LECTURE - CHRONIQUE 

 

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ARCHIVES:  LECTURE CHRONIQUE

 

LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS

Novembre-décembre 2023

 

 

 

Focus sur 10 revues de poésie

Interventions à Haute Voix, Voix d’encre, L’arbre parle, À l’index, Coup de soleil, Libelle, Diérèse, Contre-Allées, Traversées, Florilège

 

Lecture par Éric Chassefière

 

Une image contenant texte, livre, intérieur, carte

Description générée automatiquement

 

 

Interventions à Haute Voix, n°65, automne 2023

 

Le thème de ce numéro est « Nos adolescences ». Chaque numéro propose des poèmes sur un thème, les thèmes étant régulièrement choisis sur proposition des membres du comité de rédaction. C’est ici Gérard Faucheux, responsable de la revue qu’il a créée voici bientôt cinquante ans, qui a choisi le thème du numéro. « Une trentaine de poètes nous invitent à bord de leurs adolescences, qui sont toujours un peu les nôtres, en les tenant plus ou moins à distance, le temps de mettre des mots sur un pays ultra-sensible, propice à la métamorphose », écrit Laurent Bayssière dans l’éditorial. Métamorphose autant physique que psychique, dans cette période de la vie qui voit la personnalité s’affirmer par opposition aux règles inculquées durant l’enfance, dans un mouvement vers l’indépendance, affective comme économique. Le poème, outil par excellence d’une expression libérée des contraintes, constitue pour les poètes qui s’expriment ici un moyen privilégié d’évoquer l’adolescence. Anne Bouchara nous livre des poèmes écrits durant l’enfance, ainsi, à l’âge de 15 ans, ces mots emblématiques du désarroi qui étreint l’adolescent en quête d’une identité propre : « Je sais trop peu de choses / Je veux voir les étoiles / Je ne connais pas le monde / Je veux trouver la solution / Je ne connais pas la question ». Gérard Faucheux, lui, s’inquiète de l’avenir de ces enfants « qui s’amusent en toute innocence » dans ce monde de prédation économique croissante. Christophe Forgeot évoque « la puissance de l’émerveillement » et cet « inconnu pays du je qui se cherche entre chênes et roseaux », enracinement dans la durée et sensibilité aux mouvements de l’instant. Jacques Lucchesi analyse le mouvement par lequel l’adolescent, soumis à la fois aux modèles prônés par la société de consommation et à ceux d’autre adolescents de son âge en réaction précisément contre ces modèles, va évoluer entre deux mondes, « celui des adultes en charge de son éducation et celui des leaders de son âge ». Soulignant que la poésie, « parce qu’elle est avant tout l’écriture de l’instant », est le genre littéraire qui correspond le mieux à l’adolescence, il cite Rimbaud comme poète emblématique de cette période de la vie. Patrice Maltaverne prône un retour, en forme d’avancée, à la liberté de l’adolescence : « Nos adolescences sont parties / Avec naturel / Là où nous refusons d’aller // Rattrapez-les / si vous en avez envie ». Adolescence que Fabienne Moineaud voit comme une période révolue de repli possible dans « le refuge du jardin et des livres », tout au rêve d’un avenir « de lumière et de foi » , non sans une certaine nostalgie : « Le passé, fleur fanée, s’est envolée, mi Amor, / Sur les jardins de larmes de la solitude ». Terminons avec ce poème intitulé « Adolescents » de Mireille Podchlebnik, qui exprime bien la persistance au fond de nous de l’adolescent que nous avons été, disant l’espoir jamais tari de se réaliser :

 

Dans leur besoin de vérité

et leur quête d’amour

Ils papillonnent

ils volettent

de liberté en liberté

De rêves en rêves

 

Attaches fugaces

Le lieu d’une enfance

devenue lointaine

se dissout dans leur mémoire

 

L’adolescence comme un nuage

se dissipe ou bien menace

timidité ou bravade

au gré du vent

au gré des jours

 

Un temps se révolte

Pour se trouver

se retrouver

 

Si leurs désirs sont nos espoirs

Que reste-t-il de nous en eux ?

 

*

 

Voix d’encre, n°69, automne 2023

 

Ce nouveau numéro de la belle revue animée par Alain Blanc nous offre à lire les poèmes d’une dizaine d’auteurs. La livraison s’ouvre par un dialogue poétique entre Pierre Dhainaut et Isabelle Lévesque, dont on sait qu’ils entretiennent une correspondance suivie, qui s’est notamment concrétisée par la publication d’un recueil de poèmes écrit à quatre mains (La troisième voix aux éditions L’herbe qui tremble), rompant avec l’exercice de l’écriture en solitaire. Une écriture pleine de finesse, souvent picturale aux couleurs douces, nous donnant à découvrir « la langue des secrets », dans l’évidence du partage du silence. Elle : « Nous ne savons qui tremble. Une certitude / demeure, le poème la garde silencieusement : il se nourrit / de la fable de nuit qu’une main devine, au contour blessé / de chaque mot qui tombe en silence ». Lui : « Qu’est-ce que la lumière ? Le temps d’aller / d’un silence ou d’un bord à l’autre / de cette page, l’horizon se délivre, / nous n’avons nul besoin de preuves ». Suivent quelques beaux poèmes de la poète argentine Lucrecia Romera, pour la première fois traduite en français (par Omar Emilio Sposito), dont le traducteur nous dit qu’ils expriment « une spiritualité incarnée » : « Ainsi donc / pour celle qui arrive de la nuit, / pour celle qui arrive du silence, / pourrais-tu briller / Verbe ardent / contre la pierre vive / au-delà de la lumière submergée ? », Verbe ici au sens de Christ, parole de Dieu. Jean-Nicolas Clamanges nous offre ses poèmes brefs aux accents de Haïkus : « La pluie / fauche le paysage // impasse de soi / s’efface en brume », ou encore : « Aux crins des lichens // du rouge encore / un peu // envol de grives ». Marc Drosdowsky énonce pour nous l’alphabet du merle, une suite de proses courtes écrites entre souvenir et instant, égarement de l’oiseau et repos de l’arbre : « Mais je regarde les oiseaux, leur vol erratique et coupant, leur urgence, leur fuite, l’étonnement fixe de l’œil orange, du bec, je suis content d’être l’oiseau qui cherche sa vie dans la terre ». Max Alhau nous offre ensuite la traduction de quelques poèmes de la poète espagnole Teresa Soto dont l’« écriture faite de phrases sobres parfois surprenantes exprime les faits, les sentiments les plus divers, avec une singularité et une force remarquables », qu’on en juge : « Qu’est-ce que tu as là ? / entre tes mains / une pluie / de granit et de romarin / ce rire / brille ainsi / sent ainsi / plus que de la poudre / il peut être / plus que de l’or ». Samuel Martin-Boche joue avec arbres et ombres, cimes et racines, mots et branches : « Où trouve-t-on / jamais les mots / un matin ils tombent // des branches désarticulées / fruits des vents / et des pluies étésiens », tandis qu’Aodren Buart se laisse porter par vent et lumière sur son chemin de vie : « Sur le carnet les lignes / Sont passées / Tout ce qui m’entourait / S’est effacé / La petite photo ? / Usée // Laisse-moi m’en aller / Comme fait le papier ». Christophe Schmit nous livre ses souvenirs de la maison d’enfance dans un long poème scintillant d’obscurité et de silence qui dit le labyrinthe de la mémoire, l’infinie distance comme l’infinie proximité des sensations de l’enfance, la vie à sans fin rejouer dans une lumière toujours neuve :

 

Fenêtres, carreaux

brisés

sur la masse noire

du temps, de l’éclat

de minces doigts

de lumière

qu’épuise

le silence…

 

[…]

 

Enfant

laper les hosties

de neige

déposées

sur les rameaux,

sourire à la vie

qui s’offre.

 

[…]

 

Dans un souffle

le jour point

lignes tremblantes

sous les doigts

un dérisoire blé noir

de mots.

 

Le numéro se clôt avec des poèmes d’Yves Leclair qui sont autant de tableaux de scènes de la vie quotidienne, quelque peu teintés de résonances philosophiques : « Désormais je sais me réjouir / d’un œuf à la coque, / de son jaune pissenlit. // Des mots menteurs, / bonimenteurs, / / je me défie. / J’ai fait aussi // quelques progrès : / j’ai gagné en sagesse. / Je ne crois plus en elle », poème inspiré d’un tableau de Salvador Dali.

 

*

 

L’arbre parle, n°9, automne 2023

 

La « revue sauvage et poétique » semestrielle de Didier Ober, créée en 2019, continue son bonhomme de chemin. L’éditorial de Didier Ober s’ouvre sur un extrait d’un livre de Jacques Brosse intitulé « Mythologie des arbres » : « D’ouverte qu’elle était jadis, l’humanité s’est de plus en plus refermée sur elle-même. Cet anthropocentrisme absolu ne peut plus voir, hors de l’homme, que des objets. La nature tout entière s’en trouve dévaluée. Autrefois, en elle tout était signe, elle-même avait une signification que chacun, en son for intérieur, ressentait. Parce qu’il l’a perdue, l’homme aujourd’hui la détruit et par là se condamne ». La destruction des forêts, qui accroit le réchauffement climatique, lui-même générateur de sécheresse et de désertification, participe de la dégradation progressive de notre environnement. Didier Ober s’insurge dans son éditorial contre le discours dominant qui passe le danger pour tous sous silence pour sauvegarder les intérêts économiques de quelques-uns. L’arbre, annonce-t-il, est à l’honneur dans ce numéro. Les poèmes présentés ensuite, de Kiko Christian Moroy, Sylvain Braud, Didier Ober, Jean-Marc Couvé, Didier Trumeau, Jeanne Champel Grenier, Béatrice Gaudy, Ferruccio Brugnaro, Stéphane Casenobe, Alain Clastres, Gérard Paris et Alain Jean Macé  dénoncent la folie meurtrière des hommes, dans leurs atteintes aussi bien à la nature qu’à leurs semblables, et remet l’arbre à la place éminente qui est la sienne au cœur de la Terre-Mère. Citons Jeanne Champel Grenier, qui nous offre un texte magnifique au sujet d’un tilleul qu’elle vient habiter de son écoute et de son regard, faisant de cet arbre la totalité de son être ressentant, arbre qu’elle compare à « une planète habitée et qui nous habite », et dans lequel vient s’enraciner le vol de l’oiseau :

 

L’arbre a gardé sa chevelure d’enfant, mais toutes les fleurs à bractées aériennes qui ont séché, de branche en branche, sont tombées ; un doux tapis s’étend au sol tel un nuage et lorsque l’on marche dessus, on croit entendre le lointain écho d’un chorus de cigales éteintes. Mais l’arbre n’est pas triste, il continue sa vie ; c’est une planète nouvelle qui traverse sa marée d’équinoxe, vents et pluies alternent ; s’y croisent toujours de multiples races d’oiseaux couleur d’heureux présage, des oiseaux qui glissent, plongent, se jettent entre les branches, nagent dans le courant, dérivent, font volte-face, s’abandonnent, s’endorment parfois et refont surface, s’élancent bien au-dessus du feuillage, s’oublient en apnée dans le vide… et reviennent se poser… la vraie vie d’oiseau libre qui a un pied à terre… et quel pied… l’arbre ! 

 

Terminons avec ce court poème d’Alain Clastres qui dit le rêve d’une humanité trouvant d’elle-même l’équilibre, ainsi que ce vieil olivier à la silhouette qu’on devine ancrée dans la paix d’une sereine éternité :

 

Le vieil olivier

 

Ce vieil olivier

Centaines d’années

Branches, dans l’espace, élancées

Port, de lui-même, équilibré, harmonisé

 

À quand, l’humanité, d’elle-même, harmonisée ?

 

*

 

À l’index, n°47, septembre 2023

 

Jean-Claude Tardif nous offre un nouvel opus de sa riche revue, lancée il y a maintenant 24 ans, et qui s’accompagne depuis quelques années de la publication de recueils de poèmes dans différentes collections, vendus hors abonnement. Citons la collection « Les Plaquettes », proposant de courts recueils d’une quarantaine de pages où les poèmes sont illustrés d’œuvres de plasticiens. Mentionnons brièvement les derniers parus : Forêts et autres lieux de Jacques Boise, illustré d’encres de Léo Verle, D’ombres et d’autres de Hervé Delebarre, accompagné d’encres de l’auteur, Ensemencement d’Emmanuel Golfin, accompagné d’illustrations d’Alex Chauvel.

Jean-Claude Tardif, dans l’éditorial du numéro 47 de la revue, nous livre sa vision de la poésie : « Il n’est donc, pour moi, de poésie que dans la manière de la sentir, c’est-à-dire : de la mettre en pratique. Car si elle s’écrit, se dit, se clame ou se déclame voire se slame, la poésie se vit avant tout. Elle est un état d’esprit qui induit un état d’être ; un humanisme, qui passe par l’échange et le partage des mots, des textes, des langues pour, finalement, trouver l’autre, mieux l’entendre et l’écouter, puisque les mots et la poésie qu’ils façonnent, entrent en chacun de nous à un moment ou à un autre, d’une façon ou de l’autre ». Parlant d’humanisme, citons d’ores et déjà, figurant à la fin du volume, un article de Michel Lamart écrit en hommage à Michel Cosem, fondateur et directeur de publication de la revue Encres Vives pendant plus de soixante ans, qui nous a quitté en juin de l’année écoulée. Lamart met en avant les multiples champs d’intervention de Michel Cosem, à la fois « romancier, conteur, poète, anthologiste, critique littéraire, animateur de revue, conférencier », faisant de lui une figure « cohérente », qui ne dissocie pas le social de l’imaginaire. Cela n’est plus tant la littérature, qui s’inscrit dans une époque, que l’écriture comme acte créateur, qui se trouve au centre du jeu. Lamart cite Jean-Marie Le Sidaner : « S’il est alors un enseignement à retenir de la littérature, et singulièrement des livres de Michel Cosem, c’est celui qui consiste à reprendre en compte notre imaginaire, non comme un vague supplément d’âme, mais comme la matière même de notre engagement parmi les choses et les êtres ». C’est par l’imaginaire que le poète s’enracine dans le réel. Lamart insiste sur l’importance de la chose dans son rapport à l’être, et la possibilité qui en résulte de partager autour du poème.

Le numéro démarre par un entretien avec Jean-Marc Couvé, qui a bien connu Philippe Soupault, l’un des fondateurs avec André Breton et Louis Aragon de la revue Littérature qui marque le début du courant surréaliste. On découvre un Soupault révolté, toujours dans l’instant, dans la découverte, méprisant l’argent, esprit libre refusant les compromis, en même temps très chaleureux, homme de sincérité et d’amitié. Puis « sept voix de la poésie castillane d’aujourd’hui » se font entendre, Augustin Garcia Calvo, Miguel Marinas, Tomas Salvador Gonzalez, José Luis Cancho, Luis Santana, Victor M. Diez et Marco Canteli. Une poésie de la présence des choses, de la parole créatrice précisément, ainsi qu’elle est évoquée par Lamart à propos de Michel Cosem, comme dans ces vers de Marinas :

 

une lueur rouge et dans le ciel

le fil blanc des constellations

 

les ondes radiophoniques, les moteurs

des voitures, et la mer comme un grand four

 

et la fumée du tabac et les mesures

de la musique au loin, et les rêves

 

les présences, les corps qui reposent

comme des vies accomplies, et les pins

 

les paroles cherchant leur limite

silencieuse et les yeux qui sourient

 

nous donnant à voir les choses dans leur rapport à l’être, en préambule au poème suivant qui lui interroge directement l’être :

 

la mer veille, dit-on

et toi tu t’endors

nous mourrons ensemble un soir

seuls, heureux, en silence

et dans la main j’aurai, moi, le cœur

de ton secret, et toi le mien.

 

Proses et poèmes d’auteurs divers se succèdent ensuite, jusqu’à des pages en fin de volume présentant des auteurs ukrainiens, sous la plume de Vladimir Claude Fisera : Pablo Vichebaba, militant écologiste, musicien et poète, et les romanciers Iryna Dmytrychyn, Mykhaïlo Kotsioubynsky et Maria Matios. Mentionnons par ailleurs, au hasard de la lecture, ce Quatuor d’Arnal (Jean-Noël Hislen, Myette Ronday, Yves Arauxo, Jean-Pierre Otte) écrivant collectivement, ligne à ligne, des poèmes  qui finissent par donner vie, en quelque sorte, à un poète collectif doué d’une vie propre : « Par leurs apports successifs, ils créent un esprit ou un esprit se crée de lui-même, esprit impersonnel dont chacun participe, et qui semble acquérir une sorte d’autonomie ou d’autarcie, ayant sa propre vie, ses facultés inventives, sa libre spontanéité ». Ainsi, pour terminer cette note, ce poème avant tout d’espoir :

 

Par une nuit de lucioles et d’asphodèles,

 

L’enfant perdit son nom dans les pages d’un livre.

S’égarer un instant fait-il grandir plus vite ?

Des lucioles dans les cheveux, il se retrouva bientôt

Plus haut qu’une quinzaines de pommes.

Autour des fleurs des morts, la lumière s’approchait.

La nuit n’avait déjà plus qu’une page à tourner.

Il fallait se presser de clore ce chapitre.

L’enfant recouvra son nom au point du jour,

Coincé entre deux mots qu’il ne connaissait pas.

La terre est vaste et les dictionnaires sont épais

 

Mais une vie entière s’offrait à lui pour les parcourir.

 

*

 

Coup de soleil, n°118/119, octobre 2023

 

La revue quadri-mensuelle Coup de soleil dirigée par Michel Dunand et Marie-Françoise Payet-Saliesiani, et publiée par la Maison de la Poésie d’Annecy, a été lancée en 1984. « 40 ans déjà… » peut-on lire sur la couverture, illustrée d’une belle composition humaine et florale du peintre irakien Ghassan Salman Faidi, installé en France depuis 1974. Le volume est introduit par un poème de Andrée Appercelle, décédée en 2022, à qui Michel Menache consacre un hommage en fin de volume. Poète généreuse, pétrie d’humanité, femme d’engagement au service « des oubliés, des plus démunis, des prisonniers politiques, des peuples soumis aux exactions impérialiste », elle a contribué à diffuser la poésie à travers des émissions littéraires sur France Culture et FR3, des anthologies de poésie, des ouvrages érigeant la poésie contre les discriminations. Ainsi ce poème contre le franquisme, dédié à l’Espagne :

 

Le mauve

saisit la chevelure

de la femme

autour   les pierres

s’appuyaient au mutisme

« torture ! torture ! »

-    venaient des cellules -

Le sexe mort

l’homme hurlait un chant

sous les fenêtres sourdes

           au matin

les tulipes ouvertes

           mordaient

les clôtures des jardins.

 

Une dizaine de poètes se partagent ce numéro. Pour Dominique Sampiero, la peur de l’étranger, c’est d’abord celle de l’exilé que nous sommes nous-même : « Nous sommes tous des réfugiés. Réfugiés de quelque chose, quelque part. Une colère, un amour, une blessure. / Nous sommes les réfugiés d’un manque qui s’éblouit de manque. / C’est ce qui nous effraie chez celui qui vient d’ailleurs et qui réveille en nous une vieille peur : nous ne sommes pas d’ici, nous sommes tous des réfugiés ». Brigitte Broc chante celle qui « arrive par des chemins sacrés / fendant brumes et orages, / toute tremblante, encore, / de l’Étreinte », Terre-Mère peut-être, « Femme au ventre immense, / repue de sève / et du bruit clair des mots ». Pierre Henri Gustin nous promène dans de légers jardins de choses faites mots : « Au centre du jardin / grillon / à l’abri d’une lanterne // Quelques pierres / agencées / la sagesse d’une main // Un puits couvert de bambous / un mystère / où bruisse une eau souterraine ». Marie Desmaretz écrit sur l’écriture même, qui seule fixe : « Alors elle écrit / se travaille – toute patience - / d’éclaircies en nuages / Pour ne rien égarer / Pour vivre plus loin // Seule la chair des mots / restera preuve ». Jean-Pierre Chambon nous offre des poèmes aux nuances picturales, à mi-chemin du rêve et de la réalité : « et ce sont des tonalités quasi indéfinissables / des gris de cendre et des bleus amnésiques / des ocres terreux et des bruns tirant sur la rouille / qui permettent de traduire ce que la nuit / consent au visible… ». Véronique Joyaux elle aussi se fait peintre, à l’affleurement de la lumière : « un visage s’est plié entre les lignes de l’ombre / Quand la lumière viendra s’y poser / l’ombre se retirera comme une vague / et le jour prendra la forme de notre regard ». C’est depuis un promontoire sur l’océan, cherchant l’osmose avec la profondeur marine, qu’Éric Chassefière écrit ses poèmes battus d’écume : « Pas d’ombre rien que présence blanche / ailes d’écume sur la mer / mouettes aux nids de mousse des rochers / dentelles couleur cendre des cinéraires / avec leurs bouquets d’yeux légers comme miel ». Quant à Morgan Riet, il joue de la guitare sur les cordes de la pluie tombant sur un feu de branchages, cordes « qui vibrent encore / et sur lesquelles je me mets, / à présent et sans frein, / à gratter, improviser - revisitant / cet instant, ce passage - / des airs fiévreux de flamenco ». Terminons par un poème de Max Alhau sur la mémoire et, peut-être, son pouvoir de régénération du présent :

 

Tu continues à te soustraire au blanc de la page.

Tu te retournes alors vers ces lieux incendiés par les souvenirs.

Tu redessines chaque parcelle au gré de ta mémoire.

Ce sont des lieux jaunis par le passé qui comblent les failles, franchissent les frontières à ton insu.

 

*

 

LIBELLE, n°357, octobre

 

Ce numéro de la revue mensuelle Libelle, ce « bloc-notes en six pages » tenu par Michel Prades, nous offre comme à l’accoutumé de belles respirations poétiques, dont nous en extrayons ici quelques-unes dont nous avons senti le souffle nous effleurer le visage. Ainsi, de Toussaint Médine Shangô : « Je respire, magnifié dans l’intime, l’odeur de l’être, / Saluant la Vallée du Lys, / Vers l’Ouest, et l’enclave où repose / Celle qui, baignée d’infini, / Fut, joyeuse par gratitude, / L’hôte ébloui sur les sommets / Louant la splendeur indivise ». Et, toujours à des hauteurs solaires, ce poème de Béatrice Machet : « Fi des articulations / la fluidité dans toute sa plénitude / d’être / l’espace / c’est-à-dire une conscience / c’est-à-dire la magie vivante / d’une respiration infinie / qui ne connaît pas les cloisons alvéolaires ». Et celui-ci, intitulé EMBRASSE, de Nicolas Maier : « Du regard velours / Aux doigts timides // Confluent de nos sourires / Où sourd un mutuel désir // D’une clameur toujours virginale / Annonciation d’une embouchure colorée de sépales // Les bras du cœur se tendent / Aux raisons de leur ferveur / Geste d’une ode au présent ». Terminons par ce poème de Grégory Rateau extrait de ses « Imprécations nocturnes » :

 

Vivre dans l’attente en « homme qui penche »

refaire sans cesse le même chemin

jusqu’à inverser l’ordre des jours

et dans un éternel retour

remiser toute espérance

puiser dans l’absence

les élégies des temps futurs.

 

*

 

Diérèse, n°88, automne 2023

 

Cette nouvelle livraison de la belle revue de Daniel Martinez met particulièrement à l’honneur Béatrice Pailler, Emmanuel Merle et Raymond Farina. Mais une cinquantaine de poètes de tous les continents y sont présents. Un très bel éditorial de Alain Fabre-Catalan, intitulé Au risque de la poésie, ouvre le volume. Citons-en un extrait, qui dit bien la réciprocité qui se crée entre le poète et son lecteur à travers le poème en son incessant dévoilement :

 

Rencontrer une parole autre qui retentit à l’intérieur de soi et dont la persistance offre l’occasion d’un dialogue avec l’inconnu d’une voix qui soudain vous révèle à vous-même, telle est la promesse du poème. Il s’agit bien à travers la lecture de vérifier combien la poésie peut être la source d’une connaissance intime. De même, le poème est-il une expérience de soi à travers l’écriture, ce que traduit l’appel au langage qui se met à parler autrement sur la page, constellation de mots proposés au déchiffrement. Il va sans dire que l’énigme, aussi bien d’un espace que d’une voix, s’adresse tout autant au poète qu’à son lecteur.

 

La section Poésie du monde met à l’honneur le poète portugais actuel Nuno Judice, traduit ici par Jean-Paul Bota, le poète anglais d’inspiration surréaliste, décédé au tournant du siècle, David Gascoyne, traduit par Jean-Yves Cadoret, et le poète chinois du siècle dernier Mu Dan, présenté et traduit par Guomei Chen. Citons, au hasard de la lecture, ces vers lumineux de Mu Dan, datés de juin 1938 :

 

Je suis des yeux les oiseaux déployant leurs ailes

Pénétrant en silence le ciel clair et profond,

Je suis des yeux les nuages errants peu à peu empourprés

Lesquels, sans le vouloir, émerveillent la terre qui les contemple.

 

Oh, combien de joies et de peines ont passé,

C’est en vain que je peins cela dans ton cœur !

Oh ! pendant combien d’années ta précieuse vie

Fleurira-t-elle encore dans l’harmonie du silence.

 

Les deux cahiers qui suivent mettent en avant une vingtaine de poètes. L’énigme du poème dont parle Alain Fabre-Catalan dans l’éditorial trouve une parfaite illustration dans les poèmes concis et ciselés d’Éric Barbier (voir le salon de lecture du présent numéro), relatant cette histoire dont il confie qu’elle revit sans fin dans le paysage natal arpenté de ses pas et mots. Ainsi, tout en délicatesse :

 

Pétrification pluvieuse

mai

en toutes réponses

dispute

d’une langue

sans visage

employée seulement

pour dire l’indifférence

des pétales tombés

sur les lèvres discrètes

 

Raymond Farina nous offre deux poèmes sur deux figures majeures de notre histoire, le physicien des particules Ettore Majorana, mystérieusement disparu en 1938, et Wolfgang Amadeus Mozart, le fameux compositeur. Dans le cas du savant, l’accent est mis sur son esprit d’indépendance (« Pas d’allégeance aux princes »), son génie créateur (« Une lucidité stellaire ») et son caractère renfermé (« Il avait en lui sa maison »), et bien sûr sa disparition, suicide ou retraite en un lieu caché (« Sur quelle étoile, / quelle constellation / a-t-il choisi de prendre l’air ? »). Quant au musicien, il nous parle des trois deuils le touchant dans l’année 1787, celle de de son étourneau, enterré avec cérémonie dans son jardin, celle de son ami Hatzfeld qui a le même âge que lui, celle de son père mourant à qui il écrit une lettre, présentant étrangement la mort comme le meilleur ami de l’homme : « Dure est la mort, Amadeus, / douce est la mort, Amadeus. / Elle menace et elle effraie, / elle console et rend sereins / ceux qui dans les yeux la regardent / de leur innocence d’enfant ». Béatrice Pailler nous parle du matin et de l’éveil à la lumière : « Matin donné et ses ombres nouvelles, la nuit nous quitte. Le silence dépose ses sourires, effaçant des lèvres le sommeil, racontant l’odeur de son haleine, le paisible des paupières. Le rêve endosse le réel, pour disparaître en lui. Il n’est plus qu’un frisson en lisière du matin, en marge du dormeur ». Les poèmes d’Emmanuel Merle sont rythmés par les accents grinçants de guitare et autres instruments de musique des rues, jazz, blues, reggae :

 

C’est comme un funk d’avant le déluge

Sous le soleil lourd de l’après-midi

Une femme danse puis les ombres changent

Qui danse alors ? une mue de serpent

Sèche se craquèle

 

Avec tes paroles mouillées de sel

Ton groove de guimbarde

Le velours des sièges pleure

Et le serpent coco tueur rampe

Au bord du précipice

 

Le numéro se termine, comme toujours, par les « bonnes feuilles », consacrées aux recensions de recueils récents, s’étendant sur pas moins de 70 pages dues à une vingtaine de chroniqueurs : Gabriel Zimmermann, Pierre Dhainaut, Jean Ayache, Jean-Louis Bernard, Michel Diaz, Sabine Dewulf, Alain Mascarou, Éric Barbier, Éric Chassefière, Mathias Lair, Bruno Sourdin, François Migeot, Édith Masson, Pierre Tanguy, Jean-Marc Sourdillon, Frédéric Chef, Jean-Christophe Ribeyre et Gilles Lades.

 

*

 

Contre-Allées, n°47, printemps 2023

 

La revue de Amandine Marembert et Romain Fustier, qui entre dans sa 25ème année, a un rythme de publication récent de deux numéros par an. Elle a été refondue en 2020 et est actuellement publiée avec le soutien de la Région Auvergne-Rhône-Alpes. L’éditorial de Romain Fustier est consacré, comme dans chaque numéro, à essayer de définir ce qu’est la poésie, ici dans ce numéro 47 ce que sont les poèmes, un ensemble de « capteurs sensibles » emmagasinant « l’énergie rythmique de nos perceptions ». Les poèmes auraient ainsi leur vie propre, nous révélant en quelque sorte à nous-mêmes en nous dévoilant des éléments de notre vécu que nous n’avons pas toujours eu la capacité d’identifier. Poèmes donc à la fois capteurs et révélateurs, en interaction dynamique avec notre vécu profond. Poèmes qui, selon Fustier, seraient « une tension permanente entre la science et l’instinct, entre le savoir et le désir ». L’idée également que les poèmes « nous relient à l’ensemble des éléments qu’ils désignent, à l’ensemble de toutes choses, à l’unité qu’elles forment », et que ce faisant ils ordonnent le chaos qui nous entoure, ayant le pouvoir de nous remettre en harmonie avec nous-mêmes.

Le poète invité de ce numéro est Bernard Chambaz, dont une suite de poèmes, et un entretien avec Romain Fustier, comme dans chaque numéro pour le poète invité, sont présentés. Les réponses de Chambaz dans l’entretien éclairent les poèmes présentés, la suite de vers, au sein d’un poème, ou de poèmes au sein d’un ensemble, se constituant chez lui mot après mot, chaque mot choisi après le précédent en sorte de les faire tenir ensemble, formant une chaine que l’auteur compare à une corde de funambule. La force motrice de l’ensemble est, nous dit le poète, l’envie, celle de vivre et d’aimer comprend-on à l’évocation de l’exergue de Joseph Delteil : « Aux morts pour qu’ils vivent – Aux vivants pour qu’ils aiment ». Extrayons quelques vers :

 

l’eau recouvrira bientôt

le ruban d’asphalte qui a remplacé les petits pavés ronds

enfoncés sur leur lit de sable

à coups de marteau

par les ouvriers de la voierie

mais qu’est-ce qui déborde – à part ma gratitude ?

réponse : c’est toujours le temps

il n’y a plus qu’à nager à contre-courant sans plus se tracasser

avec cette vieille fredaine pourtant tellement intempestive

du commencement

et de la fin

 

Une poésie par glissements successifs, pas à pas, de l’objet à l’être et de l’être à l’objet, susceptibles, confie l’auteur, de nous révéler des trésors insoupçonnés.

À l’affiche de ce numéro, également des textes de Jean-Paul Bota, Michel Dvorak, Julie Gaucher, Serge Ritman et Marie Huot, ainsi que des entretiens. Au hasard de la lecture, ce poème de Jean-Paul Bota, errance du regard parmi formes et couleurs dans un tourbillon kaléidoscopique qui me rappelle, je ne sais pourquoi, une lecture de La route des Flandres de Claude Simon:

 

Où une blonde lumière arrose Ô Coppée au père Lach’ pavé vers le crématorium et le pépiement des perruches aux ramures bourgeonnantes des marronniers ou prémisses des feuillages un camaïeu de vert les magnolias et de nouveau le mur ombre des cases la fraîche au ciel de lambris que délimitent des arcs la moindre voix résonne et le chuintement des pneus au pavé les lettres d’or des noms aux devantures noires des cases ces autres blanches et couleurs un symbole parfois… silence et le pépiement des oiseaux ou est-ce il est resté logé dans nos têtes une ambulance au loin.

 

Et encore, pour terminer cette chronique, un extrait de la belle suite de Julie Gaucher sur une fin de vie, une vie à mettre en carton parce que le temps est venu de quitter les lieux, ceux comprend-on du souvenir et de l’enfance :

 

Il faudra remplir les cartons

Vider le grenier

Trier, vendre, donner

Il faudra remplir les cartons

De ta vie, Mamie

De ta vie de femme, de ta vie d’épouse, de ta vie de maman

Il faudra jauger tes souvenirs

Pour savoir ce qu’on garde

Ce qu’on ne garde pas

 

avec néanmoins cette touche d’espoir :

 

J’ai compris qu’il faudrait peut-être

Que je prenne quelques plants

Quelques bulbes

Quelques racines

De ce jardin qui ne serait bientôt plus le tien

Pour le faire vivre ailleurs

Avec ses pétales et ses souvenirs

De rires d’enfants, de chants et de confidences

 

*

 

Traversées, n°105, octobre 2023

 

La revue conduite par Patrice Breno, avec ses 30 ans d’existence, continue sa route, offrant à lire à chaque livraison une trentaine de poètes. Elle n’offre que des poèmes, les chroniques et annonces diverses se trouvant sur son site web, entretenu avec soin et diligence par Caroline Callant. Par ailleurs, Traversées a une activité d’édition soutenue, publiant depuis quelques années des recueils de poésie, pas moins de quatre ou cinq par an les dernières années. Signalons les six recueils à paraître prochainement ; qui vont porter à une trentaine le nombre de recueils publiés : Blandy Mathieu, Poèmes ; Nathalie Roumanès, Tremor cordis ; Michèle Garant, Traversière ; Francis Chenot, Un coquelicot sous les décombres ; Alexandre Anasova, Poèmes ; Muriel Carminati, Sur les traces de Sintra. On trouve dans la revue papier, aux dernières pages, l’annonce du Marché de la poésie à Virton qui se tiendra le samedi 9 mars, avec une vingtaine d’auteurs invités qui donneront des lectures dans des lieux emblématiques de Virton. On peut obtenir des renseignements à l’adresse traversées@hotmail.fr ou par téléphone au +32 497 44 25 60. Aussi placé en fin de volume, l’éditorial de Monique Charles-Pichon, membre du comité de lecture de la revue, qui donne sa vision de la transmission de la connaissance et des valeurs aux jeunes générations. Elle développe notamment les bénéfices de la lecture :

 

Lire, écrivait Proust, c’est devenir le propre lecteur de soi-même. Nous sommes les livres que nous sommes parvenus à habiter et qui parfois nous habitent. Fascination, amusement, délice, vertige, rejets parfois longtemps tenaces, toute la palette est possible dans ces rencontres du troisième titre. En entrant dans les interactions imaginaires proposées par les livres, le lecteur développe ses capacités à dialoguer avec lui et avec les autres, élargit ses capacités d’empathie et d’identification, essaye des vies possibles, se livre à de libres variations. Cette culture de la vie émotionnelle est laissée en jachère par l’éducation familiale et scolaire et pourtant elle est fondamentale pour donner à l’existence toute son épaisseur et aussi pour échapper à la violence s’imposant souvent quand il y a une incapacité à traduire émotions et sentiments. La littérature développe le langage de la vie intérieure, un langage délié et incarné, précis et vibrant, discret et pudique des intériorités, à l’abri dans l’espace transitionnel du livre. Il ouvre en effet sur la vie réelle sans que le lecteur soit pour autant exposé et assigné à ses rêves et à ses cauchemars.

 

Citons, au hasard de la lecture, Anne Barbusse observant deux cavaliers sur la plage « juste avant la haute mer », « esquisses sombres dans le soir / silhouettes élégantes et élancées / longitude éparpillée », comme lui dessinant tout un monde à portée d’humanité :

 

les chevaux galopent pour de vrai

ils comblent ton regard désassemblé

avec les oiseaux et les pêcheurs

 

alors tu t’emplis des autres

pour t’oublier, toi l’incomplète, la souffrante

pour dissoudre ton angoisse dans sable et sel

et que la non-mère soit l’exception

parmi toutes les morts arrachées aux goémons parjures

 

Francis Gonnet dit en brèves strophes le tremblement de la beauté : « Nulle vraie beauté ne meurt / Entre l’arbre et la cendre / demeure / l’essence éternelle / du bois », ou encore : « La terre / boit l’ombre des pluies / La beauté / blanchit l’obscur / d’un chant plus profond que la nuit ». Nadine Travacca cartographie le bleu : « L’outremer bouillonnant monochrome au crépitement de tempête j’y plonge les yeux grands ouverts comme on prend une vague bleue de l’instant bleu des métamorphoses déballant tentatrices ses îles autour de moi je plante racine dans le fracas du monde ». Muriel Carminati exprime le bonheur d’être au monde, à l’aujourd’hui :

 

Palmier clapotant de cent trente-cinq éclats

sous la brise d’avril

 

eucalyptus frissonnant de plaisir

au milieu de l’azur

 

pas besoin de croire aux cieux

le ciel d’hui suffit

 

monde sans espoir

c’est-à-dire sans promesse

 

perfection déjà-là

pour qui sait la reconnaître

 

dans le vent de printemps

la caresse infirmière

consolant l’âme blessée.

 

Citons encore Jean-Marc Sourdillon, avec cette voix qu’il lui faut éveiller du plus sombre, et en même temps du plus incandescent, de soi-même : « Tu dis qu’il faudrait faire revenir le silence autour de soi, s’envelopper de silence et parler, parler à partir de là, du plus bas, du plus grave, du plus enfoui, de ce qui brûle et ne fait pas de bruit, de la feuille sèche, du papier journal, de la braise ». Laissons-nous éblouir, avec Alix Lerman Enriquez, par la lumière du soleil se mêlant au murmure de la mer : « Abeilles ou broches d’ambre / dans le firmament ébloui, / bleui de mer percé d’ocelles / au parfum d’enfance, / taches d’or trouées d’infini, / d’inaccessibles errances ».

 

*

 

Florilège, n°193, décembre 2023

 

La revue trimestrielle Florilège, créée en 1974 par l’Association Les Poètes de l’Amitié – Poètes sans Frontières présidée par le poète et écrivain dijonnais Stephen Blanchard, nous offre un nouveau numéro, comme toujours riche en chroniques et notes de lecture. L’éditorial de Stéphanie Pruvot-Tréguier s’intitule Pourquoi j’écris ?, une question que tout poète s’est forcément posée, sans toujours parvenir à y répondre pleinement, une question qui peut-être, elle-même, serait poème. Un bel éditorial dont voici un extrait :

 

Écrire c’est entrer dans mon cœur, faire lire c’est vous y inviter. J’écris pour avoir, j’écris pour être. J’écris pour la paix. Pour ne pas me perdre. J’écris l’ombre pour renvoyer la lumière. J’écris sur mes failles, sur ce qui fait mal, sur ce qui s’est écroulé. Pour être apaisée, pour que le reste du temps je sois plus forte et équilibrée. J’écris pour répondre à cet appel qui vient du plus profond de mes entrailles. Plus j’écris, mieux je respire. Écrire me force à ralentir. À prendre le temps. Quand j’écris je suis libre. Je suis vivante.

 

La rubrique Les créations, dont il est mentionné qu’elle existe depuis 1974, présente les poèmes, un poème par auteur. Des poèmes dans l’ensemble de forme classique, ce qui n’empêche pas le sentiment poétique de s’y exprimer, parfois avec force. Nicole Piquet-Legall, à laquelle Yolaine Blanchard consacre une chronique dans la deuxième partie du numéro, chante le passage des saisons de l’âme : « Des mots pour ensoleiller les jours / Du bleu pour consoler les âmes / De la pluie pour laver les peines / de la lumière pour caresser les yeux ». Antoine Leprette oppose la puissance des chênes, maîtres de la forêt : « Ils ont grandi ensemble et se sont embrassés, / Ils se sont enlacés, l’un et l’autre amoureux, / Ils sont devenus un pour ensuite s’élancer / Vers le ciel plombé, droits et majestueux » au déséquilibre introduit par le réchauffement qui les assèche et les affaiblit. Gérard Mottet, immergé dans le bruissement de la nature, écarte le rideau d’un tremble frémissant au vent pour entrer, peut-être, en lui-même : « Feuilles d’un tremble qui scintillent / balbutiement du vent / qui passe / offrant l’odeur d’un seringat // et puis un passage peut-être / par où / s’introduire en silence / de l’autre côté du présent ». Marie Storm, elle, écoute l’enfance faite chant d’un feuillage : « Dans la clarté agenouillée des fissures d’un nuage me remonte un chant du fond de l’enfance. La berceuse à en perdre le chagrin d’un arbre qui attendait le regard ». Marie-Christine Guidon conte le chant de l’hiver au caché de l’arbre : « Les saules chevelus / Frissonnent sous le vent / Chapardant des lampées de lumière / Au soleil de décembre ». Comme en écho à son éditorial, ce poème de Stéphanie Pruvot-Tréguier :

 

J’ai besoin de hurler

sans faire de bruit

j’ai besoin de la solitude

qui habite celui qui écrit

et de celle qui guérit

capturer mes inquiétudes

dans un éclat de vers.

 

J’ai besoin du silence imparfait

de la forêt

pour panser mes plaies,

de cette joie triste

qui habite celui qui résiste

et qui éclabousse

mes poèmes.

 

J’ai besoin d’ombre

pour créer la lumière

et ciseler l’or de mes peines

à la couleur de l’éphémère

capturer l’émotion

être la gardienne

ainsi mes mots sont.

 

Michel Santune dit l’usure de la vie et l’attente de quelque chose qui ne vient pas, fin ou recommencement : « nos corps usés / n’en peuvent plus / d’avoir tant couru de chemins / et même nos esprits / vacillent comme flammes / au vent montant de la nuit // nos mains sculptent déjà l’oubli / de ce qu’on a vécu ». Richard Taillefer, « poète à l’honneur » de ce numéro, cheminot, syndicaliste, cofondateur de la revue Poésimage (1981-2001), évoque la grande ville, celle de la vie peut-être, dans laquelle il s’est lancé, « Tous / Phares allumés / Comme des balles / À vous crever les yeux / Avec / Ce bruit / Plein de menaces // Nuit féroce / À / Perte de vue / À / Perte de sens // Et toujours / ce cri sauvage des hommes / En détresse le long des artères oubliées ».

Suivent une trentaine de pages de chroniques et notes de lecture sur des revues de poésie ou des recueils de poèmes récemment publiés. Mentionnons l’encart annonçant le décès de Jean-Pierre Védrines, poète et romancier d’Occitanie, attaché à mettre la poésie au service du social, qui avait présidé la MJC de Lunel et animé des ateliers d’écriture en milieu scolaire. Un extrait de son recueil « Le dernier mot cependant » est reproduit, disant la nécessité du chemin et de la quête de l’autre : « Pauvre et solitaire, j’invente le voyage où ta main me plonge. Je te devine insatiable, grain de sable. Ta seule beauté m’empêche de découvrir le mystère du sentier, car où trouver le signe, le cercle d’ombre, la conque du poète si le vent ne se lève pas ? ». Trois pages de la revue sont consacrées à un hommage à Juliette Darle par Marie Reynaud-Vermunt, présidente de l’Académie Renée Vivien. Encouragée par Louis Aragon, Paul Éluard et Blaise Cendrars, Juliette Darle entre au début des années 1950 par la grande porte sur la scène littéraire. Mariée à André Darle, également écrivain, elle forme avec lui un couple fusionnel durant plus de soixante ans. Elle fréquente les plasticiens, n’ayant de cesse de rapprocher la poésie et les arts. Elle invente dans les années 70 le concept de poésie murale. Elle crée avec son mari le prix Tristan Tzara, et réalise de nombreux récital de poésie dans toute la France en compagnie d’artistes de renom. Terminons cette chronique par ce magnifique poème dédié à son époux André Darle :

 

Blocs de silence visible

Sous les étoiles des eaux

 

L’effraie blanche t’a frôlé

L’effraie blanche au confluent

De grands vertiges d’oubli

T’émeut comme une mémoire

Qui résiste à la poussière

 

La transparence des heures

Nous ruisselle entre les mains

 

Là-haut le souffle du temps

Sur les tours use la pierre

 

Haute ossature du songe

Crozant colonne d’échos.

 

 

©Éric Chassefière

 

 

10 revues de poésie.

Note de lecture d’Éric Chassefière

Francopolis, novembre-décembre 2023

 

 

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