LECTURE - CHRONIQUE
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LECTURES – CHRONIQUES
– ESSAIS Automne 2025 La
revue Parade sauvage n°
35 Par
Michel Herland |
Parade sauvageDes artistes comme il n’en faut
plus ! Rimbaud Le dernier numéro de la revue Parade
sauvage, quoique plus mince que les précédents (le n° 34 comptait 476
pages) contient un très long article consacré à la seule première séquence d’Une
saison en enfer par Alain Bardel (1). On sait l’incertitude à propos de la
signification qu’il convient d’accorder à Une saison en général :
vraie ou fausse contrition de la part du poète ? A. Bardel voit dans
« Mauvais sang », « une sorte de fable sur les impostures du
christianisme et de la religion bourgeoise du progrès » portée par deux
voix qui se contredisent sans cesse, l’une, le plus souvent emphatique qui
ridiculise les idées que le narrateur entend disqualifier, et celle où il
porte rétrospectivement un jugement moqueur sur ses errements passés.
Différencier ces deux voix n’est pas aisé, le ton restant ironique de bout en
bout et il ne faut pas moins de 66 pages à l’auteur de l’article pour tenter
de les démêler. La sixième section de « Mauvais sang » fait
entendre, par exemple, la première voix : le narrateur qui s’est
proclamé « nègre » dans la section précédente, maintenant baptisé
par les colons blancs a « reçu au cœur le coup de grâce » et
conclut sur les mots : « Dieu fait ma force, je loue Dieu ».
Hélas – si l’on peut dire – la section suivante se termine bien
différemment : « Mon innocence me ferait pleurer. La vie est la
farce à mener par tous ». S’il est impossible de rendre compte
de toutes les analyses contenues dans cet article, on peut évoquer rapidement
le passage de la cinquième section où le narrateur proclame : « l’orgie
et la camaraderie des femmes m’étaient interdites ». A. Bardel y voit
une allusion à l’homosexualité de Rimbaud : « plutôt que de
s’avouer victime d’un interdit visant l’amour des hommes, il préfère alléguer
une énigmatique interdiction visant l’amour des femmes » (p. 122). Mais
l’on peut aussi prendre cette déclaration comme l’aveu d’une impuissance
sexuelle. C’est, l’on s’en souvient peut-être, l’hypothèse avancée par
Benjamin Fondane dans Rimbaud le voyou (2). Parmi les autres articles,
Christophe Bataillé pousse l’interprétation des « Chercheuses de
poux » en présentant les deux sœurs comme prises elles aussi dans un
délire érotique, tandis que le dernier vers « Sourdre et mourir sans
cesse un désir de pleurer » évoquerait selon lui « la petite mort
orgastique » (p. 17). Antoine Nicolle revenant pour sa part sur la prose
« H » dans Une saison en enfer, insiste sur toutes les raisons qui
poussent à voir l’initiale du nom Hugo dans ce H. Dans le numéro 33 de Parade
sauvage, Alain Chevrier proposait une séduisante explication du dernier
vers du poème « Les mains de Jeanne-Marie » : « En vous
faisant soigner les doigts ». Il rappelait qu’il existait un instrument
de torture métallique appelé « poucette » qui permettait d’écraser
les pouces en donnant des tours de vis supplémentaires. Le mot lui-même est
employé par Hugo, par exemple, dans le poème « Réponse à un acte
d’accusation » des Contemplations : « À la pensée humaine ils ont mis les poucettes »
(3). Dans le présent numéro, c’est à nouveau en faisant appel à un objet très
concret que Geneviève Hodin a réglé le sort d’un octosyllabe du « Chant
de guerre parisien » : « Non la vieille boîte à
bougies ». Une boîte à bougies (une photo est fournie dans l’article)
contenait des sortes de pailles en métal que les médecins introduisaient dans
l’urètre ou le rectum. Cette interprétation s’accorde parfaitement avec cet
autre vers du poème : « O Mai ! Quels délirants
culs-nus ! » (4). Parade
sauvage,
Classiques Garnier, n° 35, 2024, 256 p., 42 €. (1) Alain Bardel, « Les marchés
grotesque. Politique et religion dans ‘Mauvais sang’ », Parade
sauvage, n° 35, p. 79-145. (2) Michel Herland, « Rimbaud
voyou valeureux ou fils prodigue ? », Francopolis, printemps 2025. (3) Alain Chevrier, « Qu’est-ce
qui fait saigner les doigts de Jean-Marie », Parade sauvage, n°
33, p. 335-340. Michel Herland, « Rimbaud à la loupe : la dernière
livraison de Parade sauvage », Francopolis, novembre-décembre 2023. (4) Geneviève Hodin, « Toute la
lumière sur la ‘boîte à bougies’ du ‘Chant de guerre parisien’ », Parade
sauvage, n° 35, p. 213-215. |
Note de lecture de Michel Herland
Francopolis – Automne 2025
Créé le 1er mars
2002