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HELOÏSE CERBONESCHI





Je suis morte sans te dire bonsoir


Et parfois je pars toute une nuit
Sans t’avoir dit bonsoir
Je marche dans des rues de rien
Sur les pavés usés par des malfrats 
Si vieux et tatoués d’or sur la poitrine
Je croise des chevaux de sable
Errant de cathédrales en lupanars
Je longe des fleuves
Où le sang flamboie des chevelures dérivant
Un soleil carnivore

Je m’assieds sur les marches du temps
Et je coule comme lui

Que se passe t-il sous l'asphalte ?
Que se passe t-il que je ne sache
Entre les racines entremêlées
De ces deux arbres tendus
Vers la faille d’un ciel épileptique

L'un puise la sève et la vigueur de l'autre
C'est un mâle
A n'en pas douter
Et tandis que je pense à toi
Il y a cette étreinte secrète et souterraine
La frêle femelle végétale succombe
Sous mes yeux, entre mes mains
L’amour de ces deux arbres est trop
VIOLENT

Je n'ai plus la force de torturer
Ces saisons que je hais
Parfois je reste assise dans l'obscur
Quelqu’un va venir
Celui-là même qui taillera dans le temps
Afin que je m'échappe

(Vendredi 20 juillet 2007)



Ne dis pas que je mourrai bien avant toi
 
 
D’un ciel noir tissé par nos mains
Tombe la tristesse aux ailes lentes
La nappe est tachée d’abandon
Les fruits ont pourri sous la table
Nous ne dînerons pas

 
C’est obscur comme un velours
Comme un soir disloqué
Dans l’enfui des chevauchées
C’est obscur comme un parterre
De pensées souillées de trèfles noirs
 
Mais les arbres de l’automne
De l’automne d’après nos ravages
Respirent
Comme des tombes entrouvertes
Comme les flancs des statues
Comme quand sombraient lourds
Sur ton lit japonais
Nos corps désarçonnés
… 
 
J’aime encore m’abrupter méchamment
A ton sexe démythifié
Et t’entendre gémir
Quand  l’arabesque des douleurs
Dédicace joliment ma gorge, mes genoux

 
Je veux suivre encore
De mon pas de boiteuse
Les cygnes noirs de mon passé
L’enfant des ténèbres a survécu
Je n’oublie rien

 
Non plus rien pour ne pas
Pas à pas dans tes pas
Te perdre dans le noir
Ne dis pas ! Même si tu sais
Que je mourrai bien avant toi
 
 
(Mardi 8 janvier 2008
Dédié à Jean-Philippe Goquet)





OVER DOSE


Il y a cet avion qui passe dans le ciel de Paris. Je voudrais que d’un coup d’aile délicieux, il accroche le dôme du Sacré-Cœur. Pas de victimes. Non ! Surtout pas. Juste un peu secoués les passagers. Et même heureux d’apercevoir l’intérieur de ce gros gâteau blanc par son dôme décapsulé
Déjà je n’entends plus l’avion. C’est dommage ce silence. C’est dommage car j’entends mon cerveau discuter avec mon cervelet. Ils me font des reproches
- Combien en as-tu pris ?
- Comment le saurais-je ? Ce sont des comprimés sécables. Je les prends par moitié pour garder ma lucidité le plus longtemps possible
- Alors comment te sens-tu ?
Lente ! Je me sens très lente. Je vais avoir peine à marcher jusqu’au bout du jardin pour fermer le portail
- Mais tu n’as ni jardin ni portail
- Pourtant, j’aimerais avoir quelque chose à fermer ce soir. Si je n’ai pas de portail à fermer, je pourrais peut-être fermer ma vie
Mon cerveau fait sa grosse voix. Mon cervelet glapit et s’agite. La base de mon crâne devient douloureuse. Je sais qu’il le fait exprès mais je ne cèderai pas
- J’ai besoin de prendre ces comprimés. Peu importe le nombre. Dîtes moi tous les deux ! Toi le petit et toi le gros ! Que me reste-t-il à attendre de la vie ? Elle est tellement entamée qu’il n’en reste même plus de quoi vêtir un lilliputien. Je ne suis pas sûre d’être aimée. Je ne me passionne plus pour rien. Tout m’ennuie. Chaque vie a une fin et je crois que la mienne va rencontrer son épilogue cette nuit
- Tu dis n’importe quoi ! Ferme les yeux et laisse nous faire. Respire aussi. Tu sens ces odeurs de fleurs et d’herbe mouillées ? Fais quatre pas vers la gauche et tends la main. C’est un arbre. Pas n’importe quel arbre. C’est ton arbre, celui qui veille sur toi
- Non ! Je ne sens rien et ma main n’a rien touché. Vous êtes aussi ramollis que moi. Je vais aller jusqu’au Sacré-Cœur et regarder si l’avion a bien décapsulé le dôme
- Tu n’es pas en état de sortir
Pourquoi faut-il toujours que l’on m’empêche de faire ce que j’ai envie de faire ? Je vais me rhabiller, me chausser, marcher lentement vers la station de métro, attendre le métro, en descendre à temps si je le peux et remonter lentement la rue qui va vers le Sacré-Cœur
- Tu vois bien que tu n’es pas en état de sortir. Tu n’arrives même pas à te lever de ta chaise
- Alors je vais continuer à prendre des demi-comprimés, jusqu’à ce que ma vie se ferme
- Nous allons t’en empêcher, car si ta vie se ferme, nous nous dessècherons dans ta boîte crânienne jusqu’à ce que mort s’ensuive et tu n’as pas le droit de nous faire ça. Pense à tout ce que nous avons fait pour toi. Nous avons classé inlassablement tes souvenirs et tout ce que tu as appris. Tu n’as qu’à demander et hop ! On te sort le fichier dont tu as besoin.

- Et alors ? Je ne vous ai rien demandé et surtout pas de classer mes mauvais souvenirs. D’ailleurs vous vous faîtes un malin plaisir de me les ressortir quand je voudrais qu’ils passent dans la machine à déchiqueter. Quant à mes connaissances, parlons-en ! Alors là vous avez bâclé le travail. Ou alors c’est tellement bien classé que je ne retrouve plus rien
Je voudrais qu’ils se taisent ces deux là. Je voudrais prendre mes demi-comprimés tranquille et aller enfin au bout du jardin refermer le portail puisque je suis devenue trop lente pour aller jusqu’au Sacré Cœur. Et si j’arrosais mes comprimés d’un petit verre d’alcool ?


- Ah non ! Figure-toi que l’alcool nous rend tout brumeux. Nous n’arrivons même plus à faire du classement et tes souvenirs disparaissent avant que l’on puisse les récupérer. Et tes neurones qui foutent le camp à toute vitesse… Tu y penses à tes neurones ?
- Je ne pense qu’à ça ! Et je vais vous en dire une bien bonne. Moins j’aurai de neurones, mieux je me porterai. Et toi le petit ! Arrête de gigoter comme ça. Tu défonces ma boîte crânienne et si tu continues, c’est à coups de marteau que je vais te calmer.

Cette fois l’argument a porté. Ils se sont tus. A moins qu’ils se soient tués. Mais non puisque je suis capable de réfléchir encore. Voyons si je suis assez lucide pour aller fermer ce fameux portail. Je vais me poser quelques questions et tâcher d’y répondre

- Quelle est ma date de naissance ?
- 19 janvier 1968
- Faux ! Tu confonds avec quelqu’un d’autre. Une autre question
- Quel est mon animal préféré ?
- L’ornithorynque de salon
- Ben voyons ! Pourquoi pas le dugong d’élevage ou le kangourou à poils longs
- Une dernière question, très indiscrète celle-là. Quel est mon fantasme sexuel ?
- Faire l’amour avec l’ours du Sacré-Cœur

- ????

Le test est percutant, convaincant… Je n’arrive plus à trouver le terme exact. Je vais aller refermer le portail au bout du jardin et en revenant je ferai un détour par le Sacré-Cœur. J’ai toujours rêvé de le voir décapsulé. Je me demande si l’avion est arrivé à destination. J’aurais aimé rencontrer les passagers et qu’ils me racontent ce qu’ils ont vu à l’intérieur du Sacré-Cœur. Peut-être qu’il n’y a rien. Peut-être que ce n’est qu’un gros gâteau rempli de crème pâtissière. Peut-être qu’il est plein à craquer de touristes qui n’ont jamais pu ressortir. Peut-être que mon ours est dedans et qu’il m’attend

Alors je dois filer au Sacré-Cœur. Même si ma lucidité commence à désirer. Plus question d’aller refermer le portail au bout du jardin. Entrera qui veut dans ma maison. D’ailleurs ce n’est bientôt plus ma maison. Je l’ai revendu une fortune aux SDF du coin de ma rue.

Tous ces SDF cachent des trésors sous leurs couvertures répugnantes. Ils m’ont payé en espèces, ni sonnantes ni trébuchantes, que des billets. Probablement faux car ils ressemblent à des billets de Monopoly. Mais je n’y vois pas d’inconvénient puisque je leur ai vendu une fausse maison. Derrière la façade il n’y a rien. C’est une maison de poétesse et tout ce que je possède n’existe que dans ma tête. Mais je possède une résidence secondaire. Du côté du Sacré-Cœur justement…
Ma vigilance baisse. J’ai juste le temps d’enregistrer ce texte et de l’envoyer
Hé vous deux ! Réveillez-vous ! J’ai besoin de vous
- Ha Ha ! Nous y voilà ! Dans un instant tu vas t’écrouler et nous pourrons dormir tranquille sur nos deux oreilles… euh ! Je veux dire sur mes deux lobes en ce qui me concerne
Le cervelet boude comme d’habitude. Je ne peux jamais compter sur lui. Allez ! Va dormir. Je me charge de ton texte. C’est pour l’ours du Sacré-Cœur ?
- Oui ! Et n’oublie pas de refermer le portail du jardin et celui de ma vie avant de t’endormir. Je crois que j’ai forcé la dose. Mais je suis fière de moi. J’ai gardé assez de lucidité pour écrire ce texte
Un dernier mot pour l’ours du Sacré-Cœur. Si je ne me réveille pas ou si je dors plusieurs jours, sache que j’écris beaucoup de bêtises mais que tu resteras toujours dans mon cœur
Toujours dans mon cœur
Toujours
TOUJOURS

(Vendredi 22 août 2008 à 23.55)




  Nuage d’encre rouge


Au bout du couloir, il y a ma chambre
Un enfer stalinien romantique
Plein de coquelicots dégoulinant des murs

Posée sur la commode, je ne souris pas
Floue et rangée dans des tiroirs
Je ne souris pas non plus

Personne ne me demande de sourire
Alors je ne souris jamais
Sauf à mon miroir de poche

Il ne sait pas que j’ai une bouche
Et que je m’exerce en cachette à sourire
Il ne connaît que mon œil droit

Celui qui s’étire vers la tempe quand il souffre

Au bout de ma chambre, il y a un cirque
Avec son unique funambule démantibulée
Et tout un Peuple de Clowns

Le Clown de Minuit sait réparer ma poupée
A grands coups de marteau
Il me sourit en rouge quand il a terminé

Je lui reprends ma poupée sans sourire

Derrière le cirque, il y a des chevaux
Noirs harnachés de noir
Que caressent des enfants qui ne sourient pas

Plus loin, il y a un autre enfer
Avec des vestiaires et des bancs de bois
On y apprend à marcher dans des sillons

Je n’ai pas voulu apprendre à sourire
Ni à marcher droit dans les sillons
Alors le Clown de Minuit m’a punie

Je suis devenue une adulte triste et boiteuse

(Dimanche 3 août 2008)





Le sang des serpentins


La tristesse est sortie de mes yeux
En larmes de rasoir
Un trait d'épervier sur ma veine indigo
Et le sang, le sang audacieux a jailli
Salopant ma belle peau de joyeux serpentins
Joyeux, jusqu'au moment où ils tombaient
Se tordant de douleur
Sur mes bottes noires bien cirées

Le Peuple des Clowns est venu applaudir
Quelqu'un a éteint les lumières
La fête était terminée, les serpentins balayés
Le funambule s'est laissé tomber d'une étoile
Pour me serrer contre son coeur brisé
Par l'écuyère infidèle
Meurs avec moi m'a t-il dit en me berçant
Dangereusement. Après je ne sais plus...



(Samedi 6 décembre 2008 23 h 55)




Blanc cassé


Alors en juin 2009 j’ai cessé d’écrire. J’ai cessé de lire aussi. Allongée sur mon canapé, je me suis consacrée à la contemplation de mon plafond
C’est très bizarre un plafond quand on le regarde longuement, sans ciller, le visage parfaitement immobile et inexpressif. Au bout de quelques instants surgissent d’étranges insectes, surtout des araignées, cavalant sur leurs petites pattes vers la suspension en pâte de verre
Parfois j’ai de la chance, je vois des papillons, malheureusement toujours noirs. Des ailes noires sur du blanc cassé
En fait, c’est moi qui suis cassée. Cassée par l’insipidité de ma vie, par la stupidité des chevaux de labour que je croise quand je ne peux faire autrement que de quitter mon canapé pour aller jusque dans la rue où je trouve des magasins d’alimentation
Car entre deux contemplations de plafond, je me nourris quand même. Toujours la même chose. Mon état contemplatif et végétatif semble m’avoir ôté toute gourmandise. Je mange donc pour nourrir mon corps, pour que mes os ne saillent pas davantage
Je fais un effort sur le calcium. Je ne veux pas perdre un centimètre de ma taille. J’imagine que chaque centimètre en moins diminuerait ma vision d’autant
Que ferai-je si je ne peux plus contempler mon plafond dans son intégralité ? Si je ne peux plus m’acharner à compter et recompter les bestioles qui y cavalent
Je pourrais peut-être envisager de penser. Mais penser à qui ? A quoi ? Penser risque de déclencher une de ces terribles migraines dont j’ai été la victime durant des années. Jusqu’à ce que je me consacre à la contemplation de mon plafond
Contempler mon plafond m’apaise. Bien sûr, de temps en temps je ferme les yeux. Il n’y a que du blanc cassé derrière mes paupières. Les bestioles y cavalent quelques minutes puis seul le blanc cassé occupe l’intérieur de mon crâne
Avec un bon entraînement, je pourrais peut-être contempler mon plafond en gardant les yeux fermés. Le problème sera de rouvrir mes yeux pour sortir et acheter de quoi m’alimenter
Je pourrais pousser l’entraînement à son extrême limite et me comporter comme une aveugle. Sortir en gardant les yeux fermés. Pour cela il faudrait que j’apprenne par cœur  le parcours et ses obstacles. Et sans doute me procurer une canne blanche afin que ce soit les chevaux de labour qui m’évitent et non le contraire
Un long travail en perspective qui m’obligera à penser. Penser à qui ? A quoi ? Aux chevaux de labour qui font docilement la queue aux caisses des magasins d’alimentation ? Rien que d’y penser cela me déprime. Or j’ai dit que je ne voulais plus penser
Comment m’est venue cette idée de contempler à longueur de journée le plafond, allongée sur mon canapé ? Un authentique dégoût de la vie, à moins que ce ne soit un authentique dégoût de la société dans laquelle on m’a obligée à vivre. Car je n’ai pas demandé à naître. D’ailleurs ma génitrice a tout fait pour m’empêcher de naître. Elle avait raison. Dès que je suis née, je me suis sentie de trop. D’abord entre mon père et ma mère. J’avais l’impression d’être une vilaine poupée qui ne méritait que d’être jetée à la poubelle
Puis le système scolaire s’en est mêlé. J’étais une enfant surdouée. Donc une enfant de trop au milieu de ma classe de jeunes pouliches de labour. Quand je suis arrivée dans le monde professionnel, je faisais tout mieux et plus vite que mes collègues. J’étais encore de trop. L’élément perturbateur  qu’il fallait dégager puisque je raflais tous les compliments et toutes les promotions
Je me suis mariée. Encore une fois j’étais de trop. Je n’avais pas les mêmes goûts que mon époux et un certain dégoût à faire l’amour avec lui. Je prenais trop de place dans l’appartement pourtant spacieux. Je lorgnais déjà vers le canapé. En vain… Il était toujours occupé par cet homme qui faisait défiler les matches de foot sur l’écran de télévision. J’ignorais que l’on jouait autant au foot dans tous les coins du globe et que le moindre match était retransmis. J’ai également eu un certain dégoût pour la télévision
Au final, je n’avais plus que des dégoûts. C’est ainsi que j’ai décidé de vivre seule, d’accaparer enfin le canapé et de me consacrer à la contemplation de mon plafond
Suis-je heureuse ? Non ! Mais je ne suis pas malheureuse non plus. Je suis neutre, en toute équanimité
Il fut un temps où je souhaitais mourir d’épectase. J’y ai renoncé. Pour atteindre l’orgasme il me faudrait fantasmer, donc penser. Et puis je ne voudrais pas qu’un cheval de labour mâle puisse se vanter de m’avoir fait mourir d’amour
La seule solution est de cesser de me nourrir. Ainsi je débarrasserai la société, où je n’ai pas ma place,  d’un élément inutile et perturbateur. Et je ne serai plus de trop
Seulement, je ne pourrai plus contempler mon plafond blanc cassé. A moins que dans mes dernières volontés je stipule que l’intérieur de mon cercueil soit peint en blanc cassé
Mais pour cela il me faudrait écrire et signer
Or j’ai renoncé à écrire en juin 2009

(Mercredi 24 juin 2009)





La pénultième saison


Perfide saison d’ambre
Ultime ou pénultième
J’y lèche encore
Quelques poisons
O de nonchalance
Erre d’indifférence
C’est de l’art scénique

Novembre maquille mes poupées
Quand au Luxembourg
L’Austère Enfant
Délaisse les seins de la chaisière
Pour orner mes frais tombeaux
Des poèmes ambre gris
Que je n’ai pas écrits

Exquise saison marquise
Les hibiscus s’y sodomisent
J’en pleure encore
Quelques bleuets tristes
Ô comme je m’aimais
Sur mes tréteaux flottants
C’est de l’art haché


***

Prélude à l’Indécence aux Enfers


Ainsi disparue, dans la muette solitude des nuits antarctiques
Je traverserai trente années et plus, d’un long hiver sans arbre

Avant l’hiver, des trains de nuit m’emportaient loin des gares
Des paquebots s’amarraient jusque dans des squares secrets
Des oiseaux de l’étrange volaient bas dans les nefs des cathédrales

Mais toi peut-être, à tant maudire mes retards
Ces pensées carnivores qui s’élancent dès l’aube et dévorent,
Sans que jamais tu les repousses, le contour de mes yeux

Mais toi sans doute, tes gestes et ton sexe arrogant
Doucement me refoulant au bord d’une corolle persuasive
Puis disparaître ainsi, dans la muette solitude des nuits antarctiques

Dans trente années et plus, tu me visiteras au Jardin des Allongés
Et c’est là, berçant sans fin mon dernier cygne noir…

(C’est là que meurent les mots)


***


Onirisme fatal


Le rêve était si beau que j’ai voulu le prolonger. Il y avait une porte au bout de ma nuit ; quelque chose me disait que je n’avais pas le droit de la pousser mais je n’ai pas pu m’en empêcher.
Au-delà, il y avait ma ville, toujours belle et envoûtante, juste un peu différente. Les rues étaient plus étroites, les trottoirs plus hauts, les pavés plus luisants. Je n’entendais que les sabots des chevaux qui passaient comme au ralenti, superbement harnachés et traînant des berlines aux vitres opaques. Les cochers maniaient avec délicatesse leurs fouets aux lanières d’argent.
Une voiture s’arrêta devant moi. Une femme masquée en descendit précautionneusement, relevant sa jupe de soie moirée et découvrant des bottines hautes et lacées.
Elle s’avança vers moi, avec une lenteur et une grâce telles que je pensais n’avoir jamais rien vu d’aussi beau. Ses longs cheveux cuivrés étaient retenus par un large ruban vert. Elle portait une jaquette de velours noire très ajustée et sa main gauche était enfouie dans un manchon de fourrure fauve.
Elle s’arrêta enfin et j’osais lui parler :
- Je crois que me suis égarée. J’ai poussé une porte et maintenant je ne sais plus où je suis.
Elle ne répondit pas tout de suite. Elle commença par me détailler de la tête aux pieds. Je m’aperçus alors que j’étais vêtue comme une pauvresse. Ma robe était en lambeaux, ma redingote déboutonnée et le cuir de mes bottes lacéré. Je passais la main dans mes cheveux, ils semblaient n’avoir pas été coiffés depuis des jours.
Elle posa sa main libre sur ma joue et se mit à la caresser distraitement, comme on flatte un animal.
Elle écarta son masque et parla enfin, d’une voix un peu basse :
- Tu as encore chevauché toute la nuit. Tu ressembles à une vagabonde, mais bon… il t’aimera quand même, il n’attend que toi, il ne veut que toi.
Je ne savais pas encore qui était « il » et je n’avais aucun souvenir de cette chevauchée. Et d’ailleurs, où était mon cheval ?
- Tu es très en retard cette fois. Regarde tes cheveux, ils ont pris la couleur de la pleine lune. Et ton regard ! Il semble plus mélancolique. Il était très inquiet, tu ne rêvais plus de lui depuis si longtemps.
Je regardai plus attentivement la femme. Quelque chose en elle me rappelait mon propre visage. Qui était-elle ? Etait-ce moi des années auparavant, quand mes nuits n’étaient pas encore peuplées de rêves étranges ?
- Monte dans ma voiture, ma servante s’occupera de toi. Il faut que tu sois telle qu’il t’a toujours rêvée.
Je montais dans sa berline noire tirée par quatre chevaux  à la robe d’une blancheur d’albâtre. L’intérieur était surprenant, luxueux, entièrement tendu de velours cramoisi. Des lanternes vénitiennes diffusaient une lumière légèrement ocrée.
Une jeune fille très blonde et très pâle se tenait assise près d’une coiffeuse recouverte de flacons de parfums et de fards.
Sur la banquette en face d’elle, un monceau de vêtements féminins qui me parurent splendides et raffinés.
Elle s’approcha de moi en silence et avec des gestes précis et doux me déshabilla entièrement.
Sur la coiffeuse, il y avait une vasque remplie d’une eau mousseuse et parfumée. A l’aide d’une grosse éponge, elle me lava avec soin puis entrepris de démêler mes cheveux avec une brosse aux incrustations de nacre. Elle ne les attacha pas et les laissa libres sur mes épaules.
Elle enduisit mon corps d’un onguent à l’odeur délicate mais je ne pus en déterminer la provenance.
Elle m’habilla et ce fut très long. La lingerie d’abord, entièrement noire, puis une robe de brocard très décolletée, également noire. Une redingote de velours avec un col montant et des brandebourgs, noire bien sûr, et enfin de hautes bottes taillées dans un chevreau souple et brillant.
Elle choisit dans un coffret d’ébène un seul bijou. Une bague d’or gris avec un rubis oblong, suffisamment grand pour recouvrir le tiers de mon annulaire gauche.
Elle n’avait pas prononcé un mot durant ces préparatifs. Elle s’écarta de plusieurs pas de moi et me contempla d’un petit air satisfait.
La femme masquée revint près de moi. Je remarquais que sa main gauche était toujours enfouie dans son manchon de fourrure.
Elle s’aperçut de mon regard interrogatif.
- Je me suis blessée à la chasse. Mon faucon a eu un coup de bec inattendu. C’est de ma faute, je ne porte jamais de gants.
Elle tourna autour de moi à plusieurs reprises, passant sa main sur mes cheveux, lissant ma robe, examinant mes bottes.
- C’est parfait. Tu es prête à le voir maintenant. Assieds toi, nous partons de suite.
Effectivement, à peine fus-je assise que la voiture s’ébranla et que le bruit des sabots des chevaux sur les pavés retentit à nouveau.
La course fut rapide. Bientôt nous ralentîmes. Les vitres opaques m’empêchaient de voir à l’extérieur mais j’eus le sentiment que nous pénétrions sous une large porte cochère débouchant sur une cour brillamment éclairée.
Je ne m’étais pas trompée. C’était bien la cour d’un hôtel particulier. Des flambeaux étaient suspendus au dessus de chaque porte. Il y avait des statues tout autour mais je n’eus pas le temps de les détailler.
Nous entrâmes par la porte principale qui donnait sur un vaste hall et sans perdre de temps, montâmes rapidement par un escalier recouvert d’un superbe tapis rouge aux motifs d’or.
La femme masquée et sa servante s’arrêtèrent près d’une porte munie d’un heurtoir en argent qui semblait être un ange aux ailes asymétriques.
- Tu sais ce que tu dois faire maintenant. Nous te laissons, tu n’auras plus besoin de nous.
Je me retournai pour un au revoir mais je ne les vis plus,  pas plus que je n’entendis leurs pas amortis par l’épais tapis de l’escalier.
J’hésitai un instant. Je ne savais toujours pas ce que je trouverais derrière la porte ou peut-être, comme la femme masquée l’avait dit, j’avais laissé passer trop de temps et ma mémoire me faisait défaut.
Je ne donnai qu’un seul coup de heurtoir et j’entrai sans attendre d’y être invitée.
C’était une pièce magnifique réchauffée par le feu d’une immense cheminée. A la fois salon et chambre à coucher. Les meubles étaient nombreux et confortables. Je levai la tête vers le plafond entièrement peint d’une scène surréaliste, portant en son centre un lustre vénitien aux pendeloques enflammées.
Quand j’abaissai mon regard vers le fond de la pièce, je le vis enfin et je le reconnus. C’était lui, présent dans mes rêves d’antan.
Il vint vers moi et je vis combien son regard semblait triste et las.
- Tu es là ! Il y a si longtemps que tu n’es pas venue. Pourquoi toutes ces années ? Y avait il un autre homme ?
Je ne savais pas s’il y avait eu un autre homme, mais je savais que je n’aimais que lui.
Il m’enlaça et plongea ses yeux dans les miens.
- Je ne veux plus prendre de risque. Je ne veux plus t’attendre dans la désespérance en pensant que tu ne rêveras plus jamais de moi, que tu ne reviendras plus jamais.
Alors regarde ce que j’ai fait.
Par dessus son épaule, j’aperçus la porte par laquelle j’étais entrée. Le bois était entièrement lisse, il n’y avait ni poignée ni serrure.
- Tu ne ressortiras plus de ce rêve. La porte qui te permettrait de rejoindre la réalité est définitivement fermée.
Je me serrai un peu plus contre lui. Mais était-ce pour lui prouver mon amour ou la peur d’être à jamais prisonnière d’un rêve ?     




Singulièrement basse
Singulièrement basse
La nuit s’imprègne du sang des neiges
(Du vin était  resté dans la carafe)
Mais  tout de toi me dérange

Il y a ton regard, qui plisse
Sans vergogne, bleu de sans
(Nous ne dînons plus jamais à terre)
Affligeant méchamment mes si vieux miroirs

L’amour, plus vain que la guerre
Et ce temps qui se faufile
(Louvoyant ses pas de géant)
Dans nos tranchées d’avant le paravent

Je hais le Temps qui dresse sa citadelle
Et qui me guette, qui me guette
(De ses yeux dorés de réverbères)
Par l’interstice des rideaux de la bow-window

Il y a comme un bruit d’insecte à l’agonie
Un froissement éteint glissé sous la porte
(Sous l’eau dormait la soie)
Sans doute une lettre, venue d’une autre époque

A l’affût de nos arbres, des dizaines d’hélicos
Rampant singulièrement bas dans la nuit
(Lenteurs de cargos dérivant sous la bow-window)
Ma nuque soutient le monde qui se défait…

… Dans la violence
Tandis que tu dors, plié là, dans le désordre
(Les objets blancs s’entassent dans le couloir)
Dans cet Ailleurs où je n’existe plus

La falaise de la chambre s’affuble en silence
De ténébreuses paillettes  persistantes
(Et si petite la nuit dans la lucarne)
Puissantes, nos ombres guerroient le Temps…

… Heurtant les moindres  objets blancs

Il y a ce livre que je ne lirai pas
Singulièrement bas dans la bibliothèque
(Les mots sont serrures, ouvertes/fermées)
Et ce monde ensauvagé qui se défait…

Chloé ! Chloé ! Chloé Vive où es-tu ?
Où es-tu ma sœur jumelle jamais née ?
Tu flottais comme un serpent d’ivoire
Parmi les décombres de ma vie future

Mais singulièrement basse
Ta voix reconstruit le bruit originel
Le bruit d’avant les moindres mots
Le bruit des losanges qui se heurtent

Le bruit des Chevaucheurs du Temps…




Parfois les poèmes se  perdent


Je n’ouvre plus mon courrier

[C’est étrange me dit Oscar Wilde
Plus votre cœur devient noir
Plus votre visage s’illumine]

Ce n’est pas si étrange
Même l’origine du hasard est une coïncidence

Comment croire cet homme qui ment comme un ogre
Il m’a déjà mangée, digérée, recrachée…

Je n’ouvre plus mon courrier
Mais là où le ciel ouvre les portes de la nuit
L’archange rabat son aile gigantesque
Violemment

Oscar Wilde a scruté mes genoux maigres
Puis suivi mon pas de boiteuse
A minuit
Nous sommes arrivés sur le pont de l’Archevêché
L’homme au saxo ne jouait pas
Il pleurait en silence, adossé au parapet
Oscar Wilde a bu deux de ses larmes
Pour partager son chagrin
J’ai ramassé le saxo
Et l’ai astiqué avec le bas de ma robe
Je n’avais rien d’autre
…/…
Une musique vint d’ailleurs
Celle du Peuple des Clowns
L’un des leurs était mort
Il avait ouvert et lu mon courrier

Oscar Wilde m’a offert une étoile d’amer
Blanche comme une mariée de l’hiver
Du bout incandescent de sa canne de Dandy
Sur le parvis Notre-Dame
Il a dessiné un visage qui ressemblait au tien

[Crois en cet homme qui ment comme un ogre
Tout est en place. Rien ne manque]

Il est reparti, superbe et désabusé
Mon courrier débordant de sa poche
Et ce poème que je croyais perdu

« Mais toutes ces fleurs de violence
Entre nos mains
Malgré tout aimantes
Avec qui
Les effeuilleras-tu ?
Quand la pluie de novembre
Serrée, si serrée
Ruissellera sur mon marbre
Quand d’autres fleurs
Glacées, si glacées
Tomberont de tes mains
Demain, dans dix ans, dans trente ans »







Un long hiver sans samouraï

L’orage sortira par le toit de mon crâne
Et tout ce que je fus ou faillis être
Endommagé, Durablement
Verticalement, puis
Horizontalement
Sans aucune trêve
Aucun obstacle, Aucun octave

Furtif enchevêtrement des saisons
Mornes étés Carnivores
Hivers sans lutte ni Samouraï
J’en ai soudoyées qui ne s’achèvent
Vivaces ou mordorés
Traînées stupides sur les Miroirs
Et dans les rues

Nomade, l’Obscur dévisage la clarté
De ses yeux crachouillés à l’encre violette
Parfois, les rues prennent des pentes
Vertigineuses
Carrefours silencieux en losanges
(Surtout nier les croix, les angles droits)
Empreintes soi-disant éternelles

D’autres maux venus d’une âme étrangère
Derniers enchevêtrements des corps hésitants
Récurage, effacement, oubliance
Définitive
Mais non ! Pas si vite !
Ce que j’étais vacille et te tourmente encore
Subrepticement, infiniment…



Bio et Biblio:

Héloïse Cerboneschi est très secrète. Elle en dira donc très peu sur elle. Elle est née à  Paris, par un après-midi d’automne, boulevard de Port Royal Contrairement à ce que son nom pourrait laisser supposer, elle est de père Belge et de mère Française. Elle porte le nom de ses deux enfants et donc celui de son ex-mari
Elle a passé 15 années de sa vie dans divers pays exotiques et depuis son retour, ne peut plus se passer de Paris où elle réside entre Bastille et le Marais, le quartier de sa jeunesse. Dès l’âge de 8 ans elle s’est intéressée à la littérature, à l’écriture et surtout à la poésie
- Sa poétesse préférée est Anna Akhmatova
- Chez les hommes :  Desnos, Char, Soupault et bien sûr Apollinaire, Verlaine, Baudelaire et Rimbaud. Sans parler de certains poètes étrangers très peu connus en France
- Pour les écrivains, la liste est longue mais elle cite : Henry Miller, Mervyn Peake, Hermann Hesse, John Kennedy Toole, Maupassant, Simone de Beauvoir…

Elle est l’auteure de 2 recueils :
- Pensées de Trèfles noirs aux éditions de l’Ecrit au Livre
- L’indécence aux Enfers, en cours d’édition

Que pense-t-elle de la poésie ?
« C’est quand je suis très malheureuse et très amoureuse que j’écris le mieux car je laisse exploser mes émotions avec des mots, parfois terribles, qui doivent susciter des images fortes chez le lecteur. Je me sers très rarement de la rime qui pour moi, limite mes possibilités d’expression. Je recherche surtout le rythme et l’enchaînement de mes vers et les associations de mots peu fréquentes qui seront néanmoins très évocatrices »

Héloïse me précise qu’elle évite le plus possible de mettre des points au bout de ses phrases. Car, comme elle  l’a écrit :
« Tout doit rester inachevé, ce qui est achevé ne laisse plus guère d’espoir. Un simple point peut fermer toutes les portes »


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Textes : Héloïse Cerboneschi

Illustration : Paul Delvaux
(1976 Robe de mariée)




Salon de lecture
Francopolis janvier2012
recherche Éliette Vialle

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Créé le 1 mars 2002

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