III.
Mnémé (la mémoire) Partie III... suite et Fin
C’était l’établi de
Pépé. Il était son
parrain, elle était sa chouchoute. Coincée au milieu des
autres, elle allait se
réfugier chez eux, Pépé, Mémée,
quand petits ou grands l’embêtaient
Plus juste, la confiance pleine et
déliée, à
ras d’humus, par laquelle on devient davantage soi-même dans
l’écoute généreuse
de l’autre
De ce lim[age] [de] cervelle
jaillissent soulagement, étonnement mutuel, éclairs de
bonheur, élévation…
propres à compenser les trous d’air
Souvent, il l’entraînait dans son
atelier.
Il souriait, heureux dans ses gestes appliqués. Il
réparait les serrures, les
horloges, les chaussures. Il construisait aussi des jeux – en
cachette :
elle a toujours son lit de poupée, la petite table, les chaises,
l’armoire à
vêtements
Il mettait son cœur à l’ouvrage
et son œil
pétillait
Certains s’usent jusqu’à la corde
en une
même obsession, fût-elle mise au service des autres
Tout est drogue, passé le seuil
critique
difficile à préciser, à respecter
L’établi de
Pépé : meuble parfait pour
mains habiles. Belle table en hêtre, solidement plantée
sur ses quatre pieds,
doublée d’un plateau bas, avec presse verticale en bois,
serre-joint, valet,
étau
Son bois blond invite à la
douceur du geste
juste, l’amour de la chose bien faite, la satisfaction des
réparations réussies
d’objets compagnons, appelés à durer, ceux qu’on
transmet, pieusement, de
génération en petits-enfants avec, durablement
incrustés dans leurs replis, des
secrets d’enfance, des peines, des tendresses
Qui assume son choix de vie sait que
l’amour
y fructifie
Et deux êtres qui s’aiment
créent leur
divinité
Ces objets émeuvent, construisent
des vies,
relient les âges passés, présents, à venir.
Leur patine, pour peu qu’on lui
apprenne à l’entendre, voir, toucher, imprègne l’enfance.
L’âge aidant, son
sens profond se déchiffre, petit à petit
Tristesse pour qui en est privé
Un léger ponçage a
débarrassé l’établi de la
poussière d’oubli, la magie de la cire d’abeille lui a
redonné son éclat
d’antan
Parfois un homme et une femme, ça
s’embrase
Puis l’enfant mort
Ce qu’il offre par surcroît :
entailles, marques de peinture, traces circulaires… racontent les mille
et un
travaux de Pépé penché sur l’établi,
d’ancêtres plus lointains peut-être
Chaque tache, une histoire à
déchiffrer pour
qui est à l’écoute
Ça faisait plus d’un an qu’ils
attendaient,
qu’elle était annoncée, qu’ils désiraient faire sa
connaissance, la fille du
nouveau compagnon de leur mère
La vie, incroyable imbroglio d’accrocs
et
coutures
Pour certains, abonnés à
la fadeur, le temps
c’est la routine
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