Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie et prose de francopolis.



 

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 Illustration de couverture par Sever Mi*

Chaque mois, comme à la grande époque du roman-feuilleton, nous vous présenterons un chapitre du roman de l'auteur roumain Sever Miu, Des pas sans traces. Une invitation à découvrir ou redécouvrir cette moitié d'Europe dont nous avons été longtemps privés et dont nous pouvons désormais réentendre la voix.

Chapitre 1 : La sortie de l'oeuf

Chapitre2 : Dans le refuge-l'aphabet de la vie

Chapitre 3 : Le Retour

Chapitre 4 : Les contes des Ombres


 Des pas sans traces

Chapitre 2

 

Présentation et résumé

"Des pas sans traces" est un roman–poème sur le monde de l’enfance après la deuxieme guerre mondiale dans un faubourg de Bucarest. La Roumanie était sous l’occupation des Russes et dans une période de la dictature totalitaire.

Commencé en 1986, puis revu, complété, il est terminé en 2003.

La poésie de l’âme d’un enfant protégé par ses parents se tisse avec les événements réels, comme veut le dire l'édifiante prière de l'enfant du début :"Seigneur, aide moi à porter pendant toute ma vie mon âme d’enfant".

Dans ce livre,vous découvrirez des traditions,toutes les coutumes des gens pauvres, ceux qui formaient une mosaïque ethnique -Grecs, Italiens, Tziganes, Juifs,
Bulgares . L’école élémentaire, le collège et la faculté sont trois sortes de harnais qui recouvrent et dirigent l'esprit de l'enfant.

L’épilogue essaye de déchiffrer le sens de l’existence.

 



 

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Chapitre 2



DANS LE REFUGE-L'ALPHABET DE LA VIE

L’oubli a avalé encore quelques années.

Des rayons couverts des souvenirs de l’enfance, apparaissent les images du refuge de chez mes grand-parent paternels.

Affolé par les attaques aériennes de plus en plus fréquentes qui fendaient le ciel de Bucarest, par l’explosion des bombes, par les ennuis qui montraient leurs griffes --mon père décida de mettre à l’abri son enfant et sa femme.

Tout comme nos ancêtres chassés par la terreur, me voila avec ma mère et ma grand-mère maternelle, arriver dans la contrée natale de mon père, en Oltenia. Lui, il n’est pas resté avec nous, étant obligé de rentrer dans cette Sodome-là enflammée qui était devenu Bucarest. Comme ingénieur constructeur, il devait refaire les ponts détruits par les bombardements. Guetté par toutes sortes de dangers, il était heureux de savoir qu’une part de sa vie était à l’abri.

Amoro_tii de Jos, où mon père avait vu le jour, était un village poussiéreux, situé en plaine, non loin de Caracal. Ion était l’aîné des sept frères, avec qui Dieu avait béni Marin et Maria- paysans aisés qui allaient payer pour leur foi et leur fortune d’une vie par des larmes, insultes et même par la mort..

Mon père avait été un enfant grand, le front haut et osseux, jaune comme la cire. Il gardait les vaches dans les pacages, il labourait avec mon grand-père ou vendangeait, mais il avait du penchant pour l’étude. Tard, dans la nuit, à la lumière de la lampe à gaz, il faisait retentir les étranges sonorités des verbes irréguliers français, les mêlant avec la douceur insinuante du passé simple d’Oltenia ou il tirait au clair des problèmes de mathématiques qui donnaient du fil à retordre à son maître.

Une fois celui-ci avait arrêté dans la ruelle le père du garçon:

-Marin, as -tu observé ton fils? ...Il a un air malade. Donnez-lui un peu plus de polenta à manger et lui épargnez ce travail pénible. Si vous ne voulez pas qu’il souffre de phtisie..

Le garçon est appliqué, vendez une parcelle de terre et laissez-le continuer ses études·

Le paysan se gratta embarrassé la tête:

-Alors, on va voir cela, Monsieur·

I’on allait voir beaucoup de choses jusqu’à ce que son rêve devînt réalité.

L’année suivante il a failli finir sa course. La pauvre mère lui a fait passer par la fenêtre, le donnant contre un crible de farine à une badigeonneuse ambulante, pourvu que le destin se radoucît.

Il s’est rompu le doigt dans le collier du cheval.

Il a souffert de la fièvre et a failli tomber malade de phtisie

Tout cela a déterminé Marin à se décider.

-Ce garçon n’a pas d’étoffe d’agriculteur- dit -il, une nuit, en soupirant, à Maria·

Par conséquent, le matin, à l’aube, il attela le cheval à la charrette et emmena son fils à Caracal. Il lui trouva de la pension et, lui laissa quelques provisions, il partit pour Amoro_ti en pensant que l’on ne savait pas où il pourrait trouver sa chance et, si Dieu lui permettait, il pourrait devenir instituteur ou même prêtre, ici dans le village..

Il a péniblement étudié, il a donné des répétitions à ses collègues plus aisés, il a gagné des concours à Gazetta Matematicii et, après avoir fini, le premier, ses études au Lycée Ionita Asan, il s’est inscrit dans le Séminaire. Mais Dieu ne lui a pas permis cela.

À l’épreuve musicale, lorsque le prêtre qui l’examinait lui a demandé de chanter, mon père a attaqué une chanson militaire. Le zèle et la sonorité ont effrayé la commission, habituée aux mélodies plaintives·

Un fonctionnaire aphone de Dieu au moins ! Ainsi il a suivi une carrière d’ingénieur constructeur et d’un excellent mathématicien.

Et maintenant, après tout ce temps, le fils rentrait chez lui en petit- fils. Quand il a fait ses adieux, il a prié ses parents de voir dans cet enfant craintif, leur propre fils..

Il est étrange que les souvenirs qui me provoquaient de grands ennuis soient les premiers à revenir dans ma mémoire: les pouces et le poivron. Grand-maman de la campagne poivrait tout le potage que, après en avoir avalé une première cuillère, je bondissais et je courais, ne m’arrêtant qu’à la seille pleine d’eau, dans laquelle j’essayais d’atténuer cette sensation.

Mais ce mal ne durait pas longtemps.. C’étaient les années tendres de l’enfance-le royaume de l’innocent sourire. Autour de moi, tout brillait, doré par de petites lueurs!

Peut-être à ce moment, lorsque les souvenirs s’écoulent en désordre, embrouillés dans la quenouille des pensées, écrasés par la quenouille de tant d’échecs et d’humiliation, ce passe éloigné pourrait sembler à un film d’archives, rompu et collé à tout hasard.

Mais son déroulement apporte même aujourd’hui une vibration pure dans l’auge bourbeuse de l’existence.

··································.

Je revois ma mère sur la terrasse, qui entourait la maison, sur un lit à couverture comme un jardin de fleurs rouges, jaunes, bleues-tapis de grand -mère-lire les lettres de papa.

Son visage en était décontracté par le sourire, serein comme le matin.

Dans la basse-cour le soleil brillait.

Le caquetage des poules, l’aboiement des m’tins et le gazouillement de petits oiseaux m’appelaient impérieusement à jouer, mais la curiosité me laissait plantée là. J’écoutais tout comme il s’agissait d’un conte. La lettre était lue et relue froissée par tous les pliages. Elle choisissait pour moi les fragments drôles, elle en accentuait l’humeur et nous riions ensemble, en nous affaissant parmi les coussins.

Un grand tapage faisait tous se réunir! ......

Mon père n’avait pas d’ennui avec les bombardements et la misère de la vie de camouflage(dont il ne nous disait rien dans ses lettres) mais avec une dinde qu’il avait enfermée dans le grenier de la maison et qui avait eu la mauvaise idée de devenir couveuse. Il écrivait à ma mère que la tentative des douches suédoises avec laquelle il l’avait consciencieusement traitée, tarder montrer son profit·.

Puis il y avait l’inévitable sermon. On y nommait les dangers auxquels j’étais exposé et que je devais éviter: dés régimes alimentaires jusqu’à l'interdiction de jouer avec les objets jetés par les avions ennemis, une vraie litanie d’horreurs·.

Un des longs jours d’été, levés de la lumière et du calme, qui ne se terminaient pas, j’ai commis une gaffe à oncle Paraschiv.

Le frère de mon père avait séparé sa basse-cour de celle des grands-parents par une haie. Le pauvre homme travaillait tranquillement, en faisant une fosse. Je me suis approché à pas de loup, derrière lui, j’ai saisi son maillet et courant vers la fontaine je l’y ai jeté. C’était depuis longtemps que j’avais cette mauvaise intention, car j’avais vu mon oncle aplanir avec lui la terre et y étouffant nos beaux iris. Après cela, il y a eu une course à obstacles qui s’est interrompue au moment où, me trouvant prés de piquet duquel on avait attaché la chaîne de Leu, un chien grand comme un veau, je l’en ai délivré et je me suis tapi derrière lui· Reconnaissant comme un vieil ami, le m?tin a garanté (?)avec sa peau, devenant un mur entre moi et le bâton de mon oncle, montrant ses dents et recevant, parmi ses grognements, les coups qui avaient un autre destinataire. Pendant cela, je pleurais parce que j’en avais pitié et à cause de mon effroi!

Et parce qu’il s’agit des chiens, je me souviens qu’ils m’aimaient.

Je me roulais par terre, dans la poussière de la basse- cour, je courais parmi les fosses de la ruelle, accompagné de leurs aboiements. Prés de l’alambic- dans une échoppe située entre la fontaine et la haie- la fabrique d’eau-de-vie, nommée aussi par le grand-père, qui en souriait fier et ironique à la fois, on avait attaché à un piquet de griottier- Volga. Je ne sais pas si l’onomastique avait quelque chose à faire avec la sympathie que les paysans d’Oltenia, qui avaient vécus entre les deux guerres mondiales éprouvaient pour leur voisin de l’Orient, mais Volga était une chienne qui ravageait les poussins. J’épiais juste le moment où ma grand-mère partait dans le village et je m’arrêtais juste près d’elle. Je la regardais glapir en demandant de l’aider, creuser incapable la terre avec les griffes et je la libérais avec une joie double- celle d’avoir fait quelque chose de bon et de ne pas avoir respecté une règle injuste..

Je crois que cet animal avait beaucoup de malchance. On dirait que c’était un fait exprès, parce que la grand--mère faisait toujours son apparition devant le portillon, elle observait l’infamie et me sommait- c’était le comble de la cruauté- de lui supprimer moi-même la liberté dont elle était avide.

C’est le moment de dire que Volga était méchante(elle avait mordu tous les membres de la famille) et moi, le seul à qui elle a pardonné.

Je la saisissais par la nuque et, la traînant comme un torchon dans la poussière de la cour, je l’attachais de nouveau à sa chaîne, lui promettant doucement, prés de son museau pleurnicheur, d’autres futurs moments de liberté. Pendant ce temps-là, grand- mère s’éloignait souriante, contente pour la leçon de philosophie donnée à son petit- fils et à la chienne, à la fois.

La main qui te protége peut également t’opprimer

Mes grand-parent avaient de la vigne et un verger.

La vigne était une sorte de terra incognita. Je ne devais pas y jouer, j’y aurais laissé des signes de grains, que l’on pouvait confondre avec les traces des voleurs. D’ailleurs, pendant le mûrissement, on la gardait avec plus de soin tout comme dans le conte fée Puslea le Vaillant Grand-père faisait une maisonnette de tiges de maïs, en y veillant chaque nuit.

Par contre le verger était un univers féerique ou je manigançais des jeux et des histories· Il n’y avait pas d’arbre où je m’y fusse grimpé et pas de fragment de ciel qui n’eut pas été regardé par-dessous la paupière des feuilles.

Les griottes venaient rougir mes joues, les cerises rouges comme le feu décorer mes oreilles, les mères colorer mes lèvres.

Là-haut, très, très haut, sur les rameaux, suspendu entre le vert ombrageux et le bleu clair, je me maquillais pour le spectacle de la vie qui me voulait déjà sur sa scène..

Les pommes rouges comme le feu recevaient un chant que j’avais entendu chez mon arrière- grand-mère et que je disais pendant que j’endossais, pomme après pomme, à ma poitrine, sous la chemise: une pour maman, une pour papa, une autre pour mon arrière-grand-mère et la dernière pour moi:

J’ai eu deux pommiers/Que tout l’été j’ai les gardés/En automne, quand je les cueillais/Le soir, le vent a soufflé/Et les pommes sont tombées.

Je caressais les pèches veloutées ou je cassais le berceau des noix, en leur enlevant les jumeaux endormis, je sifflais les merles avec un trille faux et je courais sur le tapis bariolé par les prunes vitreuses qui s’écrasaient suintant sous mes petits pieds..

Ensuite, je volais avec le duvet du pissenlit vers le ciel que je pouvais toucher avec la main..

Ë midi, lorsque le char de mon grand-père, chargé de pastèques, s’arrêtait en grinçant devant le portillon, je me précipitais voir les ogres verts à front chauve, marqués par le sarment en spirale. Bientôt ils allaient être punis pour les gaffes commises en faisant noyer dans l’eau froide de la fontaine. Ils étaient si inconscients de me sourire la bouge rouge largement ouverte, ébréchée par les dents noires parsemées dans la poussière.

Leur jus froid et parfumé se collait comme un baiser à mes lèvres et mes joues d’où prenait la source, vers la gorge et la poitrine, une géographie de douces rivières.

Je bâfrais avec la cuiller seulement le cœur des petites pastèques, en faisant entrer un peu de lumière dans leurs têtes vides. Avec ces lampions sui generis sans rien soupçonner de Halloween(les Américains, plus lents que les escargots que je provoquais à entrer en compétition, allaient tarder 60 années!) lorsque la nuit tombait sur le village, je commençais mon rituel.

Je courais autour de la fontaine, encensant du réverbère qui vacillait pendant que je chantais du nez comme le chantre du village, imité par la meute des chiens avec leurs grognements sourds.

-Regarde, Maria, si Ion n’est pas devenu prêtre, le petit est chantre d’église et il a apporté même l’église ici, dans la basse-cour, riait grand-père dans sa barbe.

De temps en temps, un roquet qui considérait ma chanson trop monotone, quittait le choeur, en faisant se distinguer de son hurlement de sons stridents, en déterminant à perdre la patience les voisins qui ouvraient les portes, injuriant sans y penser-les animaux et le chantre. Pourtant la fin suivait prévisible lorsque le bout de chandelle brûlait jusqu’à la dernière goutte..

Grand-mère ramassait les tomates oblongues les amassant dans une huche. Chez nous, à Bucarest, pendant ces temps-là, mes parents en achetaient un quart et ils payaient des millions·

Parfois je la suivais dans le potager. Alors, lorsque j’étais prés des touffes ou se prélassaient avec insolence les poivrons rouges, tout comme le nez de Pinocchio, j’essayais de lui détourner l’attention, pourvu qu’elle oublia de les cueillir, en m’épargnant le supplice des cuissons..

-Regarde, grand-mère, que les choux sont grands, comme les ogres.



Quelques fois, moi-même je les cueillais quelques feuilles de laitue pour tenter Crête Crépu, si rogue et digne.

D’autre fois, je prenais une gousse de pois que je cachais sous l’édredon sur lequel je dormais, en comparant ainsi ma sensibilité avec celle de la princesse du conte. Je ne sentais pas le grain de pois, mais les puces empruntées chez Leu et Volga animaient mes nuits. Sans doute, la princesse avait plus de chance que moi, mais elle n’avait pas mes chiens..

Le rituel du dîner est resté bien imprimé dans ma mémoire.

Grand-mère faisait cuire la polenta dans un grand chaudron enfumé où, dans mon imagination, il y avait des sorcelleries terrifiantes. Je regardais fascinée les étincelles s’y lever par le tuyau de la cheminée (nommé à la campagne-est). L’oeil doré du cyclope clignait pendant ce temps -là, les grommellements du magma, qui entrait en éruption, chuchotaient souvent des incantations, que mon ouie, en vain attentif, n’arrivait pas à comprendre. J’étais émerveillé par la matière sur laquelle mon imagination laissait tomber un tas· d’histoires! Les vapeurs blanchâtres mêlées à la fumée bleuâtre des brindilles, se levaient en spirale vers le brouillard épais du tuyau. Sur cette corde devait monter, d’un moment à un autre, chassé par l’incantation de grand-mère-le diablotin méchant·..

Une fois cuite- la roue d’or était renversée au centre de la petite table ronde, descendue, il y a quelques minutes du mur. Nous nous réunissions tous autour d’elle, assis sur les petites chaises en bois. Tout comme les chevaliers de la table ronde, ces paysans de la Plaine d’Oltenia attendaient jusqu’à ce que vint le plus âgé -le grand -père· Il s’y asseyait joyeux, se faisant une grande croix puis, se frottant les paumes durcies par le travail, il posait la même question:

-Où est la ficelle de la polenta?

La ficelle était toujours là, attachée à un cloue derrière la porte. Rompue d’un écheveau de soie, - grande-mère l’utilisait à coudre des fleurs propres à Oltenia sur le tapis étendu encore sur le métier à tisser du balcon - la ficelle, rouge au début, avait, out comme un collier d’ambre jaune, de petites miettes de polenta sèche. Grand-père la saisissait, impatient, de la main de grand -mère, et coupait la polenta en grands morceaux. Jamais on n'aurait utilisé de couteau ou un autre couvert, manquant ainsi de respecter notre rituel... Finalement, après tout cela, nous pouvions manger, à grands sirotements - des mâchonnements- absorptions, tout cela nous étant permis par la main protectrice de l’appétit.

Le petit citadin était séduit par une étrange gamme d’odeurs et saveurs de la cuisine d’Oltenia: le potage de poulet bien poivré, l’ortie à l’ail, les oeufs brouillés des paysans et, bien sûr, les célèbres écrevisses -des piments rouges, farcis par une sorte de pâte.
À la fin, c’était les bêtes qui recevaient leur ration- les chats qui se frottaient à nos pieds, les queues ébouriffées comme les points d’interrogation qui touchaient souvent à nos terrines et les roquets qui faisaient la ronde à la porte et leur glapissement semblait une mendicité·

Lorsque tous, hommes et animaux se reposaient dans la maison de grand-mère, je sautais l’échalier dans la cour d’oncle Paraschiv (l’ancienne histoire avec le maillet avait été laissée à côté depuis longtemps).J’entrais dans la maison, et comme je les trouvais à table, comme d’habitude, je m’asseyais à côté d’eux.

Ma tante me demandait si j’avais mangé et, quoique j’eusse déjeuné, mon ãntt  ? » décidé résonnait dans la pièce, faisant apparaître les sourires sur le visage des convives.

-Alors, femme, qu’est-ce que tu attends, la pressait mon oncle..

Rapidement je commençais à manger de la terrine, heureux de les avoir convaincus.

J’ai toujours aimé le repas chez les voisins·



Tout en fouillant dans la remise, un jour je suis tombé sur une diablerie que je n’avais jamais vue. Une machine à roues dentées, goudronnées et manivelle en bois poli. Avec elle, grand -mère enlevait les grains des épis de maïs. Je n’y ai pas longuement réfléchi et, attiré d’une manière irrésistible par le mécanisme découvert j’y ai mis le doigt, faisant agir doucement la manivelle.. Mon cri éclipsa les sirènes antiaériennes, faisant les autres quitter la maison et effrayant les bêtes.. Lorsqu’on m’a délivré le doigt, j’ai trouvé le bonheur·

Dans un autre endroit et dans une autre période, j’avais découvert la définition du célèbre psychanalyste Freud: le bonheur n’est que la suspension de la douleur.

Pour le déchiffrement d’une notion philosophique abstraite, ayant une interprétation si variable, même de nos jours, je considère avoir peu payé·

Du grisâtre du banal, s’engendraient alors les fruits tentants de la nouveauté. Je me précipitais avide les ramasser.

Je ne savais pas, dans ma douce ignorance, que dans ces fruits était cachée l’essence des futures déceptions.

Deux mois après mon retour d’Amoro_ti, papa se chargea de m’enseigner à lire. Il l’a mené à bien, comme il faisait toujours, c’est à dire sérieusement et immédiatement, à mon désespoir. Peut-être il voulait faire me range.. ou épargner à sa femme, assaillie par mon désir ardent·

-Lis- moi!

Il est vrai que les quelques gifles distribuées à l’occasion de la confusion des endiablés - frères jumeaux, Diable en sait, pourquoi ils étaient fâchés l’un contre l’autre et se regardaient par le derrière, comme je disais, - n’ont pas été de nature à justifier le sacrifice d’avoir renoncé à jouer.

Lorsque j’essayais de me délivrer de l’élan de mon père, je m’enfuyais dehors, la joie dans le coeur. Je sentais que tout le monde m’appartenait.

Seule la sécheresse rend importante la pluie·

L’abécédaire, à l’aide duquel j’ai commence à lire, a été mon livre préféré Goang et T’rlic

Comme maman me l’avait lu plusieurs fois, mon père a été étonne lorsque j’ai dit le texte par coeur, imitant évidemment la lecture. Et comme le menteur ne va pas loin, papa m’a fait lire en sautant d’un fragment à un autre, ainsi il coupait court à mon élan, et m’appliquait la correction··pour extirper le mensonge! Bien que j’eusse commence à regarder de travers mes favoris, les considérant coupables pour mes passions, à la fin de ses vacances, papa avait accompli sa tache, délivrant sa femme de l’esclavage de la lecture et ouvrant à son fils la porte vers un monde au-delà duquel, depuis ce temps-là, il est toujours passé·.



Il y avait quelque chose qui m’étonnait toujours: la distillation de l’eau de -vie.

Je n’arrivais pas à comprendre comment des tonneaux si grands comme une maison, pleins d’ordures- c’était ainsi que je considérais cette drèche-là qui sentait si mauvais, couverte par un nuage bourdonnant de moucherons- pourrait sortir, par des vaisseaux en cuivre et des tuyaux entortillés, le liquide-là piquant, limpide qui rendait joyeux grand-père, et dont je ne savais pas si c’était l’eau bénite ou l’eau mortelle.

Le jus était doucement examiné, par tous les voisins qui se trouvaient là.

Je les regardais de loin, réunis en ronde autour du filet transparent qui s’écoulait de l’alambic, sirotant souvent et hochant la tête comme incertains. Ils se régalaient de petits vaisseaux en forme de poire, que l’on appelait tugi, des fruits ligneux qui poussaient dans le verger, pêle-mêle avec les citrouilles et les balayettes, et qui, une fois mûrs, étaient cueillis, creusés de leur substance et baptisés dans l’eau de vie. Tout le temps lorsqu’ils toastaient, ils criaient l’un à l’autre à votre santé, comme si les dés de la vie n’obéissaient à personne qu’à eux·

Cette affaire destinée aux hommes était très pénible parce que, finalement, ils partaient affaiblis battre les murs.. Grand-père s’approchait lentement du balcon, ayant l’air un peu incertain·

J’entendais la voix retentissante de grand-mère, parlant doucement, comme preuve que cette besogne était terminée.



La promenade en char, à côté de grand-père, sur le foin âpre et parfumé, venait finir la journée en apothéose.

Hissé sur dix couches d’herbes, tout comme dans le conte, émerveillé par l’odeur, je devenais le roi de cet univers féerique.

Hommes et animaux, ombres et scintillement oubliés, portes de toute confiance et croix votives- tout ceci étaient mes trésors.

Les rouleaux de fumée qui sortaient des tuyaux s’entrecroisaient dans les cieux avec les nuages bleuâtres à cette heure-là bénite par Dieu.

Au-delà du vif bonheur qui envahissait mon coeur, je sentais comme on mûrissait le grain de la peur:

-Pour combien de temps pourrais-je garder ces merveilles?



Le crépuscule couchait le soleil blessé dans la literie des nuages, parsemant aux tresses des rayons, des dentelles de rêves et de néant.

J’écoutais le souffle calme des feuilles. Les arbres avaient des secrets qu’ils essayaient me chuchoter·.

Au fur et à mesure, les vallées devenaient noires, le rouge d’occident couchant se fondait dans le violet, le jaune du foin s’habillait de vêtements grisâtres.

De longues ombres, des fantômes tombés suintés des hauts ciels, avalaient les dernières traces de lumière, faufilés derrière les palissades, dans des coins oublis, tout comme les chats blancs pourchassés... L’obscurité qui nous enveloppait, voilait les contours, les lignes d’entre les formes devenaient pâles.

Le rêve était déchiré et le royaume de conte- envahi..



Le char arrivait à peine à la maison, grinçant. Étendu sur mon trône végétal, j’en sautais pour donner un coup de main a dételé les boeufs, opération qui me rendait heureux... Une fois délivrées, les bêtes mugissaient longuement, flairant les odeurs de la crèche entassée de foin.

Je caressais leurs museaux humides et regardais dans leurs yeux tristes, y épiant un brin d’éclat. Ils mugissaient longuement, comme s’ils protestaient après une longue journée de peine·

Qui sait quel sorcier infâme avait transformé les beaux brins de garçons en ces bêtes-là qui ruminaient prés de l’étable.. Je sentais mon âme écumée de révolte, ainsi que du repentir d’avoir moi-même participé à leur persécution.

Lorsque tous entraient dans la maison, moi tout seul, j ‘étais le maître du joug qui avait humilié les pauvres bêtes. Alors, je cherchais la place pour y coucher les harnais, au grand désespoir de grand-père, qui, réveillant le lendemain tout le monde, injuriant de ne pas l’avoir trouvé. Dessous la couverture, je souriais heureux pour les moments de paix offerts à mes protégés.



Le vieillard avait travaillé depuis son enfance, ne pas connaissant le repas.. Même aujourd’hui il se levait de bonne heure et rentrait le soir dans la basse cour, très tard, lorsque les étoiles abondaient sur le ciel. Il n’avait pas fait de passion de sa vie, il avait élevé sept enfants en leur formant une carrière, il avait aidé autour de lui tous les misérables et, comme récompense, à la vieillesse, les économies de sa vie se sont envolées avec le vent·

Le régime s’est changé..

Les paresseux et les ivrognes du village que le midi trouvait dormir dans les fosses, les mouches bourdonnant à leurs bouches, étaient devenus les maîtres du village.

Ceux qui s’étaient rassemblés autour de l’alambic, essayant avec zèle l’eau de vie de grand-père, et qui lui avaient dit en chœur «  à votre santé » dévoraient maintenant sa fortune.. Sur le tard, le cossu, la sangsue du village, vaincu par les taxes et les persécutions, est mort de chagrin. Même à ce moment j’ai l’impression d’entendre le refrain que grand-père, avec sa voix retentissante, chantait à la maison ou aux vendanges:

Si l’on savait ce qui arriverait, on se protégerait/On ne boirait, on ne mangerait/De chagrin on mourait! ....

Que troublante est la prémonition du paysan d’Oltenia, frère à travers de temps et les espaces du jeune berger de la ballade roumaine Mioritza

Autrefois, j’entendais mon père citer, à son tour, son père, prédisant des temps terribles où l’on crierait:

Terre, que tu crèves, pour que j’y entre vivant!

Les ancêtres, sans disposer du moderne paquet d’informations des analystes politiques, peut-être tout en écoutant le trouble de la terre, ont eu l’intuition, bouleversante, des cinquante années qui arriveraient·.



J’aimais regarder ma grand-mère prendre le tortis et teiller le lin entre deux bâtons en bois, à mouvements doux..

Je regardais fasciné le lin devenir la barbe de « Statu-Palma - Barba-Cotä-«  le vilain nain. Grand-mère était le juge qui le châtiait pour les ennuis faits au Prince - Charmant.

J’étais à côté d’elle, observant ses mains et le sourire esquissé sur sa bouche, signe de la satisfaction d’avoir châtié le diablotin. Nous nous étions tirés, tous les deux, vieillis de cette affaire!

Je grisonnais sous la balle grisâtre criblée autour de moi.

J’en souriais heureux!
Plus tard, lorsque je relisais le fragment où le Prince Charmant fixait la barbe du Diable dans la fente de l’arbre, je savais que ma grand-mère aurait quelque chose à teiller·

Au fur et à la mesure, les images de mon histoire devenaient réelles, et le banal et l’obscur de la vie se fondaient dans l’univers du conte de fée·

Je régnais sur deux royaumes réunis sous le même sceptre!



La moisson- moment d’apothéose du village- a été, peut-être, le plus grandiose spectacle que j’aie jamais vécu. Sur les champs dorés et chauds les gens accomplissaient un saint rituel-ils signaient avec la sueur de leur grand-peine l’acte de leur communion avec l’éternité..

Plus d’un demi -siècle est passe depuis, mais il m’apparaît devant les yeux, à une précision anormale, l’image de ces jours-là d’été, me brûlant mon haleine·

Le ciel était serein, bleu, à éclats vitreux, qui allongé sur le dos, épiant des yeux d’horizon lointain, j’avais l’impression de pouvoir regarder au-delà de la mince effilochure, jusqu’au royaume divin ·

Cette mer-là- jaune, immobile dans son harmonie, -déroulait, comme par enchantement, ses sentiers de récolte.

Noyés dans les vagues dorées en mouvement, on n’apercevait que les chapeaux en paille des moissonneurs ou les mousselines blanches, glisser, étrangement, sans le corps, sur les sommets des emblavures. Les gerbes aient faits de rien...·

Des volées d’oiseaux erraient sur les champs de blé, comme une pluie de lettres noires, se détachant des vieilles pages...

Ça et là, le sang des coquelicots animait le paysage- souriant comme un appel·.

Loin, là où le ciel bleu baisait la lèvre des champs- une fontaine blanche à la chaux et la balance pendue comme un point d’exclamation, se projetaient comme une illusion·

À midi, après que les femmes eussent sorti les aliments des serviettes, pour donner à manger à ceux qui avaient tant peiné, et après que l’ont a avalé une gorgée de vie pour se remettre, dans un coin de la parcelle la batteuse se mettait en marche.

D’un coup, le silence profond était brise par les dizaines de grondements, issues de ce train déraillé dans la mer d’épices.

J’aimais cette locomotive qui avalait les gerbes crachant, accompagnée des râles et accès de toux, des nuages de balle et des millions d’étoiles d’un ciel renversé sur la terre.

Lorsque le travail était au comble, je me faufilai parmi les gens qui nourrissaient le monstre en flamme·On me découvrait rapidement et on me chassait sous les charrettes, à coté des chiens qui m’accueillaient, en frétillant.

Ë pas de loup, je m’en évadais, attiré comme si c’était un aimant.

Je me baignais dans les grains brûlants qui me couvraient par leur abondance. Et chaque grain apportait un peu de chaleur, un brin de caresse..

J’allais découvrir dix ans après, l’enchantement de ces moments, dans le baiser de l’amour. La réminiscence d’un saint souvenir à l’appel de la perpétuation de l’espèce·

Chaque particule qui me touchait m’apparaissait comme un miracle du devenir, et ces grains-là- des brins de vie, prêts à naître d’autres vies!

Autour de moi les gens avaient arrêté la fuite du temps.

Dieu les avait oints avec la sainte paix.

Quelque part, pas loin d’ici, dans le même univers.. d’autres faisaient la guerre! ...


   ( À suivre, rendez-vous dans notre prochaine édition  pour le Chapitre 3)

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Créé le 1 mars 2002

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