Creuser,
enfouir dans l’ornière, enterrer, oublier… Ou au contraire, marquer,
imprimer, détacher, mettre en exergue en conférant du relief ; faut-il
voir la trace ou privilégier le signe ?
Ce sillon, est-ce
la marque infâmante du Temps ou la volonté d’interpeller, de chercher du
sens, de conduire à une vérité qui ne peut s’effacer ?

Il
est des portes ouvertes sur l’éternité. Les franchir, c’est entrer dans une
autre dimension ou plutôt, c’est perdre toute dimension, abolir le Temps,
l’Espace, se fondre dans la gravitation universelle, vertige d’une vision
holistique.

Géométrie
sérielle, froide, rigide, lignes fuyantes pour se rejoindre dans la
cassure, la pierre donne à voir sa substance secrète, se résigne à
réchauffer son âme mystérieuse aux jeux de la lumière, et fixe de ses trous
noirs cet hybride jailli de terre qu’elle a vu s’élever au fil du temps, le
pied figé, prisonnier de la terre et les membres libres, dansant au vent.

N’a-t-on
pas dans l’obscurité dédaléenne de la grotte été confrontés à la réalité
des peintures rupestres ? Une vérité certes limitée dans un temps et
un espace, mais un éclairage certain. A
contrario, même dans la ‘’lumière de la science’’, ne serions-nous pas
leurrés comme les prisonniers de la caverne de Platon si nous fermions les
yeux sur ces indices, ces signes, l’empreinte du passé, en un mot, les
leçons de la pierre pour prévenir le futur ?
Introspection
dans la mémoire humaine : trouver notre fil d’Ariane pour rebrousser
chemin, garder une conscience intègre, indépendante, pour ne pas s’égarer
dans le labyrinthe de l’illusion, et descendre dans le tréfonds de notre
être pour se ‘’re-connaître’’.

Cellule
carcérale ?
Inversion
des champs de confinement et d’ouverture ?
Ou
plus logiquement entailles pour supporter des structures annexes. Partout,
la main de l’homme patiente, efficace, ingénieuse, domptant la roche,
l’asservissant à ses besoins.

Cette
grotte n’a pas fini de révéler son mystère…
Comme
d’autres blocs erratiques du site de Calès, elle reste énigmatique.
Creusée, gravée, elle témoigne de l’occupation humaine de ce site bien
antérieure au Moyen Age. Grotte sacrificielle ? Lieu de culte solaire
ou de foi chrétienne, quelles aspirations, quelles prières ou consolations
ces initiés y venaient chercher ?

Le
Temps semble s’éterniser ici : le même vertige du regard qui plonge
dans cet à-pic depuis la nuit des temps, le même sentiment d’humilité et la
même angoisse existentielle dans ce silence lourd, enveloppant…
Et
soudain un éclair, la flèche vive d’un oiseau au-dessus de nos têtes ;
sortir de l’emprise, lever enfin les yeux au ciel.

Dans quelles conjonctures, par
quel hasard, dans ce site où le mâitre d’œuvre de cette unité
architecturale est d’abord la nature, un esprit humain appose-t-il les
normes de référence du nombre d’or ? L’opposition entre le naturel, la
simplicité sauvage de l’ensemble et la composition complexe, réfléchie,
érudite même de la figure géométrique surprend, interroge. A quelles fins
ce travail fastidieux d’impresion à la broche ? Survivance d’une
intelligence insolite en ces lieux ? Trace anachronique ?

Au
Néolithique, dans un environnement encore vierge, l’Homme et la Pierre
conjuguaient leurs destins : matrice protectrice contre tous les
dangers et inspiratrice d’une vie quotidienne qui se sédentarisait,
s’organisait, s’outillait, elle était la matière dont il tirait parti - en
structurant sa pensée - mais certainement aussi, cette entité
transcendantale qu’il respectait, la faisant dépositaire de sa mémoire,
allant jusqu’à la vénérer.

© Jeannine
Botella : textes
© Michel
Racois : dessins
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Domiciliée à Mallemort, dans les
Bouches du Rhône, Jeannine Botella,
ancienne professeur des écoles puis directrice, est aujourd’hui à la
retraite. Elle est l’auteure de plusieurs recueils de poésie, d’un écrit
mêlant contes et souvenirs, Les Pauses « tendresse », et
d’un roman, Les fleurs de mai, primé par l’Académie Littéraire et
Poétique de Provence.
Également
peintre, elle anime un atelier et durant plusieurs années, elle a organisé
le Salon international de peinture de Mallemort.
Né en 1947 à Dakar, Michel Racois vit et travaille à Lamanon. Il a été
enseignant (mathématique) successivement en lycée, École Normale, et
collège.
Peintre de la galerie Simone Boudet (Toulouse) de 1977 à 2000, de la
galerie J.M. Cupillard (Grenoble) de
1979 à 2008, de la galerie G. Goubin (Salon-de-Provence)
de 1995 à 2010, et présenté par la galerie ''Traces''
(Pernes-les-Fontaines), et les Ateliers Agora (Eyguières).
Ses
« papiers froissés » (peintures) ont été accueillis à la rubrique
Créaphonie de janvier-février 2022.
Comme écrivain, il nous a confié plusieurs de ses nouvelles qui ont été
publiées dans Francopolis en janvier-février, mai-juin, novembre-décembre 2022, à la rubrique
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