Pourquoi j’écris
des textes « poétiques » ?
Je ne sais guère pourquoi.
Il est des blessures d’enfance comme l’absence du
père et d’être fils unique m’ont « emprisonnés » dans une solitude
qui a exacerbé mon imagination et les questions de mon existence. Je me
trouvais « anormal », or, je désirais être comme mes petits
copains, m’intégrer…
Je suis entré dans la scolarité très tôt. Comme
je « gênais dans les travaux des champs », ma mère a demandé à
l’institutrice du village de m’intégrer dans l’école. (J’ai cru à un rejet
de ma personnalité). J’ai été aspiré très vite par la lecture. Comme
j’étais seul à la maison j’ai lu des livres d’adultes auxquels je ne
comprenais pas grand-chose… Aussi, j’ai découvert la poésie. Celle de
Victor Hugo me fit peur, son exaltation grandiloquente : « L’œil
était dans la tombe et regardait Caïn », « Il neigeait, l’aigle
baissait la tête », ou mièvrerie : « Elle avait pris ce pli
dans son âge enfantin... ». Par contre Rimbaud, Verlaine me firent
vibrer, puis Paul Valéry. À sept ans, pour la fête à ma mère je fis un
poème que je lus en famille. Il s’en suivi des rires moqueurs. Je mis douze
ans avant de proposer des écrits à quelqu’un.
Devant une lecture poétique, soit je n’ai aucune
sensation, soit ma colonne vertébrale est parcourue de frissons délicieux.
C’est sommaire, simple primaire et je n’ai jamais approfondi le phénomène.
Dans ces « frissons », je place des couleurs, des joies, des
peines, des sons... un monde à moi (sans me préoccuper trop de celle ou
celui qui a « pondu » le texte). D’ailleurs, lorsque j’écris, je
ressens un processus identique.
J’écris beaucoup lorsque je suis dans la
mélancolie. Être mélancolique est pour moi un bonheur sans nom !
J’écris lorsque je reviens d’un partage de textes avec des amis ; Je
n’écris pas dans la joie.
Aujourd’hui, j’aime assez écrire des textes dans
ma tête et les laisser s’enfuir de mon esprit et rejoindre le grand tout ou
le grand rien. Je pense à présent que rien n’appartient aux hommes.
J’écris sans réflexion, sur du papier. Il
m’arrive de supprimer ou de changer de place un mot, une phrase. Je corrige
rarement. C’est peut-être la conséquence de ma période au collège. Les
professeurs nous disséquaient les textes poétiques, nous faisais apprendre
leur date de naissance, le statut social de leurs parents, j’en passe et
des meilleures…
J’essaye de ne pas écrire le soir, car alors
j’écris dans ma tête une partie de la nuit, raccourcissant mon
sommeil ! Pour les nouvelles, les romans, les personnages continuent
« leurs vies » dans mon esprit. Il en est de même pour la peinture,
je peints une partie de la nuit... J’avoue aujourd’hui préférer… dormir.
Je ne pense pas, contrairement à d’autres, que la
poésie sauvera l’humanité… Il y a tant de prétentieux poètes !
Je ne sais pas l’importance des textes poétiques
dans la vie humaine et m’en moque. J’ai rencontré des personnes formidables
dans et en dehors des arts.
J’avoue aussi que j’aime lire, échanger des
textes poétiques. Ces petits bonheurs sont nécessaires à mon existence.
©Bernard Bienaimé
6 août 2025
Qu’il nous soit permis de rajouter à ce texte destiné
à notre revue par son auteur, un extrait de l’échange par courriel qu’il a
eu avec Éliette (elle avait découvert les poèmes de Bernard Bienaimé sur sa
page Facebook et avait fait d’un d’entre eux son
coup de cœur de notre précédent numéro) :
« Tu as raison, la poésie n'est pas une
religion, et peut-être suis-je "poursuivi" par la religion
dans mon subconscient. Par contre je ne crois pas au "don".
J'écris pour "dénouer" des nœuds de ma petite enfance, des blessures...
D'autre part, je ne crois pas que je DOIS partager. Je partage avec ceux
qui "partagent" la poésie, la musique, la peinture...
Je ne suis que le résultat d'une histoire. J'ai
eu la chance de rencontrer des personnes qui m'ont aidées à
"grandir", comprendre mieux les humains, le monde.
Au collège, j'ai été déçu (puis en colère) par
des enseignants qui nous proposaient (en fait obligeaient) à disséquer les
auteurs, sous prétexte que cela nous faisait comprendre leurs écrits. Moi,
en poésie j'ai des frissons dans ma colonne vertébrale ou je n'ai rien. Je
sais, c'est très primaire, cependant j'en retire un monde merveilleux, une
jouissance très grande. Que l'auteur ait eu trois divorces, vingt
maîtresses ou amants, trois chiens et la tuberculose ne m'a jamais rien
exprimé...
C'est pour cela que ne veux pas faire l'objet
d'une biographie. J'ai eu une histoire mouvementée… Des amis m'ont demandé
pourquoi je n'écrivais pas ma vie. Je leur ai dit : Ma vie a été façonnée
par mon histoire et ne peut en aucun cas être d'intérêt pour quiconque. Mes
écrits sont bien sûr empreints de mon histoire, mais ne sont pas mon
histoire. (…)
Voilà, mon amie, un peu de moi. »
Sinon, tout ce que nous savons aussi sur Bernard Bienaimé est qu’il aspirait à l’anonymat :
« Mon problème, c'est que je pense que
nous sommes des personnes (je parle de l'humanité) si petites,
insignifiantes dans cet univers immense. Je pense donc que les écrits ne
sont pas très importants, et, qu'ils soient de moi ou de quelqu'un
d'autre... D'autre part, j'ai lutté contre mon orgueil dès l'âge de 21 ans,
aujourd'hui j'aspire à être incognito. Je pense aussi que la poésie
n'est pas un remède universel, sinon comment expliquer qu'il y a des
"salauds" qui écrivent des textes très beaux ? »

Ah, oui, aussi : nous sommes, hélas, obligés
de rajouter encore que Bernard nous a quittés subitement quelques
jours seulement après ces échanges… Francopolis accueille donc son début en
poésie – car ce sont ses toutes premières publications – en même temps que
la nouvelle de son décès et honore ainsi doublement la découverte
émerveillée de ce poète inconnu.
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