Annonces Glanés sur la toile quelques ponts de signes |
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ANNONCES DE PARUTION :
Présentés par Éric Chassefière / Présentés par Dana Shishmanian
Laurent Grison, L’archipel des incandescences - hommage à Xavier Grall, suivi de La femme debout, Sémaphore, collection Arcane, avril 2025 (90 pages, 15 €).
Ce livre est l’un des fruits de la résidence d’auteur de Laurent Grison à la maison d’Hippolyte, à Quimperlé, en février-mars 2025. Il comprend 2 ensembles de poèmes, 17 dessins et 4 photographies. Laurent Grison est poète, artiste, historien de l’art et critique (littérature, art). Ses textes sont publiés en France et à l’étranger, où il est régulièrement invité. Ses poèmes sont traduits en une douzaine de langues. Croisant les formes de création, passionné par la musique, Laurent Grison pratique la peinture et le dessin. Il est membre de différentes associations françaises et étrangères.
la femme debout aime marcher
dans la forêt de Toulfoën
où les chênes remarquables
se dressent fièrement
pour protéger les ruines
de l’abbaye Saint-Maurice
Mas Roqueta / Max Rouquette, Las Abelhas dau silenci e autres poèmas inedits / Les abeilles du silence et autres poèmes inédits, Éditions Jorn, avril 2025 (254 pages, 20 €).
L'œuvre de Max Rouquette, centrée sur les garrigues languedociennes du pays natal, décrit la beauté solaire ou nocturne de la nature, cruellement indifférente, une beauté source d'une douleur proportionnelle, car les humains s'en ressentent exilés. La création elle-même, si belle qu'elle soit, reste marquée du sceau du temps et du néant. L'écriture poétique consiste à se mettre à l'écoute du cœur battant de la vie qui anime toutes les créatures, de la fourmi à l'étoile. Ces thèmes se retrouvent dans ce dernier recueil qui rassemble tous les poèmes inédits en volume, restés à l'état manuscrit ou seulement publiés en revue. Un tiers de ces 130 poèmes datent des années 40 et 50, les autres ont été écrits dans les années 80 et suivantes. Max Rouquette y prolonge l'inspiration des trois grands recueils précédents. Le poème est un songe éveillé (un sòmi), une quête ontologique qui nous conduit, grâce au langage, au cœur de l'être et de la vie. Le poète nous offre, ici comme ailleurs, une œuvre à la fois tragique, cosmique et profondément enracinée.
Une lune de mille ans
Une lune de mille ans
passe dans le ciel lointain
Des hommes dorment couchés
sur la dalle chaude.
Le crapaud et le grillon
déversent au fond de l’air
sans s’inquiéter mille fleurs
mille fleurs de rêve
et de sommeil matinal
où la brume se dissipe.
Un cheval dans son étable
rêve de vent d’avril
et l’eau du laquet
s’émeut
de tout l’amour de la lune.
Fabienne Moineaud, Miniatures, Interventions à Haute Voix, 2e trimestre 2025 (60 pages, 10 €).
Courses rapides des nuages
Le vent court autour des haies
Et des grands arbres sonores
La terre est douce sous mes pieds
Sensation humide de fraîcheur
J’aspire l’air froid qui descend
Jusqu’à ma peau tiède
Mon pas rapide dans le froid
L’appel sourd du vent qui gronde
La forêt se rebelle
Au-dessus, des crêtes nues
Le soleil descend presqu’immobile
Dont la lueur mouvante brille
Les mots en offrande, pour une passante de la Vie,
qui sans doute,
Trouveront leurs nids, dans le cœur de nouveaux amis.
Catherine Andrieu, Constellations critiques – Lectures poétiques des livres de Z4 Éditions – Première partie, Z4 éditions, mai 2024 (103 pages, mai 2025).
Dans ce recueil, chaque texte lu devient un point d’ancrage provisoire,
une lumière discrète dans une géographie instable. La critique n’y prend pas
appui sur la distance, mais sur la traversée. On ne surplombe pas les œuvres :
on les habite un instant, on s’y laisse traverser.
Ces lectures poétiques refusent la clôture du sens. Elles abordent les
livres comme on entre dans une chambre obscure : à tâtons, à l’écoute. Non pour
les expliquer, mais pour leur prêter une autre voix — celle du guet, de l’écho,
de la vibration. Il s’agit d’entrer dans la matière même du texte, non pour
l’interroger, mais pour en épouser les mouvements souterrains : fractures,
plis, suspens.
Z4 Éditions publie des livres qui ne cherchent pas à plaire mais à éveiller. Ce recueil les accompagne sans les illustrer. Il ne les précède ni ne les suit : il marche à côté.
Dans un pas ralenti.
Dans une lumière d’aube.
Il s’arrête parfois pour nommer une blessure,
parfois pour
écouter ce qui tremble encore dans l’effacement.
Chaque lecture est une tentative.
Chaque tentative, une étoile.
Ensemble, elles forment une carte inexacte — un
ciel.
Ida Jaroschek, Carnet de ciel, Éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, juin 2025 (93 pages, 13 €)
Le ciel et la poésie sont venus « épauler » Ida Jaroschek, poète, au cours de son séjour en clinique.
Ainsi s’est formé, rituellement, au jour le jour, ce Carnet de ciel qui présente ici quarante ciels en regard de quarante poèmes.
la nuit
pèse à mon épaule
elle se retire
ourlant
d’une ombre bleue
les nuages
un peu de nacre
abrite une présence
un secret
je m’abandonne
au premier ciel qui s’impose
Éric Chassefière, Pour que parle la beauté – Écrits sur la route, éditions Rafaël de Surtis, mai 2025 (314 pages, 25 € frais de port compris)
Ce recueil présente l’intégralité des poèmes écrits au fil de
différents voyages effectués dans les quinze dernières années. Parmi les
carnets reproduits ici, huit ont été publiés par les soins de Michel Cosem aux éditions Encres Vives, sept dans la collection
Lieu et un dans Encres Vives proprement dit. À chaque retour de voyage, j’ai eu
le privilège d’être lu, apprécié, et publié dans un délai de quelques mois par
Michel Cosem, bonheur qui m’a toujours poussé à
continuer, faire de la joie de l’écriture en voyage la joie du voyage lui-même.
Aujourd’hui, je ne peux penser voyage sans penser Encres Vives, et penser
Encres Vives, c’est d’abord pour moi affirmer l’unité profonde entre ces
carnets, qui décrivent en fait le même voyage, le même retour à travers l’autre
vers soi-même, mais sous différentes lumières et dans différentes périodes de
la vie. C’est donc à Encres Vives et à son créateur que je dédie ce livre. Mes
pensées vont aussi à ma compagne, Catherine Bruneau, avec qui nous avons
partagé la plupart de ces belles itinérances.
Éric Chassefière
CORÉE : JEJU-DO
Le mandarinier donne les fruits
verts
où vient boire l’oiseau de la bouche
l’œil du photographe donne l’hibiscus
la fleur nationale de la Corée
le matin donne le soleil
qu’emporte la brume de la montagne
les volcans de tuf donnent la pierre
noire
dont la mer se fait un collier
quand s’avançant dans les vagues
la jeune fille lève les bras et
danse
les yeux plissés de la vieille
plongeuse
qui vend des ormeaux grands comme la
main
donnent les belles images qu’on voit au
musée
de ces femmes dans la fleur de la
jeunesse
en tenue de plongée souriant à
l’objectif
les yeux éblouis d’eau et de soleil
donnent aussi les perles noires
enfoncées dans la fente des paupières
des yeux d’aujourd’hui brûlés de sel
dont le rayon bat au rythme des vagues
Les éditions Encres Vives ont publié au 2ème trimestre 2025 :
Patrick Aveline, Le goût de l’instant (n° 548)
Durant deux saisons, printemps et été, à
Marseille et ici et là en France, au gré de ses vagabondages, l’auteur s’est
appliqué à goûter l’instant. Tentant d’en restituer la quintessence avec les
mots et la sensibilité dont il dispose. Cet instant, qui, de manière
infaillible « glisse entre les doigts ». Saisir l’éphémère du sentiment afin de
le vivre au cœur et pour autant s’en échapper pour l’écrire, là se situe la
gageure. Ce recueil en illustre une tentative. « Le goût de
l’instant » est le sixième recueil que publie le poète. Le voyage, à sa
fenêtre, immobile, ou celui par monts et par vaux nourrie sa poésie. Tout comme
l’image et le paysage. Il parcourt ainsi, à pied, inlassablement et dans une
joie renouvelée, sentiers et routes de France et d’ailleurs.
Né à Tanger en 1961, Patrick Aveline vit à Marseille
depuis l'enfance. Il aime marcher de manière itinérante de longues semaines
durant, loin des courants. Il y vit une autre manière ; et rencontre femmes et
hommes qui deviennent amis dans le plaisir de quelques instants.
Régine Ha Minh Tu, L’heure bleue (n° 549)
Régine Ha Minh Tu est née en 1956 à Paris. D'origine vietnamienne et française. Germaniste et bibliothécaire. Un parcours en bibliothèques et archives entre la France (Limousin, Lyon, Toulouse) et l’Allemagne (Berlin-Ouest, puis Bad Arolsen au sein des Archives internationales de la persécution national-socialiste). Vit à Bram (Aude) depuis 2015. L’écriture l’accompagne tout au long de ce périple. Densité et fluidité des images simples, évidentes, discrétion du vocabulaire, des paysages où tout est liquide, atmosphère amniotique d’une rencontre au cœur de l’heure bleue.
Issa Wachill, À ciel ouvert (n° 550)
Faire entendre çà et là les voix et les silences ne signifie pas les incarner, mais tenter d’ouvrir une petite fenêtre à ce qu’on ne voit pas, n’entend pas – ou alors comme un souffle, ou ce qui perce à peine à travers les ruissellements sur le visage d’un enfant.
Ces apparitions sous le ciel de Gaza : corps gisant parmi les gravats, sous la pluie ou dans la poussière, ce ne sont pas tant un témoignage qu’un appel pour dire : assez ! Laissez-les vivre, rire et pleurer comme tous les enfants du monde.
Né à
l’Ile Maurice, Issa Wachill
a fait ses études universitaires (Lettres Modernes et Sociologie) en France, où
il s’est finalement installé après des nombreuses années passées au
Proche-Orient et au Maghreb.
Il est
conseiller culturel à la Délégation de la Palestine auprès de l’Unesco. Il est
auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages : « Liban, Confessions et
Pouvoir politique » (L’Homme et la Société) ; « Dossier
Palestine, la Question de Palestine au Regard du Droit International »
(Ed. de le Découverte) ; « Le Jardin de la
Terre » (recueil de poésie, Ed. Encres Vives) ; « Maintes
Voix » (recueil de poésie, L’Harmattan).
Chantal Couliou, La dernière photo (collection Lieu, n° 415)
Ces poèmes ont été écrits à la suite de
la visite de l’exposition de photographies de Vivian Maier au Musée des
Beaux-Arts de Quimper et de celui de Pont-Aven (du 4 février au 29 mai 2022).
NEW YORK - CHICAGO E(S)T SON DOUBLE
La lecture du livre de Gaëlle Josse Une femme à contre-jour a précédé cette
découverte.
Née
en 1961 à Vannes, Chantal Couliou est poète, haïjin, nouvelliste, en un mot auteure d’écrits poétiques.
Elle vit à Brest.
Une
quarantaine d’ouvrages publiés et de très nombreuses collaborations à des
anthologies et revues.
Elle
fait siens les mots de Colette Nys-Mazure « vivre,
lire, écrire ».
Elle
aime écrire avec des artistes, plasticiens, photographes mais aussi d’autres
auteurs.
Jean-Claude Crespy, En Corse (collection Lieu, n° 416)
Pascale
Paoli établissant à Corte la République corse ; à la pointe des Îles
Sanguinaires, Bonaparte rêvant d'embarquement ; fantômes des bandits traqués du
Palais Vert ; maquisards de Porri, indépendantistes d'Aleria,
et sur les murs de Corte, l'icône d'Yvan Colonna : autant de vagues qui
ont déferlé sur les plages corses. Restent les troupeaux erratiques sur les
sentiers déserts de la Castagniccia, les villages dépeuplés, les fruits
pourrissant sur les arbres. Restent ces ruines de la modernité que personne ne
veut voir, et que les mots du poème courant à flanc de mont le long des vieux
murets, arpente, dégage et déchiffre pour l'avenir d'une terre habitable - car
c'est en poètes que les humains habitent cette terre.
Jean-Claude
Crespy a partagé son activité professionnelle de germaniste entre
l'enseignement, la traduction philosophique et poétique et la diplomatie
culturelle à divers postes en Allemagne, en Autriche et en Belgique. Il se
consacre désormais pleinement à la poésie. Le présent recueil est le troisième
qu’il publie, après À Sète et En Île-de-France, dans la collection Lieu des
éditions Encres Vives.
Marion Lafage, Incise à Venise (collection Lieu, n° 417)
Un
carnet de voyage poétique, tel pourrait être l'objet du présent recueil. Mais
comment échapper à la banalité d'un voyage à Venise, aux clichés qui y sont
attachés, aux regards d'écrivains passés et compassés ranimés par le Grand
Canal et la place St Marc ? Les gondoles n'ont pas toujours le dernier mot
quand on s'éloigne des canaux centraux. Par-delà le piège touristique, on peut
encore trouver grâce aux curieux détours des mots fouineurs ce que l'on ne
cherchait pas, en visitant Venise.
Animatrice
d'ateliers d'écriture, Marion Lafage vit et travaille dans les Hautes-Alpes.
Elle a publié dans diverses revues puis deux recueils chez Jacques André
éditeur, Par
Chemins et Calames
(2022) et Un
Mixologiste en Montgolfière (2023). En 2025, un récit, Berlugane, est paru aux éditions du chien qui
passe. Après Le
Corps artiste, Ecrits-danse (2024) dans la collection
"Encres Blanches", Incise à Venise est un deuxième opus
publié par Encres Vives dans la collection "Lieu".
Sabine Alicic, À rebours, l’été (collection Lieu, n° 418)
Ô sentier millénaire !
fougères, bruyères
et craquements sous nos pas
chêne, hêtre, houx
l'un répond à l'autre
le vent referme le chemin
ce matin, dans le Pays d'Auge
Commencée dans sa jeunesse, l'écriture
poétique de Sabine Alicic est le chemin foré au gré
des entailles rapatriées dans la langue qu'elle naturalise pour un passage. La
poésie, devenue passeport, est visée depuis, chez Diérèse, Traversées,
Poésie/première,
Traction-Brabant,
Écrit (s) du Nord, aux Éditions Henry dirigée par Jean Le
Boël, sa première rencontre éditoriale. Le cours du poème est son
premier recueil paru en octobre 2024 aux éditions Encres Vives.
Fabrice Farre, Carte de séjour (collection Encres Blanches, n° 839)
Fabrice Farre est l’auteur de vingt recueils parus chez divers éditeurs, comme : Le chasseur immobile, à Le Citron gare (avec les peintures de Sophie Brassart), Toucher terre, au Pré-Carré, Loin le seuil, à La Crypte, Partout ailleurs, à p.i.sage intérieur, Avant d’apparaître, aux éditions Unicité, Implore et Des équilibres (accompagné des photographies de Philippe Agostini), chez Bruno Guattari, etc.
Ses textes sont présents, notamment, dans les revues Arpa, margelles, Place de la Sorbonne, Revue Alsacienne de Littérature, et Phoenix, ainsi que dans de nombreuses anthologies. Il a participé à des livres d’artiste, à la relecture de poètes italiens et roumains, et traduit quelques auteurs français, italiens et espagnols.
Les titres parus aux éditions Encres Vives sont : Les chants sans voix (2012), N’ai-je (2016) et Poupée russe (2017).
Dominique Marbeau, E Urgente (collection Encres Blanches, n° 840)
Ce petit recueil exprime une position qui n’a aucune prétention philosophique ni même politique. « E URGENTE » Il faut se dépêcher, c’est tout ! Car l’ignorance engendre la bêtise et on le sait c’est la bêtise qui entraîne la violence. Et quand c’est cassé les réparations sont souvent longues et difficiles. Alors on a tout à gagner de voir se répandre les lumières du savoir. Mais dans quelles mains, cette science supérieure qu’il ne faut « transmettre qu’aux sages » selon Goethe ? Les débuts de la révolution numérique ne poussent guère à l’optimisme. Et pourtant je garde au fond de moi la conviction qu’à force de tisser sa toile, le vaste réseau d’un savoir utile parviendra à l’emporter sur les instincts primaires qui font régresser les peuples. Je suis persuadé qu’il ne s’agit que d’une crise – profonde, soit – peut-être la « crise d’ado » de l’humanité ?
Pierre Ech-Ardour, Bourgeonna l’aube en le miroir du temps (collection Encres Blanches, n° 841)
« La poésie de Pierre Ech-Ardour traduit ce battement, cette trame discrète où s’orfèvre le poème ; chaque mot porte le déplis d’une pensée poussée à l’orbe des confins. L’écriture, jouant de sa lumière et de sa contre lumière, laisse doucement à l’entente la palpitation du froissement et du défroissement des mots, conservant perpétuels leur vastité et leur respir. Ce sont dans ces amples et discrètes variations que la parole trouve son surgissement de visage, cette force particulière d’être elle-même l’envol de ce qui d’un coup se dévoile à la vue et à la pensée et aussitôt se dérobe, insoluble. Et si se laisse saisir par la peau que donne la traverse des langues, des souffles terrestres, des sensualités et des mémoires d’une certaine intimité, sa poésie est une voix portée, une entière adresse à l’humain et à son tremblement d’infinité. »
Laurie Courtois Valdez, Éditions Phloème, « épiStellaires, ».
Pierre
Ech-Ardour réside en France, à Sète. En son rapport
intime aux lettres, sa poésie, « tours de mots » où interfèrent extrinsèques
lumières et clartés profondes, incarne la parole d’une utopie propice à
l’approche des sources et de la réparation du monde. Il a publié seize recueils
de poésie et a obtenu en 2018 le Premier Prix de Poésie décerné par les
Gourmets de Lettres sous l’égide de l’Académie des Jeux Floraux à Toulouse.
Jean-Louis Keranguéven, Deux ou trois cercles concentriques (collection Encres Blanches, n° 842)
Sublimant
le Réel, cet assemblage patient se compose d’une série de petits tableaux
empruntés au déroulement de l’existence. Son ambition n’en est pas moins
d’éveiller une réflexion sur la pérennité de l’écriture, à l’instar de
l’allégorie dont se nourrit le titre.
Jean-Louis Keranguéven, poète d'origine bretonne et d'adoption montpelliéraine est né en 1942. Il a publié en revues et une vingtaine d'ouvrages dont plusieurs ont été récompensés. Obsédé par la quête du mot exact, il revendique l'influence des poètes asiatiques, Guillevic ou Charles Juliet.
Svante Svahnström, En cet instant je marche encore (collection Encres Blanches, n° 843)
Svante Svahnström est un auteur français et suédois d’une poésie se préoccupant de ce qui est en haut comme de ce qui est en bas.
Se décrivant volontiers comme artisan lexical, il élabore aussi au milieu des poèmes avec des mots des langues des cinq continents. Vingt-sept langues participent au contenu du présent ensemble. Il s’agit d’une écriture que l’auteur nomme « Universification ».
Paysages vus en anatomie humaine, l’Univers, l’Homme, l’enfance, méditation en langue de chien… À travers des regards décalés sur des particules de réalité émerge une collection hétérogène presque savamment ébouriffée.
Pierre Yerlès, Zestes d’espérance (collection Encres Blanches, n° 844)
Dictionnaire Robert : Définition de zeste, nom masculin :
1. Petit morceau d'écorce fraîche (de citron, d'orange). Un zeste de citron.
2. Au figuré Petite quantité.
Pierre Yerlès nous offre ici, pour les jours de mélancolie, sans assurance excessive, vingt-cinq poèmes à savourer comme boisson énergisante et rafraîchissante.
Âgé
aujourd'hui de quatre-vingt-huit ans, Pierre Yerlès
est professeur émérite de la Faculté de Lettres de l'Université de Louvain, où
il a formé durant quarante ans à la didactique de la langue et de la
littérature des générations de professeurs de français.
Il a
dirigé la collection "Séquences" chez Didier-Hatier, a été membre du
comité de rédaction de La
Revue Nouvelle et de Langue et Administration.
Plusieurs
recueils de poésie à son actif : Élégies paisibles, Oaristys (Poèmes de l'Amour du
soir), Pavane pour une Samouraï défunte, parus respectivement en 2021, 2024,
2025 aux éditions Bleu d'encre ; Couleurs de Chines, paru en 2025 aux
éditions Maïa.
Claude Haza, Le temps comme il vient (collection Encres Blanches, n° 845)
Parfois on peut saisir
d’emblée
le moment
d’une pensée qui
s’arrondit sur le
bout de la langue
parfois on ne
surprend rien d’autre
que le
tourbillon des mots épelés
sous les
lampes noires de nos yeux
Quelque chose de la pensée
nous dit une autre pensée que
le souffle
de la mémoire
pousse à travers
le cerveau
c'est une
chaîne de paroles qui
fait surface
comme un volcan
Claude
Haza est l’auteur d’une quinzaine de recueils de
poésie et autant de livres d’artiste. Le présent recueil a été écrit tel que le
titre l’indique ; souvent en regardant l’œuvre des saisons depuis son
balcon, et l’animation de la rue, puis devant son bureau, selon les pensées qui
se présentent.
Que ma mort apporte
l’espoir. Poèmes de Gaza (juin 2025)
« Le recueil, publié aux éditions Libertalia dans la collection Orient XXI, présente une cinquantaine de poèmes dont les auteurs et autrices viennent toutes et tous de Gaza. Écrits pour la grande majorité en arabe, ils ont été traduits par l’ancienne diplomate et interprète Nada Yafi, qui signe également la préface de l’ouvrage. L’écrivain palestinien Karim Kattan a également offert une postface au livre. » (Présentation sur FB, par Gérard Cathala, 6 juin 2025)
Sur le site de l’éditeur est avant tout reproduit un fragment du poème de l’universitaire anglophone et écrivain Refaat Alareer, tué par des tirs ciblés à son domicile la nuit de 7-8 décembre 2023 (voir notre Gueule de mots de Printemps 2024):
S’il est écrit que je dois mourir
Il vous appartiendra alors de vivre
Pour raconter mon histoire
S’il est écrit que je dois mourir
Alors que ma mort apporte l’espoir
Que ma mort devienne une histoire
Bouleversants de courage et d’humanité, les cinquante textes qui composent ce recueil témoignent de la force de la poésie, forme privilégiée de la culture arabe, et confirment que la vie finit toujours par l’emporter sur la mort : « Car nous aimons la vie, disait Mahmoud Darwich, poète emblématique de la Palestine, pour peu que nous en ayons les moyens. »
Édition bilingue arabe-français.
Nada Yafi, ancienne diplomate et interprète en arabe, a publié Plaidoyer pour la langue arabe (Libertalia, 2023).
Karim Kattan, écrivain palestinien né à Jérusalem, a notamment publié L’Eden à l’aube (Élyzad, 2024).
Voir, dans notre présent numéro, la chronique au roman Le palais des deux collines de Karim Kattan, par François Minod, à la rubrique Vues de francophonie.
Carole Carcillo
Mesrobian, Falloir. Éditions de Corlevour, juin 2025 (115 €)
Au-delà d’un simple recueil, Falloir se présente comme un monde en suspens. Le jeu étymologique entre falloir et l’anglais to fall (tomber) éclaire un autre visage de la poésie : tout poème est une chute délibérée hors des certitudes, un plongeon gracieux dans l’inconnu. Chaque vers est une passerelle entre l’être et le socle archétypal d’une humanité partagée. C’est une invitation à habiter nos disparitions, à écouter le souffle du poème dans le vide des mots et à laisser la lumière émerger de l’épaisseur de nos ombres. En refermant ce livre, on emporte avec soi l’écho d’un chant cosmique, fragile et puissant, qui ouvre la possibilité d’un regard neuf sur l’existence et le langage même. (…).
Comme Falloir verbe
impersonnel qui ne se conjugue qu’à la troisième personne du singulier, la
poésie se déploie hors de tout lyrisme : elle se fait exigence commune,
nécessité silencieuse et intemporelle. Dans cette impersonnalité réside sa
force : sans personnifier la voix poétique, elle suspend l’arbitraire du
locuteur pour inviter le lecteur à se reconnaître dans l’impératif poétique, à
combler le silence du poème par sa propre sensibilité.
Christiane Simoneau, Le
NOUS qui nous habite. Éditions Unicité, juin 2025 (108 p., 14 €)
« Le NOUS qui nous habite, c’est cet espace tutélaire énonciateur déjà de ce désir de ré-union qui guide et motive la parole poétique de Christiane Simoneau, tout autant qu’il en ouvre l’espace, lieu d’expression d’une multitude d’identités, d’un chant collectif, d’une voix intérieure polysémique, vivante, et, surtout, en quête d’unité. Un livre qui promet une traversée à la fois intime et universelle, et qui s’ouvre comme un espace tissé de souffles, de corps, de mémoires, de paysages et d’images — autant de fragments du monde réunis ici dans la trame de ce recueil. » (Carolle Carcillo Mesrobian, extrait de la préface)
Fadéla
Chaïm-Allami, Les
fleurs pourpres de Gaza. Éditions Unicité, mai 2025 (108 p., 14 €)
J’ai peur
J’ai peur du noir
J’ai peur du jour
Et j’ai peur du ciel rouge
J’ai peur de pleurer
Et j’ai peur de me noyer dans mes larmes
J’ai peur de m’avaler
Et d’être avalée
En corps morcelé
Et ce qui m’attend
Au bout du chemin de la peur.
En couverture de ce livre poignant, le tableau Les larmes de Gaza de l’artiste palestinienne Rawan Anani.
Barbara Auzou, Les géographies imaginaires. Éditions Unicité, mai 2025 (88 p., 14 €). Avec
des huiles de Francine Hamelin
Les crypto-graphes de Francine Hamelin foulent des cartographies intimes de Barbara Auzou où l’œil oscille, dépossédé du vertige. Par quelles porosités nous parvient le temps … ? À l’aune de ce climat bleu et fertile, nous commémorons le pouls, cette indispensable ardeur qui lie demain à hier. Un ciel compromis joue sa carte secrète et l’oiseau en mime la noble trace. Race du trait à la conquête du vers principiel pour improviser et inaugurer le sang. Je te devine, nous tremblons / dans ce rêve compatissant et farouche. Devant ce fragile qui nous dénonce et nous acquiert, après le ressac de pensées lucides / vient l’heure des gestes lents…
Catherine Andrieu, Ce
qui pousse dans le silence.
Rafael de Surtis, mai 2025 (97 p., 17 €)
Poétesse mais aussi critique de poésie (voir son espace dans RAL,M et aussi, cf. ci-dessus, son récent recueil Constellations critiques), Catherine Andrieu
nous présente mieux que quiconque les deux cycles de poèmes qui composent ce
livre, vivant tel un corps, « un seul organisme, qui respire ». Voilà
donc avant tout un extrait de l’« avant-dire »
de Ce qui pousse dans le silence :
« Il fallait le silence pour que cela pousse. Le silence, non
comme absence de bruit, mais comme milieu matriciel. Le silence comme humus du
verbe. Comme l’espace où les morts écoutent, où les dieux se retirent, où le
poème enfin peut devenir bête. Et semence. »
Et pour preuve, deux extraits des poèmes 6 et 7 de ce cycle qui en
comporte 11 :
Et j’ai compris que le silence
n’était pas une absence,
mais une forme aiguë de
présence.
Une présence retournée, comme un gant.
Le poème s’est mis à battre sous mes côtes.
Il ne disait rien.
Il devenait.
Un pur devenir,
comme un fruit qui éclate
de trop mûrir.
Les 9 Chants d’une
femme-transfiguration, dont l’avant-dire nous révèle que chacun « est une
métamorphose » – « pas du corps-désir, du corps jouissance, du
corps-image », mais « du corps-séisme, du corps-matrice, du
corps-totem » – témoignent en effet, dirait-on, des anciens mythes
célébrés par Ovide, ici dans un vécu presque mystique : la femme au
Corps-arbre, la Pierre Amante, la femme-flamme brûlant d’un Feu Transfigurant,
la Bête, le Corps-Fontaine, la Parole Cendre…
Et quand le
feu retombe –
car il retombe –
tu n’es pas morte.
Tu n’es pas
vide.
Tu es pleine
de quelque chose de rare.
Un silence
dense.
Philippe Leuckx, Lumière des murs. Éditions du Cygne,
mai 2025 (52 p., 12 €)
Nous avions sous les yeux
la matière même de la lumière
Sans cesse interrogé par la lumière et son contraire, le poète déroule sa vie intime, tissée d’échos légers comme le tremblement de l’air ou les passages d’ombre. Il vit la lumière comme "une matière", vive, enjouée, présence au milieu du jour, perle du quotidien. En peu de mots, tout se joue : le retrait, l’attention, le regard vers l’autre, la patience de vivre.
Deepankar Khiwani, Entr’acte (1995-2005). Éditions
Banyan, mai 2025 (130 p., 19 €)
Traduit de l’anglais (Inde) par Nina Cabanau. Édition bilingue
Deepankar Khiwani est né à Delhi en 1971. Son père, originaire de Multan au Pendjab, a été contraint de fuir le Pakistan lors de la Partition de l’Inde britannique. Sa mère, fine connaisseuse de la littérature anglaise, lui a appris très tôt les règles de la scansion. Khiwani a été élevé principalement à Mumbai, où il a reçu une éducation précoce à la Cathedral School et a obtenu une licence en économie au St. Xavier’s College. (…) En 2013, il s’installe à Paris pour plusieurs années en tant que directeur général de quelques secteurs verticaux de Capgemini.
Pendant ses années d’études, Khiwani a été étroitement associé à plusieurs poètes de Mumbai, notamment Dom Moraes, Adil Jussawala et son ancien camarade de classe Anand Thakore. Entr’acte, son premier recueil de poèmes, et le seul à paraître de son vivant, a été publié par le collectif Harbour Line en 2006. Il a pris une retraite anticipée en 2019 et est décédé d’une maladie soudaine et virulente l’année suivante.
Ce volume
contient les poèmes de son tout premier recueil. La consistante introduction –
une véritable étude, signée par le poète Anand Thakore, ancien ami de Deepankar depuis leurs années de collège – mentionne une œuvre
considérable, tardive, écrite fébrilement dans ses tout derniers mois de vie. En
tout cas, ce volume mérite une lecture attentive qu’il convient de promettre
pour une future occasion, de même que d’autres livres de poètes indiens
contemporains publiés aux Éditions Banyan, spécialisées dans la littérature et la culture indiennes,
qu’on découvre avec un immense intérêt. Alors, à la prochaine !
Joël Cornuault, Élisée Reclus, géographe et poète, suivi de Élisée
Reclus, géographe consommable ? Pierre Mainard
éditions, avril 2025 (96 p., 15 €)
Cet essai est repris de la Collection fédérop / 5- Histoire & Essai (1995), en nouvelle édition augmentée de Élisée Reclus, géographe consommable ?. Voyageur au long cours, anarchiste, pédagogue de terrain, géographe d’une envergure exceptionnelle, Élisée Reclus (1830-1905) est l’auteur internationalement réputé de la Nouvelle Géographie universelle (1876-1894). Mais sait-on qu’il fut aussi, et peut-être d’abord, promeneur de ruisseaux, piéton des montagnes, rêveur de plaines ? Sait-on que ce savant, profondément occupé de l’humain, fut un écrivain à part entière ?
C’est ce que soutient le présent essai à partir de deux œuvres qui étaient tombées dans l’oubli jusqu’à leur réédition chez Actes Sud, Histoire d’un ruisseau et Histoire d’une montagne. De cette redécouverte enthousiaste est né, non pas une biographie ou une étude académique, mais un fervent salut à l’auteur de L’Homme et la Terre (1905), donné ici dans sa quatrième édition et augmenté d’une postface inédite.
Partant de ces deux écrits laissés à l’écart, Joël Cornuault a republié et présenté d’autres textes négligés de Reclus : Élisée Reclus étonnant géographe (Fanlac, 1999) ; Élisée Reclus. Six études en géographie sensible (Isolato, 2008) et Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes et autres textes (Premières Pierres, 2002). Joël Cornuault est aussi l’auteur d’essais sur André Breton, Henry David Thoreau ou l’Éloge de Gilgamesh ; le traducteur de Kenneth Rexroth et de John Burroughs. Il anime la revue Des Pays Habitables, créée en 2020.
Maria Zaki, La
pleine lune luit et nous éclaire. L’Harmattan, avril 2025 (168 p., 18 €)
« On
peut montrer les beautés du monde selon tous les outils dont nous disposons.
L’un dira par la plume ce que l’autre exprimera par flûte, harpe ou violon, et
qu’un autre encore rendra visible au bout de son pinceau. Il fallait bien que
Maria Zaki trempât sa plume dans l’encre claire de la spiritualité pour faire
résonner les mots qui constituent, en brèves facettes théologiques, des poèmes
tout entiers centrés sur le Prophète.
D’une certaine manière, les poèmes du recueil La pleine lune luit et
nous éclaire s’élèvent comme volent les oiseaux. Ils animent le ciel
et sollicitent notre attention : tandis que l’un se pose, l’autre s’envole et
un troisième fait entendre son chant. En découvrant ce nouvel ouvrage de Maria
Zaki, le lecteur prendra conscience que l’on peut rendre grâce au Prophète par
de la musique ou par des mots et quand ces mots sont de la poésie, ils sont
aussi de la musique. » (Jacques Herman, préface)
Garenert Joseph, Souffle
d’un monde en exil. L’Harmattan, avril 2025 (80 p., 12 €)
Souffle
d’un monde en exil est
un tourbillon poétique où s’entrelacent surréalisme et apocalypse. À travers
des vers brûlants et des images percutantes, l’auteur dénonce les ravages de la
guerre, des injustices et des exils forcés. Chaque poème est un cri, une
révolte, une prière portée par des métaphores saisissantes et des visions
prophétiques.
Ce recueil invite à une profonde réflexion sur la condition humaine et appelle
à un éveil collectif face aux désastres qui déchirent notre monde. Souffle d’un
monde en exil est un manifeste de paix, un hommage aux opprimés et un appel à
reconstruire avant que le silence ne devienne notre seule réponse.
« J'ai écrit ces poèmes avec l'urgence de témoigner, avec la
volonté de transformer le chaos en langage et le désespoir en espoir. Souffle
d'un monde en exil n'est pas qu'un recueil de vers, c'est une invitation à
réfléchir, à ressentir et à agir. Il s'adresse à ceux qui, au milieu des
ténèbres, cherchent encore la lumière.
Puisse ce livre traverser les frontières des cœurs et des esprits, et
devenir une étincelle dans un monde qui a tant besoin de paix. » (avant-propos de l’auteur)
Mireille Diaz-Florian &
Danielle Fournier & François Minod, Je
vous ai lu quelque part. Éditions
Unicité, avril 2025 (114v p., 13 €)
D’où écrivons-nous… ? A partir de quel nom invisible ? Sur quelles cendres, déposons-nous le soir… ? Par quelle nuit nous appelons-nous… ? Ainsi s’interrogent Mireille Diaz-Florian, Danielle Fournier et François Minod dans ces correspondances si douées d’un habile mystère à offrir. Qu'est-ce qui fait que ça écrit ou ça n'écrit pas ? Comment forer et assumer cette intensité première, si justement indélébile ? Que sait-on finalement de l'autre à qui on s'adresse ? Beaucoup et peu. Je vous écris dans nos silences mais soupçonne-t-on vraiment ce que l’on confie… ? Quel est ce dire qui nous tait ?
C'est bien de l'intimité qu'il s'agit dans ces échanges. Il y a toujours un reste : la chose. Elle prévient peut-être l’invivable. Dans ces archives du silence, les trois auteurs déposent leurs mémoires, leurs incertitudes ordinaires et fécondes et leurs vibrations nous pénètrent au ralenti. Avec eux, recensons nos chutes interminables et hissons-nous à nos échéances. L’écriture est là. Inaccessible. Le miroir renvoie le reflet de quelqu’un qu’on ne reconnaît pas. Comment vivre avec ce qui demeure silencieux… ? Quel lecteur attend au contact de ces petites foudres si poreuses… ? Je vous ai lu quelque part …
Alain Clastres, Monde
flottant. Éditions Unicité, mars 2025 (60 p., 13 €)
Alain Clastres a déjà une œuvre importante derrière lui dans laquelle il nous amène à saisir l’ineffable de l’instant et que dans le visible se cache un réel invisible qui sous-tend le monde.
Avec ce nouveau recueil, Alain Clastres met l’accent sur les détails de l’observation qui portent en eux l’unité dont nous sommes issus. Il nous démontre qu’avec un regard simple, dépouillé de tout affect, l’homme se rencontre à travers les mouvements de la nature qui ne sont peut-être rien d’autre que ses propres mouvements.
Dans l’infra-textualité de cette sensibilité à la loupe on découvre ainsi un tissu de beaux poèmes en mode haïku, en voici quelques exemples :
Cet anthurium, face rouge vif
brillante au soleil
Porte d’entrée
de l’infini (p. 9)
Brin d’herbe dans le vent
En quoi es-tu
plus important ? (p. 17)
Aubépine
Sans vent
tombe un pétale blanc (p. 28)
Voiliers blancs
amarrés
Vent léger
Sur l’eau, reflets
ondoyants
Monde flottant (p. 39)
Rossiny Dorvil, Que de chemin parcouru pour fleurir ta peau. Éditions du Cygne, mars 2025 (58 p., 12 €)
Ce recueil est un chant de l’exil entrelacé à Cayenne. Parfois murmure soufflé sous une chanson de pluie. Parfois cri au mitan des misères. Rossiny Dorvil habite un langage cru, souvent prophétique, souvent perdu sur des routes solitaires sous le soleil d’équateur. Son livre se déploie comme un rêve éveillé, il traverse les écueils du monde et de tous les bouts du monde. Il chevauche la lune et des femmes mi-espérées, mi-fuyantes. Il convoque les oiseaux, caresse les feuilles. Le monde est son jardin de poète.
Mais
c’est aussi un chant du fin fond de la souffrance ; celui d’un damné de la
terre, comme l’écrirait Fanon. Trente Pièces, le plus grand bidonville de
Cayenne, y joue un rôle central, théâtre de toutes les réalités et de tous les
espoirs. Rossiny Dorvil
nous y donne à voir des hommes, des femmes de la vie drue et raide. Et tous
sont fleurs de ses poèmes.
Il mélange les langues. Français, créole haïtien, aluku. Il est bien en cela
fils posé de la Guyane d’aujourd’hui, né ailleurs et pour toujours avec nous.
Denis Emorine, Broken identities (Journal of
Experimental Fiction)
“In Denis Emorine’s new
novella Broken Identities, gifted young Hungarian student Nora
writes a paper on the works of main character and writer Dominic Valarcher, which she describes as “a lot and a little at
the same time.” That phrase serves to describe the entire novella.
On one level, Broken Identities seems
to be an intimate domestic drama about a professor caught in a love triangle.
Dominic has a wife of many years, Laetitia, a talented concert pianist whom he
genuinely loves and finds extremely attractive, yet he also feels passion for
Nora, a younger graduate student who admires his writing. (…)
The real region of Eastern Europe is complex and
represents much more than tragedy, in Dominic’s mind, it stands in for a
shadow, an irreparable loss stemming from his inherited childhood trauma which
obsesses him more than he realizes.
Broken Identities is
told through poems, diary entries, and letters accompanying the prose, which
underscores the theme of fragmentation.”
Cristina Deptula, "A Lot and
A Little: The Psychic Fragmentation of Intergenerational Trauma in Denis Emorine’s Broken Identities"
Sur
l’original français du roman, Identités brisées (5 sens
éditions, Genève, 2023), voir la chronique de Sonia Elvireanu
dans Mondes
francophones (12 juin 2023).
Éric Dubois, Journal. Éditions Douro,
décembre 2024
Extrait de la préface de Pierre Kobel intitulée Des Maux aux Mots :
« Michelet disait de son journal qu’il était son "âme de papier". Éric Dubois n’en est pas loin lorsqu’il écrit : "Je suis du bois dont on fait du papier et des livres, mon âme est une page blanche à réécrire sans cesse, mes pensées des feuillets au vent et ma vie une librairie à ciel ouvert. " Après le récit qu’il a fait dans L’homme qui entendait des voix (éditions Unicité, 2019) de sa maladie psychiatrique et des épisodes qui l’ont précédée et en ont suivi, il nous livre avec ce Journal un texte d’une tout autre facture. C’est une plongée dans les écrits qui ont accompagné son syndrome. (…)
Éric Dubois nous dévoile à travers ses textes, poèmes, au fil des notations de ses carnets, dans le désordre mental qui était le sien lorsque fut diagnostiquée sa maladie, une quête de soi qui n’a jamais cessé de l’habiter depuis et d’être au cœur de son écriture. »
À la croisée des fugues
la corolle du hasard
s’ouvre
en un long voyage
qui se cherche
un but à atteindre
Paul Sanda, Les
mystérieuses barricades d’Olivier Larronde. Éditions Douro,
décembre 2024 (138 p., 17 €)
« En appelant sa pièce pour clavecin Les Barricades mystérieuses, François Couperin était loin de se douter, à l’aube du XVIIIe siècle, que son titre allait avoir des répercussions bien au-delà de la musique. Des peintres, des écrivains s’en emparèrent et c’est peut-être sans connaître l’œuvre – ils n’en font aucune allusion – que les poètes Maurice Blanchard puis Olivier Larronde intitulèrent leurs recueils Les Barricades mystérieuses. » (préface d’Alain Roussel)
Le livre
est une pure délectation pour le passionné de poésie et de spiritualité,
l’évocation historique des poètes et écrivains plus ou moins connus, l’essai
herméneutique, l’anecdotique édifiante, le distillé d’ésotérisme et d’alchimie
teinté d’érotisme mystique, composent ensemble un filtre envoûtant. Mais
surtout, on y apprend beaucoup, c’est un grand livre de littérature et
d’esthétique !
Éva-Maria Berg, Murs ? Murs ? La ville chuchote… éditions
pourquoi viens-tu si tard ? nov. 2024
Avec des photos de Philippe Barnoud et des
peintures d’Aurélie Dekeyser, ces poèmes bilingues allemand/français
évoquent les murs et les rues de la Ville, faisant vivre cet street art dépaysé et universel qui lient
entre elles des réels – ou des rêves ? – si éloignés les uns des autres,
on dirait des sauts quantiques entre imaginaire et vécu quotidien. Deux
exemples :
Si deux pages / peuvent être reliées / par voie souterraine / ou par voie aérienne / peut-être même / simplement pas / à
pas vers / un juste milieu / on sait déjà / traverser / la moitié / de la
distance / comme si rien / se s’opposait plus / à une avancée / ou à un recul (p. 25)
qui ose / abandonner /
les sentiers / battus et / s’engager / dans un parcours / sans horaire / pour
sauter / du train / quelque part / et tourner / le dos / à tous les rails (p. 45)
Poésie/première : Hors-série ;
Numéro 91
La revue trentenaire de l’association éditrice éponyme présidée
actuellement par Gérard Mottet, aussi responsable de la publication, avec
Martine Morillon-Carreau comme rédactrice en chef, a sorti fin mars une belle
édition hors-série ayant comme thème L’absence
– La vulnérabilité, et comme objet de réunir cette fois des œuvres des
membres actifs de l’association et du conseil de rédaction, qui se tiennent
d’habitude dans l’ombre des pages. Nous lisons donc avec bonheur dans ce numéro
d’exception des poèmes de : Marilyne Bertoncini, Michèle Duclos, Claude
Garnier-Tardieu, Francis Gonnet, Marie-Line Jacquet, Pascal Mora, Martine
Morillon-Carreau, Gérard Mottet, Jacqueline Persini,
Édouard Pons, François Teyssandier, Dominique
Zinenberg. La collection s’achève avec un texte poético-autobiographique
d’Alain Duault, et est illustrée d’œuvres des poètes-artistes Laurent Noël,
Colette Klein, René Chabrière, et Merc Bergère.
Le numéro 91, paru en mai, nous
offre, sous le chapeau (plus ou moins prétextuel,
tant il fait corps avec Dame Poésie) du thème Poésie et ambiguïté (voir
le tour d’horizon des contributions dans l’édito de Martine Morillon-Carreau)
un passionnant florilèges de réflexions, rêveries, études littéraires, essais
et entretiens ou débats, concoctés par : Gérard Mottet (Dans les clairs
obscurs du poème. L’ambiguïté), Samuel Bidaud (Les signes des arbres),
Dominique Zinenberg (Les arcanes de l’ambiguïté), Élisabeth Beyrie-Soulassol, Bernard Grasset et Pascal Mora (sur l’éternelle
question de la traduction de poésie), Pierre Perrin (extrait d’un essai à
paraître), Sébastien Souhaité (sur Hélène Dorion),
Rémi Madar (sur Charles Dobzynski),
Jean-Louis Clarac (sur Alain Lacouchie),
Dominique Zinenberg (dialogue avec Estelle Fenzy), et
même un texte poétique venant à l’appui de l’esthétique (Jacque Clauzel, Éloge
de l’ambiguïté).
Dans une rubrique adjacente, intitulée Courts-métrages, on savoure
quelques proses (Martine Rouhart, Bleu
cobalt ; Samuel Bidaud, Le passage).
Parmi les auteurs publiés aux deux rubriques dédiées à la création
poétique, Moments poétiques et Poésie plurielle, mentionnons
Brigitte Broc, Laurent Noël, Jane Angué, Parme Ceriset, Patrice Maltaverne,
Sandrine Davin, Ara Alexandre Shishmanian.
Très émouvants et pleins d’enseignements sont les hommages regroupés
vers la fin du numéro, pour quelques récents disparus : Jacques Roubaud
(par Alain Duault), Jean-François Agostini (par Dominique Zinenberg), Jean-Luc
Maxence (par Guy Allix et Pascal Mora).
De nombreuses notes de lecture, rédigées par les membres de
l’association et/ou du comité de rédaction, closent le numéro ;
mentionnons ici celles de Claude Garnier-Tardieu aux recueils de Catherine
Andrieu (Des nouvelles de Léda ?) et d’Éric Chassefière (Garder
vivante la flamme du poème).
Enfin, de très belles œuvres plastiques parsèment les pages du numéro,
sous la signature de Marc Bergère, Annie Renaudot, Alain Lacouchie,
Colette Klein, Roger Gonnet, et sur la 4e de couverture, Martine
Morillon-Carreau, avec un extraordinaire collage anamorphique réalisé à partir
des Ambassadeurs de Holbein le Jeune.
(Dana Shishmanian)
Dans
l’édition, le retour en grâce de la poésie
Porté par un engouement des lecteurs, ce tout petit secteur de l’édition a vu son chiffre d’affaires croître de 17 % en 2024 pour franchir le cap des 20 millions d’euros. Nicole Vulser dans Le Monde, 20 mars 2025
*
Les éditions Al Manar publient 3 livres de poésie sur la Palestine :
Nida Younis (direction), Palestine en éclats. Anthologie de poésie féminine palestinienne contemporaine (mars 2025, 256 p., 23 €)
Première anthologie de poésie palestinienne féminine contemporaine : un panorama quasi exhaustif de la poésie au féminin dans la Palestine éclatée que nous connaissons aujourd’hui : à Gaza, dans les territoires de l’intérieur, en Cisjordanie et dans le monde de la diaspora palestinienne. Traduction et présentation par Mohamed Kacimi.
Un livre très dense, riche, habité par une poésie dans laquelle résonnent les drames de cette terre, de ce peuple, ses espoirs également, son désir de paix. Accompagnement plastique de Colette Deblé.
Salah Al Hamdani, Palestine je te chéris (février 2025, 40 p., 12 €)
« Yousif Naser, artiste peintre, et Salah Al Hamdani, poète, sont deux exilés de l’Irak depuis les années soixante-dix. Ils ont fui à la même époque la dictature du parti Baâth de Saddam Hussein. Ils ont l’un et l’autre été, à un moment de leur vie passée, engagés vis-à-vis du peuple palestinien.
Palestine je te chéris est une parole de réconfort et de reconnaissance, un soutien symbolique pour ce peuple qui subit depuis des mois les bombes, les assassinats par drones, les humiliations, les tortures, la famine organisée, l’extrême détresse, et en particulier celle des petits orphelins. Le monde entier est désormais spectateur de la bestialité́, du raffinement technologique et de l’hubris de ceux qui le détruisent. » (Isabelle Lagny)
Quelquefois
il faudrait fouetter la conscience des hommes je veux dire
ce qu’il reste des hommes
afin que tu te réveilles
resplendissante toujours au rendez-vous
avec une lucidité́ transcendant ta souffrance
Kebir M. Ammi, Dessine-moi une Palestine heureuse (février 2025, 32 p., 12 €)
Un long poème de Kebir Ammi pour que la Palestine connaisse enfin la paix… Dessins et peinture de Ghassan Faidi. Édition bilingue français-arabe (traduction du français vers l’arabe : Noureddine Bousfiha).
Dessine des hommes et des femmes
Qui ne songent qu’à réinventer l’horizon de leur insouciance
Quand le jour s’achève
En rattrapage, à ce même sujet :
Gérard Mordillat, Gaza. Rafael de Surtis (octobre 2024, 56 p., 17 €), avec des dessins de Joe Sacco. Préface par Christophe Dauphin. Dessin de couverture par Ernest Pignon-Ernest.
La paix est la seule bataille qui vaille la peine d'être menée. Albert Camus
« Ce sont treize poèmes saisissants. Signés par Gérard Mordillat dans un recueil sobrement intitulé Gaza avec un dessin de couverture acéré d’Ernest Pignon-Ernest, préfacé par Christophe Dauphin et édité en exemplaires numérotés par les Éditions Rafael de Surtis. Pour Mordillat, la poésie n’est pas ornementale, et l’on prend comme un direct au cœur ces « poèmes d’intervention » qui disent la violence génocidaire du gouvernement d’extrême-droite israélien contre les Palestiniens de l’enclave depuis le 7 octobre 2023. (…) Pour Mordillat : "Israël, le peuple victime/Est devenu le peuple bourreau". (…)
Poète, romancier, cinéaste, essayiste, né en 1949, Mordillat renouvelle tous les outils de l’écriture pour témoigner du réel et s’insurger devant les crimes et les dévastations commis partout dans le monde. (…) Une voix nécessaire pour contrer l’indifférence et l’impuissance dans laquelle meurent jour après jour les Palestiniens, à Gaza ou en Cisjordanie. (…) Il n’a cessé de documenter le conflit israélo-palestinien qu’il couvre depuis trente ans — Palestine (1993, Rackam), Gaza 1956 (2010, Futuropolis), une enquête menée sur dix ans —, d’abord comme reporter puis comme bédéiste-reporter, renouvelant par sa rigueur et sa créativité la force de frappe de la BD. »
(Extraits de la présentation du recueil et de l’auteur par Marina Da Silva sur le site orientXXI.info).
*
Les nouveautés des Éditions Arfuyen (janvier-mars 2025) :
Ilarie Voronca, Souvenirs de la planète Terre (roman, Coll. Le Rouge & le Noir, 192 p., 17 €)
Dans sa préface,
Nicolas Cavaillès, éditeur du volume Cioran dans la Pléiade et romancier chez
Corti, salue en Voronca « ce
génie symboliste et généreux, mû par une sollicitude sans borne » et,
dans ce roman, sa « fausse naïveté conceptuelle et hallucinée qui,
à chaque page, apporte des formules merveilleuses ».
Roger Munier, La Voix de l’érable – Opus incertum VII (Coll. Les Cahiers d'Arfuyen, 320 p., 22 €)
… Œuvre posthume, et conçue comme telle, puisque le propos de ce livre n’est nullement celui d’un journal ou de carnets intimes, mais cherche à atteindre ce qui fait l’essentiel de notre destinée de vivants, et qui est en réalité de nature « impersonnelle » : « Une autobiographie, mais qui ne serait faite que des moments impersonnels où l’être s’est senti traversé. » Œuvre totale, à la fois philosophique, spirituelle et poétique, qui ne peut se comparer à nulle autre dans l’histoire des littératures. (…)
Les éditions Arfuyen ont commencé de publier Roger Munier en volume dès 1980, l’année même où il commence à écrire son Opus incertum. À sa demande elles ont repris le flambeau de son édition en 2007 (Les Eaux profondes. Opus incertum V) lorsque Gallimard s’est retiré du projet.
À l’occasion de leur 50e anniversaire, les Éditions Arfuyen ont décidé de se lancer dans l’édition intégrale de la partie encore immergée de l’iceberg, de loin la plus importante et celle qui donne son sens à l’ensemble. Sous la direction conjointe de Jacques Munier et Gérard Pfister.
Dylan Thomas, L’Œuvre poétique II. Tout le soleil durant (Collection Neige, 360 p., 25 €)
Traduit de l’anglais et présenté par Hoa Hôï Vuong. Édition bilingue.
PRIX NELLY SACHS 2025 DE TRADUCTION LITTÉRAIRE
Né à Swansea sur la côte du pays de Galles, mort à 39 ans à New York, Dylan Thomas (1914-1953) est un de ces poètes météores dont l’œuvre intense et déroutante ne cesse de nous interroger. Les Éditions Arfuyen ont décidé de publier en deux gros volumes bilingues l’intégrale de cette œuvre réputée intraduisible. Le premier volume de L’Œuvre poétique de Dylan Thomas (1914-1953) a paru aux Éditions Arfuyen en février 2024. Avec ce second volume le lecteur français a maintenant accès à l’intégralité de cette œuvre, l’une des plus importantes et déroutantes de la poésie du XXe siècle.
Pierre Dhainaut, Et pourtant. Suivi de suivi de Ajouter du noir, ou non et de Ce qui doit venir (Coll. Les Cahiers d'Arfuyen, 144 p., 15 €)
Et pourtant est le dixième recueil de Pierre Dhainaut que publient les Éditions Arfuyen, témoignage d’une profonde affinité et d’une relation privilégiée.
« L’air / demande / une aide, / les poèmes / parfois / l’exaucent. » Il n’est pas de meilleure image de la poésie de Dhainaut que cette large et généreuse respiration que donnent les immenses plages de la mer du Nord. Mais que faire quand l’air lui-même vient à manquer, quand lui-même appelle à l’aide ?
Pour éviter l’étouffement, le poète ne peut compter alors que sur les mots. Mais ce n’est que « parfois » que vient par eux « l’exaucement ». Le poète n’en sait que trop les limites : « Aucun mot ne nous a sauvés, quelques-uns / malgré tout persistent, palpitent. » Le poète est lucide, et pourtant, pourtant demeure convaincu que « seul un poème / rend l’inquiétude heureuse ».
*
Catherine Bruneau, Illuminations d’hiver. Rafael de Surtis, mars 2024
Dans ces Illuminations d’hiver, d’une rare profondeur, Catherine Bruneau tente d’effacer toute dualité entre le corps et l’esprit, entre la compassion et l’intelligence. Si les vers semblent un peu classiques, ce n’est qu’une apparence : la langue poétique de ce recueil est inséparable d’une force aussi mélancolique qu’existentielle, questionnant son propre fondement jusque dans une modernité tout à fait actuelle. Peut-être l’affirmation du désir va-t-elle de pair ici avec l’exploration d’une nouvelle exaltation ? En tout cas, la sensibilité et la justesse semblent réconcilier invariablement les violents questionnements de la vie avec une forme de sagesse existentielle. Et cette élévation pourrait alors répondre à l’idéal d’une réconciliation avec le moi profond.
Bercer
son corps comme on berce un enfant
Calmer
ses propres peurs, ses douleurs lancinantes
Qui
n’en finissent pas d’éroder la peau, les muscles, les
os
Jusqu’à suspendre tout mouvement
(Paul Sanda)
Annie Le Brun, L’insistant désir de voir s’élargir l’horizon. Édition préparée par Rémy Ricordeau et Sylvain Tanquerel. Éditions L’Échappée (1er trim. 2025, 127 p., 13 €)
À l’heure où la vie et l’imaginaire tendent à se dissoudre dans les eaux froides du calcul égoïste, « transformer le monde » et « changer la vie », mots d’ordre de plusieurs générations de révoltés, sont aussi bien le point de départ que le point d’arrivée de l’itinéraire intellectuel et sensible d’Annie Le Brun, qui nous a récemment quittés. Ses livres, ses prises de position, ou ses nombreuses interventions sont abordés dans ce livre au travers de textes ou d’entretiens, peu connus ou inédits en français, qui témoignent tous de ce que sa vie aura été une dérive au long cours durant laquelle elle n’a cessé de miser sur la liberté des êtres, dans le désir toujours renouvelé de voir s'élargir l'horizon. Comment lui rendre meilleur hommage que de lui donner, encore une fois, la parole ?
Livre d’entretiens (2001, 2007, 2021, 2024) et une conférence (2021), avec à la fin une bibliographie complète de l’œuvre d’Annie Le Brun ; avant-propos par Rémy Ricordeau et Sylvain Tanquerel.
RUNES & RUINES. Les Cahiers des Poètes & Co., mars 2024 (14 €).
L’anthologie à laquelle contribuent 86 poètes et artistes, dirigée par Marilyne Bertoncini, est disponible en précommande; écrire à : embarquement.poetique@gmail.com: Merci à toutes et tous, et merci Jean-Michel Sananes à qui nous devons ce beau livre.
Faire courir le monde. Éditions Ad verba, mars 2025 (93 p., 14 €)
Pour leur première publication, les éditions Ad verba ont lancé un appel à textes à partir d’un corpus d’images : broderies de Christine Lumineau (inspirées par la tapisserie de Bayeux) et installations de Xavier Ribot. Là est la source. Le fleuve, ce sont les 389 textes poétiques écrits par 220 personnes, âgées de 13 à 79 ans.
Cet
ouvrage contient la sélection des 38 poèmes retenus par le comité de lecture,
avec un rappel des visuels en filigrane et sur les rabats.
Parmi les auteurs : Clément Cohen, Michel Herland, Stéphane Keruel, Bénédicte Montjoie…
Maggy de Coster – Sarah Mostrel, Poésie au gré des toiles. La Route de la Soie-éditions, mars 2025 (27 €).
Dans Poésie au gré des toiles, Maggy de Coster et Sarah Mostrel nous livrent une symphonie en deux dimensions : la poésie et la peinture s'entrelacent pour raconter le monde dans toute sa complexité.
Chaque page résonne comme une invitation à explorer les profondeurs de l'âme humaine et à embrasser la beauté plurielle qui se cache dans l'ordinaire.
Les poèmes de Maggy de Coster sont des éclats d'émotions posées sur les toiles de Sarah Mostrel. Ensemble, elles construisent un univers sensoriel et spirituel, oscillant entre la légèreté de l'espoir et la gravité de la condition humaine.
Ce livre est bien plus qu'une œuvre artistique : c'est une expérience à vivre, un voyage introspectif où chaque lecteur trouvera sa propre résonance. Plongez dans cet univers où l'art transcende les mots et les formes pour toucher l'intime.
Patrice Perron, Instantanés. Des Sources et des Livres, février 2025 (64 p., 15 €)
Avec des illustrations de Marie Lemaire, Sophie Desvéronnières, Jean-Luc Guillemoto, Martine Rouat Pineau, Patrice Perron, ce recueil élégant, d’excellente tenue graphique, renferme des poèmes accrocheurs tels des instantanés photographiques dont l’espace pourtant semble s’échapper comme aspiré par une volonté de dépassement des limites :
Au-delà
des contraintes
Du
monde,
Plus
haut que les pensées
Normalisées,
Être
capable de se hisser
Plus
haut
Que
l’ordinaire annoncé.
Là,
Où
nous pouvons être ensemble.
Patrice Perron, De retour de guerre. Éditions Sauvages (collection Askell), janvier 2025 (41 p., 10 €)
Des poèmes courts et poignants, accompagnés d’aquarelles de Martine Rouat Pineau.
« … quand il rentre chez lui, le soldat porte des marques, extérieures peut-être, mais intérieures, sûrement. Il a vu, et a peut-être commis, des choses abominables. Sa conscience peut se trouver perturbée. Il doit aussi affronter le regard des autres, ses voisins, amis, membres de sa famille. La vie ne sera plus jamais comme avant. » (4e de couverture)
*
Les
nouveautés d’Échappée Belle édition (collection de poésie Ouvre-Boîtes, janvier-février
2025) :
Iren Mihaylova, Depuis ma chère disparition (40 p., 10 €)
Depuis ma chère disparition commence à l’ombre de sa « chère disparition » : il est une lumière qui luit à travers les pas de celle qui rêve de retrouvailles, une lumière que la poète Iren Mihaylova veut « sauver » pour dessiner son chemin vers l’horizon natal et réécrire le refrain d’une perte : il y a cette main attachée aux souvenirs, à l’échelle du manque qui rêve de l’autre main, ce même chemin accroché aux « semelles de sa tempête » que le vent contient et dont la poète voudrait transformer le sens, un sens né du souffle coupé, une respiration de l’origine à réapprendre, un vent qui s’embrasse à deux.
Depuis ma chère disparition est une traversée vers, une vérité qui se raconte, une histoire d’énigmes et de repères autour de cet autre à apprivoiser, à retrouver. Sa nuit d’exil est un refuge confronté à l’ouverture du jour, une « chute-lumière » qui relève son « cœur-plafond ». Extrait de la préface, Damien Paisant, écrivain.
Philippe Minot, Le partir (52 p., 10 €)
Dans cette poésie, pas de reverdie : ni primevère jolie qui revit, ni lumière qui rejaillit. Ce départ n’est pas un nouveau départ. Nulle renaissance à venir dans la vieillesse qui étreint et étouffe, dans la séparation d’avec un monde qui s’efface.
Les jours s’enfuient, le jour baisse, le silence se fait, où ne s’entend plus qu’un murmure, dans un souffle dernier : Memento mori !
Un homme vieilli vacille vers l’oubli, hagard, anxieux, sous le regard tourmenté des siens.
(…) Ces haïkus, par leur concision et leur puissance d’évocation, portent la mémoire grave d’un quotidien usé qui perdure et qui s’effiloche, n’appelant plus que le néant. (…)
Valérie Poussard-Fournaison, Intérieur terre (72 p., 15 €)
Le recueil se compose de petits poèmes d’espace, constitués de hauts et de bas, d’entrées et de sorties, de dehors et de dedans : face aux menaces, il s’agit de se rassembler, de partir à la recherche d’un terrier. Des lignes horizontales et verticales dessinent le paysage d’une quête sans triomphe vers un refuge, un réduit de presque rien, qu’on aménage comme on peut dans l’espoir d’une note claire.
Laurence Lépine, Un premier soir au monde. Lettre à Paul Celan (72 p., 15 €)
Ces
poèmes sont nés de deux rencontres - la même peut-être.
La
première, il y a des années avec la poésie de Paul Celan - choc esthétique et
profondément humain. Je me souviens combien cette phrase tentant de définir la
poésie de Celan me troublait : écrire dans la langue des bourreaux. Je
pensais : qui, quoi, hors la poésie parvient à faire
cela ?
La
deuxième rencontre s’est produite à Wiesbaden où j’étais accueillie à la Villa
Clémentine pour une résidence poétique autour de la majestueuse figure
d’Hildegarde de Bingen. Tel était mon projet lorsque ALCA aquitaine a retenu ma
proposition.
C’était
sans compter, lors d’une première visite de la ville, ma rencontre avec les
pierres d’achoppements. Stolperstein en allemand.
J’en ignorais alors l’existence. J’ai d’abord cru à une décoration au sol - des
petits carrés dorés. J’ai pensé à Klimt. Puis j’ai lu : le nom, la date de
l’arrestation, le lieu de déportation. Auschwitz pour la plupart.
Le
choc fut si grand - une lettre/recueil de poèmes à Paul Celan s’est imposée à
moi. Il y a longtemps que je voulais lui écrire. Me manquait peut-être
jusque-là le lieu, le sol, la langue. La mémoire (ré)ouverte. Me manquait un
premier soir au monde.
(Je
n’ai jamais eu la force de visiter le petit musée juif de Wiesbaden. J’ai
toujours eu peur d’y croiser, sur une photo, mon visage).
Luc Marsal, Les neiges éternelles (46 p., 10 €)
Luc Marsal traverse la vie comme on remonte un fleuve. À chaque pas, il observe, s’émeut, saisit l’instant et dépose des mots, fragments universels, qui scintillent au grand jour : ses « neiges éternelles ».
Des blessures de l’enfance jusqu’à la volonté farouche de vivre malgré les vents contraires, le poète trouve dans la poésie un exutoire pour sublimer et partager ce qui fait pour lui le sel de la vie.
Prix Jean Cocteau 2024 de la Société des Poètes Français.
*
Péric Bisseck, Idylles de Mayotte. L’œil de Chido. Cap de l’Étang Éditions (collection Plume d’ivoire n° 54), février 2025 (122 p., 24 €).
5 €
versés par livre vendu pour les enfants sinistrés de Mayotte.
Idylles de Mayotte, L’œil de Chido est un recueil de poèmes qui explore l’intimité de Mayotte après le passage du cyclone du 14 décembre 2024. Des vers empreints de douleur, d’espoir et de résilience, témoignant de la souffrance des habitants, des efforts collectifs pour reconstruire et de l’injustice face aux grandes décisions politiques.
Alternant entre différents styles ‒ lyrique, satirique, classique, et prose poétique ‒ il traite de la lutte humaine, de la force de la nature, de la solidarité et du contraste entre le désastre et l’espoir d’un avenir reconstruit. C’est un appel à la reconnaissance de Mayotte, à l’action urgente et un hommage à la résilience humaine.
Houda Darwish, Cette femme que je suis. Éditions L’Harmattan, février 2025 (120 p., 16 €)
« La belle musicalité des vers de Houda Darwich invite à lire, à relire et à se laisser ainsi pénétrer par son message, par ses messages : la douleur de la guerre, l’immigration, la nation, la nostalgie, l’amour aussi et l’attachement à l’aimé.
Houda
parle de la femme, de sa beauté, de son courage, de sa place et des
revendications qu’elle porte, étouffée par le poids du conservatisme et des
non-dits qu’on retrouve dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Car c’est
la femme qui nous chante son amour révolté, avec son lyrisme rebelle, de Damas
à Beyrouth, de la Palestine à l’Algérie. »
Felix Boulé - Radio Laser
Henrieta Serban, Mise-en-abîme. Éditions L’Harmattan, février 2025 (80 p., 12 €)
« Ce recueil de poésies est un témoin sensible et surprenant de la profondeur d’âme et d’esprit de l’autrice. Cette fois-ci, par la voie de la beauté, du beau révélé dans les moindres détails composant le tout qui nous entoure, la voie de l’émotion pesée et forte issue des mots choisis pour décrire et expliquer le monde.
L’expression est simple mais riche dans ses poésies. Sans exagérations, sans ambition consciente de forcer les mots et les pensées qui sont à leur origine ; il s’agit d’un regard simple, honnête et profond sur le monde, tel qu’il peut être perçu par les sens et connu par l’esprit. Il s’agit d’un travail d’explorateur/d’exploratrice qui a commencé juste pour prendre la force de continuer. » (Préface de Ruxandra Iordache)
Agnes Adda, Telle quelle, l'émotion de le dire. Éditions Unicité, février 2025 (120 p., 14 €).
L’inspiration est un chemin et les poèmes d’Agnès Adda sont autant de perles semées sur des sentiers sensibles et nombreux. Perles de pluie, perles de nacre, de rosée, toutes mêlent leur sensorialité vers un seul et même lieu : l’émotion.
L’arrière-saison
En une nuit
Elle insuffle sa présence.
Au promeneur attentif
Le hasard dévoile aussi
Telle demeure secrète
Un havre au-delà des pins
Qu’échevelle un coup de vent
Comme un îlot rêvé avec certitude
- Atlantide.
Catherine Andrieu, Si loin que l’oiseau. Éditions du Petit Pavé, février 2025 (57 p., 10 €). In memoriam Daniel Brochard (1974-2023)
… Si loin que l’oiseau, plus qu’un livre d’hommage, est un livre d’orages. Il rend la vérité d’une relation complexe entre deux êtres inadaptés et épris d’absolu – l’un comme l’autre failles affamées d’ailleurs, béances de l’esprit ouvertes aux grandes traverses déroutantes de l’imaginaire.
L’entrechoquement des sentiments contradictoires, le chaos émotionnel, est la loi de cette relation. L’amour et la haine, bien sûr (dès le premier poème, qui donne la note de tout le recueil, et dans lequel les calembours crachent leurs sarcasmes désespérés) – et leurs nuances : tendresse, tristesse, attentes et espérances, désespoirs, ironie cinglante, douceur des souvenirs, compréhension, incompréhension, inquiétude, impatiences, appels et supplications, sentiment de proximité, effroi de la perte, reproches, accusations…
Catherine
Andrieu est un esprit particulièrement lucide – quant à autrui, et quant à soi.
Si pourtant l’exaspère, et l’excède et l’égare, le
chaos émotionnel, c’est sans la diviser : car sa conscience réflexive sait la
réunir à elle-même, par un détour qui la recentre. Ainsi, dans son art, dans sa
poésie – comme peut-être dans tout Art, toute Poésie qui franchit les portes de
corne et d’ivoire –, le chaos se révèle-t-il régime transcendant de la
lucidité.
Si loin que l’oiseau est une œuvre de haute vérité, poétique et humaine.
(J.H.)
Catherine Andrieu, Au-delà du dernier rivage. Rafael de Surtis, janvier 2025 (70 p., 19 €)
Au-delà du dernier rivage invite à une traversée littéraire au cœur des liminalités : le lecteur est convié à franchir des seils entre le visible et l’invisible, le réel et l’imaginaire, l’éphémère et l’éternel. Ce voyage, à la fois intérieur et onirique, s’inscrit dans une dynamique de quête existentielle, où la poésie devient un espace de résonnance intime avec les grandes interrogations humaines. (4e de couverture)
Domi Bergougnoux, La chanson à deux bouches. Éditions du Cygne, janvier 2025 (95 p., 15 €)
Ce recueil est dédié aux amours, il rassemble des poèmes écrits tout au long de ma vie. Chaque amour impose son paysage, sa chanson, ses couleurs.
Oui, en effet, on dirait qu’on a affaire à des poèmes d’amour, imbus de sensualité voire par endroits intensément érotiques. Et pourtant tout n’est qu’évocation, souvenir ranimé en paroles, recréation… par-dessus le vide qui tout en s’infiltrant et prenant progressivement la place de la vie, fait aussi circuler les mots et vivre le poème.
Alors
j’écris encore
l’absence sous les glaces
le
ciel à la fenêtre
l’eau en cage derrière les yeux
la
délivrance des mots
leur parfum de fleurs tombées
dans le buvard de la nuit
(…)
Ça vient d’en bas
d’en haut
fluide entre eux
Juste la musique de la voix sans les mots
et l’espace enjambe le langage dans
la bouche
Martine Rouhart, La nuit ne dort jamais. Éditions du Cygne, janvier 2025 (60 p., 12 €)
Ce que la nuit noue et dénoue au fond de nous. Elle vient, vit sa vie, on la traverse, aboutissement ou commencement...
Toutes ces lumières
venues d’ailleurs
qui s’ouvrent
sous nos paupières
quand nous couchons
notre fatigue
entre les draps
Françoise Urban-Menninger, La mémoire poétique. Éditions Asterion, janvier 2025 (105 p., 10 €)
Peut-on donner une définition de la poésie ? Eugène Guillevic en dit qu’elle est « autre chose » et Milan Kundera l’appréhende dans ce qu’il nomme « la mémoire poétique ».
Françoise Urban-Menninger transcende ces approches pour égrener sa petite musique de l’âme dont les vers lumineux et épurés nous éclairent.
le ciel est laiteux
avec une pointe de bleu
dans laquelle je trempe
l’eau de mes songes
je nage à l’envers
la tête dans l’azur
le corps immergé
dans ma rémanence
Dominique Marbeau, Noces de cendre - Chemin d’azur. Éditions L’Harmattan, janvier 2025 (108 p., 13 €).
Un volcan s’est éteint. Des oiseaux tombent à terre les uns après les autres. Ne restent que des cendres, métaphore de la fin d’une immense passion. Devant ce spectacle désolant, celui qui déborde de sensibilité n’a qu’un recours, la Poésie pour vivre. Avec des images fortes le poème devient une libération. Et peu à peu dans l’errance de sa douleur, le poète sent naître un autre amour ; l’amour des mots, de la création poétique qui demande tant de sacrifices et d’humilité pour toucher un peu la beauté du monde, « cette eau sacrée qui coule dans les choses » (Yves Bonnefoy). Fort justement, Gilles Lades déclare à propos de ce recueil : « De poèmes-bilans en poèmes-ouvertures, Dominique Marbeau dessine un chemin. Il l’a taillé dans la chair de sa vie, dans la frémissante argile de l’inspiration, dans les flots contraires d’une longue tempête. Retenons-en l’exemplarité émouvante et salutaire. »
Daniel Rivel, Solitudes des mondes rétrécis, suivi de Ukraine, mars 2022. Éditions L’Harmattan (collection Accent tonique), janvier 2025 (65 p., 11 €).
L’auteur a longtemps milité au sein de mouvements non-violents et continue aujourd’hui de s’impliquer dans des associations humanistes et de solidarité, comme un espoir de pouvoir apporter une petite pierre à l’édifice du monde.
Ce recueil rassemble des textes issus de ses révoltes et de ses questionnements, avec l’envie de répandre une certaine idée de la dignité et poser la question de la fraternité.
ce monde de déchirures
plaies profondes qu’ils voudraient
guérir par le garrot
des frontières
dans l’ombre et le brouillard qu’ils
projettent
de ce trait diviseur qu’il naisse de
nouveaux départs
un espace du risque de l’autre
paroles partagées
mains à serrer
corps à embrasser
Crestiane Chatuant, À mes larmes et l’espérance. Éditions Jets d’encre, décembre 2024 (40 p., 13 €).
Malgré le
temps qui passe, le passé et les regrets reviennent comme des fantômes,
laissant derrière eux des cicatrices que le temps ne parvient jamais à effacer.
Au cœur de ce recueil de poèmes, Crestiane Chatuant expose ses pensées dans toute leur complexité.
Derrière chaque mot se trouve une quête incessante de sens, une lutte contre
les ombres qui hantent l’âme. Les liens familiaux, le poids des souvenirs, la
culpabilité et le désir s’y entremêlent pour révéler les faces obscures de ses
émotions les plus profondes. Un recueil de poèmes qui explore, avec intensité
et gravité, les tourments de l’amour, du désir, de la culpabilité et des
souvenirs qui marquent à jamais l’âme.
Démon… Démon,
Si je n’arrive pas à demander pardon pour ma désobéissance,
Lis au fond de mon âme et tu comprendras mon irrespect.
Enfant de l’enfer,
Je ne pourrai pas me soumettre à tes disciples tant que ma
vengeance ne sera pas résolue.
(Dana Shishmanian)
***
Les éditions Encres Vives ont publié au 1er trimestre 2025 :
Catherine Bruneau, Embrasser (n° 544)
Dans cet ensemble de poèmes, l’auteure explore librement ses rapports au monde, la nature comme les êtres et objets qu’elle croise sur son chemin, réel ou rêvé. Les rencontres sont l’objet de courtes scénettes où elle recherche chaque fois le merveilleux pour contrer la peur de voir la vie s’effacer dans l’instant. Sans relâche, dans sa marche à travers le monde, elle traque le moindre frémissement qui peut appeler le rêve et l’espoir.
Georges Cathalo, On aura
(n° 545)
on aura donné
sans avoir reçu
mais aussi à parts égales
reçu sans avoir donné
on aura réchauffé
ses mains et ses pieds
à des flammes sans feu
on aura plongé
dans le ventre chaud
du futur immédiat
Nicolas Rouzet, Une vie plus vraie que la mienne (n° 546)
Dans la lumière méditerranéenne, un homme se penche sur une fontaine à l’heure de midi. Lui reviennent images et souvenirs de son enfance dans une ville du Nord.
Le thème du vertige y est récurrent : l’enfant suspendu au bord du vide par ses frères, les bibelots de sa mère qu’il jette par-dessus le balcon, la figure d’une acrobate…
L’enfant se refuse à parler. Parler ne serait-ce pas quitter de façon vertigineuse la communion immédiate avec les êtres et les choses ?
Jacques Merceron, Ombrageuses fratries (n° 547)
Jamais hors du crible des mots
Pas d’autre farine à
bluter
Que ces épis et grains
enracinés dans le réel
Barbes et globules
impavides
Renfrognés
Pas
d’autre lucarne pour voir
Sentir palper en proche ou lointain
Pas
d’autre soupirail à agripper
Que ces mailles
En pelures de mots
Patrick Devaux, Le silence des oyats (collection Lieu, n° 410)
Le poème
est-il, avec la mer, à la recherche des mots perdus entre sable et cabines de
plage ?
Est-ce
dans « l’inachevé des oublis » que se révèle un lieu entre dunes de sable et oyats, ces plantes ensablées luttant en
autant de mouvements silencieux pérennisant, avec le vent, rêves et
souvenirs ?
Chacun
aura une réponse à ses propres cheminements entre réalités et fantasmes marins
avec peut-être, comme disait le Grand Jacques, les « vagues de dunes
pour arrêter les vagues ».
Joseph
Ramonéda, Cités du monde (collection Lieu, n° 411)
Voyager à
travers le Monde et plus particulièrement à travers les cités du Monde, c’est
bien sûr voir des lieux, découvrir des monuments, partir à la recherche
d’émotions mais c’est surtout rencontrer des gens et leurs histoires.
Ce recueil
est donc une invitation à la rencontre bienveillante et au partage avec
l’Autre, cet Autre qui est une part de nous-mêmes et qui nous renvoie à qui
nous sommes.
Luc Monnin, Ma citadelle (collection Lieu, n° 412)
J’écris
depuis 1985, dans le sillage de collègues professeurs, dont un spécialiste de
Montaigne, devenu professeur de faculté.
J’écris
surtout sur la citadelle médiévale de Pesmes dans laquelle j’ai gravi tant
d’escaliers, accompagné tant de copains (« les copains d’abord »),
envié tant de Pesmois qui savaient siffler. J’étais l’étudiant mais, eux,
savaient siffler et escalader le lierre.
Pour moi « écrire, c’est
vivre »
Augustin Maller, Carnet de voyages (collection Lieu, n° 413)
Entre naissance et renaissance, Augustin Maller invite les sens à
découvrir son premier voyage en Kabylie. Un recueil presque naturaliste qui
amène à poser son cœur au milieu de la montagne et respirer la nature solaire
de ce petit bout d’Algérie.
Dominique
Caux, Chemin d’écume (collection Lieu, n° 414)
Monologue
poétique sur Loango (Congo-Brazzaville), le texte est un souvenir de voyage et
un hommage à un haut lieu de mémoire de la traite négrière en Afrique centrale.
Menacé par des chantiers pétroliers et le réchauffement climatique qui érodent
les côtes, Loango lutte contre sa disparition.
L’évocation
du lieu est plurielle.
L’allée
des manguiers, dite « allée des esclaves », le village des pêcheurs
et son quotidien, l’évocation des flots, la présence de la mémoire orale
teintée d’animisme sont autant d’éléments du poème pour rendre hommage à un
lieu de mémoire, vestige précieux d’un autre temps. Le poème, la poésie ont
cette vocation de témoigner de la trace et du silence qui entourent désormais
cette plage du Congo, de son mystère et de son histoire.
Jacquy Gil, Au plus près du jour (collection Encres Blanches, n° 833)
Ouvrir un livre...
Ne point résister à la fuite, laisser fuguer les yeux sur le relief des lettres, puis emprunter une phrase comme on emprunte un sentier de montagne, ignorant tout de sa destination. Penser seulement au silence, à la beauté des cimes, au bonheur d’arpenter l’inconnu.
Y trouver quelque refuge, un monde où se retrouver avec soi-même, inaccessible aux voleurs de temps, aux tortionnaires de l’âme.
Aller au cœur de l’action,
pénétrer son histoire, se laisser emmener par ses mots, habiter ses
personnages. Et vivre enfin ! Une heure, une minute, une seconde... un bref
instant.
Philippe Minot, Terreaux (collection Encres Blanches, n° 834)
La silve, forêt primaire, vierge, sauvage, tandis que
s’effondrent nos civilisations urbaines sophistiquées et financiarisées, reste
fréquentée, pour qui s’y aventure, d’antiques esprits sylvestres, nymphes,
faunes et fées….
Dans une
selve de haïkus buissonnants, de baliveau en taillis, de souche en fût,
s’arpentent ici les bois et les sous-bois, et notre façon de les hanter pour
nous y enraciner.
ramure
en dormance
intense
attente en humus
du
germe en latence
Gérard
Le Goff, Aires de vent (collection
Encres Blanches, n° 835)
La rose des
vents inscrit dans l’espace sa corolle losangée. Ses pétales aigus s’élancent
tous azimuts. Quatre composent une croix cardinale. Intégrée au compas
magnétique, cette fleur des cieux se subdivise en trente-deux aires de vent
nommées aussi rhumbs. Chaque aire de vent ou rhumb est une subdivision
constitutive du tour d’horizon qui indique la direction d’un vent en référence
aux pôles, au levant et au ponant. Un vrai navigateur sait toutes les routes de
tous les vents.
Catherine Andrieu, Un bain d’étoile (collection Encres Blanches, n° 836)
C’est l’histoire d’un trou-matisme. C’est un livre que j’aurais préféré ne jamais écrire. C’est le livre de la vie vivante, c’est-à-dire aussi de la mort...
Gérard Leyzieux, Évasive valise (collection Encres Blanches, n° 837)
Une fois
ouverte, de la valise retrouvée au grenier s’envolent les souvenirs de la vie
d’avant… Les objets hétéroclites d’une jeunesse futile surgissent de l’oubli et
investissent l’avenir d’un passé qui fut mais qui a été fui. Comment réagir
face à cette matière mémorielle emplie de vide ? Comment, derrière les
bibelots vieillis réunis ici, accueillir ces voix, ces encres, ces échos
« révélateurs d’un creuset existentiel » ?
Hervé Lapillonne, L’attente en filigrane (collection Encres Blanches, n° 838)
Les ans s’accumulent. De printemps en hiver. D’ombres et de lumières, si tant est qu’elles soient parfois trompeuses. Peut-on vraiment s’y fier, n’est-on pas parfois victimes de leurres ? Comme le vrai et le faux qui prennent souvent malin plaisir à nous tromper… C’est peut-être le bout du chemin qui arrive. Alors, on s’essaie à plus d’humilité. On écoute plutôt que céder à la parole facile. On attend. La nature semble parler : le vent, les arbres, les fleurs… Comme pour nous accompagner mais, là encore, les voix sont-elles bien réelles ou est-ce une illusion qui se joue de nous ? Ces voix qu’on ne peut ni attendre ni susciter car « elles viennent toujours par surprise ». Peut-être, au bout, un retour à la maison.
*
Patrick Lepetit, Liberté d’Oiseau. Éditions Sémaphore (Quimperlé), collection Arcane, février 2025 (71 p., 13 €).
Dans les nuées, au plus près des limites,Patrick Lepetit nous aimante à l'amplitude de
cette liberté d'oiseau, celle qui transcende, ouvre à des dimensions au-delà
des contingences. Cette liberté-là, nous indique le poète, consiste à «
sublimer la réalité au-delà du raisonnable. » L'homme en quête d'un espace
ouvert y atteint un haut niveau de perception.
Jean Azarel, Le chant des au revoir (pour Joan Baez), Atelier du Hanneton, février 2025 (20 p., 8 €)
Poèmes écrits en hommage à Joan Baez, dans le cadre du Festival de la Parole Poétique Sémaphore 2025 (20e édition).
Jean-Yves Rezeau, Anthologie « Esprit de résistance, L’année poétique : 118 poètes d’aujourd’hui », Éditions Seghers, janvier 2025 (395 p., 20 €).
L'Année poétique propose un rendez-vous annuel aux passionnés
de poésie. Elle redonne vie à une collection des éditions Seghers restée
mythique pour tout amateur du genre.
Sous le thème « Esprit de résistance », cette anthologie
réunit 118 auteurs qui ont marqué une année de création poétique dans la
francophonie. Des poètes consacrés et de nouvelles voix qui viennent de France,
de Belgique, du Luxembourg, du Québec ou de Suisse, ou encore de Guinée,
d'Haïti, du Liban, du Maroc, de Roumanie ou de Djibouti, pour ceux qui ont
choisi d'écrire en français.
Elle présente ainsi un large panorama de l'actualité
poétique avec une foison de textes inédits, étonnants par leur diversité de ton
et de forme. Tous résistent aux convenances et aux discours dominants, à
l'impérialisme du sens, à une ère de cynisme et de médiocrité sublimée, pour
s'insurger contre l'état du monde. Puisque la poésie, « substance de vie »
et lieu de remise enjeu permanente de la langue, est stratégie de résistance en
soi.
Jacqueline Saint-Jean, À Versenvers. Éditions Sémaphore (Quimperlé), collection Arcane, décembre 2024 (37 p., 11 €).
En
ce violet crépusculaire vibre
un
nostalgique solo de saxophone
qui
relie les solitudes éparses.
Puis
la nuit roule sur Versenvers
son
énergie noire et ses palpitations
stellaires.
Seul
au loin pulse encore, vital,
l'appel
lumineux du grand
Sémaphore
de nos odyssées.
Jean-Paul Le Bihan, Quelques Nouvelles du Monde. Éditions Sémaphore (Quimperlé), collection Cahier Nomade, décembre 2024 (85 p., 13 €).
Cette ombre qui ricane déjà dans notre dos
Cette ombre qui nous tint
Au mur des condamnés, en conscience d'Abel
Remet sa vie entre nos mains
Elle nous accompagna
Du premier jour jusqu'à l'ultime
Ignorant qu'elle traçait sa mémoire
Même aux jours sans soleil
(Eric Chassefière)
Les
Amis de Thalie, 1er
trimestre 2025
La belle revue trimestrielle dirigée par Nathalie Lescop-Boeswillwald se présente à nouveau sous une splendide forme graphique : papier de très bonne qualité, mise en page professionnelle, illustrations subtiles, un impressionnant dossier (réalisé par Michel Bénard) sur l’artiste Hélène Morel, avec la reproduction de ses vitraux évoquant la « résurgence de Notre Dame de Paris ».
Dans les proses, impossible de ne pas succomber au charme du récit mi-fantastique L’orgue du diable, de Roland Mercadal. Dans les essais et critiques, nous retiennent surtout un beau texte sur La Béatrice du Dante par Pierre Mironer, le bouleversant article Les détails de l’Histoire de Jean Moraisin (« L’Histoire ne ment pas pourvu qu’on ne la déforme pas en la maquillant aux traits du visage de la haine et parfois jusqu’au mensonge d’État »), les chroniques de Jeanne Champel Grenier sur Révélations, poèmes d Thierry Sajat, et L’ours et l’oursin, fables d’Olivier Dessibourg, la poignante évocation Victor Hugo et Léopoldine, par Michel Bénard, le passionnant dossier De la bohème montmartroise à la retraite contemplative : Max Jacob et Pierre Reverdy, par Pierre Guérande, et les notes de lecture de Nathalie Lescop-Boeswillwald (dont sur les revues Poésie sur Seine, Florilège, L’agora, Art et poésie de Touraine).
En lisant les poètes qui enchantent ce numéro, nous citerons quelques vers qui nous ont semblé emblématiques de la poésie d’aujourd’hui, ancrée dans un monde en crise et recherchant des sources de revirement humain et spirituel :
Prince des mots, mais sans tracas, / Pense au poète qui m’inspire / De la grâce et des falbalas… / Puisque sa vie il sut sourire. (Robert Parron, Ballade au poète ignoré)
Dompter le réel / En dessinant d’une main ferme des lignes sinueuses / Qui dansent entre les espoirs déçus (Sandra Le Penven, Le grand départ)
L’apparence du vide / Avalanche d’ivresse et de nausée / Fiel de la terre fiévreuse / Déplie le sommeil rose sur les galets blancs / Porte nos silences dans l’intervalle d’un poème renversé. (Moïse Coussement, La décadence)
l'anneau de fer mate le pied / le collier donne forme au cou – / de quel revers naîtra l’espoir / d’oser un jour les déposer (Soledad Lida)
… le cri muet de la foule monte vers le ciel comme une montagne aliénée et maudite · le sang absurde brille dans le labyrinthe céleste · les veines jaunes couvrent le miroir de leur coupable lâcheté (…) rien ne peut être lu – et pourtant hélas ! tout peut être compris (…) des bouches démentes à travers lesquelles le rien semble parler (Ara Alexandre Shishmanian, la mort témoigne)
Nous ne voulons plus de patrons (…) parce qu’ils volent, ils piétinent infatigablement / parce qu’ils tuent, ils tuent / sous tout ciel jour et nuit (Ferrucio Brugnaro)
…Mais le désert avance / Le monde entier / A perdu sa luminescence. / L’eau évaporée a perdu / Sa transparence. / Mais nous, enfants du feu / On cherche encore un peu d’espérance. (Aude Gorce)
L’éditorial de ce numéro nous touche tout particulièrement : Nathalie nous fait part du combat contre la maladie, engagé par Christian Boeswillwald, « rédacteur technique et compagnon fidèle en terre-poésie et humaine » – et nous souhaitons à tous les deux beaucoup de courage et de patience pour traverser cette lourde épreuve. Aussi, bon vent à la revue, qui poursuit sa route – et si elle passe en format numérique, nous l’aimerons autant !
Diérèse n°s 91
& 92
La consistante revue trimestrielle de Daniel Martinez (env. 320 pages par numéro), qui fête cette année ses 28 ans d’existence (voir l’historique de ses éditions sur le site de La poéthèque), nous fait découvrir en son numéro 91 (automne 2024), au volet Poésies du monde, des poèmes en version bilingue de Teresa Soto (traduction de l’espagnol : Max Alhau), Peter Härtling (présentation et traduction de l’allemand par Joël Vincent), Nuno Júdice (présentation et traductions du portugais par Jean-Paul Bota), Stamatis Polemakis (présentation et traduction du grec par Raymond Farina). Sous cette même rubrique, le numéro 92 (hiver 2024) nous procure le plaisir de continuer la découverte du poète portugais Nuno Júdice, disparu il y a tout jute un an (dans la traduction de Jean-Paul Bota), auquel s’ajoutent : José Manuel de Vasconcelos (traduit du portugais par Cecilia Basilio), Reiner Kunze, pour le domaine allemand (présenté et traduit par Joël Vincent), et enfin le poète français Alain Fabre-Catalan (traduit en italien par Elisa Bartolini).
La revue nous présente ensuite plusieurs « cahiers » de poésie, une section de Proses, un section Journaux, et deux sections (Focus, et Bonnes feuilles) dédiées toutes les deux aux chroniques et notes de lecture.
Une bonne vingtaine de poètes occupe les pages des 3 cahiers du numéro 91, dont nous retenons tout particulièrement : Jean Ancet, Christian Viguié, Pierre Dhainaut, Marc Alyn, Gérard Bocholier, Michel Passelergue, Daniel Martinez, Claude Albarède, Alain Brissiaud, Jean-Paul Bota, Mathiar Lair, Richard Roos-Weil, Guillaume de Pracomptal. Des 2 cahiers de poésie du numéro 92, nous retenons Max Alhau, Béatrice Pallier, Isabelle Lévesque & Pierre Dhainaut, Alain Fabre-Catalan, Mathieu Hilfiger, Christian Degoutte, Michel Diaz, et à nouveau, Daniel Martinez et Jean-Paul Bota.
Au-delà de la grande diversité des écritures et des styles, on perçoit à travers les meilleures pages de poésie de ces deux éditions successives comme un frisson de sacralité cathartique issue d’une prise immédiate avec le corps, la souffrance, l’angoisse, l’horreur, les désastres présents ou à venir, dont la parole poétique se fait l’oracle. Qu’il nous soit permis de cueillir quelques vers, un peu au hasard, pour illustrer ce sentiment de lecture :
Vous voyez venir ce que vous ne
voulez pas voir. Vous voyer le feu brutal dans le
déclin de l’ombre. (…)
Et qu’entendez-vous que vous ne
voulez pas entendre ? Quels cris qui ne sont pas d’oiseaux,
Quels hurlements en pleine lumière
dans le fracas et la poussière ? (…)
Le froid revient, vous en êtes
sûrs. Des morceaux de ciel se brisent
Sur des têtes errantes, et ce que
vous voyez tomber ce ne sont pas des feuilles
Mais des yeux et des mains. (…)
Mais qui pourrait vous voir dans
cette clarté cendreuse, qui
Vous entendre dans ce froissement
interminable, qui
Vous atteindre de ce toucher
humide qui laisse sur la peau une trace luisante ? (…)
Tout a basculé, le froid vous a
saisi, quelque chose comme du givre traverse les couleurs (…)
Vous savez qu’à chaque instant
tout bascule, que le monde n’est plus le monde mais ce chaos
Où la douleur appelle, vous
l’entendez, mais vous redites comment, comment quitter cette beauté
Son désespoir de feu avec vos
mains tendues qui ne sentent rien d’autre que ce qu’elles ne touchent
pas ?
Jacques Ancet (inédit, numéro 91)
…
nous qui ne sommes ni rivière / ni jupe ni feuillage ni oiseaux / comment
savoir si nos mots / enlèvent ou ajoutent quelque chose au monde ? /
Comment savoir si nos mots débordent / ou suivent avec paresse le courant
noueux de la rivière ? / Et sont-ils comme nous un début d’aurore / ou une
combinaison du fini ?
Christian Viguié (numéro 91)
… ce
feu n’a rien d’hostile, / le feu en profondeur du poème : / écrire, tout
l’art consiste à l’en extraire, / à ne pas tomber dans la chute, / qu’elle dure
un instant, l’éternité.
Pierre Dhainaut (numéro 91)
Le
Verbe – mon pays natal / au goût de maïs grillé – / respirait en moi / à contre-silence
/ fébrile mais tenace / dégagé de la machine à tambour du temps. / Vague après
vague / je me laissais porter vers le large / insubstantiel / et véhément.
Marc Alyn (numéro 91)
Vous qui revenez de la neige / et
sur la porte vous ébrouez / du vent blanc et du froid, / comment était le doute
dans l’entrelacs des bois morts ? (…)
Comment était le doute quand vous
marchiez sur la blancheur / et, farouchement, la profaniez ?
Claude Albarède (inédit, numéro 91)
Ton ombre désavoue la nuit / quoi
qu’on en pense. / Elle t’entraîne à l’extrême d’une route / dont l’infini est
le nom.
Ne perds pas ton ombre : / tu
ne saurais la retrouver / dans le désordre des jours / et de l’inclémence des
hommes.
Max Alhau (inédit, numéro 92)
… ses mains à lui au musicien /
illuminent ce qui reste de noirceur / embellissent les indices / d’une prise de
possession du monde / par la musique des sphères / toute une gamme de gestes
simples / condensant les veloutes sonores
Des forces croissent indivises /
une volonté inconnue change d’expression / librement hardiment / éclate la
Délivrance
Daniel Martinez (numéro 92)
fallait-il croire qu’un ordre très
subtil, aux très obscures lois, présidait dans sa sombre grandeur à l’harmonie
du monde, en sachant que tout près ou aux frontières proches, ou sur quelque
autre continent, mûrissent d’effroyables massacres ?
ou plutôt faudrait-il penser que
tout n’est qu’asservi à un mouvement illogique où les cris noirs des goélands
ouvrent des brèches dans la mer, où les forêts accouchent de déserts tapissés
de silice et de quartz, et qu’héritiers d’un vacillant passé, perdus à
mi-genèse, ayant dilapidé notre archaïque part de feu, nous sommes de
perpétuels mutants, arrogants bâtisseurs de ruines, enivrés par le bruit de la
mort violente et l’odeur d’orgasme du crime ?
Michel Diaz (inédit, numéro 92)
D’ailleurs les éditoriaux, signés par Jean-Louis Bernard pour le numéro 91 (La part du réel en poésie), et par Gabriel Zimmermann pour le numéro 92 (Quels sont les enjeux, théoriques et réels, de la poésie de nos jours ?), relançant au fond la sempiternelle question, posée pour la première fois par Platon dans Ion, de ce qu’est la poésie, réaffirment la vocation du poète non pas de « reconstituer » ou d’« englober » le réel, mais de créer par l’imaginaire même un réel génuine « dont nous habitons les fissures » et qui « participe de notre vision globale du chaos » (nous dit Jean-Louis Bernard, en citant Novalis : « Il faut que le chaos brille dans chaque poème »). Or le poète ne peut, ne doit pas éviter l’expression du « je » poétique face au monde d’aujourd’hui, où « la démagogie, l’agressivité politique, la parole ordurière sont plus rentables qu’argumenter avec respect, rigueur et nuance », ni aller dans la pudeur et la neutralisation du « je » jusqu’à « occulter les horreurs contemporaines » : il faut « rappeler l’origine ignée du langage poétique, la part d’incandescence et de déflagration qu’il porte en lui » et « exhumer le souffle natif de la poésie dont, à l’Antiquité, les premières œuvres racontent les exploits de personnages ardents, en quête de dépasser leur condition de mortels » ; un nouvel optimisme « comme dynamique créatrice » et « disponibilité exclusive à l’instant » est ainsi attendu (nous dit Gabriel Zimmermann, en invoquant « cet état que Philippe Jaccottet désigne par "accueillance" »).
Quant aux nombreuses chroniques à des recueils de poésie, nous citons, parmi les auteurs recensés : Angèle Paoli (par Pierre Dhainaut), Zéno Bianu (par Bruno Sourdin), Jacques Robinet (par Gérard Bocholier et Bernard Pignero), Evelyne Morin (par Jean-Louis Bernard), Gilles Lades (par Michel Diaz), Guy Goffette (par Gabriel Zimmermann), Max Alhau (par Gilles Lades), Max Alhau & Michel Lamart (par Éric Chassefière), Béatrice Pailler (par Éric Barbier), au numéro 91 ; Isabelle Lévesque (par Pierre Dhainaut), Michel Diaz (par Marie Claude San Juan), Gabriel Zimmermann (par Chantal Danjou), Marie Alloy et Danièle Corre (par Jean-Louis Bernard), Ara Alexandre Shishmanian (par Éric Chassefière, pour son « épopée lyrique » La létale de la lune), Béatrice Pailler (par Michel Lamart), Jean-Pierre Otte, Éric Chassefière, Marie-Hélène Prouteau, et Éric Barbier (par Michel Diaz), l’anthologie Resistir par Rocio Duràn Barba (par Bernard Fournier), Guénane Cade et Yvon Le Men (par Pierre Tanguy), Charles Akopian (par Éric Barbier).
De très belles aquarelles (de divers artistes) illustrent les numéros de cette cette revue foisonnante.
Traversées n° 109 (2025 – 1)
L’élégante revue dirigée par Patrice Breno et éditée à Virton (Belgique), sur du papier glacé avec un graphisme exquis, regroupe en ce numéro des textes de nombreux poètes francophones contemporains dont Claude Vancour, François Teyssandier, Christian Sapin, Martine Rouhart, Christophe Pineau-Thierry, Béatrice Pailler, Iren Mihaylova, Olivier Lechat, Jean Maison, Michel Guéneau, Maureen Boyle, Margaux Francisco, Jean-Marc Feldman, Sophie Djorkaeff, Muriel Carminati, Serge Brédart, Alexis Bottemer, Xavier Bordes, Nicolas Boldych, Patrice Blanc, Horia Badescu, Catherine Andrieu. Les accompagnent de belles reproductions d’œuvres picturales, photos ou dessins, dues à Dominique Linel, Isabelle Le Toullec, Christophe Pineau-Thierry, Cédric Hamelin.
Et pour encourager les auteurs, les lecteurs, les critiques à fréquenter les revues littéraires voire à en créer – fabuleuse aventure sinon vocation irrépressible qui s’étend parfois sur la durée d’une vie – le revuiste Claude Donnay nous raconte l’histoire de sa Bleu d’encre qui fête ses 25 ans (pp. 210-212).
Pour finir sur une note aigre-douce la lecture de ces 200 pages de poésie imbues d’un goût plutôt amer par les temps qu’il fait, et qui ne laissent aucun poète indifférent, un extrait de la Balade de l’insatisfaction chronique de Bertrand Gaydon :
Las
: l'infini n'est pas appréhendable,
Mais
le fini forcément trop petit,
Et
la vie n'est qu'une mauvaise fable
Pleine
de bruit, de fureur et d'orties,
Pourtant
on veut la vivre au ralenti,
Aussi
fait-on la gueule quand on meurt ;
Quant
à l'amour, il ne dure qu'une heure
Puis
disparaît comme neige de mai
Mais
on en peint et repeint les couleurs
Tout
en rêvant qu'il n'y ait pas de mais.
La revue imprimée (trimestrielle) est doublée en parallèle par une édition en ligne, où paraissent régulièrement des chroniques, des textes poétiques, des essais, des actualités littéraires.
Nouveaux délits, n° 80
Une remarquable moisson de poésie – immédiatement narrative, faussement lyrique, ouvertement dramatique, secrètement mythique, formellement surréaliste, apparemment absurde, toujours lucide, acerbe, écrite à l’aqua forte – dans le dernier numéro de la petite revue de Cathy Garcia Canales qui est toujours, comme le tardis du Dr. Who (désolée de me redire), bien plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur…
On y découvre cette fois Jean-Paul Bota, Jérémy Sernet (Pèregarou), Lionel Mazari (Broyer du blanc), Jean Ginestet, Aodren Buart (Madeira), Pablo Gelgon (Vie et mort d’un ouvrier intérimaire dans le BTP), Simon Degrave (Conférence à Berlin) : des textes puissants ancrés avec la même désinvolture dans le quotidien ou dans la psyché profonde et qui touchent le cœur et frappent l’esprit, comme autant de voix et de voies différentes qui se cherchent. Que veulent-elles ?...
« … ce que je pressens ou cherche dans les mots, une vibration, une inspiration du monde non pas pour en dépasser les drames inévitables qui sont en nous, noués au plus intime, mais pour en retrouver le chant premier…. » (Jean Ginestet)
Car, comme le dit la responsable de la publication de ces « délits » dans son édito : « Regarder, se regarder simplement soi-même, c’est vertigineux. »
(Dana Shishmanian)
***
Revue Portulan bleu,
n°44, octobre 2024
Le revue Portulan bleu est publiée par l’association Voix Tissées, qui rassemble poètes et artistes autour de la promotion de l’écriture poétique, sous la direction de Martine Rigo Sastre. Elle paraît trois fois par an, en février, mai et octobre.
Ce numéro a pour thème l’infini, dont Patricia Bruneaux dans son éditorial nous dit qu’il est « indicible », qu’il est « la voie empruntée des âmes qui portent leurs questionnements existentiels ». Et bien sûr l’on songe à l’infini apparent des espaces intersidéraux : « L’infini des physiciens, des mathématiciens, des astronomes, des cosmologues, est l’infini questionnement du Vivant. Êtres des étoiles, nous avons toujours interrogé le ciel, dans toutes les civilisations, depuis la nuit de nos créations. Comme une attente vitale, nous questionnons la taille du cosmos pour en repousser les limites. Nous sondons nos âmes en espoir de découvertes d’autres semblables ou de différents dans une altérité universelle ». Et Patricia Bruneaux de poursuivre : « Souvent le Poète emprunte le plus court chemin, le plus certain aussi. Il interroge le cœur. Et son cœur d’amour infini lui enseigne que le fini n’est pas humain, que les rouages du Vivant échappent à notre entendement […] L’infini est libre, d’une liberté éternelle, absolue, indéterminée, et créatrice ».
Une trentaine de poètes sont à l’affiche de ce numéro. Reproduisons ici le poème de Giacomo Leopardi, traduit par Philippe Jaccottet, intitulé « L’infini », qui vient conclure l’éditorial :
Toujours j’aimais cette hauteur déserte
Et cette haie qui du plus lointain horizon
Cache au regard une telle étendue.
Mais demeurant et contemplant j’invente
Des espaces interminables au-delà, de surhumains
Silences et une si profonde
Tranquillité que pour un peu se troublerait
Le cœur. Et percevant
Le vent qui passe dans ces feuilles
-
ce
silence
Infini, je le vais comparant
À cette voix, et me souviens de l’éternel,
Des saisons qui sont mortes et de celle
Qui vit encore de sa rumeur. Ainsi
Dans tant d’immensité ma pensée sombre
Et m’abîmer m’est doux en cette mer.
Mensuel de poésie LIBELLE, n°372, février 2025
Cette petite revue, composée d’une double feuille et d’un feuillet intercalaire (« un bloc-notes en six pages »), paraît mensuellement depuis 1991, année de sa création par Michel Prades et Bernard Rivet, publiée par l’association du même nom. Michel Prades en assure seul la coordination.
De courts poèmes se succèdent, égrenant pensées et sensations. Citons, au hasard de la lecture, Sacha Zamka :
par les matins divergents tout n’est que poussière et grâce
on
voudrait être autonome on est seulement nomade
on
marche vers un verger on s’éternise on s’attarde
certains fruits sont sans pépins certaines fleurs sans pétales
effacé le souvenir de la cime de deux arbres
le
ciel redevient visage et demain déjà s’exalte
on
goûte à l’éternité comme à ce qui est suave
et Gabriel Zimmermann :
Ces
quelques mots
Avant
la grande ombre
Oui
elle passera
À
peine plus qu’une marche en forêt
Elle
sera ce que tu en dis
Puissante
mais brève
Une
zébrure
Un
ondoiement du temps
Après
Nous
retournerons à nos habitudes
À
notre usage du jour
Après
nous dinerons
Le
pain les fruits sont frais
Mais
je ne peux cacher
Tu la
sens cette peur
Qui
monte en moi
A
l’instant où le soleil
S’absente.
Revue Rose des temps, n°50, septembre-décembre 2024
La revue Rose des Temps, conduite par Patrick Picornot et Aumane Placide, est publiée par l’association Parole & Poésie, créée en 2009, dont le but est de promouvoir la dimension orale et écrite de la poésie française et francophone. Elle paraît trois fois par an, en mai, septembre et janvier.
Le poème de couverture sur la rose est ici de Raymond Rillot : « Quelques roses / près de la fontaine lui souriaient / alors il se mettait à chanter », le thème du numéro étant « La vie entre réel et songe ».
Dans son éditorial, Patrick Picornot dit l’importance de l’imagination comme outil de résistance aux pouvoirs humains de toutes natures. Et de donner des exemples : « Chez les Gitans, une règle essentielle de vie consiste à rêver longtemps à l’avance tout acte important de l’existence, qu’il soit réalisé dans l’espace public ou l’espace privé. Le réel se voit ainsi toujours précédé du rêve. Gaston Bachelard a bien montré que toute invention humaine majeure, telle par exemple que celle du feu, naît fortuitement d’une longue période appartenant à l’univers du songe. Albert Einstein ira même jusqu’à affirmer que « tout ce qui est possible dans notre imagination est possible dans la réalité » […] Plus que jamais, sans relâche, mais aussi sans tapage, le poète œuvre entre réel et songe, peut-être dans le secret espoir de changer le monde avant que celui-ci ne soit définitivement perdu ».
Une quarantaine de poètes sont à l’affiche, et comme toujours une section fort bien nourrie consacrée aux chroniques de livres et de revues complète la sélection de poèmes, suivie dans ce numéro d’un hommage à Madeleine Riffaud, résistante, poète, journaliste et militante anti-colonialiste, décédée dans sa centième année en 2024. Voici pour terminer le très beau poème intitulé « Alizé » du poète haïtien Raymond Chassagne placé en ouverture du numéro :
en
vain nous allongeons les promesses du temps
le
temps nous a menti
et
l’homme au long désir file une étrange laine
au
pays des grands froids
je
parlais je parlais ce n’était que des mots
à
l’alizé du rêve
l’amour allume un phare au-delà des bas-fonds
plus haut que nos fanaux
le
poète renie les tristes vérités
des vers aristocrates
et
sa main de danseur n’est plus qu’un trait d’union
de
chance et de justice
le
poème enfin rampe et côtoie tous nos frères
de
peine et de raison
les destinées ne sont que des formes de foule
et
la mort disparaît
puisque l’homme renaît sans cesse et se refait
à
l’alizé du rêve
Revue Coup de
soleil n°121/122, octobre 2024
La revue triannuelle Coup de soleil dirigée par Michel Dunand
et Marie-Françoise Payet-Saliesiani, et publiée par
la Maison de la Poésie d’Annecy, a été lancée en 1984.
Au sommaire de ce numéro, les textes d’une douzaine de poètes ainsi que des chroniques. Citons par exemple ce poème intitulé « Aurore » de Henri Perrier Gustin, qui parle de sa ville :
Un ciel pastis
arrose Marseille,
de tons or
sur fond bleu.
Une lueur de craie
frôle les pierres,
et se joue d’ombre.
Observer le vieux port
sa citadelle
éclaboussée de lumière.
Puis accueillir,
dans un coin du cœur,
les bruits des quais,
cliquetis et chants de ville.
Et celui d’Andrea Genovese intitulé « Crépuscule » extrait de « Idylles de Toulouse »:
Dans l’horizon fermé
les briques roses
translucides
sont dorées par la pluie
L’arc-en-ciel égrène
sa fresque éphémère
sur les ponts
déployant les pétales de la nuit
Revue L’arbre parle n°11,
Automne 2024
Cette revue « sauvage et poétique », une vingtaine de pages simplement agrafées au format A4, paraissant deux fois par an, a été créée en 2019 par Didier Ober dans le cadre de son association « L’arbre barde ».
L’éditorial de Didier Ober s’intitule « Obsolescence programmée » et dresse un constat sombre de l’évolution du monde sous la double pression de l’évolution technologique et du désintérêt croissant de l’homme pour la préservation de la nature. Laissons parler Didier Ober : « Nous nous préoccupons de la destruction de la nature et du vivant tandis qu’ils parlent réarmement et « économie de guerre » pour détruire encore davantage, nous nous soucions de l’avenir de l’humanité pendant qu’ils expérimentent l’intelligence artificielle (qui sert aussi à détruire des êtres humains dans les guerres en cours…), nous parlons poésie pendant qu’ils nous parlent dématérialisation, identité numérique, monde virtuel… Allons-nous vers une dématérialisation et un contrôle généralisés du monde et de l’être humain ? - Dématérialisation ou atomisation ? - En tout cas, vers une déshumanisation certaine. Décidément, nous n’en avons pas fini avec leur folie totalitaire et destructrice… Ont-ils à ce point peur de la nature, peur de la vie ? ». Des mots qui résonnent particulièrement dans la nouvelle donne politique mondiale installée par l’oligarchie au pouvoir outre-Atlantique.
Une vingtaine de poètes au sommaire de ce numéro, ainsi que les lectures de Didier Ober relatives à une quinzaine de revues, et des chroniques de recueils. Georges Cathalo souligne le gouffre qui sépare la poésie du monde de l’argent : « inutile de vous en faire / ou de prendre vos précautions / amis poètes d’un jour ou de toujours / aucune place ne vous attend / auprès des grands seigneurs de la finance / rien n’est prévu pour vous / car nul ne connaît votre existence / et vos chefs d’œuvre encore moins ». Jeanne Champel Grenier dit dans son poème « Fresque » l’espoir du renouveau, voire de la re-création, du monde :
Devant
moi se suivaient les biches matinales
Avec
leurs très grands yeux étirés vers les tempes
Flancs
à demi noyés d’une brume d’estampe
Au
pied de la montagne aux formes minérales.
Ainsi
je pouvais voir l’ensemble de la harde
C’était
l’antique fresque bondissante et sauvage
Tous les
profils des têtes dans le bon sens du vent
Que le
matin du monde peignait là devant moi…
L’univers
était neuf, tout allait arriver
Et
debout sur le seuil, je regardais passer,
Moi,
chamane oublié depuis le fond des âges,
L’infini
du troupeau sur le pur sablier
Je
déposai ma main sur la paroi mouillée
Et
soufflai fort dessus afin de la signer
Revue Verso, n°1979, décembre 2024
Ce numéro, comme tous les numéros de la
revue (4 numéros par an depuis 1977), est introduit par un sonnet de
Shakespeare, traduit par Mermed. Alain Wexler, s’inspirant a posteriori des poèmes publiés dans le
numéro, en a composé le titre suivant : « un grain, une
étoile ». Citons le début de son éditorial : « Du grain de sable
à l’étoile, n’y aurait-il qu’un pas ? Nous sommes dans un entre-deux,
entre un porte-plume et la lune. Nos souvenirs s’éteignent comme certaines
étoiles, nous évoluons dans l’espace par des portes dérobées, des
interstices ».
Une trentaine de poètes sont présents
dans ce numéro. Citons, au gré de la lecture, Anne Barbusse :
Il pleut furieusement sur le monde
et
il nous faudra tant de mots pour nous extraire
de
l’obscurité – à peine si la pluie nous
regarde,
tombant sans phrase et sans oiseau, noyant
décembre
de crépuscules diurnes, toujours inoculant
l’hiver
aux présences furtives et brunes,
et le tilleul
fait
naufrage avec élégance sans feuilles et sans remords
tête
baissée dans toute syntaxe délirante
yeux
éclaboussés d’eaux,
livres demi-fermés et avec les brumes
alanguies
si blanches que le jardin déconstruit pardonne
aux
vivants provisoires,
jardiniers des terres froides
Ou encore Gaël Tissot :
En amont des grands vents
Tu berceras la toile des rêves
Et des orages passés.
En amont du grain et des terres sèches
Tu vêtiras les lames de l’oubli
Éclairée
La cendre
La lumière pétrifiée.
En amont de la parole
Tu épelleras le jour
Nombreuses chroniques et notes de lecture sur recueils et revues suivies d’un entretien de Carole Mesrobian avec la poète et psychologue Gili Haimovich que l’on peut retrouver sur la revue en ligne Recours au Poème (https://www.recoursaupoeme.fr/par-dessus-la-guerre-la-poesie-entretien-avec-gili-haimovitch/).
Revue Comme en poésie, n°100,
janvier 2025
La revue trimestrielle éditée depuis maintenant 22 ans par Jean-Pierre Lesieur dans sa « fabrique du poème », atteint son centième numéro. Voici ce qu’il écrit dans son éditorial :
« La naissance de mon numéro 100 n’intervient pas sous de super auspices et sa lecture ne fera pas bouger d’un iota les conditions climato-guerrières, mais enfin elle permettra à ceux qui le liront d’oublier un temps l’absurde connerie des hommes de notre siècle et favorisera un peu de réconfort. / Oh je ne me fais pas d’idée préconçue ni de pouvoir que je n’ai pas et qu’elle, la poésie ne possède pas non plus, mais vous verrez que quand les lieux sont en mauvais état un petit coup de poésie ne peut faire de mal à personne. / Alors en route vers le numéro 200 cela ne me fera que 119 ans et je serai ainsi le plus vieux poète du monde à fabriquer une revue qui aura résisté à une guerre mondiale et nucléaire en dépit des aléas de la bêtise humaine et de tout ce qui s’y rattache. / BON VENT ET DEBOUT LES PAS MORTS ».
Une cinquantaine de poètes au générique pour cette livraison. Oui, la poésie nous aide à vivre, comme l’affirme Jean-Pierre Lesieur, mais aussi, parmi beaucoup d’autres, Alain Jean Macé dans ce poème glané en fin de numéro :
Pour
nous aider à vivre il faut un fou qui parle
dans la nuit qui déferle en poussant son rideau
qui gueule comme un âne aux portes des étoiles
et
chatouille la lune au cœur du firmament
oui un fou que le vent porterait dans son ventre
comme un galet bercé aux vagues du sommeil
qui fasse chanter l’ombre au rythme des horloges
pour répondre au muet et au sourd qui se tait
et
qui aille à la source allumer les flambeaux
pour lire à livre ouvert dans l’espace et le temps
en
dansant sur les mots au contour du silence
Terminons en citant Basile Rouchin : « Capituler face à l’adversité, tendre l’autre joue dans une posture sacrificielle, soudoyer les puissants prompts à acheter le silence ou des pages de publicité, en échange de subventions, n’ont pas leur place dans « Comme en Poésie » ! Et Jean-Pierre Lesieur de s’interroger régulièrement sur l’identité de « la belle » portée au pinacle, de son avenir, de celui des revues comme espaces d’expression (à préserver) et bannières de résistance (à brandir). Non seulement la lutte passe par les mots, l’indépendance éditoriale (loin du parisianisme ambiant ou des salons littéraires mus par l’appât du gain) mais aussi par le réalisme à échelle humaine et la persévérance. En dépit de graves problèmes de santé (1988, 2018) et d’une pathologie évolutive, l’écriveur-artisan déclare : « je continue la revue et maintenant les éditions, tant que je pourrai encore penser et me mouvoir, ensuite adviendra que pourra » (éditorial, 51).
Il est à noter qu’entre les numéros 81 et 91, la revue affiche la couleur de son engagement : « la révolte, la fronde, le ras le bol ». À bien des égards, l’entreprise est noble.
Revue Florilège,
n°198, mars
2025
La revue trimestrielle Florilège, créée
en 1974 par l’Association Les Poètes de l’Amitié – Poètes sans Frontières
présidée par le poète et écrivain dijonnais Stephen Blanchard, présente un
sommaire très riche, allié à une présentation de belle facture. L’éditorial de
ce numéro, titré « Pourquoi j’écris ? » est de André Prone, qui le termine ainsi : « Alors, pourquoi
j’écris ? Pour que les mots deviennent un écho de la terre, un hymne à sa
beauté, un cri d’amour, et une promesse d’un monde meilleur ».
De nombreux poèmes, un par auteur, comme
toujours, citons par exemple Nour Cadour, avec son
poème « Femme de Palmyre », illustré d’une peinture de Andrée
Bars :
Les ruines grésillent avec mon âme
de
nuages noirs
fragments
de pierre dans cette lumière
où
le soleil ne se lèvera plus
mais
les sonnets de Palmyre continueront de chanter
comme
des jasmins suspendus au ciel
pulpe
éclose
bouche
ouverte
murmures
imbibés d’immortalité
dont
l’odeur suffit
à
faire tourner le monde
Citons encore ce beau poème, intitulé
« Hiver », de Jyssé :
Les arbres se sont dépouillés
De leurs feuilles d’automne
Comme eux j’ai vu tomber
Les uns après les autres, les amis que
j’aimais
Les unes après les autres, les idées que
je défendais
Puis un à un, mes vêtements de comédien
Et je me retrouve seul et nu
Nu, devant un ciel de neige qui m’aveugle
Nu, sous le souffle glacial de l’hiver
qui me cingle
Nu,
face à ma mère, la terre, qui me réclame
La section des chroniques et notes de
lecture est également étoffée. On y apprend que le prix Marie Noël 2024 a été
attribué à Michel Santune pour son recueil
« Solstices ». Une longue chronique est consacrée par Marie-Christine
Guidon au poète argentin Juan Gelman, qui connaitra l’exil durant la dictature militaire. Citons l’un
de ses premiers poèmes, extrait de « Violon et autres questions »
(1956) :
Épitaphe
Un oiseau vivait en moi
Une fleur voyageait dans mon sang.
Mon cœur était un violon.
J’ai aimé ou pas. Mais parfois
on
m’a aimé. Moi aussi
je
me réjouissais : du printemps,
des
mains jointes, de ce qui rend heureux.
Je dis que l’homme se doit de
l’être !
(Ci-gît un oiseau
Une fleur.
Un violon.)
Beaucoup d’autres articles intéressants,
comme celui de la rubrique « Poésie & Philosophie » tenue par
Gérard Mottet sur Philippe Jaccottet ou encore la chronique consacrée par
Marie-Christine Guidon au poète et écrivain tchécoslovaque Jaroslav
Seifert, récipiendaire en 1984 du prix Nobel de littérature, avec lequel nous
terminerons cette note :
C’est seulement en vieillissant
Que j’ai appris à aimer le silence
Parfois il exalte plus que la musique.
Dans le silence apparaissent des signes
frissonnants
Et sur les carrefours de la mémoire
Tu entends les noms
Que le temps a essayé d’étouffer
Revue Voix d’encre, n°71, octobre 2024
À l’origine
de la maison d’édition, la revue Voix d’encre, lancée en 1990, paraît
deux fois l’an : une livraison au printemps, une autre à l’automne. À chaque
numéro, l’intervention d’un artiste rythme la maquette et fait respirer
l’ensemble, ici c’est le peintre Michel Verdet qui est accueilli. La revue est
animée par Alain Blanc, Jean-Pierre Chambon et Hervé Planquois. Les auteurs
présents dans ce numéro sont Gabrielle Althen, Michel
Lamart, Hervé Bienfait,
Alexis Audren, Gabriel Zimmermann, Delphine Chatrian et Mario Benedetti.
Quelques
extraits, au hasard de la lecture. De Gabrielle Althen :
« Un arbre blanc se présente et dit qu’il est blanc à l’homme qui est
venu le voir. / Ce dernier ne veut pas le croire et mâche d’anciennes idées
vertes. L’arbre s’envole et va se poser de l’autre côté de la colline, où le
ciel ne dira pas qui il est, ni comment il se nomme ». Michel Lamart écrit dans son long poème
« Mendiant » :
[…]
Osez la
tendresse et la
Reconnaissance
viendra
Naturellement
Accrochez
aux étoiles
Ces
paillettes d’aubes
Rêvées par
les crépuscules
Bleus
parfumés
De jasmins
et de roses
[…]
Accordez
A
l’étranger
Ce que
vous avez
En vous de
meilleur
[…]
Hervé Bienfait : « À l’intime de la dune, / dormir
au creux de l’immense. // Bonheur, entame d’un rêve / à la renverse du monde.
// Le froid des étoiles / glissant sur le duvet ». Alexis
Audren : « à chaque intention une / explosion / de masques / à
jeter sur un visage // lesquels doit-on écarter / pour atteindre la / densité
de ta bouche // garder la distance du désir ». Gabriel
Zimmermann : « Avec un sac je partirai – vide / Et ouvert par le
haut il fera sur mon dos / Une calebasse prête pour être remplie // J’y
glisserai du sable ramassé dans le désert / Pour garder près de moi la chaleur
du vent / Mêlée à une terre qui ne connaît par la pluie // J’y mettrai des
feuilles, du branchage, des mousses / Pour préserver les mois de traversée /
Dans la forêt qui m’apprit la merveille ». Delphine Chatrian, avec ses
aphorismes : « Briller par son absence est un phénomène
parfaitement connu des astrophysiciens que le commun des mortels expérimente
souvent ». Enfin l’écrivain et poète uruguayen Mario Benedetti,
traduit de l’anglais par Christian Garcin :
Qui aurait
cru qu’il se tenait
seul
dans l’air, caché,
ton
regard.
Qui aurait
cru que cette terrible
occasion de naître serait à portée
de
ma chance et de mes yeux,
et
que nous irions toi et moi, dépouillés
de
tout bien, de tout mal, dépouillés de tout,
nous
enchainer dans le même silence,
nous
pencher sur la même source
pour
nous voir et nous voir encore,
mutuellement épiés tout au fond,
tremblotants d’eau
découvrant, essayant d’atteindre
qui
tu étais derrière ce rideau,
qui
j’étais derrière moi-même.
Et
pourtant nous n’avons encore rien vu.
[…]
Revue Les Hommes sans épaules n°58, second semestre 2024
La belle revue pilotée depuis 1997 par Christophe Dauphin paraît deux fois l’an, en mars et en octobre, proposant 350 pages de poésie venue de tous les coins du monde.
Le numéro 58 est consacré au poète arménien Daniel Varoujan. Laissons parler Christophe Dauphin : « Daniel Varoujan, poète autour duquel tourne notre dossier central a été arrêté sans le moindre motif par la police turque, le 24 avril 1915, à Constantinople, vers minuit, comme de nombreux intellectuels et poètes Arméniens, dont Siamanto et Rouben Sévak. La rafle dite des intellectuels débute à 20 heures, dirigée par Bedri Bey, le chef de la police de Constantinople. Dans la nuit du 24 au 25 avril 1915, 270 intellectuels arméniens sont arrêtés, des ecclésiastiques, des médecins, des écrivains, des éditeurs, des journalistes, des avocats, des enseignants et des hommes politiques. Ils sont conduits dans des centres de rétention où la plupart sont immédiatement assassinés. Ces arrestations ont été décidées par le ministre de l’Intérieur Talaat Pacha.
En comptant les arrestations survenues les jours suivants à Constantinople, on atteint le chiffre de 2.345 déportations. Daniel Varoujan va passer quatre mois en prison. Tout va aller très vite dans l’ignoble. D’avril 1915 à octobre 1916, en un peu plus de dix-huit mois, le Parti-État Jeune-Turc élimine trois peuples constitutifs de l’Empire ottoman : les Arméniens qui vivent sur leurs terres depuis trois mille ans, les Grecs et les Assyriens. Les déportations sont systématiques. Elles visent « officiellement » à « déplacer » la population arménienne en Syrie et en Mésopotamie. 15 à 20% seulement des déportés parviennent sur leurs lieux de « déportation » sur trois axes : la ligne de l’Euphrate, la route Ras ul-Ayn-Mossoul-Bagdad, l’axe Alep-Homs-Hama-Damas-Amman-Sinaï... ».
Lisons Varoujan, à travers ce poèmes extrait de « Le chant du pain » (1915), intitulé « À perte de vue » et traduit de l’arménien par Vahé Godel, qui dit un profond désir de paix et d’amour :
Qu’à
l’Orient règne la paix.
Que
les sillons s’imprègnent de sueur
et
non de sang !
Que le
moindre village, aux sons de la crécelle,
s’emplisse de louanges !
Qu’à
l’Occident la terre soit féconde.
Que
l’étoile fonde en rosée,
que l’épi devienne de l’or !
Sur la
montagne, à l’heure où les moutons pâturent,
que foisonnent bourgeons et fleurs !
Qu’au
Nord l’abondance rayonne.
Que la
faux sans cesse replonge
dans l’océan des céréales !
Et les
greniers s’ouvrant à la récolte,
se
répande la joie !
Qu’au
Sud les fruits soient innombrables.
Brille
le miel au cœur des ruches,
que le vin coule à flots, que les coupes débordent !
Et
quand la jeune épouse enfourne le bon pain,
s’illumine l’amour !
Une quarantaine de poète au total au sommaire du numéro, comme toujours très riche et marqué à la remarquable érudition de son créateur.
(Eric Chassefière)
Créé le 1er mars 2002