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SALON DE LECTURE

 

Janvier-Février 2022

 

 

 

Invité : Jean-Louis Bernard

 

« Où se niche cette stupeur originelle… »

 

Présentation et choix de textes par Monique W. Labidoire

 

Photo d’Eliette Vialle

 

 

 

« La poésie de Jean-Louis Bernard que nous fréquentons avec intensité depuis quelques années nous interroge toujours autant sur le pourquoi et le comment du poème. Le poète, s’il est désormais un peu moins déchiré que dans ses premiers recueils, ne cesse de chercher à sortir d’un exil qu’il reconnaît pour sa propre parole mais qui ne saurait se substituer à une réponse. Pour Jean-Louis Bernard, la parole poétique doit bondir hors des lieux communs et rebondir dans des espaces de vie immédiate et il évoque « le vertige immobile du bond/ailleurs qu’en ce qu’ils disent » nous confirmant ainsi sa parenté avec René Char. »

 

©Monique W. Labidoire

(nommée Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres, 2021)

 

Voir dans ce même numéro, à la rubrique Francosemailles, la note de lecture de Monique W. Labidoire au dernier recueil de Jean-Louis Bernard, Sèves noires pour voix blanches (éd. Alcyone, 2021).

 

 

 

Où se niche cette stupeur originelle bannie par nos temps de rapine ? Dans le saisissement, la candeur, le mystère ? Dans cette évidence de l’obscur, monture de l’énigme infrangible, effraction aux limites du sens ?

Renoncer à nommer, prendre le risque de l’inconnaissable, d’un lit de rencontre pour l’onde et le souffle, pour la flamme et le cri. Réinventer un prologue pour ces voix calcinées immergées dans le noir du temps. Écarter les murs de la chambre ultime pour que le vide respire.

À trop nous partager les étoiles, nous avons perdu le sens de l’horizon.

 

       In Cahiers des chemins qui ne mènent pas (2019)

 

La présence des confins, impérieuse, incantatoire en son taire. Monte dans l’immobile la plainte pérenne d’un ciel mensonger, ciel couleur poussière lourd d’étoiles mortes. Qui dira les émois s’éveillant en d’incertains printemps, les singuliers fantômes débusqués sous la pierre de patience ?

Peu à peu l’attente se décolore. Insensible avance la forêt vers de plus hauts lignages. La marche s’accouple à la nuit pour une harmonie victorieuse et précaire entre fièvre et ressacs. Si loin dans les réminiscences, un regard verveine éparpille l’héraldique de la douleur.

Il nous faut encore visiter quelques songes arrachés aux naufrages, désigner le sable par l’empreinte qui ressource le pas, lire les seuils dans les pliures de nos territoires. Tant de choses avant de, peut-être, mériter nos finisterres.

 

       In Cahiers des chemins qui ne mènent pas » (2019)

 

Il va falloir nous couvrir de secrets et de sentes pour éviter que la neige ne cautérise trop vivement nos brûlures. Il va falloir ouvrir sur nos corps de poussière des fenêtres fragiles pour déjouer l’ultime subterfuge de l’ouragan. Il va falloir réapprendre le souffle du granit pour que notre barque de pierre puisse voguer sur l’improbable. Il va falloir comprendre que le temps s’ébrèche et que la distance entre l’homme et le galet est écart touchant à l’essence des choses. Il va falloir patienter dans l’épaisseur du silence, là où seule la parole est énigme, parole de sable sans un seul mot qui écope la douleur.

 

       In Cahiers des chemins qui ne mènent pas » (2019)

 


Bris du temps

les noms

se décomposent

 

et aujourd’hui s’oublie

 

souvenirs tessons

émiettés si loin de

nos amers

 

courbure du temps

vestiges des vertiges

 

à sa tige

le désir

juste un souffle

 

ligne droite du temps

nulle part nous mène

 

limpide

et

inflexible

 

In « Ce lointain de silence » (2018)

 


Quand les eaux seront basses

 

surnagera

une image innommée

 

nous la recueillerons

sans brusquer

la solitude

 

marcherons

lune renversée

dans nos yeux

jusqu’au-delà

des songes et des sources

amoncelés

sur nos chemins d’enfance

 

jusqu’à l’aventure

de l’enclos

 

In « Ce lointain de silence » (2018)


 

Je vous parle

du pays d’ailleurs

 

Ici

pas de blessure

le sacrifice

est la vie même

 

de temps en temps

on contemple la mort nue

couchée seule

dans le soleil

 

c’est jour de liesse

 

en ce pays

au nom perdu

pays de lente attente

et de sourde mémoire

où le seul destin de la lampe

est d’écouter l’ombre à venir

 

rôde

en ses plaintes orphiques

l’inconsolé

 

in « Riverains infimes » (2020)


 

Danse

comme un signe

on creuse

jusqu’à l’os

 

danse

dans la lumière

des rails

par-delà l’ombre des

sentences

 

ultime pirouette

brusquerie opaque

du geste

 

danse

comme épure du`

silence

on posera les mots

plus tard

 

in « Riverains infimes » (2020)

 


Où sont les traces

des rêves à l’ancienne

 

tous les possibles

reviennent

tous les souvenirs

des possibles

 

aurions-nous dû apprendre

à traverser novembre

sous les frondaisons d’avril

 

à creuser les nuages

à mains brûlantes

jusqu’à lésion

du temps

 

aurions-nous dû

mais surtout

 

serons-nous dignes

un jour

de notre solitude

 

in « Riverains infimes » (2020)

 


Les eaux éblouissantes

nous font comprendre

notre nuit

 

y nagent

les rats et les sirènes

maraudeurs de leurs soifs

tournoyant sur des parois

incandescentes

 

à l’abordage

des évidences

les âmes des noyés

de sable noir

est leur murmure

 

et des sanctuaires submergés

jaillit la fable intangible

des origines

 

in « Contre-chant de l’obscur » (2020)

 

 

Valse cruelle d’octobre

au long des forêts lentes

 

effluves colorés

 

le sang des feuilles

flamboie pour

l’insignifiant

l’irrigue

jusqu’à l’immense

 

connivences

à dégrafer l’automne

psalmodiant

les temps d’équinoxe

 

comment dire

le prélude à l’hiver

drossé

à l’avers des bruyères

 

sinon par ce rien

qui nous convoque

 

in « Sève noire pour voix blanches » (2021)

 

 

Le nom

comme une absence

résurgence

de toute nuit

 

trace épuisée

d’une morsure

paradoxe de neige

sur ténèbre blanche

 

vivant le nom

offrant

désir et peur

 

entre syllabe et silence

traversée de la marge

 

quel est l’autre nom

du nom

 

in « Sève noire pour voix blanches » 2021)

 

 

Où vont les histoires

non dites

 

sur l’étrange silence

d’un vent

qui retient souffle

ou peut-être

dans une faille

de la nuit

 

là où le temps

infiniment

se dégonde

 

blanche ténèbre

si blanche

que perdue

dans la neige du songe

 

in « Sève noire pour voix blanches » 2021)

 

 

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Né en 1947 à Biarritz Pyrénées orientales, Jean-Louis Bernard est retraité de la fonction publique territoriale. Il vit à Grenoble depuis 1975. Il publie depuis 1985. À ce jour il a publié une quarantaine de recueils de poésie. De nombreuses revues ont publié régulièrement ses poèmes. Il a obtenu de nombreux prix dont le prix de la ville de Béziers, le prix Aliénor, le Grand prix des écrivains méditerranéens… Il donne de nombreuses lectures critiques dans les revues de poésie Dièrèse, Les Hommes sans épaules, Cahiers de rue Ventura, Poésie Première, Friches, Poésie sur seine, Concerto pour marées et silence (revue).

 

Dernières parutions :

Entre trace et obscur (2011), éd. Sac à mots

Dans la tanière obscure du soleil (2011), éd. Encres Vives

Côté Ubac (2012), éd. Le petit Pavé

Et la parole s’est faite nuit (2012), éd. de l’Atlantique

Savoir le lieu (2013), Editinter

À l’heure grise (2013), éd. L’écritoire d’Estieugues

Dans l’inédit du gouffre (2014), éd. Encres Vives

Accueil de l’exil (2015), éd. Lieux-dits

Du regard à la source (2015), éd. Tipaza

Peuple de pierre (2015), éd. La porte

À l’ordre de l’oubli (2016), éd. Alcyone

Ce lointain de silence (2018), éd. Encres Vives

Cahiers des chemins qui ne mènent pas (2019), éd. Alcyone

Riverains infimes (2020), éd. Lieux-dits

Contre-chant de l’obscur (2020), Gravure de Marie Alloy

Marches a contre espace (2021), n° 52 du Cahier des Passerelles

Sèves noires pour voix blanches (2021), éd. Alcyone

 

 

Jean-Louis Bernard

Présenté par Monique W. Labidoire

      Francopolis janvier-février 2022 
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Créé le 1 mars 2002