| Anouk JOURNO   Le
    passager   Tu
    m'as suivie jusqu'à la voiture, confiant, lent, doux, Tu
    le savais peut-être Ou
    pas Comme
    souvent ces derniers temps, j'ai dû t'aider Te
    hisser soulever caresser Je
    t'aimais tant   A
    l'avant, côté passager, Tu
    t'es affalé Ton
    regard voilé Vers
    moi s'est tourné Peut-être Ou
    pas   Je
    t'ai gratté le crâne, confiante, lente, douce, Emmené
    dans ce lieu d'où tu ne reviendrais jamais, Tu
    le sentais peut-être Ou
    pas   De
    petits gâteaux le trajet fut ponctué Comme
    le Petit Poucet, tu sais, Sorte
    de couronnement croquant De
    nos années entre nous. Tu
    les as mangés avec appétit Les
    yeux à moitié fermés, bercé par le ronronnement des fleurs Ou
    par la langueur Déjà
    en toi, l'envie d'un ailleurs d'où tu n'émergerais pas Du
    moins pas sous cette forme-là, mais émietté, éparpillé Dans
    une boîte dure et indifférente portant ton identité Matricule
    ridicule et abstrait Avant
    de te fondre au milieu des rigoles fertiles que je creuserai.   Tu
    m'as suivie jusqu'à la salle, confiant, lent, épuisé Après
    plus de deux heures d'attente à mes pieds, Tout
    contre moi, tranquille mais si fatigué, Ton
    corps, ce lâche, ne voulait plus te porter sur les chemins constellés de
    brumes Le
    long des champs emplis de longues herbes où tu aimais te glisser Onduler
    le long des haies Humer
    les fleurs les herbes les autres animaux la vie Respirer
    toute cette vie Avaler
    toute cette vie Jouir
    de toute cette vie dans tes pattes tes longues griffes qui lacéraient
    parfois les étoiles Trotter
    courir marcher t'asseoir te rouler te déplier sauter dévorer ta gamelle La
    poubelle Les
    assiettes sales Les
    mouchoirs en papier Les
    boulettes d'aluminium au risque d'en mourir   Peu
    à peu l'énergie a quitté ton grand corps solide - crémeux devant mes yeux Alors
    que ta tête, elle, réclamait encore encore encore des biscuits gâteaux
    vaisselle à lécher Encore
    la veille au soir Et
    même le dernier matin Ta
    promenade chaotique, le regard un peu opaque, Cahin-caha
    vers moi, muscles erratiques, Tu
    n'entendais plus rien, tu me détectais au son de mes mains Je
    tapotais sur mes cuisses, t'appelais, t'enlaçais de mes deux bras.   Et
    voilà, Samedi
    11 août, Ton
    arrière-train s'est écroulé Je
    n'ai plus jamais pu te relever Tes
    yeux semblaient me supplier, j'ai peut-être rêvé Ou
    pas   J'espère
    avoir su t'écouter, Ne
    pas m'être trompée, Maintenant
    ? Avant ? Plus tard ? Quand ? Décider
    qu'il est l'heure Déterminer
    le moment de la piqûre Après
    ce trajet en voiture, Ma
    main sur ton large crâne Toi
    si confiant Moi
    si malheureuse Bon
    sang, ces mots sont pathétiques.   Je
    suis restée avec toi jusqu'au bout, Tout
    contre toi, par terre, mon buste sur ton dos, Ta
    tête entre mes cuisses, Ton
    museau tout chaud, Ta
    respiration sifflante puis profonde Ton
    souffle s'engouffrait en moi Tes
    yeux bruns se sont enfoncés dans leurs orbites   Et
    soudain ce silence. Définitif.   Bientôt Dans
    le jardin que tu aimais plus que de raison Tu
    sens, les pommes sur le gazon au fond, Là,
    tu seras, près des bambous, des taupinières, Ta
    nouvelle chaumière, De
    nouveau, tu seras vif     Lac
    de toi   Au
    cœur des herbes folles Nos
    songes s'enlacent s'envolent Se
    goûtent Et
    nos bouches murmurent des
    fougères A
    nos paupières   Et
    nos antres se mélangent Familières Du
    jour au lendemain   Le
    temps ? Invention
    de l'humain Cédant
    aux mornes vallées   Du
    creux de nos mains Jaillit
    un ruisseau ailé Laissons
    l'eau s'écouler     Le
    pas   C'était
    ce jour-là, ton visage se liquéfia et pour autant, rien de toi ne
    s'échappa, au contraire, ce fut comme
    l'aube d'une promesse d'amour pour toujours, Le
    genre qu'on ne croit pas, Le
    genre qu'on écrit pour gagner sa vie, Mais
    c'est vrai, je l'ai vue ta folie, elle coulait et titubait sur l'herbe
    aride du jardin, Personne
    n'y comprendra rien, Tu
    as emporté ce secret des rivages, soufflé
    les sanglots des enfances, Tu
    as su aimer comme tu le voulais, Éclusés
    des temps de Carthage Où
    seuls des yeux noirs comptaient, C'était
    ce jour-là, et tu le savais, gelé déjà Mais
    brûlant à jamais.     Décor de chair    Les bulles de roches Implosent en voûtes folles Synapses chaotiques Claquemurant peu à peu la
    parole   Le silence du
    sang   Nourrit pourtant encore Les
    pores vacillant Des corps électriques   Dedans Rondes de sons Caquetant en dômes
    douleurs Veines surpeuplées Dehors   Frémissements et débords Pas à pas
    déconnectés      Cônes   Cueillir le grain En un mot   Se rit plutôt Ses épis caressent La peau  Sentir le vivant  Et le divin qui ment En nous En toi   Se pend plutôt Son pollen s'enfuit La chair Pique et blesse Et les paroles crissent En nous En toi   Se tait plutôt Ta voix n'est plus Inspirer muer Expirer la guerre Les larmes d'hier En eux
 Sans nous
   Cueillir le grain  En un mot   |