Ce qu'on y voit, ce que cela nous inspire, aux quatre coins du monde francophone.

ACCUEIL

Archives : Vues de Francophonie

Été 2025

 

 

Deux regards sur la Palestine par deux auteurs francophones d’origine palestinienne :

 

Karim Kattan et Olivia Elias.

 

Présentation et choix de textes par François Minod.

 

 

Le premier est un roman de Karim Kattan Le palais des deux collines, fiction qui s’inscrit dans l’imaginaire et se situe en Palestine. Le narrateur, de retour dans son pays natal, revient dans la maison de famille vide, dans laquelle il s’enferme, convoque le passé et retrouve les personnages de son enfance et la violence coloniale. La voix narrative est chargée de colère envers l’envahisseur. Elle est aussi empreinte de beauté, de magie, d’humour. (1)

Dans Point de suspension, la voix d’Olivia Elias est un cri de révolte et d’effroi face aux crimes de l’armée d’occupation. C’est aux plus profondes des racines de la guerre que sa poésie puise sa force et sa nécessité. C’est aussi une ode à la beauté de la Palestine dont elle se sent si proche. (2)

©François Minod

 

(1) Karim Kattan, Le palais des deux collines. Éditions Elyzad, 2021. Prix des cinq continents de la Francophonie.

Extrait de la quatrième de couverture :

Karim Kattan, auteur palestinien, est né à Jérusalem en 1989. Il est docteur en littérature comparée et écrit en français et en anglais. Son recueil de nouvelles, Préliminaires pour un verger futur (2017 ; Elyzad poche, 2024) a été finaliste du Prix Boccace. Après son premier roman Le palais des deux collines (2021 ; Elyzad poche 2024), Prix des Cinq continents de la francophonie, paraît en 2024 L’Éden à l’aube qui confirme la richesse de son univers littéraire hybride mêlant oralité et culture classique, réalisme et merveilleux. Sa voix talentueuse annonce une nouvelle génération d’auteurs palestiniens.

Karim Kattan nous donne à lire un premier roman troublant, à la fois tendre et violent, qui explore les contradictions de l’engagement politique et de la mémoire. À l’ombre des amandiers en fleurs, se dévoile une Palestine devenue lieu de l’imaginaire, intime, soumise.

 

(2) Olivia Elias, Michael Gluck, Point de suspension. Éditions L’Armourier, 2024

Olivia Elias est née à Haifa en 1944. Poète de la diaspora palestinienne, elle écrit en français. Elle a vécu au Liban jusqu’à l’âge de 16 ans où sa famille s’est réfugiée en 1948, puis à Montréal, avant de s’établir en France. Caractérisée par une langue laconique et des rythmes forts, traduite en anglais et plusieurs autres langues, son œuvre a été publiée dans des anthologies, recueils collectifs et de nombreuses revues, notamment aux États-Unis.

Extrait de la quatrième de couverture :

Gaza et la nécessité de dire. Deux voix, Olivia et Michaël, écrivent au quotidien depuis leur douleur. Écrire ne console pas, ils le savent, mais aide à penser ce qui surgit de la folie des événements. Ils ne se connaissent pas. L’éditeur les invite à se rencontrer sur la rive qui leur est commune : le livre.

Point de suspension ». Pas de trêves au feu. Bien sûr il y a le temps et ses traces ; dites et contredites. Bien sûr les récits et les croyances ; elles aussi dites et contredites. Mais toujours ce fléau : ici et là, présentement en Palestine, des prédateurs "civilisés" convoitent les terres où tentent de pourvoir à leur subsistance des peuple inaptes à la soumission et peu enclins à l’économie de marché ; donc nécessairement des barbares […] « Point de suspension » pour embrasser la parole car celle-ci vient de la nuit des temps et se poursuit sans fin dans la lucidité du désespoir.

 

Karim Kattan

 

Extraits de Le palais des deux collines.

 

 

Je dois te parler encore du matin où je suis parti. Je ne savais plus rien de mon pays […] Je ne savais pas ce qui se passait. Comme tu le sais sans doute maintenant, depuis plusieurs mois avait éclaté ce qu’ils appellent « la révolution des implantations ». Je vais te dire un petit secret sur eux, ils se prennent pour des cowboys de Dieu. La révolution dont ils parlent, c’est le jour où les colons qui avaient déjà occupé une grande partie de la Cisjordanie ont décidé qu’ils en avaient assez d’attendre et que leur temps était venu. Un peu le grand soir des cowboys : ils alliaient prendre, de force, tout ce qu’ils pouvaient du territoire. Ils descendaient sur les villes palestiniennes, c’était facile, il suffisait d’y aller au flingue, d’en buter quelques dizaines et le tour était joué. Au début, c’était un peu une guérilla qu’ils menaient. Rapidement, puisque leur sens de l’organisation est redoutable ; ils ont créé les Forces Armées de Judée-Samarie. Ville après ville, puis village après village, ils s’y sont adonnés à cœur joie. Le monde regardait ailleurs ; avait oublié que nous existions. Les pays alentour, eux, approuvaient même débarrassés du peuple le plus importun de ce siècle. La Cisjordanie, ce bout de terre qui n’a même pas le nom d’un pays, qui n’accède même pas à une géographie, c’est un terrain de jeu. Voyant le succès des opérations, de plus en plus d’Israéliens qui ne vivaient pas dans les colonies ont rejoint les Forces de Judée-Samarie. Ils sont exaltés. Ils se sentent libérés, autorisés à être eux-mêmes enfin. : un colon n’est qu’un Israélien qui a arraché le masque de la bienséance. Et finalement, ils ont presque tout pris. Ils se sont installés partout ; à l’heure où je t’écris, il reste bien quelques points paumés comme Jabalayn qui ne sont pas tombés aux mains des Forces Armées, nos derniers bastions pitoyables. L’armée officielle les laisse faire. Je suis prêt à parier qu’elle les aide (comme je pense, le font discrètement tous les pays qui nous entourent). A la radio, des commentateurs israéliens s’inquiètent de ce que de telles actions représenteraient pour l’intégrité démocratique d’Israël (comme si c’était la première fois dit Nawal à la radio).

                                                                                *

 

La plaine calcinée de Joséphine. Le sommet de la colline est comme une torche qui illumine la nuit. Jabalayn brûle encore, elle est mille couleurs.  

Il porte le vase sous son bras et je suis à ses côtés. Ici, ça te va ? Non… Le cimetière ? Quelques décombres demeurent là où était la maison de Joséphine, cathédrale d’une époque révolue. Je m’agenouille pour prendre un bout de terre que je glisse dans le vase. Nous allons au cimetière. Dans la nuit comme des voleurs. Les colons sont partout dans la ville. C’est une célébration. Nous nous faufilons dans les ruelles, à l’ombre de leurs feux de joie. Ils tirent dans le ciel et chantent et dansent. À nous, à nous, à nous. Nous parvenons au cimetière, en lisière de la ville. Que de fois j’ai parcouru les terrasses de cet endroit. Tous, nous sommes ici.

 


Olivia Elias

 

Extraits de Point de suspension.

 

 

Gaza, Palestine

 

Bleu si bleu de Méditerranée noyé dans

nuages noirs sursautés d’uranium & plutonium

paysage frappé par astéroïde

cratères d’une quinzaine de mètres   hôpitaux

mi hospices pour résidents de l’enfer   mi

mouroirs & morgues  les médecins se cachent

pour pleurer

 

ailleurs

pont aérien & secours d’urgence accompagnés

de grandes déclarations à propos de

"valeurs universelles"     comprendre :

Valant pour tous sauf ceux ghettoïsés emmurés

 

Ici

ni eau   ni nourriture   ni carburant & électricité

(& pas de médicaments d’aucune sorte)

 

Ici

à mains nues    les hommes cherchent

dans les décombres s’il reste des survivants

& retirent de petits corps

 

Gaza, Palestine

Plaie saignante où aigles & monstres d’acier

ont établi leurs quartiers de la Mort

 

rendre la terre stérile   effacer   toute trace

de culture & vergers

abattre des arbres de famille plusieurs fois

centenaires

 

Ahmad est parti (il y a soixante-quinze ans juché

sur les épaules de son père   il parcourut la piste

des larmes menant de Yaffa au sud

harcelés par les soldats pillards)

Youssef & Samir   ses aînés aussi

avec femmes   enfants   petits-enfants

tous partis

 

Gaza, Palestine

oasis  heureuse    avant

il y a si longtemps   avant

l’arrivée de ceux  venus de

l’autre côté de la mer

 

aujourd’hui

cimetière d’enfants au bord de la Méditerranée

sur les écrans du monde entier

agonise l’Humanité

                                                                               *

 

N’ai rien vu de l’automne

 

n’ai rien vu cette année

n’ai pas vu l’automne se déployer

l’acacia flamboyer   les grues

s’envoler

 

n’ai rien vu que bombes

& encore plus de bombes sur Gaza

en flammes

 

ni eau, ni   nourriture    ni carburant & électricité

 

ni acacia flamboyant   ni grues en partance

seulement déluge phosphorique

 

avec débordant au milieu de la folie

le grand fleuve vivant aux bras multiples

des enfants de Gaza

 

leurs petits corps     qui n’auront pas eu le

temps de grandir

leurs rêves     qui n’auront pas eu le temps

de fleurir

 

leurs petits corps    fleurs de sang

leurs rêves    envolés sur les airs du vent

 

n’ai rien vu de l’automne cette année

n’ai pas dit adieu aux feuilles d’or    aux grues

dire adieu   adieu   adieu    à toute chose

 

comme ils le font là-bas    parents & enfants

qui se prennent dans les bras chaque nuit

& se disent adieu avant de s’endormir

 

Peut-être aurons-nous la chance d’être à nouveau réuni

dans une autre vie    une vie qui ne sera pas

ghettos & bantoustans   prisons   bombes

& extinction

 

 

 

Karim Kattan – Olivia Elias

Francopolis, Été 2025

Recherche François Minod

 

 

Accueil  ~  Comité Francopolis ~ Sites Partenaires  ~  La charte  ~  Contacts

Créé le 1er mars 2002