LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Automne 2024 Patricio Sánchez-Rojas L’exil est une
histoire aux nombreuses pages (Éditions de
l’Aigrette, 2024, 127 pages, 15 €) Dans la lecture d’Éric
Chassefière |
Le
poète nous convie dans ce recueil à un voyage dans le grand livre de l’exil,
livre magique sur lequel, tel l’enfant muni de quelques crayons de couleur et
de son imagination vierge de tout préjugé, il dépose ses images légères
disant le monde dans lequel il voudrait habiter (des extraits du recueil sont
présentés dans la rubrique Coup de cœur
de ce numéro). Comme si, ayant perdu son pays, il avait toute liberté de le
reconstruire dans le champ du rêve et de l’imaginaire : « Il s’agit
de reconstruire / l’endroit où nous vivons / près d’un nuage ».
« Quand on voyage on devrait fermer les yeux », cette phrase titre
du premier ensemble de poèmes, dit bien l’importance de rêver pour
transformer l’exil en appartenance. Le
recueil est subtil égrènement d’images simples disant l’émerveillement d’être
au monde, hors des limites habituelles du temps et de l’espace, dans la seule
caresse du plaisir d’énoncer de nouveaux rapports entre êtres et choses,
ainsi : « La lumière ouvre les yeux / quand le papillon
passe », comme si l’on ne voyait le papillon que parce que la lumière a
volonté de le voir, comme si la lumière était en nous peut-être, ou
encore : « Le jour viendra / où ton visage / aura la forme d’une
vague », et là le poète nous propose une réponse dans la strophe qui
suit : « Comme un pays silencieux / qui dessinera ton ombre / dans
un cahier / empli seulement de papillons ». Réponse ou question, on ne
sait. Ce pays silencieux du visage fait vague, on comprend qu’il dessine
autre chose, une ombre est-il suggéré, dans un cahier, peut-être de dessins
d’enfants, peut-être ce livre de l’exil à réécrire encore par l’opération de
l’amour, on ne sait. Dans la poésie de Patricio Sánchez-Rojas,
les clés sont à inventer, rien n’est asséné, tout
est suggéré plutôt que dit, une bifurcation se présente souvent au détour
d’un mot, laissant au lecteur une porte de sortie vers autre chose, un autre
poème, un silence, une pensée, quelque songe nous entrainant
dans un ailleurs possible : La lune danse sous ta peau de lave quand je creuse la terre de tes entrailles en feu avec mon souffle d’arbre : miroir de forge, racine infinie. Il
y a dans cette poésie un miroitement d’images et de sensations, comme d’un
ciel étoilé, qui nous appelle vers les grands espaces, et la profondeur du
temps. « Plusieurs siècles auront suffi / à écrire ce poème, // Rien n’a
été dit / à l’ombre du cèdre ». Ce n’est plus le poète qui écrit, mais
le silence, celui qui règne dans l’ombre du cèdre séculaire. Le silence peut
tout inventer, tout écrire. Patricio Sánchez-Rojas
sait faire parler le silence, en faire jaillir le poème, comme l’eau d’une
source de la pierre mutique. Le
recueil est composé d’une dizaine de séquences aux titres évocateurs :
« Quand on voyage on devrait fermer les yeux – Le feu de ta bouche – Une
poignée de nuages – En peu de mots – La salamandre – Pain chaud – Pierre de
nuages – Guitare d’obsidienne – Océan Pacifique ou lettre-océan – Tandis qu’à
l’horizon – Vagues », dont l’enchainement
lui-même pourrait composer un poème, poème de fragments, reconstruction du
grand poème du pays perdu et retrouvé. Le voyage, le déracinement, avec leurs
lots de souffrance et d’espérance, les violences faites aux migrants, les
méfaits des dictateurs, le courage des résistants, de nombreux thèmes sont
présents dans ces poèmes, qu’on ne saurait détailler ici. Évoquons ces
souvenirs, si chers à l’exilé, dont le poète nous dit qu’en voyage on les
emporte dans un papier journal, « Puis », ajoute-t-il :
« la ville brûle / comme un gant de jeune femme / que le petit matin /
récupère près d’un arbre invisible », pour dire, peut-être la rencontre
avec l’inconnue, l’amour qui nous revient par l’arbre du rêve, ou bien autre
chose, peu importe, c’est à chacun de réinventer l’histoire à partir de ses
propres repères. Il faut se laisser interroger par les mots du poète, comme
parfois nous interroge un dessin d’enfant aux formes et aux proportions
imprévues. La perte aussi des amis de l’enfance et de l’adolescence
chiliennes lors de l’installation en France : En perdant mon pays j’ai perdu aussi beaucoup d’amis D’autres sont venus après. D’autres… portaient sur leur visage la trace des miroirs et des boussoles Le
pays reconstruit est ainsi à la croisée de nombreux chemins, fruits de
l’errance et du métissage des cultures. « Retourner,
repartir ? » interroge le poète, pour aussitôt affirmer :
« Le seul chemin est en toi ». Alors, en effet, « reconstruire
/ l’endroit où nous vivons / près d’un nuage // Il faudra commencer par
ranger / les pierres qui somnolent / face à la mer. // Notre imagination fera
le reste, / ainsi que les saisons ». La mer (l’océan Pacifique, si cher au poète,
avec sa flore et sa faune si particulières), les pierres, les saisons, voilà
bien les maîtres-éléments de la cosmogonie de Patricio Sánchez-Rojas,
les briques à partir desquels il reconstruit sa maison au milieu des nuages. Pour
terminer, et en écho à la phrase de l’auteur placée en exergue du
recueil : « Mon pays natal sera toujours une femme », ce poème
qui exprime, peut-être, la quintessence du recueil, qui serait ainsi un long
poème d’amour exprimant l’aspiration à vivre dans la présence de l’autre,
l’aimé, le semblable, le frère humain : Ma seule récompense : Être
vivant auprès de
toi ©Éric Chassefière |
Note de lecture de
Éric Chassefière
Francopolis, automne 2024
Créé le 1 mars 2002