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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poèmes « Coup de Cœur » des membres du Comité

Mai-juin 2023

 

 

Christian Bobin, choix Dominique Zinenberg

Héloïse Cerboneschi, choix Éliette Vialle

Alain Gaussin, choix François Minod

Tahar Bekri, choix Mireille Diaz-Florian

Andreea-Maria Lemnaru, choix Dana Shishmanian

Jean-Jacques Brouard, choix Éric Chassefière

Pierre Wattebled, choix Michel Ostertag

Gilles Compagnon, choix Gertrude Millaire

 

 

Christian Bobin

choix Dominique Zinenberg

 

Les poètes sont des monstres

(Les éditions Lettre vive, collection Entre 4 yeux, 2022, 58 pages, 14 €)

 

Les poètes sont des monstres. Ils n’aiment pas vos machines. Ils ne les aimeront jamais. Une bouilloire - antique grosse pomme de fer talée – est toute la technologie qu’ils supportent. Ils aiment trop la vie pour prétendre « l’augmenter ». (p.12)

 

L’ours Staline n’aime pas la poésie. L’ancien séminariste qu’il est flaire le dieu vivant, sait qu’il peut faire son terrier dans un poème d’amour, prêt à bondir sur toutes les conventions. La patte de l’ours pousse loin dans les chambres, les placards. Elle racle. Staline a toujours craint Anna Akhmatova. Il met son fils aux fers, un parmi des millions dans la fournaise. Elle, il ne la touche pas. La vie affreuse et inestimable fera en sorte que, libéré grâce à l’ardeur de sa mère, le fils d’Anna deviendra avec elle glacial et distant. Elle continuera d’écrire sur les noces de la douleur et de l’amour. Les poètes sont des monstres d’aimer la vie qui les brise. Même leurs malédictions sont plus belles que nos sourires. (p. 19)

 

L’écriture manuscrite sur le papier blanc : les pas de l’âme sur la neige – le plus sûr miroir d’une personne, à nulle autre semblable. Les déliés, les boucles, les ratures, les épines de la signature la révèlent plus que ses mots. (p.32)

 

Tassez la terre fraîche de la tombe, jetez-y des blocs de marbre et des monceaux d’éloges qui faneront dans la nuit : vous n’arriverez pas à enterrer un poète. C’est impossible. Vous m’avez tout pris, dit Mandelstam, mais vous n’avez pu m’enlever le mouvement de mes lèvres. La poésie n’est pas un genre littéraire. Les vrais poètes ont un cœur en acier trempé. Ce sont des penseurs primaires (à la Vico : les hommes revenus parmi nous du premier matin du monde, en accord avec la magie de la Nature mère) qui savent que la lutte est sans pitié avec l’enfer de la Raison. (p.55)

 

Héloïse Cerboneschi

choix Éliette Vialle

 

Soir

Qui jette son voile d’incertitudes

Et de pas lents, d’un point de chute

A un autre

 

Au café des Anges

Je contemplais

La pulpe de mes doigts

Fascinée de tant de beauté

 

Alors que j’étais dans cet état étrange

De superposition quantique

Tu vins poser sur mon regard

Le masque soyeux de l’oubli

 

Extrait de Synchronicités

 

La nuque a ployé

L’orchidée solitude a léché

Une neige étrange

Ombreuse et amère

Et si peu d’espace

Pour griffer

L’arbre et son dard

Et d’un coup

Il n’a plus neigé

Mais

Comme un chien

Sur un réverbère humain

Accroupi

L’orchidée solitude

Cheveux froissés de lune

Lèvres neigeuses

A lissé mal sa tige

A fermé les tiroirs

Et l’arbre au dard puissant

A dormi

Très longtemps

Dans l’enclos dévasté

 

Extrait de l'Indécence aux Enfers

 

Relire aussi ses poèmes à notre Salon de lecture de janvier 2012.

 

Alain Gaussin

choix François Minod

 

LES VOIX DE LA MÉMOIRE

 

Te souviens-tu de ce couloir gris rose quand la pâleur du jour filtrait,

et surtout la transparence des ombres jaunes dans l'éclair des regards.

Il fallut bercer les seuils douloureux de la mémoire pour sentir

ce frémissement léger et boire l'agrafe de la vie naissante.

 

Ce temps, calme, pas si lointain, enclos d'un cercle d'écume,

coule... sa force condensée, imposée, pénètre...

 

Comment briser le champ vertical des rites et fondre

la direction du corps, stable, prolifération, comme une saveur extrême.

 

Tant de passages mesurés en tension ; tant de miroirs enfin flexibles à l'imaginaire immanent.

 

Des faisceaux, couleur arc en ciel, des vibrations sommeillant ici et là, et des voix     des voix    toujours des voix de tous côtés.

 

 

CAMAÏEUX

 

Une folie au centre, tiède, renversée

                  jetée à la dérive

                  exacerbée comme un jeu

            

           Spirale rythmique et vitrail pétrifié

           Déchirure du souffle

 

Appel de la ligne  _   Blanche   _   Souple  _  Très pure

 

            Migration de l'imaginaire

            Et retour charnel par gravitation

 

    Le regard convexe, filtré de glaise

 

                   comme un miroir,

                   brisant les rites mémorisés

 

 

MOSAÏQUE CÉLESTE

 

Dans cet espace

proche de l'improbable

 

Dans cet instant

tendu

sans mémoire

méditant aux brisures acides de la destinée

 

Dans ce gouffre de Lumière

criblé de marbre et de cristal

             j'ai vu fondre

                         l'écume aveugle des étoiles

 

Voûte céleste

où glisse lentement l'errance du regard

 

Miroir d'ombre vierge

Mosaïque virtuelle    sans cesse recomposée

            comme une spirale,  

                         véritable chant

                                      puisé au crible du soi

 

 

SATORI

 

Clair du bleu infini

brisé aux larmes du soi

Traverse de l'abîme

magique

              inouï

                    suspendu

 

Comment figer l'énigme de l'instant

parfois sphérique    parfois irisée

 

Dans cette brèche aveugle

hurlant les appels ensevelis

l'azur pénètre

                   lentement

 

Plié    rongé    dissous

sans gravitation

avec cette saveur indicible

de l'écume filtrant l'espace   au

Clair du bleu infini

 

Extraits de L'attente... L'absolu, Éditions d'Écarts, 2009

 

Allain Gaussin est musicien et poète.

Lauréat de plusieurs premiers prix au Conservatoire Nationale Supérieur de Musique de Paris, il obtient le prix de composition dans la classe d'Olivier Messian. Il poursuit une carrière internationale de compositeur avec concerts et séminaires de composition. Plusieurs prix jalonnent son parcours, en particulier le Grand Prix du disque de l'académie Charles Cros.

« L'attente...L'absolu est le deuxième recueil de poésie d'Alain Gaussin. Chaque poème a été écrit en parallèle avec une œuvre musicale et trouve son double dans une sorte de mise en abîme, pour capter, puis exprimer cette infime vibration palpable quelque part dans le miroir de l'imaginaire. » Extrait de la quatrième de couverture.

.

 

Tahar Bekri

choix Mireille Diaz-Florian

 

LA NOSTALGIE DES ROSIERS SAUVAGES

Editions Al Manar 2014

 

                         I

 

Je ne me souviens pas de cet arbre

Maintenant je le vois

Probablement c’est à cause de la lumière

 

Je veux aller jusqu’à la pointe

Entre ajoncs fleuris et confères

Saluer l’océan et les mûres sauvages

 

Ils sont verts les arbres cette année

Les roses trémières bien debout

Et moi dans l’incandescence du ciel

 

                        

                         II

 

Dans la nuit sombre

Toux ces feux d’artifice

Offerts aux collines et aux rivages

 

Les étoiles réveillées par les clameurs

Mêlées au mille couleurs

C’est un soir où se cachent les oiseaux

 

Dessine-moi des boutons d’or

des éclosions dans la féerie du firmament

Pour détourner l’œil de sa torpeur


 

 

                         VII

 

Comment peindre le silence

Quand dehors tout est eau remuante

Pluie et averse

 

Comment saisir la saison

Quand les blés mouillés

Retardent la moisson

 

Ici Gauguin a peint en rouge

Un champ de sarazins

Là-bas les mouettes comme des embruns

 

 

                         X

 

C’était à Greve Strand

Aux environs de Copenhague

Dans la nuit blanche et solennelle

 

Le bouleau frêle frémissait

Près du portail qui donnait sur la mer

Pommiers dunes et rosiers sauvages

 

De loin nous parvenaient du petit port

Les sifflements dans les mâts

Les cris des oiseaux migrateurs

 

 

                         XIII

 

Depuis longtemps les corbeaux

Se posent sur les mêmes branches

Nous interrogeons leurs plumes

 

Indifférentes aux feuillages verdis

Aux pigeons sur le palmier élancé

Que de rayons ont fissuré les murs

 

Sans révéler leurs allures

Les pierres vieillies teintées de cuivre

Dans l’usure des gouttières

 

 

                         XVII

 

Où as-tu vu la mer d’Okhotsk

Lac blanc à l’orée du nord égaré

Le poème inventé dans l’espace

 

Il fallait aux forêts les rennes

Que tu poursuivais dans le songe

Les aurores boréales dans l’illusion de l’infini

 

Laponie Patagonie Alaska Chili

Sous l’avalanche la glace soumise aux fracas

Se souviendra-t-elle de nos chutes polaires

 

 

Tahar Bekri est Tunisien et vit à Paris. Maître de conférences honoraire à l’université Paris Nanterre, il est l’auteur d'une trentaine d'ouvrages. Sa poésie est traduite en plusieurs langues. Elle est également l'objet de travaux universitaires et de création artistique. En 2018, il est récompensé du Prix international de littérature francophone Benjamin Fondane. En 2019, il reçoit le prix du rayonnement de la langue et de la littérature françaises de l’Académie Française.

 

Andreea-Maria Lemnaru

choix Dana Shishmanian

 

Ambre

Je suis partie

J’ai quitté le monde

Sans un regard

Je suis partie

Là où l’ailleurs se tait

Où le silence règne

Dans un désert de paroles

Je suis le fleuve oublié

L’ombre des profondeurs

Autrefois, j’étais lumière

Capturée par le sang d’un arbre

Autrefois, larme su soleil

Je me suis posée

Sur la tête des reines

L’essence a brûlé

Dans ma nuit

Humaine

 

 

Laudes

Pèlerinage de bruyères

Mes cheveux voguent

Sur l’eau du ciel

Assise aux confins

Pierres – uniques compagnie

Je marche jusqu’aux bords du monde

Et m’étends sur les berges

Où les anges nidifient

Lierre sur le mur du temps

J’ai marché sur la poussière des falaises

Celles qui étaient jadis

Et se sont perdues dans les larmes de l’Aulne

Un écho me parvient

C’est l’ermite qui rebâtit en rêve

On sonne les cloches

Je marche vers le fond du lac

Doucement pour ne pas effrayer les grenouilles

Sous les napes de pavots

L’immense aux yeux pairs m’attend

C’est son cœur, son cœur bleu

Qui palpite dans mes mains

 

 

Transfiguration

L’orage s’est fait chair

L’esprit des lieux entame

Son long chant plaintif

Et l’arbre seul se tient debout

Noueux et fier

Dans la force du vent

Je navigue sur une barque de fleurs bleues

La lumière s’est enfuie

Cortèges d’oiseaux sauvages

Accueillent la fin du monde

Tourbillon

Nouées

Partout où éclosent

Des yeux par milliards

Avant la joie immense du sommeil

Ses bras m’enlacent

Ô mon premier amant

Sous le chêne noueux

 

 

Ces trois poèmes sont extraits du dernier recueil d’Andreea-Maria Lemnaru, Équinoxe ditions du Cygne, octobre 2022), dans l’attente c’une prochaine chronique. Pour l’heure, et pour faire connaissance avec sa poésie, prière au lecteur de visiter sa page d’auteur chez les éditions du Cygne et chez L’Harmattan et, à Francopolis, de revisiter ses contributions (rubriques Francosemailles, Créaphonie ) et nos notes de lecture à certains de ses précédents recueils (rubrique Lectures-chroniques).

 

 

Jean-Jacques Brouard

choix Éric Chassefière

 

Extrait de « Horizons intérieurs », éditions Sémaphore, 2023

 

XV

   Obsession d’un ailleurs qui nous ronge à l’orée du couchant ! L’œil dérive à la limite du visible dans l’indéfini des cimes où flotte le vague souvenir des amours d’Ouranos et de Gaïa. Lointains que défient les voyageurs. Frontière que narguent les nomades. Promesse de nouveau au-delà du plus loin. Éternel retour vers l’endemain1. Courbures des montagnes dans les brisées de lune. Rivages des forêts embrumées du matin. Mirages des déserts sur la mer du soleil. Ruban noir du grand large. Et l’azur océan arqué comme un navire ! Labyrinthes qui se jouent du temps, point de fuite que déjoue l’espace, là-bas où tous les oiseaux blancs s’éparpillent dans le cosmos…

   Pour échapper à ton sortilège, il suffit de fermer les yeux, de céder à l’enivrant vertige de l’autre infini qui nous aspire, le vortex du songe qui nous inspire… les confins du poème.

1 Graphie voulue

 

Poèmes extraits de « Ressacs de la mer obscure », inédit

 

2

   Avoir un penchant pour le rien… Résister à l’usure d’espérer malgré les excès et la violence… S’aimer sous le globe de la lune au plafond des forêts… S’aimer dans la nacre de l’aurore, dans l’ambre du crépuscule… Mastiquer le poème comme l’épinard mental de l’idée … Soulever les draps du livre et voir le temps couler dans son lit… Détester l’écarlate griffure sur la toison d’un agneau… Tenter de fuir l’œil du tigre absolu… Dédaigner le discours des légumes… Oublier l’ordre des choses… Abandonner toute explication… Rester éveillé, aux aguets, penseur… Guetter le signe de pas grand-chose… Vouloir le sourire d’une inconnue…

Toucher l’épaule d’un ami… Se suspendre aux élastiques du ciel… Et contempler la laide beauté du monde !

[…]

7

   Aux confins des landes exténuées, là où la terre déjà usée va s’épuiser contre l’océan, je me suis collé à la goutte de mer. Et j’ai senti les doigts de la déesse glisser sur la peau de mon ventre. L’onde s’est ouverte comme une vulve et j’ai crié en chevauchant la vague. Et je me suis noyé dans la chevelure des sirènes.

   Inondé de joie, je me suis retourné vers le ciel. L’azur était profond et fascinant. Il voulait m’aspirer, mais moi, retenu par la main gluante de la mer, je résistais à la puissance du gouffre. Je restais ainsi suspendu à la surface du flot visqueux, bercé par le chant des baleines lointaines et le murmure des bêtes de l’estran.

    Immobile au-dessus de l’infini.

[…]

13

   La poésie est extase au bord d’une mer originelle qui se perd dans les grands horizons où l’œil s’enivre d’infini. C’est le jeu des ombres noires sur les bas-reliefs du sable que le vent soulève vers les étoiles. La conscience de soi, l’ivresse d’être vif, de défier un amer dans le chaos de l’océan, d’entonner le chant des marins morts. Fascination des passées littorales et des orgies forestières. Et tous ces oiseaux qui murmurent à la mer un Eden utopique, l’histoire d’un lointain sans hommes.

   La poésie se lit dans le tulle vert-de-gris du ciel tissé de feu. Et l’étreinte embrasée des sirènes lascives.

   La poésie n’est pas gentille. Elle a des dents de feu et des griffes d’acier. Son haleine est gorgée de sens. Et elle rend les hommes beaux et insensés. Et le vent de son désir emporte tout sur son passage. La poésie est une déesse cruelle qui fouille le ventre de l’homme pour la semence du mythe.

 

Notice biographique

Jean-Jacques Brouard est né en 1952 en Bretagne. Après des études de lettres, il a été barman, routard, gardien de phare, banquier… Passionné de littérature, il est devenu professeur de lettres et de lexicologie, traducteur, conférencier et homme de théâtre. Artisan de l’écriture, il est l’auteur de plusieurs recueils poétiques : Bout du mondeExtases, Fulgurances, Visions, Horizons intérieurs (éditions Sémaphore 2023), Voyage en Anthropie (à paraître aux éditions Tarmac), Ressacs de la mer obscureGriffures du néantSouffles, et un essai sur Blaise Cendrars, Braises ardentes sous la cendre (à paraître aux éditions Sémaphore). Il a publié dans des revues (La Vie Multiple, La Piraña , Décharge, Instinct Nomade…). Il a aussi écrit des romans (Sine qua non, La Passante, Chimères, Hôtel du Ponant, Anamorphose…), des nouvelles (Fatale, Récits corrosifs, Fonds abyssaux, Sortilèges…) et une pièce de théâtre, La Horsaine. Il est le fondateur et le co-animateur (avec le poète Miguel Angel Real) du blog poétique Oupoli.fr.

 

Pierre Wattebled

choix Michel Ostertag

 

Juste en y croyant

 

C'est un grand labyrinthe sous ton front

Où trop de possibles créent leur prison ;

Et tu passeras du temps à trouver

Les minces failles de ta liberté.

Mille milliards de pérégrinations

N'ont pu permettre que quelques options

Dangereuses entre vide et infini :

Fonder en l'instant une autre vraie vie.

Rien qu'un mirage adoubant l'esprit :

Celui qui l'agrée fuyant le déni ;

Les songes ont besoin d'un peu d'illusion :

L'espoir ouvrant l'huis de tant d'inventions.

L'entendement te portera secours !

Moult détours et tu es de retour,

Recherchant d'autres opportunités

En une ascèse pour les mériter.

C'est un grand labyrinthe sous ton front

Où trop de possibles créent leur prison ;

Et tu passeras du temps à trouver

Les minces failles de ta liberté.

Le mystère vêt toutes les vérités ;

Tôt ou tard, elles te seront révélées ;

Si la fin des choses est commencement,

Tu seras heureux juste en y croyant.

 

Texte posté sur Collectif Francopolis (FB, 28 mai 2023)

 

Gilles Compagnon

choix Gertrude Millaire

 

Il y a ce vert tenace,

ces parfums d'humus âpre,

ces montées au nez

d'écorces tirées

du plancher fourni serré

de sèches bogues tout

encore pointées d'épines

de l'automne dernier...

Il y a ce chant d'écume

des mini-étoiles éclatées

blanches

des larges pissenlits sauvages

perlant une à une

sur la vague du vent traversier,

puis se posant

sur un nœud creusé

de quelques troncs décharnés

décatis torsadés et scabreux

vêtus de lierre informe,

croisant fragiles,

leurs reliés abandons...

Il y a cette ambiance

fraîche, luxuriante,

quoique acide et rauque,

cet univers rassis d'errance

et d'insoucieux plaisir,

de poser sans hésiter,

le pied dans le froissage

d'orties en fleurs,

dans l'étoffe rapiécée

des fourrés de fougères

engourdies,

ce refrain larmoyant

des polypodes et muguets

appauvris

de leurs pores et clochettes

vides et amoindris...

Il y a ce sentier

qu'on se fraie à pas lents,

tâtant du bâton

quelques souches déchues

de chênes abattus

et laissées là pour compte,

un trop-plein du quota

des essences d'espèces tirées

de cette forêt domaniale

qu'on a déterminé,

à Bruxelles en huis-clos,

à dix ministres européens

des Sous-Sols Aguerris,

ayant débattu

autour d'une table

ou d'un arrondi gai guéridon,

une arrêtée décision pluri-latérale !...

Puis il y a le passant

que je suis,

derrière mon ombre

s'étirant plein soleil

dans mon dos

en ma trace imparfaite,

avançant guilleret,

les yeux plissés

mais attentifs,

sous le charme

d'un charme potelé,

mais si dignement

expressif,

où bruisse une chanson

de frissons, d'ivresse

attendrie et chatoyante,

entre ses lots

de feuilles craquetées,

non loin de celles

d'un prunus

à la robe du plus auburn

qu'il ait pu porter...

Oui, je suis là

en cette plane et généreuse verdure,

vidant l'esprit

et rechargeant mes batteries d'air pur

et de chlorophylle attractive...

Là, à respirer plein poumon

le peu de nature subsistante

qui ne soit pas encore

touchée et détruite

par cette tonitruante

pollution de gaz lourds

des usines pétrochimiques

et autres noirceurs hybrides

gasoilées et nitriques

de pots ô combien divers d'échappement libre,

sans aucune restriction...

Un triton plus noir que noir

fait briller son blanc d'œil

dans quelques mares singulières

au bas du talus

en escalier.

De bavards geais envoient

de futiles

conciliabules à un rossignol

ou une bergeronnette

chassant l'insecte d'eau ici,

sans se soucier

du rut criard du crapaud

cherchant copine à inviter

en sa cambuse

bien planquée

entre de vivaces

hospitalisés hauts

roseaux rassurants !...

 

Texte posté sur Collectif Francopolis (FB, 26 mai 2023)

 

 

 

Coups de cœur des membres :

 

Christian Bobin, choix Dominique Zinenberg

Héloïse Cerboneschi, choix Éliette Vialle

Alain Gaussin, choix François Minod

Tahar Bekri, choix Mireille Diaz-Florian

Andreea-Maria Lemnaru, choix Dana Shishmanian

Jean-Jacques Brouard, choix Éric Chassefière

Pierre Wattebled, choix Michel Ostertag

Gilles Compagnon, choix Gertrude Millaire

 

 

Francopolis mai-juin 2023

 

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