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Archives : D'une langue à L'autre

 

Été 2024

 

 

Louisa Nadour : La vague s’apaise-t-elle jamais ?

 

(*)

 

Une lecture par Nicole Randon

 

Suivie d’un

poème de Louisa Nadour en version bilingue

 

Une image contenant nature, plein air, Vague, marée

Description générée automatiquement

Jacques Grieu, La vague

 

Un appel à voyager « avec les yeux du cœur »

Le titre du recueil de Louisa Nadour ouvre un large horizon marin où peut se déployer ce vaste flux qui nourrit son imagination parce qu'il génère la force vitale, impulse le mouvement du poignet qui écrit et stimule l’élan continu du chant poétique.

Dès l'ouverture du recueil, la poète part à la rencontre de la vague vivante, dont elle perçoit la voix, le visage, les mains : « Elle parle tout bas […] elle a le visage d’une mer […] je me noie entre les deux mains de ta vague ». Comme en confidence arrivent ensemble le chant de la mer et le flot sonore du poème, « entre flux et reflux / et intervalles d'une flûte […] le même battement entre nous, immuable ! ». Ce langoureux rapprochement est une promesse amoureuse, véritable vœu poétique : « charpenter mon dire, lajuster / aux accents dune vague / qui joue sur le chuchotis des amours / et laveu, comme en clair-obscur, dun flot / cherchant sa route depuis la nuit des temps ! ». Rythme du flot marin et rythme des vers résonnent en continu dans un chœur où Louisa Nadour lie les accents et la mélodie de la langue arabe à l'ardeur des flots.

Lors de sa venue au Lundi des Poètes de la Société des Poètes Français où elle était invitée d'honneur en février 2024, son impressionnante lecture en arabe puis en français du poème d'ouverture Face à la vague a révélé la puissance de son chant poétique. Le souffle de son lyrisme décline en effet les nuances des sentiments et par un retournement métaphorique la mer peut faire surgir un visage aimé dans le déferlement envoûtant des vers. Les accents de la vague épousent la voix de la poète qui s'écrie : « jaspire au passage le sel de tes larmes/ qui s’échappe de ta mer, ce prodige ! ». Toute la gamme des passions s'exprime dans la violence des flots : « je me hais quand je ne peux plus résister/ à la mer immense de tes yeux/ elle me noie sous d’épouvantables pensées/ lune delles en son tourbillon/ matteint jusquau chavirement ». Les états amoureux sont poétisés comme des variations musicales où l’on entend les assauts séducteurs, comme autant d’« exaltations dun violon / frappes dissonantes dun tambour » devenant plus loin « houle monstrueuse ». Désirs et reproches, accords et révoltes, emportent l’écriture poétique dans la dialectique d’éros et thanatos. L'écriture poétique suit en effet les égarements de la passion entre plaisir et douleur, effondrement et renaissance, vie et mort : « cest le désir dont tu me cribles/ et qui me détruit, me tue, / tant et si bien que je capitule ! ». Le jeu du flux et du reflux se poursuit : « Je résiste […] assoiffée de toi, et alors / tu viens donner l’assaut […] et je me rends ! ».

Ce recueil écrit en langue arabe serait à placer sous le signe de Baudelaire, pour qui « le dessin arabesque est le plus idéal de tous ». Le raffinement sensuel de synesthésies baudelairiennes se teinte souvent d’un exotisme qui conduit la poète franco-algérienne à évoquer les couleurs, goûts et parfums, souvenirs perdus des vestiges des origines : « Évanouies les couleurs du safran […] le musc du souvenir n’embaume plus les lieux/ le jasmin ne s’exhale plus sur le balcon/enchanté ». Quelques indices – figuier, rouge du henné, tatouage, oasis – sont pourtant convoqués pour raviver le mouvement d'une scène recomposée : « je circumambule sous mes robes humectées/ aux feuilles d’olivier/ fruits du figuier et sarments du raisin, / je guette le signe rouge du henné… ».

Ainsi va l’écriture au milieu de sensations où peut surgir un néologisme que vient accueillir la langue du traducteur, André Miquel, qui a su moduler ce chant de velours de l'amour où le poème devient écrin, flacon de parfums, flux de beauté d'une musique enivrante clamant : « De l’essence de cet amour tu renaîtras ! ».

Des accents plus élégiaques se glissent parfois dans les souvenirs d’enfance : « Ainsi va tout naturellement chaque poème [] dans le flux des phrases/ secousses d’un cœur qui palpite ».  Un poème Orphelin… comment parler à la vie ? pose la question des fondements de l’écriture autobiographique. Le premier vers semble redoubler cette question : « Comment amorcer le premier pas ? », un aveu est formulé plus loin : « j’ai appris à faire silence sur ma détresse », puis le souvenir prend forme au creux même de l’absence, quand s’éteint la voix de la mère qui lisait les livres à l'enfant : « J'ai brûlé bon nombre de ces livres », confie la poète. De cette absence qui fait silence émergent d’anciennes sensations, saveurs et gestes qui font revivre le passé. Ces vers s’inscrivent dans toute une lignée littéraire et rappellent notamment les séances de lecture rapportées par Proust quand il évoque la voix de sa mère lui lisant François le Champi Ainsi va le cours de l'écriture qui relie passé et présent, terre des anciens et terre d'élection, voyage entre deux continents.

À plusieurs reprises, l’écriture charme par le pouvoir évocateur des noms propres de lieux qui font résonner la musicalité de la langue arabe. Lorsque le transfert des sonorités de cette langue arabe se coule dans la langue française, les accents et l’oralisation innervent la diction du poème. Le mot arabe s’introduit comme parole directe, voix de l’origine, dont le potentiel expressif est amplifié. Écoutons les sons insérés dans le chant, Tîzî, Akhdar, Ibn Battûda sont autant « d'éclats passionnés dans le flux des phrases ».

Ainsi le recueil fait un pont entre la culture arabe et l’Occident, et nous conduit à Paris par « ce pont de bronze [où] se noue le ruban des retrouvailles ».                       

Dans le poème dédié à Paris, le balancier continue cependant à « déchaîner » l'imagination de la poète entre les deux versants de la vague en mouvement, sur « toute une mer de contraires », bien que le souci de paix soit toujours inscrit dans le va et vient entre les continents. Les deux poèmes Patrie et Paris et le silence joyeux s’enchaînent, malgré le déséquilibre menaçant de l’actualité qui s’introduit dans l’univers poétique où des questions graves arrivent en vagues tumultueuses sur la page qui s’écrit. Dans La malédiction d’Ulysse, Louisa Nadour décrit « ce flot vertigineux, fougueux » et « les épaves de lexil » des « côtes de Lampedusa ». Le poème En vol montrait déjà « les perles de l’horreur sur une terre dévastée ».

Mais que peut la poésie ? « laisse-moi oublier toute cette glu de misère », semble supplier la poète. Oublier ? Impossible pour Louisa qui œuvre à la fois pour la paix et l'écriture. N’oublions pas l'engagement humaniste de cette femme pour les échanges interculturels ainsi que pour la promotion des arts en partage entre les disciplines, les générations et les pays. N’oublions pas que c’est aussi une femme qui croit dans le pouvoir de la poésie : son recueil La vague s’apaise-t-elle jamais ? s’inscrit dans le mouvement de l’histoire et capte de façon poignante « les fureurs du temps » qui la harcèlent, au point de s'écrier : « Si seulement la conscience se taisait ! ».

Louisa Nadour sait, avec un art raffiné, traduire d'ardentes émotions vécues dans le flux de la vie quotidienne, privée et collective, tout en restant pudique sur elle et lucide sur le monde. Chant d'amour ou chant de déploration, mélopée ou envol passionné, sa poésie invite à partir en poésie, comme un appel insistant à voyager « avec les yeux du cœur ». Il faut suivre cette ambassadrice de la poésie qui veut courir les routes avec le son du luth et la sacoche de musicien pour partager avec les autres « la chanson de la mer ». Telle est sa devise : « On meurt à petit feu si l’on ne voyage ». Notre poète reste, envers et contre tout, une femme de la mer :

« Danse avec moi aujourd’hui, ô mer,

sans honte

puisqu’aujourd’hui toi et moi échappons

à tout regard ! »

 

©Nicole Randon

Poète, performeuse,

responsable du Lundi des Poètes de la SPF

(Société des Poètes Français)

 

Confidences des flots

 

Aux sources de l’horizon

je traque ton image en fuite

dans les ténèbres de la nuit,

une image

que la vague dérobe à ma vue,

une vague

que vient recouvrir de plus haut une autre vague,

une vague qui s’affale et culmine…

 

C’est en vain que j’aspire

à résoudre une équation improvisée

entre flux, reflux, mer

et intervalles d’une flûte…là même

du cœur,

le même battement entre nous, immuable !

 

Que m’arrive-t-il à entrelacer ainsi mes désirs,

à m’embarquer vers toi sur l’écume de la mer ?

Y aura-t-il une vague

pour venir en aide aux radeaux des supplications,

sur une mer qui n’entend rien

qu’à la langue du naufrage…sort qui attend

quiconque rêve

à tout ce qu’une union peut offrir d’amour fou ?

Sur un air murmuré, tout de chagrin,

je m’effondre devant les images que j’ai de toi,

j’aspire au passage le sel des larmes

qui s’échappe de ta mer, ce prodige !

Je dévoile ma jambe,

libère mon pied et le hausse

pour danser en enserrant la vague

tandis qu’elle s’apaise sur la couche d’un sable

tout chaud,

en claquant sur mon visage nu…

 

Je resterai là,

la tête envahie

de ta présence,

errant à la poursuite de ton image

sous les grains de sable

qui fuient à mes pieds

ou le déferlement des armées de détresse

sur les épaules de la roche,

et peut-être un jour l’esprit se réveillera-t-il

pour faire frémir mes doigts

et charpenter mon dire, l’ajuster

aux accents d’une vague

qui joue sur le chuchotis des amours

et l’aveu, comme en clair-obscur, d’un flot

cherchant sa route depuis la nuit des temps !

 

Louisa Nadour, en la traduction d’André Miquel

(extrait de La vague s’apaise-t-elle jamais ?

 

 

بَوْحُ المَـوْجِ

 

في عُيُونِ الأُفُقِ

أُطارِدُ طَيْفَكَ الـمُنـفَلِتِ

فِي غَيْهَبٍ مِنْ لَيْلِي...

طَيْفٌ

يَحْجُبُهُ عَنْ أَنْظَارِي الـمَـوْجُ!

مَوْجٌ

يَغْشَاهُ مِنْ فَوقِهِ الـمَـوْجُ

ومَوْجٌ يَهْبِطُ وَيَعْلُو...

 

هباءً أَصْبُو

إلى حَلِّ الـمُعادَلَةِ الـمُرْتَجِلَةِ،

بَيْنَ مَدٍّ وَجَزْرٍ وَيـَمِّ

وَمَسافاتِ النَّايِ... هَاهُنَا!

فَهَذَا القَلْبُ يَضُخُّ الدِّمَاءَ هُيَاماً

والنَّبْضُ بَيْنَنَا واحِدٌ... لَمْ يَتَغَيَّرْ!

 

 

كَيْفَ لِي أَنْ أُسْرِجَ أَشْوَاقِي

وَأَرْكَبَ زَبَدَ البَحْرِ إِلَيْكَ؟

وأيُّ موجٍ قَدْ يُسْعِفُ قَوَارِبَ الحَنِينِ

بِبَحْرٍ لاَ يَفْقَهُ

إِلَّا لُغَةَ الغَرَقِ... نَصِيبًا

لِكُلِّ مَنْ يَرُومُ

نَيْلَ الوِصَالِ مِنْهُ شَغَفاً؟

 

عَلَى نَغَمِ الهَمْسِ الشَّجِنْ

أَتَدَحْرَجُ عَلَى رُؤاكَ

وأرْتَشِفُ سَيْلَ الدَّمْعِ الـمَـالِحِ

الهَارِبِ

مِنْ يَمِّكَ الـمَهُولِ...!

أُشَمِـّــرُ عَنْ ساقِي

أرْفَعُ قَدَمِي الحَافِيَةِ

أُرَاقِصُ خَصْرَ الـمَوْجِ

وَهُوَ يَخْمِدُ شَراشِفَ الرَّمْلِ

المـُحْتَرِقَةْ

ويَصْفَعُ وَجْهِيَ العَارِيَ...

 

سَأمْكُثُ أُرَاوِدُ حُضُورَكَ

هَاهُنَا!

وأَظَلُّ أَقْتَفِي طَيْفَكَ

مِنْ تَحْتِ حَبَّاتِ الرَّمْلِ

الهَارِبَةِ مِنْ قَدَمِي

وَتَلاَطُمِ جُيُوشِ الشَّجَنْ

عَلَى أَكْتَافِ الصَّخْرِ

عَلَّهَا تَسْتَفِيقُ الرُّوحُ يَوماً

تَرْتَجِفُ مِنْهَا الأَنَامِلْ

لِتُـرتِّبَ أَفَاعِيلَ الكَلِمْ

مِنْ نَغَمِ مَوْجٍ

يُدَاعِبُ وَشْوَشَةَ الحَنِينِ

وَمِنْ غَلَسِ بَوْحِ الـمَـوْجِ...

التَّائِهِ مُنْذُ الأَزَلْ!

لويزة ناظور، من ديوان "وهل يرقد الموج؟"

 

Louisa Nadour, version originale en arabe

 

(*)

Louisa Nadour : La vague s’apaise-t-elle jamais ?

Traduction de l’arabe, préface et lettre d’André Miquel.

Éditions Unicité, mai 2023 (78 p., 13 €)

 

Une image contenant texte, Bleu électrique, capture d’écran

Description générée automatiquement

Tableau de couverture : Brise - ©Claude Miquel, Artiste peintre

 

Ce recueil a été publié en arabe aux éditions DarAzminah à Amman en (Jordanie), 2021.

Puis réédité aux éditions Romance à Alger (Algérie), 2023.

 


Louisa Nadour – Lecture par Nicole Randon 

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