D'une langue à l'autre...
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Archives : D'une langue à L'autre

 

Mars-avril 2023

 

 

Le blues roumain

Anthologie implausible de poésies, par Radu Bata

Traduction hypocoristique Radu Bata

 

(Tome 3, illustrations de Iulia Şchiopu, Éditions Unicité, 4ème trimestre 2022)

 

(*)

 

Présentation et sélection de textes

 

 

Préambule

« Au bout de l'Europe, la Roumanie ? »

Sous-entendu, loin, très loin... mais de quoi ? De quel épicentre ? Cette petite phrase insidieuse vole et virevolte. Quel est donc ce pays qui échappe à la systématisation, qui inquiète, déroute, séduit ?  Un pays, au dire même de ses habitants, où chacun est poète […]

Un pays diablement étrange aux héritages multiples... un creuset d’influences. Et les poètes n'ont qu'à se baisser pour cueillir les émotions les plus vives, les plus subtiles, le plus paradoxales, dans leurs jardins, sur leurs balcons, dans les parcs... ou caresser leurs claviers d'ordinateurs dans un bar branché, au bout de la nuit.

Folie et dérision, sagesse et raison, vers où penche le cœur du poète roumain ? L'Histoire est là, hurlante, celle d'hier ; mais aussi celle d'aujourd'hui. Suppliques, harangues, solitude dans l'hiver blanc...

Des ordres fusent, des règles se mettent en place, habilement controversées par l'esprit agile du poète.

Hommes et femmes de tous les « judet » se relaient au comptoir de la dérision pour balayer la mauvaise idée, pour créer l'audace, pour rire même de ce dont on n'ose pas rire sous d'autres latitudes.

Pour vivre en funambule…

 

Muriel Augry

Directrice de l'Institut français de Roumanie à Iasi (2019-2022)

Poète

 

 

(*)

Le blues roumain, tome 1, éditions Unicité 2020 (146 p., 13 €) ;

Le blues roumain, tome 2, éditions Unicité 2021 (188 p., 15 €) ;

Le blues roumain, tome 3, éditions Unicité 2022 (208 p., 15 €).

 

Pour une présentation aussi complète qu’avisée de cette belle anthologie – notamment du troisième volume de la série – ainsi que de son auteur – le poète et traducteur Radu Bata – nous recommandons vivement à nos lecteurs l’article de Carole Mesrobian dans Recours au poème (20 mars 2023).

Voir aussi la page d’auteur de Radu Bata sur le site de l’éditeur Jacques André.

 

Sélection des textes (du tome 3) : François Minod

 

 

Sélection de textes :

 

Ana Blandiana

Jadis les arbres avaient des yeux

Jadis les arbres avaient des yeux,

je peux jurer.

j'en suis sûre,

je voyais quand j'étais arbre.

Je me rappelle que les ailes des oiseaux

m'étonnaient

quand ils passaient devant moi.

Mais je ne me souviens pas s'ils soupçonnaient l'existence de mes yeux

 

J'ai beau chercher maintenant les yeux des arbres.

Peut-être ne les vois-je plus

parce que je ne suis plus un arbre ?

Peut-être sont-ils descendus dans les racines 

ou tomber dans la terre ?

Qui sait ?

Peut-être je les ai tout simplement rêvés

Et les arbres sont depuis toujours aveugles.

 

Mais alors pourquoi 

Lorsque je passe près d’eux

Je les sens me suivre de leur regard 

familier ?

Pourquoi alors quand ils frémissent et clignent

de leurs milliers de paupières 

j'ai envie de crier :

Qu'avez-vous vu ?

 

 

Luminița Amarie 

Les héros sont fatigués

dans le silence des livres d'histoire 

les pages blanches font l'éloge des invisibles

 

un cliché dit : quand ils n'ont plus rien à faire les humains

se mettent à vivre.

mais parfois, ils ont juste besoin de fermer les yeux car ils sont fatigués

ils ont besoin de sortir au cœur de la nuit pour entendre

les petits animaux

leur sommeil de lait

et se rappeler la joie.

car au début les choses sont propres et douces. c'est après

que ça part en vrille

tout commence quelque part et tout a droit au repos

quant la fatigue ne veut plus s'en aller.

toutes les choses ont le droit de rester éparpillées intactes

dans le désordre 

comme lorsque tu reviens après des décennies 

dans la maison de ton enfance

et tu reconnais ta vie dans les signes qui couvrent des murs.

 

un autre cliché dit que le temps guérit les blessures.

les années la vie etc. servent à ça.

que les humains ont réussi à vaincre des désastres inimaginables.

on ne le sait que trop bien : bestialité, trahison, guerres

contre l'humanité, barbaries dont seul l'homme est capable

et pourtant nous y voilà encore

des morts et  des traumas plein les bagages 

accrochés à nos arbres généalogiques.

mais que fait-on des tout petits et des catastrophes personnelles

des guerres de cuisine quand on baisse la voix

pour que l'enfant n'entende pas ?

que fait-on des héros secondaires qui ne montrent jamais leurs blessures

car elles sont trop petites par rapport à celles du grand monde ?

héros secondaires tués par des blessures secondaires.

ce qui ne compte pas ne se conte pas.

 

 

Caprian Măceşaru

2 fois 7 font 7

avec tes iris

j'arrive à voir le monde 

moins malheureux

avec les grains de ta peau

mes vers font un refrain

et les rayons de ton sourire

font mon soleil

 

s'il y avait une page de droite

un poème qui parle de toi

et sur la page de gauche 

un poème qui parle de moi 

je n'ouvrirais plus jamais ce livre 

de peur

de nous séparer 

 

 

Anca-Lucia Beidac

amo, ergo sum 

J'écris sur l'amour et la mort

avec la même plume trempée

dans le sang du jour précédent 

 

baignés d'ambroisie et d'iode

de beaux cadavres courent dans les rues

et tu tricotes de longs foulards de plumes

car il y a tellement d'ailes perdues

 

J'écris l'amour et la mort

avec la même plume 

elle a la couleur

du sang  décoloré

 

J'écris sur l'amour

et la fin du monde commence toujours

un mardi

 

 


Radu Bata, Le blues roumain

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