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Coup de cœur : Archives

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poèmes « Coup de Cœur » des membres du Comité

Printemps 2024

 

 

Nicolas Bouvier, choix Dominique Zinenberg

Parme Ceriset, choix Éliette Vialle

Céline De-Saër, choix François Minod

Patricia Castex-Menier, choix Mireille Diaz-Florian

Marilyne Bertoncini/Ghislaine Lejardchoix Dana Shishmanian

Georges Dranochoix Éric Chassefière

Bernard Perroy, choix Michel Ostertag

Louisa Nadour, choix Gertrude Millaire

 

 

choix Dominique Zinenberg :

Nicolas Bouvier

 

Sidéral

Hommage à Vladimir Holan

L’étoile d’Eddington n’avait donc pas menti

l’espace s’étend et s’écartèle

peau de chagrin à l’envers

notre cœur en battant nous éloigne de tout

Déjà emmaillotés d’oubli

nous dérivons comme les galaxies

et le froid en passant

nous fait grandes promesses

Du coin de l’œil on se voit disparaître

jusqu’à ce que l’œil lui-même ait disparu

 

Faut-il vraiment s’en aller là

où même arrosé d’astres

le figuier ne reverdit plus

si loin

dans un tel creux

comment vous dire ?

quand nous reverrons-nous ?

À quelle comète tombée du ciel fertile

l’avare va-t-il enfin prêter ses chambres vides ?

 

Genève, juillet 1981

Extrait de : Nicolas Bouvier, Le dehors et le dedans, ZOE, 2022 (première parution en 1982), 111 p.

 

 

choix Éliette Vialle :

 Parme Ceriset

 

Elle danse encore

La vie se renouvelle sans cesse

sur les hauts plateaux du temps.

La chair des proies souffre entre les roches,

On entend la mort qui craque

sous les dents

et au loin le murmure des guerres éternisées…

Elle danse encore

dans les rues où fourmillaient jadis

le sens de la fête, la joie scintillante, en pépites, la liberté des êtres…

Elle danse encore

dans les villes tombées aux mains des bourreaux

de la guerre perpétuelle

qui renaît à chaque ère nouvelle

sous de nouveaux drapeaux…

Elle entend au loin les poèmes et chansons,

complaintes des prisons sous la dynamite…

Et elle tremble dans la ville sombre

contre l’amant qui éclaire les décombres,

et s’accroche à l’envie de croire

qu’elle le reverra ce soir.

 

 

Loup-ange

Il approche de ses crocs de louve.

Elle effleure sa peau d'homme

halée d'or et d'épice,

la plaine douce de ses flancs,

ses muscles de loup-ange,

Elle s'abreuve de ténèbres

à ses lèvres-délice.

Elle l'attire dans la nuit

dans la danse brûlante

de leurs corps et le mord,

délicieuse pénombre.

Elle est fauve,

elle boit la brume incandescente

de sa sueur de musc,

infusion des essences,

cet élixir de lui,

son absinthe virile,

et lui instille au cœur

le poison des démences.

Son regard est folie

de jais et de violence,

torrent tumultueux,

volcan de décadence.

 

Extraits de Nuit sauvage et ardente, éditions du Cygne, 2024 (voir la présentation à la rubrique ANNONCES).

 

 

choix François Minod :

 Céline De-Saër

 

Tremblement d’éther (extraits)

 

Lumière jetée sur l’eau

marche nue

 

mots gravinent l’ombre, 

jardin au canal.

 

Taire les racines de l’arbre enfoui, 

écorchées à même le versant

hier.

 

Polir le visible

de mon corps dans la nage, du vent 

 

Une nappe d’huile nourrit la corde

et le banc de poissons sensibles que nous sommes.

 

Polir le visible 

de mon corps dans la nage, du vent.

 

Nous sommes

le reflet mouvant, déformés

l’échelle qui descend et remonte le limon.

 

La pierre sétoise effracte le courant,  

ce qui voile et dépose sur mon être.

 

Le cageot du marin attend que je te parle,  

que se forme  au dehors de moi, et en dedans-de moi 

et au-dehors de moi

Et à quai, le noir du bois

l’ombre noirci par le bleu

 

Aujourd’hui, ardent.

*

9 décembre. Matin

Il flotte sur la vitre du train. 

Il flotte sur le nomade sur le peuple qui n’a pas  

d’habitation fixe.

Je suis la tribu itinérante.

J’erre parmi les grues cendrées

sur une mer du Nord migrante

en pays d’Auge.

La Halle aux poissons est notre Cité,

la baie de Seine, résidente océanique.

 

Dormir contre la flotte vers la pluie,

au lieu d’elle, en échange de, en face de la

mer par la vitre.

 

Elle est bleuie de gris

de la nuit qui se soulève dans l’hiver

 

La presque mer.

*

Tu as décollé l’ombre par la fenêtre,  

et toutes les ombres ouverts en grand

dans ta bouche poisson.

 

Le puits de lumière en moi.

Le pli de la lumière entre nous.

 

Et la mer,

repliée dans sa descente.

*

Zlota jesień.

Sur la crète d’une montagne,

au sud -ouest de la Terre

 

Samain a tracé ton passage d’ombre dans mon corps

et le changement d’heure en Espagne.

 

J’apprends en bleu.

 

***

Céline De-Saër, Tremblement d’éther, éditions Unicité, 1er trimestre 2024 (72 p., 13 €). 

Dans sa postface, Jacques Darras écrit :

Céline a la passion poétique en elle. Elle a raison. La poésie est toujours un risque calculé. La passion l’emporte sur le calcul à la fin.

C’est le matin dans son premier livre. Matin de mer, de ciel, de vent. On est au nord. Il y a même la table des marées disposée en poème.

Il y a chez Céline à la fois le sens de la « tribu », des autres, de la chaîne qui nous unit aux ancêtres, comme du « moi » et du « toi » qui noue notre relation lyrique au monde.

Les phrases sont courtes, à l’infinitif quelquefois, il s’agit de « crier dans le ciel crevé de colère. » À chaque page, à chaque aube suffit sa peine, son interjection.

Céline a raison de s’être engagée dans un long voyage. 

 

À son tour l’éditeur François Mocaër écrit, dans sa note à la fin du recueil :

« Avec ce recueil, Céline De-Saër ouvre grande les portes d’une perception où les mots se fondent dans notre intériorité, opérant ainsi un seul mouvement qui va vers les mondes… des mots qui ne font sens que lorsque tout se lâche ou se percute ou se retourne. Lire Céline, c’est passer le cap du sens comme l’on passerait à travers la mémoire du vent. Ce serait rejoindre un ineffable qui adoucit nos corps pour mieux les libérer de leur gangue fragile.  L’écriture ici va jusqu’u bout d’elle-même, et rend tout possible. Tout s’inverse pour mieux reprendre place ou refaire surface.

Elle nous oblige, sans imposer, opérer des manœuvres, à naviguer dans cette « nuit qui se soulève dans l’hiver ». L’eau des origines est primordiale et tient lieu de vie. C’est elle qui induit l’écriture intime, la dispersion salutaire de son unité vers le multiple libérateur. Un écriture qui va jusqu’à l’os, qui rend grâce jusque « dans la voûte du vent, dans sa croûte de sable. »

 

choix Mireille Diaz-Florian :

Patricia Castex-Menier

 

D’avoir écouté Patricia Castex-Menier lors d’une rencontre du cercle Aliénor, m’a donné envie de partager avec vous les premières pages de son recueil Havres, paru aux éditions Les Lieux-dits au premier trimestre 2023. J’ai aimé avancer page à page, séduite par une manière de regarder le monde, de le faire bouger, de poser subtilement les mots sur le blanc du papier. Je vous invite à la lire ici et ailleurs aussi.

Elle a édité de nombreux recueils dont les titres suggèrent un chemin particulier : Infiniment demeure chez Cheyne éditeur (1992), Soleil sonore, Ed. Vincent Rougier (2017), Passage avec les voix Ed. du Cygne ( 2013),L’instinct du tournesol, Ed. Les Lieux-dits (2020).

Mireille Diaz-Florian

 

On dirait que le monde rétrécit. Il se crispe.

Le temps passe, on dirait qu’il n’a jamais autant passé.

Havres pourtant, dans l’anse du jour.

Cela ne fonctionne pas toujours, les tempêtes,

même les plus timides, parviennent parfois jusqu’au port.

 

---

Splendeurs

infimes,

 

éclats

d’ordinaires présences,

 

quelques

étincelles,

 

on

a frotté l’allumette du regard

 

sur

le mur rêche du quotidien.

 

---

va se nicher la merveille ?

 

Pris

dans le voilage

qu’on agite au matin,

 

le

papillon de nuit

et son visage humain,

 

qu’il

porte, ô ! surprise, sur son dos.

 

---

 

Dommage

que le vent

soit tombé.

 

Lui

le bienvenu,

 

quand

la pensée

s’accordait

 

avec la houle des arbres.

 

---

 

Personne

ne connaît jamais

 

le

monde entier.

 

Il

reste toujours

 

cet

angle du jardin,

 

son

paysage d’herbes folles,

 

sa

colonne de fourmis.

 

---

L’odorant

et le palpable,

 

l’inouï

l’entraperçu,

 

le

savoureux

 

le

bonheur n’existe qu’en détail.

---

On

a reposé le galet.

 

C’est

un regret.

 

Il

avait une forme

de cœur imparfait,

 

mais

après tout,

comme tous les cœurs.

 

 ---

 

rester à notre place

autour de nous ne déranger

ni l’espace, ni la lumière,

sans leur demander plus

qu’ils ne peuvent nous donner.

 

                 *

Laisser faire

laisser aller le tout, le rien.

Se contenter un moment

de se glisser

entre les deux.

 

 

choix Dana Shishmanian :

 Marilyne Bertoncini / Ghislaine Lejard

 

À fleur de bitume (extraits)

 

Tu foules le trottoir

Et tu n’y prends pas garde mais

des chemins fuyants se dessinent allant on ne sait où

 

Planes et superposées des montagnes

se dressent sous ta semelle

de moins en moins visibles  dans la brume aqueuse de l’horizon rêvé

comme dans ces paysages qu’on nomme Shanshui

 

*

 

Sous le lichen couleur de Nil

nihil – plus rien sinon le souvenir de visages

en anamorphose

qui se superposent au paysage

pleureur d’étoiles pâles

 

L’ombre toujours dessine

les yeux fermés d’un rêve

une chevelure solaire explosant dans la mémoire

 

*

 

Des formes primitives baignent dans l’océan bleuté

des aubes de l’univers

et tu flottes avec elles dans la soupe primordiale

 

Le réel s’écartèle

 

Marilyne Bertoncini

 

***

 

Des ombres fantomatiques se dressent

énigmatiques traces oubliées

en noir et blanc

se dessine un paysage voilé

une lumière mystérieuse

dévoilée

irradie déborde

simplement déposée

en un éclair obscur

allégorie d’une révélation

que notre présence accueille.

 

*

 

Dans quelle ville imaginaire

m’entraîne cette calligraphie urbaine

 

Une constellation inscrite dans le minéral

attire l’œil

avec Ulysse déambuler

le spectacle des rues l’absorbe

son odyssée énigmatique

se perd dans ce labyrinthe.

 

(en pensant à Ulysse de Joyce)

 

*

 

Jour de flânerie

grappiller des instants

palpiter au rythme de la ville

quand le bruit s’évanouit

une étincelle de lumière

à la surface du temps

vient nous rejoindre.

 

Ghislaine Lejard

 

Marilyne Bertoncini et Ghislaine Lejard, À fleur de bitume. Itinéraires urbains. Poèmes (avec des photographies de Marilyne Bertoncini). Lieux-dits éditions, 1er trimestre 2024 (20 €).

 

J’ai choisi ces quelques extraits des deux plumes jumelles qui composent ce recueil fascinant – et non en dernier lieu par les photographies artistiques (on dirait des tableaux abstraits) de Marilyne : nous aurons peut-être une autre occasion pour en partager quelques-unes avec nos lecteurs. Pour en donner envie voilà des extraits de la préface, et en guise de motto, d’un texte du grand Léonard dont semble se revendiquer cette démarche artistique :

 

« Sous l’œil intrigué d’un oiseau qui se tait, deux voix errantes, à travers les rues d’une ville sans nom, accordent ici leur rêverie et leur chant. Deux voix de sœurs très proches, en quête de lumière. (…)

Les véritables artistes sont des voyants qui, scrutant d’étranges palimpsestes réticents à livrer leurs secrets, ne se laissent pas distraire par les apparences. » (de la préface de Jacques Robinet)

 

« Regarde sur un mur barbouillé de tâches ou de pierres mélangées, tu y verras des paysages, des montagnes, des fleuves, des batailles, des groupes ; tu y découvriras d’étranges airs de paysages que tu pourras ramener à une bonne forme. » (Les manuscrits de Léonard de Vinci – 22 V)

 

choix Éric Chassefière :

Georges Drano

 

Poèmes extraits de Entrer dans le paysage,

Éditions Folle Avoine, 2018

 

 

Pour trouver le chemin qu’on ne voit pas

nous entrons dans ce qui s’ouvre

rien que pour nous

et qui existe seulement

lorsque nous avançons.

 

Ce qui vient à notre rencontre

Ce sont nos souffles et nos appels

Rendus à la clarté du jour

Ô chemin égaré remis sous nos pas

Premier mot levé dans la poussière.

 

*

 

À tout prendre

le port de la terre est là

dans ce que nous sommes

d’apparence et de vérité.

 

À tout prendre

le chant de la terre est là

dans ce que nous sommes

de paroles et de rêveries.

 

À tout prendre

le souffle de la terre est là

dans ce que nous sommes

d’élans et de fuites éperdues.

 

*

 

Le chemin ouvert tous les jours

pour nous rapprocher les uns des autres.

Nous allons vers lui

pour ne rien laisser sur les bords.

Dans les frottements de la terre

il garde nos pas.

Dans sa langue de poussière

il entretient notre silence.

En lui d’autres lieux s’avancent

d’autres voix appellent sans fin

pour peupler notre errance.

 

*

 

Aller et venir avec la conviction

d’un commencement

dans les reprises de la marche.

Peu de chose nous aide

À marquer le temps.

 

On s’approche

des arbres qui protègent.

Des feuillages

qui contiennent nos ombres.

 

Lentement

un chemin fait surface

une présence aux courbures

passagères du temps.

 

*

 

Le chemin garde un œil ouvert

il nous attend au prochain tournant

nous mène où il veut, nous prend

à la mesure de nos pas.

À cette hauteur chacun peut aller vers soi.

Reprendre son silence sans perdre de vue

le fond du paysage qui nous appelle.

 

*

 

Autant de pas.

Autant de chemins.

Autant de mots

à l’oreille des murs.

 

Autant de silence.

Autant d’oubli.

Autant de paroles

perdues dans l’air.

 

Autant de jours

dispersés, effacés

Autant d’appels

disparus dans la distance

 

Ô chemin rien qu’à la terre !

 

*

 

Chemin

d’un seul élan terrestre

qui s’éloigne

sans rien laisser de lui

sous les pierres.

 

Nous foulons sa légende

engloutie en nous.

Quand le présent se creuse

dans l’éclaircie des voix

 

Chemin qui tourne

hors du temps

contient-il l’oubli ?

 

choix Michel Ostertag :

 Bernard Perroy

 

J'avance à tâtons,

les mots me manquent,

un rien pourrait me faire basculer,

le galbe d'une larme,

un mouvement de joie,

cet horizon qui donne sur l'inconnu,

mais j'entends le chant perpétuel

d'une flamme incompréhensible

me caresser de l'intérieur

et m'ouvrir obstinément

sur les lointains du vaste océan,

sur l'espérance et la main

tendre de nouveaux lendemains ...

 

Inédit février 2024 (FB - Sur la page Collectif Francopolis)

 

***

 

Enfant,

oui j'ai été l'enfant assis

au bord de l'océan,

à l'affût des lumières vibrantes

et des harmonies du soir,

buvant des yeux l'immensité,

me demandant pourquoi

toujours vouloir embrasser

d'un même regard

ciel et terre

entre la paix des rivages

et l'aventure toujours

recommencée des flots...

 

Extrait de Noirmoutier - Livre pauvre, collection Daniel Leuwers, 2018, avec des encres de Caroline François-Rubino

 

 

choix Gertrude Millaire :

Louisa Nadour

 

Tu me dis :

« Sois heureuse !

Nous reviendrons, nous resterons vivants,

une fois que la mort nous aura dévastés

et déversé sur nous une avalanche de feuilles

détachées une à une de l’arbre maternel. »

Et moi, je dis :

« Merci

merci à toi

de m’ouvrir les yeux sur les bénédictions de l’automne

où je chercherai maintenant mon secours !

En chaque feuille tombant à l’horizon des arbres,

je déposerai un vœu

tout de sagesse,

douceur et bénédiction,

lueur au cœur de l’étranger

abandonné aux marges de la misère

et qui savoure de nouveau

le vertige de l’amour et de la lumière… »

 

©Louisa Nadour, poème traduit en français par André Miquel (FB 11-02-2024)

 

 

 

 

Coups de cœur des membres :

 

Nicolas Bouvier, choix Dominique Zinenberg

Parme Ceriset, choix Éliette Vialle

Céline De-Saër, choix François Minod

Patricia Castex-Menier, choix Mireille Diaz-Florian

Marilyne Bertoncini/Ghislaine Lejardchoix Dana Shishmanian

Georges Dranochoix Éric Chassefière

Bernard Perroy, choix Michel Ostertag

Louisa Nadour, choix Gertrude Millaire

 

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Créé le 1 mars 2002