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LECTURE - CHRONIQUE
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papier ou électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de
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LECTURES – CHRONIQUES
– ESSAIS Hiver 2025 La contrition de Jean-Michel Maulpoix Par
Michel Herland |
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Plumes
d’encre des ombres lentes Filant
sans bruit au ras des flots Sur
les pages blanches de mon cahier de nuit. (« Cormorans ») Jean-Michel Maulpoix, né en 1952, professeur émérite de littérature,
auteur de nombreux essais, président de la Maison des écrivains et de la
littérature entre 2004 et 2007, est également un poète d’une grande
fécondité. En mai 1922 il recevait au café Drouant
le prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre… le lendemain du
jour où il avait cassé le poignet de son épouse et mère de ses enfants, son
ex-étudiante, elle-même professeure de khâgne, au cours d’une de ces scènes
de violence conjugale dont il avait l’habitude depuis le début de leur
relation ! Ce chapitre de la vie de notre poète se terminera deux ans
plus tard devant le tribunal de Strasbourg par sa condamnation à dix-huit
mois de prison avec sursis probatoire (1). Face à une telle
histoire digne d’un roman de mœurs sanglant, le critique est pris de vertige,
surtout quand le coupable avéré se révèle un poète à la plume délicate et
subtile. J’ai sous les yeux le dernier recueil de Jean-Michel Maulpoix, Cahier de nuit, que je viens de
recevoir. Je l’ai lu sans idée préconçue, sur une simple recommandation du
site « Littérature portes ouvertes », totalement ignorant de la vie
intime du poète. Il m’est apparu alors comme le recueil d’un vieillard, qui
dresse un constat empreint d’une nostalgie somme toute normale et tourné par
un maître de la langue : – on n’a pas su la prévoir, la vieillesse Elle nous est tombé dessus tout d’un coup Avec ses maladies et ses trous de mémoire. (« Parkinson ») Ou encore, à la page suivante : On porte son usure comme on peut La peau des bras se plisse Taché le visage gris se creuse Les traits tombent et s’effacent C’est misère de se regarder. (« On ») Même le spectacle de la beauté est
impuissant pour lever cette pesanteur. Le soleil s’est couché dans une
flaque de sang Et je reste immobile Consterné par la beauté absolue du
soir. (« Certains soirs ») S’il y a bien quelques souvenirs
heureux, Les premiers baisers, les bouquets Et les mèches coupées de cheveux
d’enfants Où s’amusait naguère le vent d’été. […] Il n’y a pas de quoi en faire une
histoire Car c’est fini l’éternité La croyance, l’absence de souci Les comédies douces de la vie légère Plus personne ne passe sur la route (« Les cendres du désir ») J’aurais dû m’arrêter
davantage sur le dernier vers de ce poème – La poésie est la colère de la
langue – une définition pour le moins inusitée, ou sur
celui-ci : La sourde et irrépressible colère que suscite ce qui est,
dans « Un semblant d’innocence », titre éminemment significatif. L’est plus encore cet
aveu, L’âme de l’homme est dure et froide (« Canicule »), et
davantage ce quatrain : Mais je suis le dernier des hommes Et je sais qu’aucune grâce ne sera
accordée Il est donc inutile de la solliciter Comme une faveur du ciel. (« La grâce ») Ce qui pouvait passer
pour une outrance coutumière aux poètes qui sont souvent portés à exagérer
leurs sentiments (2) dans la félicité comme dans le chagrin (ne sommes-nous
pas tous coupables de quelque chose ?) prend une toute autre signification à
la lumière du procès : J.-M. Maulpoix ne
pouvait pas continuer à publier de la poésie en faisant comme si ce dernier
n’avait pas eu lieu, faire amende honorable paraissait inévitable tant est
grand le contraste entre l’image que tout le monde se fait du poète – doux
rêveur perdu dans ses élégies et qui n’a jamais fait de mal à personne – et
celle d’un tyran domestique, Verlaine demeurant une exception au panthéon des
poètes. Sincère ou pas l’acte de
contrition de J.-M. Maulpoix ? On espère que
l’âme de cet homme n’est pas aussi « dure et froide » qu’il l’écrit
mais, à vrai dire, ce n’est pas l’affaire d’un critique littéraire qui se
bornera à recommander cet ouvrage pour ses qualités dont les quelques
citations précédentes devraient porter suffisamment témoignage. Jean-Michel Maulpoix,
Cahier de nuit, Paris, Mercure de France, 2024, 96
p. 15 €. (1) Voir en particulier l’article de
Maxime DesGranges, titré ironiquement « Une
histoire de bleu[s] » en référence au recueil le plus connu du poète, Une
histoire de bleu (1992) : https://zone-critique.com/critiques/jean-michel-maulpoix-une-histoire-de-bleus/. (2) « Tous les poètes
mentent ». Nietzsche dans Zarathoustra. |
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Universitaire,
poète, dramaturge, romancier, Michel Herland est connu de nos lecteurs pour
ses contributions à cette même rubrique, Lectures-chroniques, ainsi qu’aux rubriques Une vie, un poète, Francosemailles, et
Gueule des mots. |
Note de lecture de Michel Herland
Francopolis – Hiver 2025
Créé le 1er mars
2002