

 

Debout,

Je ne vois de la nature que ce qui se voit

Ces temps sont de fer, mercure, rayons, parfum, faim, guillotines, goudron, nectar, voyage…

Ce sont les chants de l’Euphrate pour la Volga

Et des mélodies de l’Atlas pour les Alpes

Ne sois pas triste, toi l’enterré dans les mines en Bolivie

Ou dans les laboratoires de l’atome secrète à Téhéran

Cette langue-ci n’est pas connue des anges et des opulents

Parce qu’ils ne se sont jamais endormis sur une faim/un amour

Et ton bras noir de charbon

Ton poumon malaxé d’uranium

Seront cités dans les mythes des temps futurs

Estime-toi heureux ; c’est l’ère d’un prophète qui a pour miracles :

(Les laboratoires, le cœur artificiel, les entrelacs de la poésie, le rouge à lèvres, les feux des voitures, les boites de nuit…)

A toi de te réjouir et de savoir

Que la terre est Dieu

Que les nègres sont une autre neige dans le nouveau langage

Et que la poésie est soufisme de la science

Questionnements des charrues/ réponses de la terre

Tombe du hasard/ funérailles de la fable

Et l’utérus de la chimie/ les papillons et…

Les pêchés glorieux

 

Debout

Les fœtus, les bourgeons et les cellules, viendront-ils

Si ça ne tenait qu’à moi, nous sèmerions les linceuls en utérus

Et si nous partons sans retour

Reviendront le printemps, nos enfants et les semences

Ils clôtureront les limites de l’univers à l’aide de langue et de jasmin

Fabriqueront leurs pluies nuage par nuage

Reconnaitront la maison par sa menthe

Et sous leurs rêves dormira l’impossible.

 

Traduit de l’arabe par Kader Rabia

 

 

Voix remarquable et singulière de la littérature tunisienne d’aujourd’hui, Jamel Jlassi est romancier, poète et traducteur. Il est né le 1er juillet 1968 à Klibia et a fait des études de droit. Membre du Syndicat des Écrivains Tunisien et de l’Association Internationale des Traducteurs et Linguistes Arabes. Il travaille actuellement dans le domaine de l’éducation.

Auteur de trois recueils de poésie, deux romans et plusieurs traductions.

Son activité dans le domaine de la traduction couvre diverses littératures allant des littératures africaines (on lui doit les œuvres complètes de Senghor, entre autres), latino-américaines (M. A. Asturias), française (Dan Franck, Escarpit..)

Ses derniers livres publiés :

·       Bey el ârban (roman), 2014

·       La majda li sawti kharija sawtiha (poésie), 2015

Sa dernière traduction parue : Carnet de retour au pays natal d’Aimé Césaire, préface par André Breton, 2018

Il travaille en ce moment sur une anthologie exhaustive de la poésie française du 16ème siècle.

 

 

Jamel Jlassi

Présenté et traduit par Kader Rabia

 

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Francopolis, mars-avril 2021

 

 

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