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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

Nous redonnons vie ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poèmes « Coup de Cœur » des membres du Comité

Septembre-octobre 2022

 

 

Gaëlle Josse, choix Dominique Zinenberg

Anna Maria Carullina Celli, choix Éliette Vialle

André Ughettochoix François Minod

Réginald Gaillard, choix Mireille Diaz-Florian

Guénane Cade, choix Dana Shishmanian

Michel Dufresne, choix Michel Ostertag

Parme Ceriset, choix Gertrude Millaire

 

Gaëlle Josse

choix Dominique Zinenberg

 

adossés à l’épaule du temps

chaque jour renaître

ouvrir les volets

 

au jardin jeter une poignée de graines

la part de la terre

la part des oiseaux

 

et attendre ce qui est à venir

 

                    **

 

la peau arrachée jusqu’au cœur

mais ce brin d’herbe

devant la fenêtre

 

                  **

 

et recoudre le soleil

sur nos ciels fatigués

 

abondance de rubans pour

caresser nos épaules et

 

accompagner ce pas de danse

qui se découvre

incrédule

joyeux

fragile

 

                **

 

nous partirons sans avoir percé tous les secrets

                       sans avoir entendu tous les chants

                              sans avoir cueilli tous les fruits

 

                                       nous partirons inachevés

                     comme un poème juste commencé

                               sur une table face à la fenêtre

                                     auprès d’une tasse de café

                                                            à demi pleine

 

                  **

                                               en marge toujours

                     l’essentiel s’écrit dans les marges

                                                    à même la peau

       à l’encre sombre des alluvions recueillies

 

                               ne pas dormir ne pas céder

                              dans le désordre de l’atelier

                                                 poser un oratoire

 

 

Poèmes extrait du recueil et recoudre le soleil. Les Éditions Noir sur Blanc - NOTABILIA, 2022 (10€). Voir dans ce même numéro ma note de lecture (D.Z.)

 

Anna Maria Carullina Celli

choix Éliette Vialle

 

En face

Entre persiennes 

La branche tremble  

Sur le frisson vert du rameau 

Une feuille seule 

Une seule feuille mord l'or

Jeux de lumière 

Jeux d'abricot 

 

***

 

Une fleur sur cette branche 

Balance sa tête de côté 

Rose de suie à gorge blanche 

Elle chante, enivrée par le sang des figuiers 

Qu'altérée, la lumière a bu jusqu'à plus soif 

Or qu'au soir, quand l'arbre dormait

Une main noire a recouvert de rosée 

Les palmes vertes aux nervures acérées répandent à l'envi 

Ces parfums où s'unissent la mort et la vie 

Cœur embaumé, la fleur chante 

D'une voix presque désespérée

Quand j'ai ouvert les doigts pour en saisir les notes 

Quand j'ai ouvert mes lèvres pour chuchoter ces notes 

Elle a déplié ses ailes et puis s'est envolée 

 

 

André Ughetto

choix François Minod

 

HORIZONS d'ENFANCE

                                  

 

                NAÎTRE OU NE PAS NAÎTRE

 

            (petit dialogue interne et intérieur)

 à Mathieu Hilfiger

 

Cette question n'est pas

                  de celles qui tracasseraient nos dents

 

Et nous, dès que semée, l'entité veut survivre

                qui vibre sous la langue et fait miroir de la pensée

 

Erratique désir : voir le jour

sortir vers la lumière

jamais vue

             vouloir s'en éblouir – soleil promis du Songe

 

une émergence après la vie première et aquatique

                               un bain à bulles de syllabes luxuriantes

 

Au cri respiratoire

                          que l'euréka fait retenir dans la psyché

 

le monde t'est donné

la chance opère

au jeu des occurrences inconnues

nous compose

nous propose la recombination de notre imaginaire

                         vers quoi nous pousse un poème tout neuf

                         comme accueilli par la famille entière

                         de ceux qui précédaient

 

Par quelle somme de hasards devons-nous d'exister

                         sous assistance respiratoire

                         en poésie ?

 

Ce que ta mère t'a donné le voici

nourrisson qui t'endort sitôt nourri

mais qui perçoit de mieux en mieux

penchés sur le berceau

- célestes créatures ! - tes parents,

tu les sens

sans connaître les mots

 

                     Oui, abandonne un peu le peu que tu savais

                     Penche-toi sur ta rivière originelle

                     dont le fond masqué d'algues captive ses noyés

 

Que de choses comprises en amont du langage

Nous naissons plusieurs fois

L'école enfin t'enchante

Apprendre à syllaber, à lire, à dessiner

beaux instruments libératoires

 

            Et depuis quand es-tu dans la recherche

            comment l'attachement aux justes mots

            a mis le pied sur ta conscience  

            Îlot conquis à défendre sans cesse ?

 

Mais un matin tombe sur toi une tristesse

Tu portes un tourment que tu ne sais pas dire

Ainsi te vois-je jeune enfant

qui ris et deviens sombre

comme un ciel dont le bleu se farde de nuages

 

Non tu ne sauras rien de l'amour qui fonda

ton humide origine

Merveille cependant ce qui te fait te fait unique

Au croisement des regards

qui t'observent est logé

ton secret de singularité

 

                          Or tu souhaitais

                          que reste indispensable

                          la parole ajoutée à  tout ce dont la tienne

                          se forma

 

Pour lors découvrant qui tu es

choisiras-tu de naître ou n'être pas ?

 

                            De cela seul décide le poème

                            gréé pour affronter le temps

                            ou livré naufragé

                            à la denture de l'oubli

 

                                                                     ***

                                                    

À Pauline

quand elle eut trois ans

 

Éclose du sommeil

petite te voici

espiègle à ton réveil

par le Jeu accueillie.

L'espace est balisé

par l'adulte qui veille

sur toi, une merveille...

En chaussant des souliers

qui sont trop grands pour toi

tu te vois chat botté

allant devant des rois.

Hier tu paraissais

l'Attila des stylos.

Aujourd'hui des oiseaux

tu envies de voler

est ressens du bonheur

à sauter sur les fleurs.

Tu manges de la terre

avec délectation,

on t'interdit d'en faire

la consommation.   

Les cris retentissent

pour que tu obéisses

te donne l'impression

qu'en le jardin d'enfance

les fautes sont immenses,

mais tu es pardonnée

dès la frayeur passée...

Tu rétablis la loi

de pouvoir absolu

sur la poupée qu'on voit

sur les genoux battue.

Sur ce tu fonds en larmes,

et s'éloigne le charme

qui faisait qu'avec joie

tu grossissais ta voix

pour mimer la colère

qu'aussi feignit ta mère.

Prodigue en tête à queue

est la piste du jeu.

 

 

 

Poèmes extraits du recueil Les attractions inéluctables, éditions Unicité, 2022.

André Ughetto est poète, critique littéraire, traducteur, auteur dramatique, essayiste, réalisateur.

il a été membre du conseil de rédaction de la revue SUD, puis l'Autre SUD. Il est membre fondateur de la revue Phoenix dont il a été le rédacteur en chef jusqu'en 2019.

Extrait de la préface de Marc Wetzel à propos de son dernier ouvrage Les attractions inéluctables :

« … Hypothèses au scalpel, effondrements pour voir, convivialités vertigineuses – tout dans cette poésie est raisonnablement, mais radicalement considéré et dévisagé. On entend partout comme un tragique et serein « Et si ... soudain ? » (si nous n'avions plus de gestes pour outils, des cris pour discours, des clics pour jugements …) Mais à tout ceci, chez ce poète, des réponses sans mensonges se pressent, s'élaborent et nous touchent... »

 

 

Réginald Gaillard

choix Mireille Diaz-Florian

 

Réginald Gaillard, Hospitalité des gouffres. Préface de Jean-Yves Masson. Édition Ad Solem, 2020

J’ai découvert le recueil de Réginald Gaillard au Marché de la poésie. Dans la préface, Jean Yves Masson affirme « qu’il n’est pas de poésie digne de ce nom qui ne naisse d’une épreuve ». La lecture de ce recueil permet de mesurer la puissance de la poésie pour révéler et transmuer l’angoisse, pour interroger l’autre côté du visible.   (M. D.-F.)

Co-fondateur de la revue L’Odyssée, puis de la revue Nunc et des éditions Corlevour, Réginald Gaillard a publié trois recueils de poésie : Dans l’attente de la tour (2013), L’échelle invisible (2015) parus chez Ad Solem et un roman, La partition intérieure, qui a reçu le Grand Prix catholique de littérature (2018).

Hospitalité des gouffres a reçu le prix Max Jacob 2021 et le prix Paul Verlaine de l’Académie française 2021.

 

 

KINDERZENEN

I

 

Vienne le jour nouveau qui efface la nuit

et que disparaisse enfin le doux tumulte

 

des voix fausses, car elles égarent l’esprit,

instaurent le règne d’un silence funèbre ;

 

que fonde le givre que partout je dépose,`

quand tout semble mort en mes terres. Alors,

 

alors, se lèvera le léger bruissement

d’une robe où enfant je me réfugiais

 

aujourd’hui de terre rouge salie,

mais, demain, transfigurée de lumière.

 

VIII

 

Son rire s’est perdu dans les fracas des tôles.

Une partie de lui, la plus vive, s’est effacée

 

avec ce parfum d’une femme, de l’autre côté,

du côté de l’invisible. Deux fois son cœur

 

arrêté ; deux fois à la vie revenu,

plus triste chaque fois d’être là encore,

 

plus silencieux chaque fois, plus terne et

plus blême que sa femme morte qui

 

parfois me parle de l’autre côté du visible

à travers les gestes des enfants que je croise,

 

à travers le regard des mères qui couvre

d’ardoise leur petits dieux venus sur terre.

 

Sans toi, je n’aurais eu, fragile, au-dessus de la tête

que quelques touches de bleu pour toute charpente.

 

 

ACEDIA

 

Blanchir la nuit VI

 

Ce que tu convoites avec ardeur, plus encore

que l’instant créateur qui suit, divine magie,

 

c’est ce geste aussi imperceptible

qu’un battement de cil, ce, malgré

 

l’indifférence du regard, dans une lumière,

pourtant neuve ; ou encore ce mouvement anodin

 

d’une main qui trahit l’acquiescement, l’abandon

possible de tout le corps à la survie…

 

L’emportement intérieur, folle furie furieuse

que suscite cet instant, à lui seul, justifie tout le jeu.

 

 

ÉLÉMENTS ÉPARS POUR UN ART POÉTIQUE

 

La chute dans le poème

 

Chaussée d’Ixelles, maussade et sans âme,

Chant de pluie sur quelques belles qui attendent.

 

Rudes, celles qui fuient les questions des yeux

pour s’enterrer sous les pavés de l’enfer.

 

Chaussée d’Ixelles, sans fard, je cherche un axe,

chasse le temps, lutine la nuit aux ailes coupées.

 

Accompagne le rythme de celle qui te donnera

son souffle et gonflera les voiles de l’envolée.

 

C’est toujours pour une femme que l’on fuit

en haute mer- et que l’on chute dans le poème.

 

 

Le dissimulé

 

-        Que cherchez-vous ainsi comme un fou ?

-        Ce qui demeure dissimulé, là que je sens, mais qui échappe à mon regard. Ma chasse n’est pas folle ; elle est elle-même le sens.

 

 

Guénane Cade

choix Dana Shishmanian

 

Trait de côte ou chemin creux

je marche

je sème des mots sans mémoire

ils sombrent dans le trèfle rose

surgit une abeille

elle buzzzzine butine laborieuse

elle sauve le rêve

les mots s'enracinent

 

Pour ramener en moi des trésors

je ruse

je fuis les déluges de rêves postiches

je pars surprendre le soir

je sonde quelques arpents de sable

je respire la lande l'océan les étangs

les haies les fossés les talus

 

J'invente le monde que je porterai

en moi sans cesse là où jamais

je ne me sentirai barbare profane

apatride discordante même

quand sautera la dernière corde du violon

(p. 13)

 

 

Le noroît contorsionne les vagues

incline le profil des voiliers effrontés

les oiseaux de mer virent tournaillent pivotent

valsent avec délicatesse

défient les molosses de la houle

 

Fine élancée hautaine

en habit blanc sur une seule patte

l'aigrette pensive médite

parviendra-t-elle à l'extase

au grand détachement ?

Quand elle fouaille la vase en flânant

quand elle déplie sa voilure

se vide-t-elle de tout sentiment ?

 

Les oiseaux d'un coup d'aile ont l'art

de tourner les pages du jour

 

Je joue avec les touches de ma mémoire

je gratte le papier les oiseaux grattent le ciel

(p. 39)

 

 

Les sages le disent

se confier à l'arbre est vertueux

mais à force d'absorber s'il grossit

nous ne pourrons plus l'enlacer

 

Savoir entendre les arbres stimule

il est pourtant des lunes où ils mentent

tant de fils de fées électriques

gênent leur sommeil

brouillent leurs énergies

 

Si le ver de terre m'entend

je me demande s'il n'a pas honte de moi

« Lui au moins est comestible !»

persifle le merle

 

Qu'importe

l'arbre grandit

garde traces de ses cicatrices

chacune est douleur mais donne

envie de vie

(p. 45)

 

Ces trois poèmes sont extraits du dernier recueil de Guénane Cade, Pas de côté. Éditions Sauvages – collection Askell, mai 2022 (62 p., 11,50 €).

C’est une plongée dans la nature sauvage des bords de mer bretons, où la métaphysique côtoie au sens propre la physique des rochers, des vagues, des arbres, et des grands voiliers du ciel… pour vous ramener aux interrogations essentielles sur votre humanité vraie, sur notre avenir à tous sur cette terre…

Brève présentation du recueil et de l’auteure sur la 4ème de couverture :

Regarde, renifle, écoute, goûte... La poésie invite aux pas de côté. Des estrans aux chemins creux, aux sentiers de la vie qui bifurquent, elle ruse avec l'horizon, élargit l'univers, elle flirte avec le rêve. Des pas de côté pour mieux avancer.

1943, la ville de Lorient est détruite par les Alliés. Exode, Guénane naît au cœur de la Bretagne. Après des études de lettres à Rennes où elle a enseigné, elle a vécu en Amérique du Sud et vit désormais en rade de Lorient. En poésie, elle publie aux Éditions Rougerie (et ailleurs) depuis 1969. En prose, elle est l'auteure d'une douzaine de romans et récits. Pour tout savoir (ou presque) : www.guenane.fr 

 

Michel Dufresne

choix Michel Ostertag

 

Ils étaient du même quartier

Et se croisaient sans trop se voir

L’un égaré dans ses pensées

L’autre déjà loin quelque part.

 

J’aime à penser que c’est l’orage

Qui les a fait se rapprocher

Le temps d’un auvent qu’on partage

Et se revoir, s’apprivoiser.

 

Ils s’aimaient bien, jour après jour

Sans trop se le dire, et pourtant…

Il n’y a pas que les amours

D’Autant en emporte le vent.

 

C’était quelque chose de fort

De fort et de doux à la fois

Comme une assise, un contrefort

Pour défier le temps, les lois.

 

C’était plus que juste un amour

Entre l’amour et l’amitié,

Vous me direz : c’est un peu court

Mais ce quelque chose a duré.

 

Ils s’aimaient bien, jour après jour

Sans trop se le dire, et pourtant…

Il n’y a pas que les amours

D’Autant en emporte le vent.

 

Toujours un défi que d’aimer

De s’aimer vrai, de s’aimer doux

Que de s’aimer dans la durée

Malgré les bas, malgré les coups.

 

L’un est parti bien avant l’autre

Comme il arrive trop souvent,

L’un est parti mais pas pour l’autre

Et le passé restait présent.

 

Ils s’aimaient bien, jour après jour

Sans trop se le dire, et pourtant…

Il n’y a pas que les amours

D’Autant en emporte le vent.

Et même après autant de jours

Ils s’aimaient bien, toujours autant.

 

 

Ils s'aimaient bien, chanson Michel Dufresne, mai 2022 (extraite de Facebook – groupe Collectif Francopolis)

 

Parme Ceriset

choix Gertrude Millaire

 

Sauvage

 

Sauvage

le vent qui se délecte à bercer mes cheveux
de ses caresses folles, en torrent de violence…
Sauvage
le calcaire blanc des hauts plateaux,
ces pépites de Vercors qui lacèrent la peau
de mes pieds vagabonds…
Sauvage
ce souffle dans mon cœur qui déverse ses flots
de lave et de volcan.
Sauvage
ce nuage de senteurs, de bruyère et de menthe
qui enivre mes sens de vagues insolentes,
Sauvage
cette soif de liberté qui immerge mon âme
d’un doux parfum de vie
brûlant comme un tison.

 

 

Me fondre au temps

 

Et je me fondrai au vent des hauts plateaux, 

à l’odeur de calcaire, empreinte métallique

des rêves d’insouciance

évadés dans l’or bleu

du temps qui s’évapore…

Je me fondrai à l’eau

des ruisseaux de jouvence

les âmes galets

des humains disparus

roulent sous les flots calmes

des vies en partance,

je me fondrai à Tout ce qui bruisse dans l’ombre

à tout ce qui renaît aux lueurs de l’Aube

et je serai rosée sur les feuilles de joie

et je serai l’eau vive

en ton cœur de vivant.

 

Du recueil Femme d’eau et d’étoiles, éditions Bleu d’encre, préface Patrick Devaux (prix Marceline Desbordes-Valmore 2021 ; textes reproduits d’après Facebook – groupe Collectif Francopolis).

 

 

 

Coups de cœur des membres :

 

Gaëlle Josse, choix Dominique Zinenberg

Anna Maria Carullina Celli, choix Éliette Vialle

André Ughettochoix François Minod

Réginald Gaillardchoix Mireille Diaz-Florian

Guénane Cadechoix Dana Shishmanian

Michel Dufresne, choix Michel Ostertag

Parme Ceriset, choix Gertrude Millaire

 

Francopolis septembre-octobre 2022

 

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