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Coup de cœur : Archives

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poèmes « Coup de Cœur » des membres du Comité

Automne 2025

 

Pierre Dhainaut, choix Dominique Zinenberg

Gilles Compagnon, choix Éliette Vialle

Mickaël Glück, choix François Minod

David Rondin, choix Mireille Diaz-Florian

Noha Khalaf / Jean-Michel Sananeschoix Dana Shishmanian

Bernard Fournier, choix Éric Chassefière

 

 

choix Dominique Zinenberg :

Pierre Dhainaut

 

Téméraires, les enfants, la nuit les reçoit,

nous nous rejoignons de souffle en souffle,

nous n’avons plus à nous nommer

pour être identifiés, aucune entrave

 

aux vents universels, l’écart infime

du sol nu au ciel constellé, le poème

se transmue, il ne croit qu’aux échanges,

 

il est le lieu, le lieu mobile

où sont chez eux les beaux visages,

la main courbant sa paume à l’écoute

 

librement, et nous en venons à comprendre

à quelle profondeur avec le chant

s’élabore un sourire.

 

 

Extrait de Et Pourtant, Arfuyen, janvier 2025 (137 pages, 15 €)

 

choix Éliette Vialle :

Gilles Compagnon

 

Comme un papillon 

dessine, attentif, 

la hauteur du vent 

sur l'étendue penchée 

des hauts blés 

du début d'été, 

 

j'écris 

la rondeur du jour

à l'affût 

de ce qu'elle m'inspire 

et suscite alors en moi

en l'image arrêtée... 

 

Je laisse aller

la pointe carbonée 

s'élançant 

sur le blanc lisse 

du papier.

 

Rien ne sert de s'enfuir loin

quand tout émerveille l'œil

devant soi, gratuitement... 

 

Trois coquelicots 

se déplument 

et l'autan sifflote

à mon oreille,

 

me rapporte incidemment

quelques notes hachées 

du vieux clocher voisin... 

 

Pensif, j'essaie de suivre

le fil flouté de l'horizon.

 

Je tiens, serrée, sertie, 

une tige 

de fleur blanche

de sureau 

bien rivée au diastème

de mes mal alignées 

jaunies incisives... 

 

Le soir décline 

tout en lenteur

les rosâtres

érodées couleurs

tiédies 

de mon tranquille

jeudi... 

 

Gilles C., 10 septembre 2025

 

choix François Minod :

Mickaël Glück

Le repos (fragments)

 

01
pose tout
le corps
et les outils
du corps

pose la faim
au bord de l'assiette
l'eau dans la cruche
la soif entre les lèvres

pose les yeux
sur la nuit

pose la peau
hors de ses plis

laisse les draps
sur le fil

pose

pose la poussière
au milieu des mots

pose tes mains
sur les côtés du livre
pose

sur la chaise le temps
élime
les vêtements du jour


02
pose tout
l'incendie
la soif
le sexe
contre la cuisse

pose les os
sous les muscles

le couteau
au pied du lit

pose le livre
pose
pose-le
sur la table

pose la douleur
derrière
les dents
la rancune
sous le miel

dans l'armoire
est pendu le manteau
la fatigue
dort dans les poches

pose le front
contre le ciel

un mot
s'y retire


03
pose le pied
sur le sol
respire
pose

le poids de la semaine
pose-le sur le sol

de l'empreinte du pas
renais

pose la voix
dans le nid
de la bouche

n'avance pas
vers la meule
ni l'échange

rien ne vaut
pose

pose

 



04
pose tout
le moins
laisse le lendemain
à la lenteur

pose l'attente
le chemin au clou
laisse le pas
à la boue de la veille

laisse la pluie
contre le carreau
ou le givre
ou la neige
ou l'ocre
après le sirocco

pose les vieux chiffons
le fagot des genêts

pose la pensée
le pur et l'impur
les portulans
les astrolabes

pose l'horloge
les bougeoirs



05
pose le crayon
dans les marges
une voyelle
entre les pierres
le grain de la voix
sous la farine

pose la joie
sur le seuil

pose le deuil
la tristesse

n'éprouve rien
si ce n'est
la venue du rien



06
pose l'oreille
contre le bois
ou le sommeil

écoute
frottements d'élytres
consonnes

renonce au métier
de la prière
ne tisse pas les noms

pose tout
et tout pose
ce peu de toi
tout

papiers d'identité
sous un verre d'eau

pose en un lieu
ce qui n'est d'aucun

un cil
perd mesure

clepsydre



07
pose la boue
sur le seuil
le pain
sous le linge

un vélo rouille
dans l'ombre du mur
le pédalier
est soleil arrêté

pose les gestes
pose les gants
les scalpels



08
pose tout
la sueur
la carpe
les grains de pavot

renonce
à l'œuvre

renonce
pose

syllabe
après syllabe
égrène
le souffle

sur la chaise
la robe est dénudée
les bas
sans mémoire
pendent

ne dors pas

vénère



09
pose tout
ce qui est fait
est fait
a été
fut

pose
tu n'es plus
dans ce que tu as fait
pose

pose tes biens

jette

ouvre tes mains
à qui se dérobe



10
pose le jour
pose la nuit
ce sont draps
de ton lit

berceau
cercueil

autre
vient

pose tout
dans l'ombre
soleil ou lune
pose

 

 

Extrait de L’impératif, éditions de l’Armourier, 2008

 

***

 

Michaël Glück est né le 10 juin 1946 à Paris. Écrivain, poète, dramaturge, traducteur. Multiples collaborations artistiques, théâtre, danse, arts plastiques, musique, vidéos. Lecteur, traducteur dans l’édition (Flammarion, Ed. Jean-Michel Place 1980-1982). Directeur du théâtre la Colonne, Miramas (1985-1989).

Se consacre essentiellement à l’écriture depuis une vingtaine d’années. Lectures, performances, conférences, sessions d’écriture théâtrale.

Quelques titres récents :

Errances célestes, avec Joseph Bey, Les deux rives

Un reste de matière, éditions imprévues

Le présent est le temps du poème, Potentille

D’œil, Les Monteils

Tenir debout dans le grand silence, La passe du vent

Commence une phrase, Lanskine

Sur l’aube d’un ciel taché d’encre, Propos 2 éditions

 

 

choix Mireille Diaz-Florian :

David Rondin

 

Je viens de découvrir ce recueil publié en 2023 aux éditions Cheyne : Je garderai les yeux ouverts de David Rondin.

David Rondin est né à Versailles. Il travaille comme bibliothécaire. « Il écrit et peint avec une affinité particulière pour la poésie et la peinture non-figurative. » Il a publié dans diverse revues : Décharge, Arpa, Contre-allées…

  

 

SAISONS TRANCHANTES

 

À mes pieds un petit silex, Élégant, rond, couleur pomme Canada. Je le ramasse et le travaille avec soin, l’aiguise. J’aiguise son vert-de-gris, je décalque des ritournelles à coups de brosse sur son dos de traviole. Je l’enduis des couleurs de la terre. Il regimbe, renâcle. Je le recale mentalement dans les scintillements de ma feuille de verre. Tout au bout des doigts, la mer. Qui désagrège son halo, ses côtes de pierre scarifiées, son carburant, sa petite faune translucide. Et voguent les algues ! Arrachées au tréfonds, arrachées au tréfonds de votre corps imaginaire, saisons tranchantes ! Toi, amie enfant, fiancée dont j’ai oublié le nom, qui décriras un jour les assauts de la première lueur - encore évanescente ! Un instant dans l’heure qui suivra, je ferais saillir ton sang de ma page. Tu mangerais ta première feuille de laitue, ma connivence avec le néant s’arrêterait là, parmi des grumeaux de lumière… J’écoute le clapotis des vagues soûles de leurs propres méandres. Van Gogh ne s’est pas encore tranché l’oreille. Une aigrette martèle un banc de sable mouvant comme les mots qu’on murmure. Et nos regards coagulent dans la nuit de Rezé. On se rend compte qu’il va faire noir encore très longtemps, encore trop longtemps. Ta main a même la fraîcheur d’une endive. Mon amour comme il fit froid au cœur de la nuit où je fis semblant de ne pas t’aimer. Je n’arrive pas à imaginer de quoi je serai complice après avoir vécu.

 

 

choix Dana Shishmanian :

Noha Khalaf

 

Je suis l’exilée.

Je marche dans une mémoire trouée d’absence,

Je tresse des fils invisibles

Avec les heures qui s’effacent.

 

Chaque montagne que je franchis

n'est qu'un mirage d'autrefois,

chaque mer que je traverse

porte en son sel l'oubli de mon nom.

 

Derrière moi,

je laisse les valises ouvertes aux vents,

les papiers jaunis par le silence,

les souliers abandonnés au bord du chemin,

comme de vieux rêves trop lourds à porter.

 

Car survivre,

c'était consentir à la nudité du monde,

c'était devenir poussière parmi les poussières,

sans adresse,

sans racines.

 

Dans l'air incertain,

nous avons semé des villages qui ne duraient

qu'un matin,

des refuges de vent,

des tribus d'ombres,

et nous avons dansé sans repos

sous la lumière changeante des saisons.

 

 

Du recueil L’étrange traversée de Safi de Jaffa à Gaza. L’harmattan (collection Le Scribe), juin 2025 (92 p., 13 €).

 

***

 

Jean-Michel Sananes

 

 

Quand tant d'espoirs m'ouvrent le ciel,

quand tant de douleurs me percutent,

le silence emporte mon cri

témoin de la dérive du jour,

j'écris.

J'écris pour nous, j'écris pour moi,

pour les enfants, le vent et l'avenir

j'écris pour ceux

qui sont en quête de lumière

plus que de jugement

j’écris pour ceux

qui s’intéressent davantage à l’être

qu’à ses origines

j'écris pour l'espoir et la bonté

j'écris parce que j'aime l’humain et la vie

jusqu'aux sources de l'atome

j'écris parce qu'en l'herbe, l'animal et la pierre,

déjà existe l'histoire des origines

j'écris parce que la bienveillance devrait précéder la marche de l'homme

j'écris parce que je suis à ma recherche.

 

Texte d’ouverture du dernier recueil de l’auteur, La traversée du jour

(voir dans nos Annonces / Recueils)

 

 

choix Éric Chassefiere :

Bernard Fournier

 

Extrait d’un recueil inédit en cours d’écriture sur une météore

 

 

dans ma paume

le ciel

 

un morceau

de ciel

 

*

 

dans ma main

 

une pierre

un diamant

 

une étoile peut-être

 

*

 

dans ma paume

ce souvenir d’étoile

 

bijou

gemme

joyau

 

brûlant à force d’être noir

à force de fuites

de dérobades

et d’esquives

 

*

 

ce morceau de ciel

a traversé l’espace

pour échouer dans ma paume

 

 

***

 

 

avec lui

je caresse l’univers

 

le soupèse

le considère

 

léger

lourd

 

immense

 

je le couve

du regard

de la main

 

je le caresse

 

épouse sa rotondité

imagine son globe

 

 

***

 

 

je ferme la main :

 

des ondes

me traversent ;

 

j’ouvre la main :

 

me reste

cette bille noire

 

qui vibre

 

j’ouvre la main :

l’univers s’abrège, s’élague

se réduit

 

je ferme la main :

le ciel se dilate, s’agrandit

s’élargit

 

je ferme la main

pour jouer à la devinette

 

j’ouvre la main :

ciseau, pierre ou papier ?

 

*

 

ma main s’ouvre et se ferme

impuissante

 

ma main

comme une huître

comme un poisson hors de l’eau

 

bégaie

bafouille

balbutie

 

devant le mystère de l’univers

serré dans cette pierre

 

 

***

 

 

Bernard Fournier vit en poésie, tant dans ses activités (Amis d’Audiberti, Cercle Aliénor, Académie Mallarmé, Encres vives), dans ses essais sur Guillevic, Marc Alyn ou Audiberti, que dans sa propre écriture, qu’il s’agisse de ses romans : Privé du sonnetUn Amour De Bussy, ou de ses poèmes : Hémon, suivi d’Antigone, Silences, Loin la langue Vigiles des villages, Prix Troubadours 2020 ; Dits de la pierre, Prix Louise-Labé 2023.

 

 

 

 

 

Coups de cœur des membres :

 

Pierre Dhainaut, choix Dominique Zinenberg

Gilles Compagnon, choix Éliette Vialle

Mickaël Glück, choix François Minod

David Rondin, choix Mireille Diaz-Florian

Noha Khalafchoix Dana Shishmanian

Bernard Fournier, choix Éric Chassefière

 

 

 

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