Le Salon de lecture

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Mars-Avril 2021

 

 

Invité : Michel Cosem

 

« Je suis au milieu du pont … »

 

Poèmes inédits

(*)

 

 

 

 

L’arbre une fois encore me rappelle ma mémoire. Il se mêle à quelques langues mortes dans l’infini. Quelques songes comme des guêpes tournent autour des pierres du vent. Mon sang et ma salive s’entrelacent à l’argile molle. Il faut avancer dans le grinçant chemin et faire le détour vers plus de certitudes. Il faut un reflet pour que les métaphores de glaise se réalisent.

 

*

 

Je porte avec moi sur le chemin une forêt de mémoire. C’est toute une caravane qui traverse les nouvelles aubes, ce sont des sacs de grains qui sèment les talus et les petites lumières qui s’allument contre le vent. C’est aussi ce morceau de pierre blanche qui me permet d’écrire aux carrefours. Et c’est ainsi que tous ensemble on ira plus loin encore.

 

*

 

Mon livre de poèmes est parti dans les buissons. Il se cache sous les épines et agite les feuilles sèches. Il m’a laissé quelques virgules et des points d’interrogation. Il cherche d’autres lecteurs parmi les insectes et les oiseaux. Il a eu, je crois, peur de moi car grâce à lui j’imaginais d’autres poèmes et il ne savait pas où j’aurais pu le mener. Je le cherche pourtant avec obstination.

 

*

L’été est là qui rôde la bouche en flamme entre les feuilles qui ne bougent pas et les mousses qui sèchent. Le silence est comme une pierre grise se glissant dans le cœur des infidèles. On se demande maintenant s’il est utile de faire un pas. Là où va le regard l’ombre s’en va et le grondement du prochain orage se fait entendre. L’été est là qui rôde la bouche en flamme.

 

*

 

On parle des feuilles humides qui sortent de la nuit et se sèchent comme des oisillons dès le premier soleil. Elles sont porteuses de mémoire et de tous les élans inscrits dans la terre et le vent. Elles savent des souffles cachés et les grandes élégies de la beauté. Elles n’oublient rien des profondeurs opaques et des routes vertes où il faut cheminer jusqu’ici.

 

*

 

Quelle est cette nuit inconnue qui rôde autour des pins, ferme les becs des oiseaux et donne à la pluie des danses de fées sauvages ? On se laisse prendre innocemment dans ce linceul ce tissage sans écho et dans ces vignes larvaires qui s’éloignent dans les collines. Seule une route bordée de fleurs blanches passe paisible en attendant l’aube nouvelle et les quatre vents du temps.

 

*

L’arbre mort est-il bien mort ? Il parle pourtant il dresse dans le ciel des bras blancs et ouvre sur son ventre de grandes bouches qui ne cessent de répéter l’histoire de ce coin de monde fait de pierre de murets de ravines de ruines incertaines et de tout un peuple d’orchidées qui se poursuivent et se culbutent sans rien entendre. L’arbre le grand sage ne s’apitoie pas pour si peu. Il répète toujours les mêmes mots.

 

*

 

Trois corbeaux picorent dans le champ givré. Ils se maudissent de n’être pas écureuils et de n’avoir pas un gîte douillet. Ils boitillent avec leur jabot gorgé de glace. Il n’y a plus grand-chose sur la terre si ce n’est les rêveries et les fantasmes. Une robe blanche est accrochée aux buissons et l’on peut tout imaginer.

 

*

 

Sombre très sombre est le feuillage près du ruisseau. Nul ne s’y aventure sans recevoir le baiser des feuilles mouillées souvenirs d’oiseaux morts. L’eau au plus secret coule comme du sang noir sur des pierres veloutées de mousse ayant depuis longtemps abandonné l’idée d’aller à l’océan. Tout est pluie et larmes. Cela suffit.

 

*

De l’orée tôt ou tard sortiront les ombres de la désespérance. Il faudra bien faire attention. Cette fois une silhouette en robe de paille et au corsage noir fait signe qu’elle m’attend accolée à un tronc. Elle bouge à peine car elle observe. Elle attend et hésite léchant sur ses lèvres un ancien goût de résine. Je lui fais signe de partir mais elle ne bouge pas. On ne partira pas ensemble.

 

*

 

La vitre s’est brouillée et de petits regards attentifs et mouillés viennent lire l’instant dans mes pupilles. J’essaie d’y mettre des ailes des mains de paix des syllabes de miel mais ce n’est pas toute la vérité. La frontière demeure froide et infranchissable et je sais que c’est leur propre destinée que les gouttes interrogent ainsi.

 

*

 

L’arbre le bel arbre glorieux d’être seul a finalement quitté ce rivage. Il a seulement laissé intacte sa silhouette à l’instant du choix. Il a jadis prononcé des mots de rencontre forgeant ainsi des parenthèses au pays des retrouvailles. Il a aussi enseigné à tous les reliefs cristallins pour poursuivre comme la brume son éternel voyage.

 

*

 

Quelques lumières mouillées palpitent sur le chemin comme des flocons comme des étincelles. Peut-être un feu follet tarde-t-il à passer. Les arbres pensent que l’hiver ne se terminera jamais. L’oiseau aussi. Seul l’homme a encore dans son corps des mots de printemps.

 

*

 

Je sais où va cette ligne de labour entre le ciel et la pluie dans le silence de la brume. Elle se glisse dans la faille infime du temps, dans le satiné des souvenirs et dans toutes les rencontres au milieu des étoiles. Je n’ai plus qu’à suivre la marque des chevreuils entre les mottes humides. Je ne suis pas perdu. Je suis en pays ami.

 

*

 

Je n’ai pas encore traversé le pont. Je sais que l’on m’attend de l’autre côté sur la rive. Je sais tout déjà des regards et des sourires, de la couleur des asphodèles. De petites mains fourmillent en moi.

J’écoute ce silence qui vient des étoiles et qui a la connivence des sources. Je n’ai pas encore traversé tout le temps. Je suis au milieu du pont.

 

*

 

Est-ce un jardin d’herbes folles un bouquet d’aromates une mosaïque ancienne qui colore la terre ? Le cristal réinvente les mousses comme des îles dans les mémoires. Est-ce l’étoile aux filets d’or qui ouvre les yeux fermés ? Non c’est la page blanche où s’écrit la poésie.

 

*

 

Une vague de plus sur le galet de ma bouche

Entre mes doigts de rose

Et toutes les autres beautés du colibri

C’est ainsi que ce matin

bercé par la brume et le silence

j’envisage l’éternité

 

©Michel Cosem

 

(*)

Poèmes extraits d'un recueil inédit.

Je remercie profondément l’auteur de m’avoir confié ce recueil pour lecture et sélection.

Huit poèmes inédits ont déjà fait l’objet d’une publication dans notre revue,

à la rubrique Pieds de mots de mars-avril 2020.

 

Les photos sont de Dana Shishmanian (prises à Bucarest, avril 2019)

 

***

 

« L’on ne saurait trop souligner en ces pages le ton d’émerveillement et de naïveté, au sens d’une capacité à saisir les choses à leur état naissant : "le petit matin/ sent la plume la laine le chant du merle". Il y a là un pacte originel avec "les grandes étendues de l’imaginaire", qui sont "ses pays de naissance" et il ne peut que dire cette émergence avec jubilation. (…) Chaque poème s’ouvre sur l’infini des intuitions et des aperçus, pour notre étonnement. » (Gilles LADES)

 

Poète, romancier et éditeur (des Encres vives), Michel Cosem consacre sa vie à l'écriture, aux voyages, à la lecture et aux rencontres avec ses lecteurs un peu partout en France et à l’étranger.

Voir sur le site des Encres vives son portrait d’écrivain et passeur infatigable, ainsi que sa riche bibliographie.

 

 

 

Salon de lecture : Michel Cosem

Francopolis, mars-avril 2021

Recherche Dana Shishmanian

 

 

Créé le 1 mars 2002