Le Salon de lecture Découverte d'auteurs au hasard de nos rencontres |
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SALON DE LECTURE Septembre-octobre
2023 Anne Barbusse :
L’écriture-nage ou « l’abîme
instinctif ». Poèmes extraits du recueil inédit À moins que Marseille (*) Marseille vue depuis Le Rove. Photo
©Rafour Essafi |
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mer pardonnée sable injonction ciel accepté soleil
dans les yeux plage pleine d’enfants et de chiens crique cernée de ville
corniche transportant voitures et voyages calcaire évidé maisons ocre et
roses rumeur de mer et bruits de moteur bain de novembre et absolution des
pêchés échancrure dans le soleil fictionnel acceptation du vivre linéaire
avant-goût de l’inexistence corps flotté bois flotté algues inexistantes sacs
plastique salés comme méduses assoiffées corps inodore peau indolore mer
brûlant la civilisation dominante sur corniche reparcourue des spasmes des
modernités et des voitures mais bain vrai à chaque bain sa soif et dans la mer le visage des
pardons sel sanctifié vagues réalistes nage sauvage de bouée jaune en bouée
jaune avec les algues vertes en partie immergées les voiliers bien après dans
l’innommable et les ferries en partance sans vent et les îles nommées terrae cognitae
et sûrement arpentées cadastrées mais le fond des mers sous le corps qu’est-ce
qu’un abîme instinctif une pluie terrestre une agitation de tout le corps un
sursaut velléitaire une parole cabossée sous les jambes le ventre la mer
grande ouverte et mes mots nage petite fille nage comme à l’adolescence dans
la piscine chlorée les longueurs pour s’abstraire les kilomètres pour rêver
éveillée et la nage la nage brasse dos crawlé bras qui tracent jambes qui
filent ouverture des bras fermetures des pieds front hors de l’eau front dans
l’eau happé par vagues et roulis corps entier tanguant le sel remplace le
chlore des années ont passé (maternité divorce silences séparations) mais mer
fidèle corps-monde attentif la mer est là qui embrasse tes douleurs
vacillantes tes solitudes cuivrées la mer-soleil de Marseille la certitude
que novembre éclot comme un printemps tardif que la mer mène le monde que les
vagues absolvent que la circulation des eaux résout les nœuds que les poètes
parlent avec toi que toute ton écriture aura une âme malgré tout que les
phrases tisseront des vagues que les vagues rependront le ressac que tout
mourra sur la plage abandonné et relié au tout inaudible mer nage mer rumeur mer tangible et liquide mer nage
à l’envers mer lève son corps de veuve happe air et soleil retombe dans la
profondeur et ton corps là-dessus danse et monte et descend et déploie
membres subsidiaires écarte les circonvolutions des eaux rafistole les
désastres se lave se lave se désintègre de tant se laver se contorsionne
s’abandonne se donne le corps dans la mer comme résolution des impossibles
avec ta solitude perdant son poids terrestre montant descendant avec vagues
et sel et le corps balbutié sans algues juste des eaux lourdes travaillant
les interstices avalant les rumeurs vertes assourdissant la confiance
divorcée comme haine balayée par les flots mer nage nage mouvement subsidiaire détaché du sable hors sol
corps allongé tuméfié vivant blessure cautérisée ventre de sel membres comme
étoile de mer orangée avec les gestes instinctifs et la parure de l’âge malgré les feuilles
d’arbres d’après-pluie malgré les orages urgents plage des Catalans crique
sauvée ville émergée baigneurs discrets basketteurs vivants les enfants
courent toujours sur les plages la mer avive les spectacles la mer défroisse
les mémoires par envergure fulmine et se jette puis vagues écume cris je
jette mon corps la mer qu’y puis-je que puis-je ne reste que mer nage derrière la jetée blocs de pierre de béton les
vagues derrière le vent derrière nage nage difficile contre vent vagues jetée
très longue contre la mer nage contre la mer falaise ocre en face calcaire
soleil viaduc du Rove TER deux wagons très court qui passe sur viaduc deux
viaducs collines de calcaire féroces brutes avec la mer universelle aux pieds
nage avec le calcaire dans les yeux le soleil à contre-visage sur le dos
corps flotte entre dedans puis sort de la transparence des eaux fluidité face
aux rocs germinatifs à la montagne têtue calcaire te regarde mouettes larges
ailes au-dessus volent au-dessus de la nage volent quand tu nages comme toi
dans l’air liquide avec toi dans l’eau aérienne entrent dans l’air comme
corps dans l’eau nage comme envol mer me déterre m’allège me déterrestre
m’affranchit de force de gravité me flotte me porte en son sein dans le
ventre de la mer je renais comme écume corps allongé tâchant la nage mer
volubile frissons incertains de l’eau à la surface opacité translucide dans
les profondeurs verdâtres avec silhouettes de rocs au fond avec fond des mers
flou et pacifié hors bruit hors soleil terre approfondie air déplié sensation
subsidiaire une auréole de soleil au bout du visage cheveux mouvants algues
enfouies poissons sans noms coquillages claquemurés mer sensation mer vertige
nage horizontale calcaire vertical viaduc entre calcaires viaduc près de la mer train
oublié petit ferroviaire siècle absent routes cachées calcaire ocre sous
soleil de novembre affairé à sa tâche méditerranéenne un TER sur viaduc
tandis que tu nages derrière jetée pêcheurs discrets clairsemés jamais
poissons toujours pêcheurs y croient comme croire en la nage en la mer baie
sanctionnée par les vents fonctionnels ferries au loin port systématique port
de ton corps sans ancre déversé assoiffé ensorcelé de mer cherchant asile
trouvant mer et eaux palpitées dans les fonds marins sans la lumière soleil
en surface mistral haletant d’automne petites gifles du mistral mais mer
tiède comme corps alangui encore et sirène sortie de la mer de l’autre côté
les gens tout habillés sur la plage n’en reviennent
pas de te voir sortie après une heure nage force nage douceurs nage stylisée en bleu et
jaune soleil affolé mer comme d’été 18° d’après internet c’est novembre façon
global warming les hommes prennent le soleil
comme drogue se calent contre béton peaux fripées bronzées boivent lampées de
soleil comme tu aspires lampées de mer sur corps addiction dopamine après 20
minutes dit la médecine du sport la mer le soleil y sont-ils pour quelque
chose et les montagnes calcaire et les viaducs et la vue très imprenable sur
Marseille dirait une agence immobilière méditerranéenne jusqu’à quand désert
acquis sur calcaire après carrière jusqu’à quand promoteurs en suspens mer
partagée mer en sursis mer mer lames de mer tranches de vent larmes de sel visage
orphelin enfant absent cinquantaine étrange quelque chose a passé mais la mer
toujours là montagnes là toujours là soleil de novembre acharné entre midi et
deux un été surfait une abréviation de l’été manteaux ôtés pulls pliés
chaussures enlevées dans la mer entrée si vite éclaboussures de lumière
autour du corps accepté d’emblée coulé dans le moule de la mer prêt à rentrer
dans le ventre avant de renaître lavé impuretés sanctionnées scories légères
on recommence corps léger mer soustractive la méditerranée a un
langage personnalisé une structure ensoleillée un ciel essentiel un bleu
additionnel et réel un calcaire franc un ocre invasif des profondeurs
rentrées des eaux tièdes un visage d’été en novembre elle y croit en son
centre absolu sa civilisation de mythes et sa résilience du sud elle porte
les continents comme des éveils elle s’orientalise s’africanise et laisse au
loin l’Europe blême et codifiée pour s’abstraire des parures parfaites et
entrer dans le bonheur d’être grec ©Anne
Barbusse |
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(*) Nous
avons découvert la poésie d’Anne Barbusse à la rubrique Terra
incognita de mai-juin 2022, où l’on peut lire une notice
biobibliographique sur cette autrice exigeante et bouleversante. Pour la
compléter, voici ses récentes
parutions en volume : À
Petros, crise grecque. Editions Bruno Guattari, 2022. Une histoire grecque et
française, cinématographique et internationale, plurilingue et
catastrophique, antique et contemporaine, où s’entrelacent crise amoureuse et
crise économique. La non-mère, éditions Pourquoi viens-tu si
tard ? 2023. « Ses
recueils témoignent d’expériences vécues, transformées, retournées par
l’écriture, qui guérit sans refouler et soigne sans complaisance. Un régal,
pour le lecteur empathique, de s’y plonger ! »
Cela reste d’autant plus vrai qu’elle nous fait littéralement plonger dans
son « écriture-nage cathartique », comme elle la définit elle-même, comme dans un « abîme instinctif » : aussi
confondant que nourricier et révélateur de soi. (D.S.) |
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Anne Barbusse Francopolis septembre-octobre 2023 Recherche Dana
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Créé le 1 mars 2002