|
Jean-Marc La Frenière, sélection
No.19
Octobre 2004
Il se présente à
nous
(à Louve)
Je pulse doucement dans cette chair de papier que
j'irrigue de l'encre de mon sang. Entends-tu le battement de mes mots ?
Je me tiens là, ouvert dans ce livre écrit à plusieurs
mains.
Une insomnie collective nous a tenus debout côte à côte.
Il y a toujours un espace immense de pensée qui sépare les
mots. C'est notre langue à nous, vivants. Elle s'accroche aux parois
intérieures. Le cœur du monde s'y blottit avant de prendre son élan.
Il y a tant de non-sens dans les mailles du sens, de la lumière aussi
dans un grain de poussière. Il faut savoir courir plus vite que l'espoir.
Il suffit qu'on s'étonne de sa présence pour faire d'un clou
rouillé une ligne d'horizon. Il suffit d'une lézarde pour inventer
la mer, d'un trou dans un soulier pour échapper ses pas...
Assis en lotus, les pieds dans l'eau du temps, nos regards vont brouter
la luzerne du ciel. Quand on regarde un arbre, il nous regarde aussi. Quand
on parle aux oiseaux, ils répondent en chantant. Quand on ne dit
plus rien, les pierres nous écoutent parler de l'intérieur.
Dans le vent secoué de frissons, le pollen, peu à peu, retourne
vers la fleur. Le vol du papillon dessine son cocon sur les pages du vent.
Les syllabes frissonnent avant qu'on voit l'image se former sur la page.
Dans la ruche des mots, les abeilles colportent des confidences de fleurs.
Dans chaque grain de sable, un oasis rêve. Chaque pierre d'une prison
porte l'espoir de s'évader, chaque barreau sa lime. Un oiseau en
cage laisse voler son chant.
On ne peut pas écrire sans partir du cœur. On parcourt les veines,
on dérive dans les gestes, on déborde dans les mains, les
outils, les lignes d'un poing ou la douceur d'une caresse mais on revient
toujours au battement du cœur.
On ne peut pas se taire sans entendre les mots. Un arbre pour voler
doit garder ses racines. Dans chaque goutte de pluie la terre se reflète
et les nuages charrient le souvenir des galets.
On ne peut pas marcher de ville en ville sans changer de trottoir mais
on revient toujours au mouvement des pas. On ne peut pas courir sur la mer
sans provoquer de vagues, sans laisser des épaves, sans blesser ceux
qui restent, sans imbiber le sable du sel des courants. On ne peut pas
se perdre sans partir d'un point fixe mais on revient toujours au centre.
On ne peut pas chanter sans traîner dans sa voix le cri du premier
homme. Le bleu des veines sous la peau rougit quand on se blesse. Avant
d'être caresse, la tendresse vient battre sous la peau et fait bander
le sang. On ne peut pas renaître sans mourir. On ne peut pas mourir
sans demeurer vivant. Quand on regarde l'infini, les yeux remontent jusqu'au
cœur.
**
->
Vous désirez envoyer un commentaire sur ce texte? Il
sera rajouté à la suite en entier ou en extrait.
-> Vous voulez nous envoyer vos textes?
Tous
les renseignements dans la rubrique : "Comité
de poésie"
|