Le Salon de lecture Découverte d'auteurs au hasard
de nos rencontres |
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SALON DE LECTURE MAI-JUIN 2021 Invité : Kader Rabia "Entrez dans
mon antique jardin..." Poèmes extraits de son dernier
recueil et poèmes inédits (*) Vue de la forteresse Palamède vers le golf argolique
(Grèce, photo Aum Shishmanian) |
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De Soubbaïyyat (septains d’amour,
de vin et de mots) Dors tranquille maître,
et sois confiant Le vin que tu n’as
pu boire est vivant Si Mohand l’a
retrouvé en flânant Et me l’a transmis
repus en chantant Et tant que l’homme
reste l’ami des vers Ton vin coulera en
nous comme le sang Vital et généreux
comme le ciel et la terre *** Jadis les gens
savaient que l’ivrogne est sage Jadis les gens
savaient que le pieux est image Et les diables les
anges vivaient en voisins Les kabyles
côtoyaient arabes, juifs et sarrasins Aujourd’hui si tu
bois, les tartuffes t’insultent Si tu es pure, les
fous d’allah te butent Moi en attendant, je
prie, je bois et je culbute *** Entrez libres dans
mon antique jardin Désormais grand
ouvert à tous les vents En lui, nulle trace
ni odeur, de pain ni de vin J’ai encore présente
la jouissance d’antan Marchez nues sur mon
vil corps clandestin Il prendra un peu de
nuances de vos couleurs Et encore plus de
fièvre de vos désirs frémissants *** Pour mon pèlerinage
tout est prévu : Retracer fidèlement
le chemin de Si Mohand Pour rendre visite
aux disciples de Donqul (1) Traverser la mer rouge avec Rimbaud Prendre une cuite
réelle avec Al Ghadeer (2) Survoler les lieux
dits Saints, pour aller Déposer mon livre
sur la tombe de Khayyam *** Je t’ai rencontrée
un matin à l’aube Nous revenions tous
deux de l’incertitude Nous avions
longtemps parlé, longtemps souri Nous avions traversé
Dame Lutèce Pour aller boire un
verre à Gennevilliers Et depuis ce jour
béni du dieu des banlieues Je traverse les
villes cherchant la cuite marginale (1) Donqul : poète égyptien du
XXe siècle. (2) Al Ghadeer : poète
saoudien contemporain. Extraits du recueil Soubbaïyyat (n°s
7, 23, 72, 74, 77) |
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Dans le vide parlant de l’exil Dans le vide parlant de l’exil loin des bruits témoins de mes enfances Je marche doucement pour ne pas
réveiller les petits cailloux multiformes que caressent les matins papillonneurs dans le vide infini de l’exil je cherche les demeures de Mohamed Dib et autres cités qu’il a désignées Sous le ciel menaçant de l’exil loin du soleil des plates nostalgies Je suis les chemins joyeux des lys et autres odeurs mi-domestiques qui donnent vie aux cimetières dans le ciel menaçant de l’exil Je cherche l’étoile de Jean Amrouche et toutes les aubes qu’il a levées Dans la noire forêt de l’exil Loin des clairières du cordon ombilical Je cherche l’issue peu sinueuse Menant à l’accomplissement des sens Sans perturber le sommeil des chouettes Dans la noire forêt de l’exil Je cherche le rêve de Kateb Yacine Et le pays que nous n’avons pas eu |
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Ne troquez pas demain Nous avons tendu l’oreille Et quelques-uns de nous Ont décidé d’ouvrir grand Les portes de nos silex Nous avons écouté l’intrus Ouvrant la bouche à bailler Puis sur la terre souillée Notre langue est tombée Que faire d’une ouïe trouble Et une langue encerclée Sinon mordre les cendres Et chatouiller son propre nez Que faire de l’œil « poussiéré » Qui à force de trop se fermer Se rompt cil, iris et sourcils Devant chaque faux défilé Et la main dans tout ça ? La poigne et le coup de pied ? Si vous prolongez la trêve Vous n’aurez que l’amnésie |
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Un texte mal réveillé On me conseille de mettre le titre Le titre avant tout Je saute à chaque fois au chapitre Puis j’efface tout D’autres ont vu mieux en la matière Et tous me parlent de refrain Est-ce utile pour mon plan de carrière De bien me gaver de quatrains ? Ceux qui pensent bien autrement Me parle de psaumes et de versets Et moi qui résume tout bien souvent Je préfère en désordre mes tercets Et n’oublions pas les puristes Avec leurs chers alexandrins A chaque fois je sors de
piste Rimes et tons dans les ravins Je me lève et ramasse mes plumes Je me secoue et reprends mes dons J’écarte les nuages et les écumes Et je replonge dans mon brouillon |
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La pluie hors de Paris La pluie hors de Paris fait moins de bruit elle enfonce son sel profond dans mon chagrin comme ombre qui me suit me parle me chatouille de dedans les entrailles la pluie hors de Paris hors les murs du quotidien vertical fait de moi un agneau sorti du troupeau fait de moi un sourire exquis échappé de la gueule de l’ennui la pluie hors des décombres sous lumières fait naître en moi lents frissons vécus au bord du D’hous, le long de la Moselle ou sur les rives de l’Odet fait venir à moi le brouillard matinal dissimulant les lauriers de l’enfance et les joies des escapades la pluie hors de Paris hors des foules hébétées recadre en moi la sauvagerie enfantine redessine derrière mes pas le bouseux retrouvé qui sous les gouttes folles a oublié la bêtise des bipèdes le ridicule des abris et toutes les couleurs des parapluies. ©Kader
Rabia |
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(*) Le
premier groupage de cinq textes sans titre est extrait du dernier recueil de
Kader Rabia, Soubbaïyyat (septains d’amour, de vin et
de mots), éditions Baz’Art Poétique, 2018 (90
p., 12 €). Les quatre poèmes qui suivent aux septains sont
inédits. Pour faire connaissance avec le poète et l’éditeur,
voir le reportage dédié à la rencontre poétique du 26 janvier 2018 qui vous explique tout –
en textes, en photos et en vidéos ! Pour consulter et commander les recueils du
catalogue, rendez-vous sur le site et le blog du Baz’Art
Poétique. Quant au poète lui-même, héritier des grands
itinérants de la Kabylie, de la Perse, de l’Arabie et d’ailleurs, qui disait
de lui qu’il était « Né dans un espace où, dès la
naissance, on vous indique le chemin de l'exil, celui des prophètes et des
poètes » – personne
n’en parle mieux que son préfacier, Dom Corrieras,
et il convient de lui donner ici la parole : « Hier soir, l'ami Kader est venu en train de Paris, dire
ses poèmes à la
petite assistance ravie que nous avions réunie en son honneur, à Woippy*, banlieue nord.
Il l'a fait en toute humilité,
d'une voix sourde, à peine chantante et quasi monocorde, un peu comme une lente prière oserais-je dire, si je
n'avais pas peur de faire des comparaisons incongrues. Car s'il y a bien un
truc qui le chiffonne, le sieur Rabia, c'est tout ce qui de près ou de loin s'apparente à la curetaille
et ses similis, façon Bible, Coran, Thora, etc., tous ces best-sellers
de la crédulité benoîte, prônant la
soumission des corps et des
esprits à quelques habiles thaumaturges et autres maquignons des âmes en mal de bergeries célestes
climatisées. Et plutôt qu'à Tanit, Kader préfère volontiers adresser
ses sensuelles
églogues à Bacchus, qu'il sait honorer dignement en levant haut le coude, en homme libre.
Libre d'aimer la Vie, d'aimer
la Femme, d'aimer le Vin et libre de le chanter chaque jour avec les mots tout nus de la
poésie. Héritier
en cela du tutélaire Omar Khayyam et descendant spirituel du légendaire Si Mohand, Kader Rabia fait sonner avec ses "Soubaiyyat"
(septains) la flute réenchantée d'un
nouveau Pan des banlieues parisiennes, pâturant de bar en bar, pianotant ses ivresses sur la peau lisse et brûlante d'une belle des mille et un rêves assoiffés. Si au
premier abord ces septains paraissent classiques, la forme et le fond n'en sont pas moins d'une sobre modernité, parfois même déconcertants par la liberté d'écriture d'une langue, le
français, que Kader pétrit, façonne, chatouille et polit à sa manière, toute personnelle. Une mélopée
somme toute hors du temps, un murmure intérieur
élaboré comme un élixir, à siroter sans ambages. Goûtez donc cette revigorante malvoisie de liberté vagabonde, que n'auraient boudée ni Ronsard ni Verlaine, ni Matoub Lounès, ni Bukowski. » Et pour finir, dire aussi combien nous sommes
heureux de retrouver « sieur Rabia », qui avait fait un bref
passage au comité de lecture de Francopolis il y a quelques années !
Rappelons donc à l’occasion de ces retrouvailles ses présences poétiques dans
les pages virtuelles de notre revue : dans la sélection de mars 2012, et au Salon de lecture de février 2013. D.S. |
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Kader Rabia
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Créé
le 1 mars 2002