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GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010
Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet |
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GUEULE DE MOTS
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR...Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage... libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture. etc
Libre parole à… André Chenet Poète
vagabond, amoureux de la Nature, avec pour style de vie le voyage,
l’aventure au jour le jour. A la manière des grands
ancêtres Rimbaud ou Cendrars, il ne veut rien posséder
pour être tout dans le départ et la réalisation
d’un autre monde, d’une autre vie. Ailleurs est son royaume.
André Chenet sait, à merveille, transcrire ses
états d’âme dans sa poésie. Sa vie est son plus
beau poème. (Michel Ostertag)
ANDRÉ CHENET : Solstices et équinoxes 1 Très
jeune, j'ai quitté ma famille où je ne me sentais plus
chez moi, avec seulement un sac de toile contenant quelques effets et
des poèmes. Je suis "monté à la grande ville",
j'ai pris son pouls, écumé ses labyrinthes et surpris ses
secrets avant de m'en aller au gré des courants de l'existence.
J'ai traversé les mers, regardé le soleil levant en
regardant droit dans son œil de cyclope fou jusqu'à en devenir
aveugle. Toujours avec un simple sac à l'épaule, j'ai
emprunté de tortueux chemins de traverse, franchi des
gués tumultueux et de hautes montagnes inconnues. J'ai
vécu avec les paysans et les sans-demeures. J'ai connu l'extase
des obscures tavernes, la volupté écrasante des femmes,
les gestes et les paroles légères de l'amitié.
Mais je n'étais jamais complètement satisfait : je
portais au fond de mon être un joyau étincelant, une pure
merveille et ne le savais point. Je tuais le temps à rechercher
un pays qui n'existait pas.
2 Aujourd'hui,
lorsque je regarde en arrière, la vie m'apparaît
irréelle tel un songe. J'ai poursuivi les nuages blancs qui
escaladaient les versants vertigineux autour desquels tournait l'aigle
royal au regard pénétrant. J'ai trempé mes
lèvres dans l'eau glaciale des sources. A la belle
étoile, j'ai veillé en écoutant les enseignements
effrayants des animaux nocturnes. Jamais je ne me décourageais,
ne me lamentais : peu m'importait, qu'il fasse beau ou mauvais, je
continuais à soulever la poussière des chemins ou
à couvrir de boue mes pauvres chaussures d'aventure. De temps
à autres, j'écrivais à des parents lointains,
à des frères ignorants, à des femmes
rêvées. J'écrivais des lettres insensées,
généreuses, avec tout l'amour de mon cœur de
réprouvé.
3 Ainsi la
distance devint ma bien-aimée. Je ne doutais pas un seul instant
que je l'épouserais, qu'elle patienterait en attendant que je
réalise qu'elle avait toujours été là, non
pas à mes côtés mais au plus intime de ma chair, de
mes organes et de mes os. Ce corps est ma maison, le lieu propice
d'où rayonne depuis l'aube de la création l'esprit
véritable des pèlerins sans nom. Je porte toujours un sac
à mon épaule en cheminant tranquillement pas après
pas. Plus rien ne me dérange, ne me trouble. La mort, la maladie
et la vieillesse m'escortent où que j'aille. Comme une bande
d'oiseaux migrateurs je traverse les saisons, comme un cerf solitaire
je parcours les forêts. Vêtu de soleil ou de pluie,
d'argile et d'herbes odorantes. Je suis la Voie du Ciel sans me poser
d'inutiles questions. Les choses me sont offertes et je donne à
mon tour tout ce qu'il est possible de donner. De la vanité et
de l'orgueil me suis dépouillé en refusant les fardeaux
angoissants. A quoi bon s'encombrer, le voyage à lui seul se
suffit. En chaque être vivant je trouve un compagnon : un petit
lézard doré s'approchant de mon visage tandis que je me
laisse aller au bien-être d'un début d'après-midi
de printemps, ma tête posée sur un rocher tiède et
moussu, un berger renfrogné couvert des lichens de l'âge
qui observe son troupeau dans les vapeurs d'un rêve intemporel,
ou bien un arbre incliné au-dessus d'une rivière
langoureuse. Quel trésor hors de prix se révèle en
chaque instant pour celui qui ne désire pas posséder ! Je
voudrais m'emparer de toute la souffrance humaine pour "en faire une
boule de feu" et l'avaler d'un seul tenant. L'espoir et le
désespoir ne sont que les aspects d'un unique trompe l'œil qui
nous dissimule des précipices.
4 La plus longue
nuit de l'année vient de s'écouler. Maintenant les ombres
menaçantes s'estompent, le ciel transparent et serein
parsemé d'astres pâlissants ouvre la voie vivifiante et
véloce d'un jour nouveau. Entre les cimes, la mer violette
scintille tendrement. Après m'être brossé les dents
et éclaboussé d'eau froide, je secoue et enroule ma
couverture. Je m'harnache de mon vieux sac de toile et, en guise
d'adieux, je tapote le tronc rugueux du chêne majestueux qui m'a
donné refuge en me protégeant des démons
noctambules. En silence, je rends grâce à tout ce qui
m'entoure.
5 Déjà
plus de cinquante années passées sur cette terre et je
garde l'esprit libre et neuf d'un novice. Mon humilité et ma
reconnaissance n'ont pas de bornes, sont aussi vastes et
mystérieuses que ces paysages qui ne cessent de m'enchanter. Le
chant allègre du merle a remplacé l'austère hubo
hubo du grand-duc. Maintenant, je redescends en sifflotant un sentier
abrupt et sauvage vers les territoires peuplés d'êtres
humains où je passerais les fêtes de la saint Jean. Avec
eux, je me réjouirai simplement du bonheur intense et des
beautés partagées dans les yeux de leurs enfants.
*** André Chenet, né en 1954 à Châteaudun, d’une mère bretonne et d’un père d’ascendance anglaise et irlandaise. En 2003, fonde la revue d’art et de poésie « La Voix des Autres » où furent publiés une centaine de poètes français et étrangers. Il publie régulièrement dans diverses revues (Hors jeu, Les citadelles, Souffles, La voie du dojo (Haïku). Anime des Rencontres et des lectures de poésie dans le sud de la France. A écrit « Dans le corps du poème », un non-spectacle de poésie à géométrie variable qu’il interprète. Fin 2006, crée la revue en ligne, DANGER POESIE, « un lieu de poésie gratuite dans un monde où tout est à vendre. » En 2007, il a été invité à Bratislava (Slovaquie) au festival international de poésie Arspoetica, en tant que représentant de la poésie de langue française. Parutions : Au Cœur du Cri (Les Voleurs de feu éd.) Les replis de l’écrit, Zen et Haïku, Dans le corps du poème. (Aux éditions Alta Terra) A paraître : Secret poème (Les Voleurs de feu), Exil de la poésie (Les Voleurs de feu), Anthologie de la poésie bretonne (collection Danger poésie), Anthologie des poètes francophones de notre temps (Oxybias). Quelques poèmes sur ce site : Francopolis
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