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Roselyne Fritel

« Pour fêter une enfance »

au Printemps des poètes 2012



Saint-John Perse :

Sinon l'enfance qu'y-a-t-il qu'il n'y a plus ?

C'est le soir sur ton Île et alentour, ici et là, partout où s'arrondit le vase sans défaut de la mer ;
c'est le soir couleur de paupières, sur les chemins tissés du ciel et de la mer.



Roselyne Fritel :

Conque marine, corail cornaline, mer maternelle à 20.000 lieues de toi, il m'est donné de t'explorer.
Ton flux irrigue mon cerveau, mes artères, mes vaisseaux, je vogue sans peur au-dessus d'un berceau d'algues.



Saint-John Perse :

Il y a sur un morceau de ciel vert une fumée hâtive qui est le vol emmêlé des moustiques–Les criquets sous les feuilles s'appellent doucement– Et d'autres bêtes qui sont douces, attentives au soir, chantent un chant plus pur que l'annonce des pluies.


Roselyne Fritel :

Touffeur moiteur sueur
Harassante journée passée à déranger les mouches
Mille pattes velues grésillent dans ma mémoire
Pends mon poignet blanc sur le vide du temps
Touffeur moiteur sueur
Imminence du malheur couperet de la nuit
Hâte des chauves-souris à se gaver d'insectes
Pends mon poignet blanc sur le vide du temps.


Saint-John Perse :

Sinon, l'enfance, qu'y avait-il alors qu'il n'y a plus ?


Roselyne Fritel :

Ciel indigo dehors
Et sur le seuil assise toute une famille de profil
Ma grand'mère dans sa berceuse lisse l'ourlet du drap
Plus jamais elle ne parlera tant mieux elle ne m'aimait pas.



Saint-John Perse :

... Mais de l'aïeule jaunissante
et qui si bien savait soigner la piqûre des moustiques, je dirai qu'on est belle, quand on a des bas blancs, et que s'en vient par la persienne, la sage fleur de feu vers vos longues paupières
d'ivoire.
... Et je n'ai pas connu toutes Leurs voix, et je n'ai pas connu toutes les femmes, tous les hommes qui servaient dans la haute demeure de bois ; mais pour longtemps encore j'ai mémoire des faces insonores, couleur de papaye et d'ennui, qui s'arrêtaient derrière nos chaises comme des astres morts.



Roselyne Fritel :

Ma nourrice a droit à la chaise basse
Et moi au noir parfum de ses genoux
Dans l'amidon de son jupon le soleil fait la roue
Á voix de basse elle me conte des histoires de revenants
Pends mon poignet blanc sur le vide du temps.


Saint-John Perse :

... Ma bonne était métisse et sentait le ricin ; toujours j'ai vu qu'il y avait des perles d'une sueur brillante sur son front, à l'entour des yeux – et si tiède, sa bouche avait le goût des pommes-rose, dans la rivière, avant midi.


Roselyne Fritel :

Les miennes s'appelaient Émir, Turenne ou Éloisie, l'une était capresse, l'autre négresse, la dernière  sapotille, elles avaient la « tête attachée » et la plante des pieds cornée d'aller toujours nus pieds.
Riant dans notre dos, elles parlaient entre elles la langue défendue, qu'on nommait créole.



Saint-John Perse :

Alors on te baignait dans l'eau-de-feuilles -vertes ; et l'eau encore était du soleil vert ; et des servantes de ta mère, grandes filles luisantes, remuaient leurs jambes chaudes près de toi qui tremblais...


Roselyne Fritel :

Oui, j'ai trois ans, je suis debout au soleil dans une bassine de zinc, y flottent des feuilles du corossolier, sensées m'apaiser. Oui, la brise de mer lèche tendrement mon corps mais ces feuilles, qui m'encerclent et collent à ma peau, sont autant de poissons voraces alors je hurle, je hurle à plein poumons...jusqu'à la fois suivante...


Saint-John Perse :

Le sorcier noir sentenciait à l'office : «  Le monde est comme une pirogue, qui, tournant et tournant, ne sait plus si le vent voulait rire ou pleurer... »
Et aussitôt mes yeux tâchaient à peindre un monde balancé entre les eaux brillantes, connaissaient le mât lisse des fûts, la hune sous les feuilles, et les guis et les vergues , les haubans de liane, où trop longues, les fleurs s'achevaient en des cris de perruches.



Roselyne Fritel :

Mon île buissonnière, bruissante volière
Sur le bleu de la mer profile ses hauteurs
Le soleil au zénith en redouble d'ardeur
Et l'ombre décuplée dentelle la poussière

Dans ma paume est lovée l'odeur du citronnier
Sur ma nuque posés les doigts du latanier
Et l'ocre du sentier dans mes pores, gravée.



Saint-John Perse :

Palmes... ! Alors
une mer plus crédule et hantée d'invisibles départs,
étagée comme un ciel au-dessus des vergers,
se gorgeait de fruits d'or, de poissons violets et d'oiseaux.
Alors, des parfums plus affables, frayant aux cimes les plus fastes,
ébruitaient ce souffle d'un autre âge,
et par le seul artifice du cannelier au jardin de mon père – ô feintes !
glorieux d'écailles et d'armures un monde trouble délirait.


Roselyne Fritel :


Il y avait, juste au bout de la Place, au lieu dit La Darse, de grandes goélettes, qui déservaient les îles, les Saintes, Marie-galante et la Désirade....
Une foule grouillante s'affairait autour, tandis que séchaient au vent les hautes voiles blanches.
On chargeait ou déchargeait à toute heure sacs de sucre brun, fûts de rhum, cabris, bœufs à la robe fauve, portant fièrement bosse de zébu, qui, pendus aux poulies, beuglaient parce qu'ils n'avaient pas le pied marin.


Saint-John Perse :


La ville est jaune de rancune. Le Soleil précipite dans les darses une querelles de tonnerres.

Pour débarquer des bœufs et des mulets, on donne à l'eau, par dessus-bord, ces dieux coulés en bronze et frottés de résine.
L'eau les vante ! jaillit !
et nous attendons à quai, avec des lattes élevées en guise de flambeaux ; et nous tenons les yeux fixés sur l'étoile de ces fronts – étant là tout un peuple dénué, vêtu de son luisant, et sobre.


Roselyne Fritel :


Toute proche, s'ouvrait la halle aux arches métalliques du marché au poisson, j'y accompagnais parfois ma mère, il trainait sur le sol, les yeux vitreux, d'énormes têtes de thons, requins ou vivaneaux fraichement tranchées et baignant dans des mares de sang. Les ondulants poissons, ainsi avaient du sang !
Comme elle, je regardais à peine mais me saoulais de couleurs et de « la sueur des grands nègres ».



Saint-John Perse :


Et l'enfant qui revient de l'école des Pères, affectueux longeant l'affection des Murs qui sentent le pain chaud, voit au bout de la rue où il tourne la mer déserte plus bruyante qu'une criée de poissons. Et les boucauts de sucre coulent, aux Quais de marcassite peints, à grands ramages, de pétrole, et des nègres porteurs de bêtes écorchées s'agenouillent aux faïences des Boucheries modèles, déchargeant un faix d'os et d'ahan,
et au rond-point de la Halle de bronze, haute demeure courroucée où pendent les poissons et qu'on entend chanter dans sa feuille de fer, un homme glabre, en cotonnade jaune, pousse un cri : je suis Dieu ! et d'autres:il est fou !
et un autre envahi par le goût de tuer se met en marche vers le Château d'Eau avec trois billes de poison : rose, verte, indigo.

Pour moi, j'ai retiré mes pieds .


Roselyne Fritel :

Blottie dans ma berceuse
J'éprouve soudain la pâleur de mon teint


Saint-John Perse :

Cependant la sagesse du jour prend forme d'un bel arbre
et l'arbre balancé
qui perd une pincée d'oiseaux
aux lagunes du ciel écaille un vert si beau qu'il n'y a de plus vert que la punaise d'eau.



Roselyne Fritel :

Sinon l'enfance, qu'y avait-il encore qu'il n'y a plus ?



* Tous les extraits de Saint-John Perse cités sont tirés de l'édition de La Pléiade © Gallimard 1972 *


Roselyne Fritel, est née à la Guadeloupe. Elle a fréquenté de longue date la poésie en lectrice, poète et initiatrice
et continue de le faire dans diverses associations, dont le Club-poésie de Champigny (94), et Iris au Vésinet (78).
Elle fréquente régulièrement différents lieux poétiques : Le café-poésie de Fontenay-sous-Bois, le Café de la Commune, à Paris, Les Transparleurs au studio des Orteaux, à Paris, et les soirées poétiques du Théâtre Jean Villard, à Marly-le-Roi.

Elle a publié des poèmes dans les revues : Le Chaînon poétique, Esprits poétiques et Le capital des mots (revue en ligne) et figure dans l'anthologie Poésie sur Marne (Hélices 2007). Un de ses textes est mis en chanson par Marie Volta dans Héliopolis, chansons solaires (CD Hélices 2008).
Elle écrit régulièrement des articles, à propos de poètes contemporains, dans le blog poétique de Pierre Kobel,
La Pierre et le sel, créé en juillet 2011.

Recueils : Paroles-Phares aux Éditions Clapàs en 2003, et Un jour, en vie...chez Hélices, 2010.


Saint-John Perse, (Alexis Saint-Leger Leger) né en Guadeloupe en 1887, décédé en France le 20 septembre 1975, poète et diplomate français. Prix Nobel de Littérature 1960.
Un site lui est consacré, tant sur l'homme que son oeuvre.



Roselyne Fritel
Francopolis avril 2012
recherche, Dana Shishmanian



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Créé le 1 mars 2002

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