Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un
visage. |
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GUEULE DE MOTS
Cette rubrique reprend un second souffle en 2014
pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler
de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la
poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner
son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture, ou tout
simplement de gueuler en paroles... etc. Novembre-décembre 2022 Libre parole à Daniel Brochard (†) Éric
Chassefière : Hommage
à Daniel Brochard Le
veillon, huile de Daniel Brochard (figure
sur la couverture de son recueil Dernière minute) |
Daniel Brochard nous a quitté le 22
janvier 2023. Il était né en 1974 dans les Deux-Sèvres et avait découvert la
poésie à l’âge de 17 ans, se mettant plus tard, en 2005, à la peinture avec
un égal intérêt. Atteint de schizophrénie, il disait de l’écriture qu’elle
était pour lui « un
besoin vital, une façon d’exister, de lutter contre la maladie ». Vivant
en Vendée, il avait créé en 2005 la revue de poésie Mot à Maux, dont
devaient paraître six numéros entre mars de la même année et janvier 2007,
les parutions s’interrompant ensuite jusqu’en 2018, pour reprendre jusqu’au
numéro 21 en juin 2022. Voici ce qu’il écrivait sur le blog de Mot à Maux au tournant de
l’année 2022 : « La poésie est toujours un combat et il faut
penser aux plus misérables, aux délaissés qui dans l’ombre vivent des jours
douloureux. Je me rappelle que la poésie pour moi a été une lente maturation.
Aujourd’hui, j’ai à cœur de faire vivre Mot à Maux et de m’engager
vers ce point où la poésie sortira grandie, indispensable et enfin reconnue
comme un art à part entière. Puisse-t-elle continuer à éclairer nos nuits, à
guider nos pas vers plus d’humanité. Puisse-t-elle nous rendre attentifs au
monde et désireux de modernité. Cette année devra être celle du renouveau. Ne
jamais désespérer, car les amis sont toujours là pour vous relever. Merci aux
amis donc, à tous ceux avec qui je peux échanger et qui toujours me
réconfortent ! Votre présence m’est des plus précieuses. À tous : bonne
année ! » Deux mois plus tard, visiblement très
marqué par l’absurdité et la violence aveugle de la guerre en Ukraine, il
écrivait à ses amis poètes qu’il avait décidé d’arrêter d’écrire de la
poésie, se déclarant « à bout de son imaginaire poétique ». Il disait
vouloir continuer à s’occuper de la revue Mot à Maux et à alimenter son site Dans les brumes des témoignages des uns et des autres. Le point
final de son œuvre serait la rédaction d’un « Manifeste pour une poésie
sociale », dont il disait l’écriture bien avancée. « Après cela
j'aurai bien vécu ! Il faut savoir s'arrêter, même si je garderai ce lien
avec l'écriture. Rien ne sera plus comme avant ». Seulement deux
semaines après ce premier message, le 28 mars 2022, il publie sur Dans les
brumes un billet intitulé Fin disant sa décision d’arrêter également la revue Mot
à Maux : « Le sentiment d'inutilité est plus fort que le
courage et l'obstination. Le poète touche à ses limites, pris dans un
mouvement plus puissant que lui, découragé et démobilisé par l’inertie de son
combat. À quoi bon ? Et pourtant les revues sont nos plus précieux
trésors ! Pour moi la pente devenait trop dure à monter… ». Six mois plus tard, le 12 octobre, Daniel Brochard
publie sur Dans les brumes un « Appel à la poésie » qui commence ainsi : « Je me permets de revenir vers vous tant la
solitude aujourd'hui me pèse. Dire que le monde de la poésie me paraît bien
lointain depuis l'arrêt de Mot à Maux. Dois-je supprimer le site Dans les
brumes ? Dois-je me couper totalement de cette relation avec la poésie ?
Pour moi, elle est en train de mourir. D'abord entre mes doigts... mais
surtout dans une société où elle est délaissée, ignorée ! Quel intérêt à
vouloir ressasser encore les éternelles difficultés de la poésie ? Pourquoi
combattre pour la maintenir en vie ? C'est un phénomène qui nous touche tous,
en tant qu'auteurs ! Alors, perdre son temps à pleurnicher, quelle importance
? J'estime avoir fait mon chemin. J'ai suffisamment eu ce sentiment de lutter
pour des combats qui pour moi avaient un sens... Je sais l'inutilité de ma
démarche. Je sais la vanité de vouloir peser sur une société marquée par les
réseaux sociaux, la vitesse et la consommation. Aujourd'hui, il ne semble
plus y avoir d'issue pour le poète. » Le mois suivant, à la mi-novembre, il informe ses amis
poètes de la mise en place d' « un nouveau site Internet dont le
but est le recueil de témoignages sur la place de la poésie dans l'espace
social et culturel aujourd'hui. Après l'arrêt de Mot à Maux à son numéro 21
en juin dernier, je lance cette nouvelle aventure éditoriale. J'appelle
chacun à prendre part à l'élaboration de cet espace ». Et voici, dans le
texte qui accompagnait sa sollicitation, disant l’espoir qu’il avait de
passer le témoin de la poésie à un collectif se chargeant de diffuser la parole
poétique, les mots de son appel : Assemblée générale Daniel Brochard « […] Nous recherchons des voix,
parce que c’est tout ce que nous pouvons espérer de la situation actuelle.
Des témoignages libres et incisifs sur les questions de notre temps. La poésie
a toujours essayé de changer la vie. Nous avons cet héritage séculaire. Je
propose aux poètes et aux acteurs du livre d’accéder à un nouvel espace
d’expression sur le site Dans les
brumes. Dans ma démarche, je recherche des voix sensibles à la marche
du temps et soucieuses de préserver la poésie dans l’espace culturel. Ce lieu
vous appartient désormais et je n’y interviendrai pas. Je tiens à honorer ma
promesse, ma décision de ne plus écrire. Peu à peu, j’y arrive. Ma voix s’efface.
Au profit d’une autre, la vôtre. Cet effacement me laisse face aux
témoignages que vous pourrez apporter. Conscient que l’idéalisme nie la
réalité, mais que les idées gouvernent le monde, je vous laisse libre de
porter votre parole, convaincu que notre humanité peut engendrer le meilleur.
Vos idées transmises formeront une agora. C’est tout ce que je peux attendre
de plus d’une aventure littéraire commencée avec Mot à Maux. Je n’ai eu de
cesse de prendre la parole. Aujourd’hui je suis au terme de mon parcours.
Vous seuls pourrez donner désormais du sens à l’entreprise qui nous est
commune : la poésie. » Le Manifeste pour une poésie sociale, en ce
début d’année 2023, venait juste de paraître et d’être communiqué aux amis du
poète. Trente pages d’une prose dense et militante prônant une révolution
poétique. Daniel Brochard s’y définissait comme un combattant (il l’a été en
particulier contre la pratique de l’édition à compte d’auteur), ainsi qu’il
l’exprime dès le préambule : « Je propose une action basée sur la
volonté de transmettre le discours poétique dans la sphère sociale, en ces
temps où le discours politique se perd dans une absence de signification.
Changer la vie n’est plus impossible. Nous avons tout pour mener ce combat,
par l’information, l’expression, la diffusion de nos valeurs. N’avons-nous
pas aussi droit à la parole ? ». Et plus loin : Ce fil étroit, précisément, a rompu
dimanche dernier, et Daniel Brochard a perdu son premier combat, celui contre
la maladie, qui lui prenait tant d’énergie au détriment du second, qu’il
menait avec tant de pureté et de persévérance contre l’ignorance dans
laquelle la poésie est rejetée par le monde capitaliste en crise
d’aujourd’hui. Il n’était bien sûr pas le seul à tenir ce discours et à
dénoncer l’hostilité, ou au minimum l’inattention, portée à la poésie, ce
qu’il avait ainsi réaffirmé dans le numéro de décembre 2022 de Comme en
poésie, une revue (parmi d’autres) dénonçant également avec force le
naufrage contemporain de la poésie, sous la plume notamment de Jean-Pierre
Lesieur. Mais il était certainement l’un des plus âpres à la lutte, l’un des
plus inspirés aussi, défendant l’utopie d’une poésie libre et vecteur
d’émancipation sociale. Nous perdons avec sa disparition un revuiste et
bloggeur de grands talent et valeur humaine, dont il nous faut saluer bien
haut la mémoire. On pourra se faire une idée de l’homme
et de ses combats en allant visiter les blogs de Mot à Maux et Dans les brumes. Et également aller lire sa
présentation de lui-même sur le site de Catherine Andrieu,
et la recension de son recueil 13 dans Recours au poème.
Certains de ses tableaux peuvent être vus sur le site des Artistes contemporains.
©Éric Chassefière Voir aussi, du même auteur : les
notes de lecture sur Dès l’aube de
Daniel Brochard et Parmi les ténèbres de
Daniel Brochard, et recherche/présentation du recueil L’amitié de Daniel
Brochard (dans Francosemailles). *** Quelques échos sur
la toile : L'adieu à Daniel Brochard
(sur le site de Catherine Andrieu), Décès du poète Daniel Brochard
(sur le site des éditions du Petit Pavé), Daniel Brochard sur le site de
la revue Décharge), Daniel Brochard (sur le site d’Éric Dubois, Le capital des mots), Lettre de Daniel Brochard à un jeune poète (sur
le site jeudidesmots.com animé par Marilyne Bertoncini). Ci-dessous nous esquissons une bibliographie de
Daniel Brochard (sans garantie d’exhaustivité) ; on y remarquera un tout
dernier recueil, qui paraissait alors même que le poète disparaissait : Recueils : Clefs des songes. Éditions
Encres Vives, 2004 Pour ma mort. Éditions
Poiêtês, 2006 Magie noire suivi de
L’air de rien. Éditions Clapàs, 2007 De la folie et des oiseaux
migrateurs. Éditions Henry, 2010 TGV 8873. Roman. Éditions l’Amandier, 2013 Parmi les ténèbres suivi de
Au bout du chemin. La Botellerie, 2015 Talmont-Les Sables 2016-2017. L’éternel recommencement. Éditions
du Petit Pavé, 2018 Daniel
Brochard / Catherine Andrieu – Correspondance. Éditions
du Petit Pavé, 2019 13, autoédition, 2020 L’amitié, autoédition, 2021 Dès l’aube, autoédition, 2021 Je voulais voir le monde. Éditions
Le Jarosset, mars 2022. Dernière minute. Éditions
du Petit Pavé, janvier 2023. En
revues : Les
Brèves littéraires du P’tit Pavé, Comme en Poésie, Rétro-Viseur, L’arbre à
paroles, L’Échappée Belle, Poésie sur Seine, Les Cahiers de l’Alba, Triages,
Virgule, Verso, Multiples, Friches, Traversées (d’après Le Jarosset). En
des volumes collectifs : dans Écrits du Nord, n°s 13-14 (2008), et n°s 23-24 (2013),
volumes coordonnés par Jean Le Boël, Éditions Henry. Extrait du recueil Dernière minute, janvier 2023
(4e de couverture) : Je mets les pieds sur le port le vent à l’ouest […] (D.S.) |
Daniel Brochard par Éric Chassefière Francopolis
– janvier-février 2023 |
Créé le 1 mars 2002