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Archives : Terra incognita

 

Nouvelle rubrique depuis 2019 

 

Automne 2025

 

Bernard Bienaimé

Pourquoi j’écris. Aimer jusqu’aux mots.

Argument suivi de poèmes inédits et quelques tableaux

(début et fin…)

 

(*)

 

Tableau de Bernard Bienaimé

 

 

Pourquoi j’écris des textes « poétiques » ?

 

Je ne sais guère pourquoi.

Il est des blessures d’enfance comme l’absence du père et d’être fils unique m’ont « emprisonnés » dans une solitude qui a exacerbé mon imagination et les questions de mon existence. Je me trouvais « anormal », or, je désirais être comme mes petits copains, m’intégrer…

Je suis entré dans la scolarité très tôt. Comme je « gênais dans les travaux des champs », ma mère a demandé à l’institutrice du village de m’intégrer dans l’école. (J’ai cru à un rejet de ma personnalité). J’ai été aspiré très vite par la lecture. Comme j’étais seul à la maison j’ai lu des livres d’adultes auxquels je ne comprenais pas grand-chose… Aussi, j’ai découvert la poésie. Celle de Victor Hugo me fit peur, son exaltation grandiloquente : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn », « Il neigeait, l’aigle baissait la tête », ou mièvrerie : « Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin... ». Par contre Rimbaud, Verlaine me firent vibrer, puis Paul Valéry. À sept ans, pour la fête à ma mère je fis un poème que je lus en famille. Il s’en suivi des rires moqueurs. Je mis douze ans avant de proposer des écrits à quelqu’un.

Devant une lecture poétique, soit je n’ai aucune sensation, soit ma colonne vertébrale est parcourue de frissons délicieux. C’est sommaire, simple primaire et je n’ai jamais approfondi le phénomène. Dans ces « frissons », je place des couleurs, des joies, des peines, des sons... un monde à moi (sans me préoccuper trop de celle ou celui qui a « pondu » le texte). D’ailleurs, lorsque j’écris, je ressens un processus identique.

J’écris beaucoup lorsque je suis dans la mélancolie. Être mélancolique est pour moi un bonheur sans nom ! J’écris lorsque je reviens d’un partage de textes avec des amis ; Je n’écris pas dans la joie.

Aujourd’hui, j’aime assez écrire des textes dans ma tête et les laisser s’enfuir de mon esprit et rejoindre le grand tout ou le grand rien. Je pense à présent que rien n’appartient aux hommes.

J’écris sans réflexion, sur du papier. Il m’arrive de supprimer ou de changer de place un mot, une phrase. Je corrige rarement. C’est peut-être la conséquence de ma période au collège. Les professeurs nous disséquaient les textes poétiques, nous faisais apprendre leur date de naissance, le statut social de leurs parents, j’en passe et des meilleures…

J’essaye de ne pas écrire le soir, car alors j’écris dans ma tête une partie de la nuit, raccourcissant mon sommeil ! Pour les nouvelles, les romans, les personnages continuent « leurs vies » dans mon esprit. Il en est de même pour la peinture, je peints une partie de la nuit... J’avoue aujourd’hui préférer… dormir.

Je ne pense pas, contrairement à d’autres, que la poésie sauvera l’humanité… Il y a tant de prétentieux poètes !

Je ne sais pas l’importance des textes poétiques dans la vie humaine et m’en moque. J’ai rencontré des personnes formidables dans et en dehors des arts.

J’avoue aussi que j’aime lire, échanger des textes poétiques. Ces petits bonheurs sont nécessaires à mon existence.

 

©Bernard Bienaimé

6 août 2025

 

Qu’il nous soit permis de rajouter à ce texte destiné à notre revue par son auteur, un extrait de l’échange par courriel qu’il a eu avec Éliette (elle avait découvert les poèmes de Bernard Bienaimé sur sa page Facebook et avait fait d’un d’entre eux son coup de cœur de notre précédent numéro) :

« Tu as raison, la poésie n'est pas une religion, et peut-être suis-je "poursuivi" par la religion dans mon subconscient. Par contre je ne crois pas au "don". J'écris pour "dénouer" des nœuds de ma petite enfance, des blessures... D'autre part, je ne crois pas que je DOIS partager. Je partage avec ceux qui "partagent" la poésie, la musique, la peinture...

Je ne suis que le résultat d'une histoire. J'ai eu la chance de rencontrer des personnes qui m'ont aidées à "grandir", comprendre mieux les humains, le monde. 

Au collège, j'ai été déçu (puis en colère) par des enseignants qui nous proposaient (en fait obligeaient) à disséquer les auteurs, sous prétexte que cela nous faisait comprendre leurs écrits. Moi, en poésie j'ai des frissons dans ma colonne vertébrale ou je n'ai rien. Je sais, c'est très primaire, cependant j'en retire un monde merveilleux, une jouissance très grande. Que l'auteur ait eu trois divorces, vingt maîtresses ou amants, trois chiens et la tuberculose ne m'a jamais rien exprimé...

C'est pour cela que ne veux pas faire l'objet d'une biographie. J'ai eu une histoire mouvementée… Des amis m'ont demandé pourquoi je n'écrivais pas ma vie. Je leur ai dit : Ma vie a été façonnée par mon histoire et ne peut en aucun cas être d'intérêt pour quiconque. Mes écrits sont bien sûr empreints de mon histoire, mais ne sont pas mon histoire. (…)

Voilà, mon amie, un peu de moi. »

 

Sinon, tout ce que nous savons aussi sur Bernard Bienaimé est qu’il aspirait à l’anonymat :

« Mon problème, c'est que je pense que nous sommes des personnes (je parle de l'humanité) si petites, insignifiantes dans cet univers immense. Je pense donc que les écrits ne sont pas très importants, et, qu'ils soient de moi ou de quelqu'un d'autre... D'autre part, j'ai lutté contre mon orgueil dès l'âge de 21 ans, aujourd'hui j'aspire à être incognito. Je pense aussi que la poésie n'est pas un remède universel, sinon comment expliquer qu'il y a des "salauds" qui écrivent des textes très beaux ? » 

 

Une image contenant personne, Visage humain, habits, homme

Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.

Ah, oui, aussi : nous sommes, hélas, obligés de rajouter encore que Bernard nous a quittés subitement quelques jours seulement après ces échanges… Francopolis accueille donc son début en poésie – car ce sont ses toutes premières publications – en même temps que la nouvelle de son décès et honore ainsi doublement la découverte émerveillée de ce poète inconnu.

 

 

Une image contenant peinture, Peinture artistique, Peinture acrylique, Art moderne

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Tableau à quatre-mains : Bernard Bienaimé et Christine Malbaux

 

 

Quittant l’équinoxe

il s’assoit sur l’enfant

mer    développe son

ralentit de fièvre

cadavre étourdit de

la dernière vague

il faudrait une

condoléance de fortune

à ce bref équipage

une perfidie belle

à savourer le mensonge

allonger la langue

goûter le fiel d’une guêpe

étourdie

mais l’ombre bleue

approche trop vite

le paysage lassé

existe-t-il un mot un dernier

à sauver le monde

 

***

 

Dans ta main

un nuage d’été

et deux brins d’orge

étonnés de lumière fauve

il me souvient une caresse

si douce qu’un volcan

a tremblé

ces mots dévalant la colline

cascadaient au levant

l’ombre des tilleuls

distillait le langage

des oiseaux

un doigt de vent

au creux de ta robe

 

***

 

Une image contenant art, peinture, Peinture artistique, Peinture acrylique

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Tableau à quatre-mains : Bernard Bienaimé et Christine Malbaux

 

 

Ciel fracassé de gris nuages

aux portes encombrées d’eau

vent sauvage de noire aventure

la vie se dresse insensible à

la vie

fourmi à la patte cassée

du chemin retors

goutte d’eau pesante étouffe

le parfum du cadavre futur

fayard touffu rit de

l’abeille noyée à sa feuille

la foudre lui promet un destin brisé

printemps piétine

jusqu’à la marge

de son devoir

lac de Lamartine s’oublie lamentable

à son reflet

miroir déformé la nymphe

s’essuie

 

***

 

Dans la maison sans porte

j’ai traversé tes yeux

la griffure du temps avait

écimé nos nuages

ta main fermé

cet univers coton

langueur naufragée

à nos heures grises

je reviendrai un jour

au bleu de ton corps

à la marge de tes mots

je n’exprimerai aucun regret

à tes sens angulaires

même seul le pendule

cille vers toi

 

***

 

Puisqu’il faut du chagrin

au lecteur que je suis

j’acoquinerai un noir à

un vert perfide

je gommerai le bleu pour

un gris sali de la patte d’un héron

je puiserai au tombeau

os et chair putréfiée

une croix de fer trancherait

ton cercueil éventrerait

la colombe ta fièvre et

ton oubli

même le meilleur soleil ébloui

n’atteindra le reste de ton ombre

 

docile je vais m’asseoir

au parfum de tes mains

 

***

 

Une image contenant peinture, Peinture artistique, Art moderne, Peinture acrylique

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Tableau à quatre-mains : Bernard Bienaimé et Christine Malbaux

 

 

Planté dans ma gorge

le bec du merle

à la jugulaire boit

râteau pendu

à la tête du songe

là n où fini l’apostrophe

triomphe du verbe

insolente lanterne

j’ai chuté l’absolu

picoré l’arbitraire

 

la souris est morte

devant mes souliers

incisives du rien

 

***

 

J’ai tangué le sillage

de ta barque d’ombres

là où la vie perd l’existence

aujourd’hui encore

l’effluve des ajoncs morts

porte des images

d’oiseaux bercés

l’eau coule

vers le sud de mon corps

asperge les lueurs incertaines

d’une lune feuillue

nous aurons toujours

à l’envers

des tourbillons d’étoiles

le secret de l’absinthe du temps

 

***

 

J’ai fléchi sous ton regard

de mon sang l’usure

a essuyé tes joues

ta robe arraché ma vie

je voulais essayer t’aimer

ma peau s’est craquelée

tu m’as jeté la première pierre

ma maison à présent vide

personne ne m’a dit que

j’étais moi

 

***

 

Sous un coin de ciel obstiné gris

une branche perce l’horizon

d’une étrange rancœur

un peintre effacerait

le parcours de deux merles pointillés

un musicien aurait amplifié

le la d’un zéphyr rêveur

hier soir la chanteuse arrosait

ses paroles au jazz d’une guitare

délicieusement excitée

il me reste dans la gorge

en ce matin d’été

un zeste d’orange délaissée

un parfum de rires

l’empreinte joyeuse

de ton regard dans

ma main désertée

 

***

 

Aimer jusqu’aux mots

 

J’aimerais     courir

mes doigts à l’aube

de ta nuque

emprunter le chemin

de tes lèvres

parcourir l’arpège

de tes seins

j’aimerais    poser ma joue

au bombé de ton ventre

et    m’enivrer à la sève

de ta conque   souffle serré

j’aimerais déguster

chaque orteil

aux blessures    Aphrodite

et saluer ton ombre

à la lune miroir

j’aimerais…

et tes mots sont là

pour soigner ma faiblesse

et tes mots sont là

à bercer mon enfance hérissée

 

©Bernard Bienaimé

6-11 août 2025

 

Une image contenant art, peinture, Peinture artistique, Peinture acrylique

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Tableau à quatre-mains : Bernard Bienaimé et Christine Malbaux

 

 

Pour compléter ce groupage nous reproduisons ci-dessous les quelques poèmes déjà publiés au précédent numéro (coup de cœur d’Éliette, à partir de la page Facebook de Bernard Bienaimé).

 

sur la feuille

je pose mon rêve

éphéméride agité

ou s’émiette mon corps

à la chrysalide du vent

un doux cocon me cache

de l’appétit de la grive joufflue

un matin printanier

me dessine papillon

 

 

il a posé le bleu

sur un fil de pluie

mélancolie   doucement amère

du sourire émondé

l’aile de l’oiseau

plie le dernier soleil

le clown triste est   mort

 

 

écrire sur l’autre page

des copeaux de nuit

égarer les mots dans

la poussière du temps

et poursuivre le rêve

sur l’aile du rivage

sans autre but

que la verve du vent

 

Nuage sur le toit d'un clocher

où les tuiles bigarrées vernissent l'azur

une tourterelle semble ignorer

l'appel des cloches dévergondées     et

s'éloigne de l'instant

le cercueil repose sur quatre pieds noirs

 

 

il y a trop à  aimer

pour irriguer la plage

le soleil si haut

a vaincu les nuages

tu aimais tant la mer

et    les fontaines obliques

qu'à dérouler le ciel

tu es partie si vite

il y a trop à aimer

pour irriguer   la page

 

 

Poser sur le bruit

le regard nu

du délié d'hirondelles

émietter le froissement des vernes

aux griffes du vent

semer un désordre de pluie

au bruissement des luzernes

effacer le rire pointu du temps

de l'asphodèle épuisée

tant d'amours      à retenir

 

©Bernard Bienaimé

 

 

(*)

 

NB. Les photographies des tableaux reproduits ici nous ont été confiées par Christine Malbaux, que nous remercions vivement. Pour ses publications : voir / commander son livre L’épice de mes mots sur le site des Éditions l’Art d’en Face (ou à l’adresse email : inouit6@gmail.com), et, chez le même éditeur, À fleur de toi, photos de Christine et poèmes de Bernard Bienaimé (couverture fait main sur beau papier).

Elle écrit, à propos du départ de Bernard : « Tu as rejoins les papillons verts et les étoiles, je te sens murmurer que le soleil brille toujours et partir dans un grand éclat de rire. » (sa page Facebook Belette sauvage). Et aussi, dans un échange avec Éliette : « C'était un homme formidable qui m'a beaucoup apporté, sa sensibilité son grand cœur… tout va me manquer ».

 

Une image contenant intérieur, Visage humain, habits, femme

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Atelier d’écriture de Narbonne, animé par Bernard Bienaimé

 

Nous reproduisons ici quelques témoignages émouvants de son groupe d’écriture sur Facebook, en hommage à l’homme et au poète qu’il était :

 

Tous ensemble serrés,

Nous nous sentons seuls.

Sur le carreau du Temple,

Au "Décrochez-moi ça"

De la boutique des poètes,

Tu décrochais les mots 

Du plafond de tes rêves.

De tous ceux de ton choix,

Tu t'habillais avec une élégance rare.

Tu étais la nature, 

Tu étais paysan éleveur d'âmes,

Mâchouilleur de brindilles.

Limaçon dévoreur de feuilles fraîches,

Oiseau siffleur de trilles.

La voix du poème 

A perdu une plume,

Une voix et tous les poèmes 

Que tu as emporté avec toi 

Dans ta valise de nuage.

 

Jean-Marc Bridoux - 24 août 2025

Texte posté sur Facebook –

Groupe la voix du poème 

 

Prémonition d’un ciel sans étoiles

tes volets ont claqué

sur un ciel vide,

mais ta voix demeure

malgré cet intervalle

de vie désertée…

 

On te trouvera ailleurs :

survit à la nuit

l’esprit dans l’écrit

qui jamais ne meurt...

 

 

Bernard Bienaimé

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