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SALON DE LECTURE

 

4e trimestre 2024

 

 

 

Patricio Sanchez Rojas : « Je peux dire que la poésie m’a sauvé » 

 

Entretien et poème

 

(*)

 

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Patricio Sanchez Rojas avec Jean Joubert

 

 

ENTRETIEN

(novembre 2024)

 

 

Patricio, tu écris quelque part dans ton recueil « L’exil est une histoire aux nombreuses pages » : « Quand on voyage, on devrait fermer les yeux ». Cette phrase, à première vue paradoxale, me semble en dire long sur ta poésie, sur ces libres enchaînements d’images lumineuses, parfois énigmatiques, comme vues depuis la fenêtre d’un train, souvent déployées dans tes poèmes. Une invitation, semble-t-il, au rêve et à l’enfance. Comme s’il y avait un rêve à reconstruire, une terre à réenchanter. Peux-tu nous en dire plus sur ton désir de poésie ? Comment est né ton goût pour l’écriture, d’où vient-il, et pourquoi, au fond, écris-tu ?

 

ooo

 

Tout d’abord, Éric, je voudrais te remercier pour ton invitation à participer à cet échange sur la page que tu animes pour Francopolis. Je vais m’efforcer de répondre au mieux à tes questions.

Je profite de cette occasion pour te dire combien j’ai été touché par ta lecture attentive de mon recueil, L’exil est une histoire aux nombreuses pages, publié par Mikaël Saint-Honoré aux Éditions L’Aigrette, avec une couverture signée par l’artiste canadienne Nancy Friedland.

 

*

 

Mon recueil est à la fois un journal de bord et un témoignage. Sa thématique est un clin d’œil à ma famille, contrainte à l’exil en France en octobre 1977 après son expulsion du Chili par le régime de Pinochet.

Écrire sur l’exil a donc été une manière de « remettre les pendules à l’heure ». Tant de personnes écrivent aujourd’hui sur l’exil alors qu’elles n’ont parfois jamais souffert ni de déracinement, ni de la violence d’une dictature.

 

*

 

Les exilés quittent souvent un « paradis » où s’entassent des souvenirs et une géographie souvent extraordinaire. C’est mon cas. Le Chili que j’ai connu m’a toujours émerveillé par sa flore et sa faune, ses paysages et ses habitants. J’ai énormément rêvé dans ce pays à la « folle géographie ».

 

*

 

Entre mes neuf et quinze ans, j’ai beaucoup voyagé en train, en famille ou seul. J’ai grandi dans les trains chiliens. J’ai pris toutes sortes de trains, des plus modestes aux plus luxueux. J’ai voyagé dans des trains bondés où j’avais pourtant toujours une place. Les trains chiliens d’avant la dictature étaient peut-être les plus modernes d’Amérique latine, héritage de l’influence anglaise. On y parlait, on y mangeait, une véritable camaraderie s’y développait. Ces trains spacieux me faisaient rêver.

Voir la Cordillère des Andes tout au long du trajet, les volcans, les rivières, les champs… c’était pour moi comme être devant un écran de cinéma. Un véritable émerveillement.

 

*

 

Au lycée, à Talca, au centre du pays, j’ai eu des enseignants qui m’ont transmis le goût de la lecture et de l’écriture. À treize ans, j’ai eu pour professeure d’espagnol Mme Magda Muñoz. C’est elle qui a éveillé en moi ce plaisir pour l’écriture. Bien sûr, à cette époque, mon niveau d’espagnol était assez modeste, mais elle nous motivait à lire la littérature espagnole du Siècle d’Or, celle du XIXe siècle, ainsi que le théâtre classique. Elle nous faisait aussi écrire de la poésie.

Souvent, mes poèmes (d’amour) n’étaient pas d’une grande qualité, mais j’osais parfois les offrir à une jeune fille. C’était aussi l’époque où j’écrivais des histoires amusantes que je lisais à ma famille et à mes amis.

Nous étions en pleine dictature, la répression était à son comble, les morts se comptaient par centaines. Les militaires étaient partout dans les rues.

C’est à ce moment que j’ai découvert Gustavo Adolfo Bécquer, Gabriela Mistral et Pablo Neruda. J’écoutais aussi Violeta Parra, Víctor Jara et d’autres artistes de la Nueva Canción latino-américaine.

 

*

 

Lorsque je suis arrivé à Paris, ma famille et moi avons habité à la Maison de France, à Fontenay-sous-Bois, un foyer réservé aux réfugiés d’Amérique latine. La vie dans ce lieu était complexe, marquée par les difficultés personnelles et psychologiques de chacun. La musique, la lecture et l’écriture étaient alors d’excellents passe-temps.

Je me suis acheté un beau cahier et un stylo à encre, que j’utilisais surtout pour écrire des lettres à des amis ou à la famille. Parfois, j’y écrivais aussi des poèmes. De mauvais poèmes, sans doute, mais que j’aimais bien.

 

*

 

Le vendredi soir, la mairie de Fontenay-sous-Bois organisait des rencontres littéraires, et nos lectures étaient diffusées à la radio. J’y allais avec plaisir. Un soir, j’ai même eu l’occasion de lire quelques poèmes en direct. Cela m’a beaucoup plu.

Plus tard, le service culturel de la mairie m’a invité à participer à une soirée au Centre Pompidou, en 1984. Ce fut un déclic dans mon modeste parcours de poète débutant.

 

***

 

Ton goût pour la poésie est donc né dans ton pays, à l’adolescence, au plus fort de la répression par le régime de Pinochet. Tu mentionnes que tes poèmes étaient à l’époque « d’amour » (et me semble-t-il ils le sont restés), et cela me rappelle la phrase placée en exergue de « L’exil est une histoire aux nombreuses pages » : « Mon pays natal sera toujours une femme ». Comme si tu naissais de l’amour même que tu portes à ton pays, comme si le poème écrit pour la femme aimée était précisément ton acte de naissance. Naissance donc contre la dictature, contre la mort… Mais ta phrase dit plus, me semble-t-il : que le pays natal n’est jamais figé, qu’il est sans cesse à réinventer, mais que l’amour (natal) lui demeure le même. Est-ce bien cela ? L’amour me semble être l’âme de ta poésie, est-ce que je me trompe ? Dirais-tu, en réponse à l’une de mes interrogations, que tu écris pour aimer ?

 

ooo

 

En effet, mon goût pour la poésie est né au Chili, bien avant la dictature de Pinochet. Ma mère était passionnée de poésie et de folklore latino-américain. Comme de nombreuses femmes chiliennes, elle portait une grande admiration à Gabriela Mistral et aux poètes hispanophones. Elle était également une lectrice avisée depuis sa jeunesse, possédant une bibliothèque assez complète, avec tous les classiques de la littérature universelle. Elle connaissait, en particulier, les œuvres de García Márquez, ainsi que celles de Cortázar et de Borges. Elle récitait les poèmes de Juana de Ibarbourou, tout comme ceux d'Alfonsina Storni ou de Neruda. Son influence fut très importante pendant mon enfance. Mon frère aîné jouait, par ailleurs, à la guitare les œuvres des poètes de la génération Lorca. J’ai donc baigné dans ces deux univers. C’est pour cette raison qu’avant mes dix ans, je connaissais par cœur plusieurs poèmes d’Antonio Machado, le poète des Campos de Castilla.

 

*

 

À cette même période, je suis parti vivre dans le sud du Chili, précisément dans la ville de Valdivia, une région mapuche à la nature exubérante. C’était l’époque où je prenais une locomotive à vapeur depuis Temuco. Et je l’avoue : je suis tombé amoureux de ces paysages, comme je l’avais été auparavant de la découverte de l’océan Pacifique ou de la Cordillère des Andes. J’éprouve un amour immense pour cette nature indescriptible : ses rivières, ses lacs et ses cascades.

C’était aussi l’époque où je lisais les poèmes d’amour de Pablo Neruda, qui ne cessent de m’émerveiller par leur beauté.

 

*

 

Toutefois, j’écris pour récupérer un espace perdu. Ma poésie est ma fenêtre ouverte sur le Cap Horn, d’où je vois passer les navires et tous ces paysages que j’évoque à ma manière, sans la moindre nostalgie. Une sorte de rêve qui s’entrelace avec la géographie où j’habite désormais.

Il m’arrive, parfois, de dénoncer les tortionnaires et les militaires qui ont brutalement mis fin à la vie démocratique du Chili. Cependant, je reste une personne pragmatique, car je sais parfaitement que mon pays d’adoption est la France. Un pays que j’aime profondément. C’est le pays de mes enfants et de mon épouse, où je me sens bien, malgré les difficultés d’intégration que j’ai pu rencontrer. La France m’a offert une famille, la liberté, des amis. Cela m’a permis de me reconstruire, d’exister à nouveau après avoir vécu sous une dictature sanglante.
Je navigue donc entre deux cultures que j’aime passionnément. J’en suis fier. En France, je serai toujours considéré comme un Chilien avec un joli petit accent. Et au Chili, on m’appellera à jamais franchute. Pourtant, je préférerais que l’on dise de moi : poète franco-chilien ou poète franco-latino-américain.

 

***

 

 

Patricio, tu nous en a dit déjà beaucoup sur ta démarche de poète, en lien avec ton histoire particulière d’exilé qui a su reconstruire une terre à habiter, et cette question sera donc la dernière. Tu écris quelque part dans ton recueil: « Il s’agit de reconstruire / l’endroit où nous vivons / près d’un nuage », nuage qui est peut-être cette fenêtre dont tu nous parles, ouverte sur tous ces paysages aimés, que tu contemples néanmoins sans nostalgie, nous dis-tu, car, si j’interprète bien, ton passé est complètement intégré à ton présent. J’ouvre un autre de tes recueils, « Les Disparus », publié à La rumeur libre en 2017, et tombe sur cette strophe : « Tu passes tes journées / à écrire / des poèmes d’amour / à des personnes / que tu ne connais pas ». On sent à quel point l’écriture est pour toi acte de vie, et d’intégration. Cette passion, la poésie, qui t’accompagne depuis l’enfance, quel rôle a-t-elle joué dans ta reconstruction ? Lui dois-tu quelque chose ? T’a-t-elle aidé à surmonter les difficultés de l’exil ? Voilà, nous sommes au terme de cet entretien, et je tiens à te remercier pour tes réponses riches et précises.

 

ooo

 

Pour répondre à ta troisième question, je peux dire qu’en arrivant en France, en octobre 1977, la poésie a toujours occupé une place essentielle dans ma vie.

 

Auparavant, au lycée, on m’avait demandé quel métier je souhaitais exercer plus tard. J’avais répondu que mon rêve d’adolescent était de devenir basketteur. Mais je pensais gagner ma vie comme professeur d’anglais ou journaliste. Finalement, la dictature militaire a décidé autrement.

 

À Paris, j’ai travaillé pendant plusieurs années à l’Institut Claparède de Neuilly, auprès d’adolescents en difficulté. Je me souviens de mes trajets à travers la ville, un carnet de poèmes à la main et un sac en cuir rempli de livres que je dévorais.

 

Mes amis latino-américains savaient que j’étais un jeune poète. Très souvent, je leur lisais mes poèmes. La communauté chilienne en exil m’a énormément encouragé dans cette démarche. Ils ont publié certains de mes textes dans des revues d’exilés qui circulaient en Europe.

 

Par la suite, j’ai eu l’honneur d’être invité à faire connaître mes poèmes dans une anthologie éditée par deux professeurs latino-américains de l’université de Perpignan.

 

À l’université de Montpellier, des professeurs d’espagnol ont publié mes poèmes dans leurs revues de recherches ibéro-américaines. Parallèlement, j’animais des ateliers d’écriture au sein de l’université. Plus tard, mes poèmes et recueils ont été mis en lumière lors d’un colloque international en France, grâce aux professeurs Alejandro Canseco-Jerez et Pablo Berchenko.

 

Il est vrai que la poésie m’a aidé à me reconstruire. Heureusement, j’ai pu m’appuyer sur cette passion dans les moments difficiles. Dans ce parcours, des amis très chers m’ont soutenu, mais surtout ma famille, qui a toujours été présente pour m’encourager. Une véritable boussole. Ils ont financé mon retour au Chili après la chute de Pinochet pour que je puisse m’y établir. Là-bas, les poètes chiliens m’ont accueilli au sein de la Société des Poètes Chiliens. Mais, après plusieurs années en France, un retour définitif était devenu impossible.

 

Mes parents adoptifs – ma sœur et mon beau-frère – ont toujours été à mes côtés pour m’aider à avancer. J’ai une grande admiration pour leur courage et leur intelligence, tant pendant la dictature que par la suite, ainsi que pour leur engagement  politique et scientifique.

 

Tous deux étaient de jeunes professeurs à l’université Austral du Chili lorsqu’ils se sont engagés sous le gouvernement de Salvador Allende.

 

Malheureusement, la poésie ne suffit pas toujours à se reconstruire. En France, j’ai perdu mon neveu, mon frère. L’exil a été, sans doute, un fardeau trop lourd pour lui, malgré ses talents de brillant professionnel et d’excellent musicien.

 

*

 

Pour conclure cet échange et ce témoignage, je souhaiterais évoquer les ateliers d’écriture que j’anime depuis de nombreuses années, principalement dans la région Occitanie, mais aussi ailleurs.

 

Ces ateliers, ouverts à tous, me permettent de transmettre ma passion pour l’écriture – cette passion qui m’a sauvé – à des groupes de personnes désireuses de partager un moment autour de la poésie. Ces rencontres ont beaucoup de succès auprès des participants, qu’ils s’expriment en français ou en espagnol. On m’invite, par ailleurs, très souvent dans des librairies ou des médiathèques pour des lectures publiques ou ateliers d’écriture.

 

Lorsque j’enseignais la littérature latino-américaine à l’université de Nîmes, on m’a également proposé d’animer une unité d’enseignement en deuxième année, consacrée à l’écriture.

 

Je garde un très beau souvenir de ces ateliers. Les étudiants y créaient des textes, des poèmes ou des livres-objets, dans une ambiance fraternelle et créative.

 

Pendant de nombreuses années, j’ai également animé bénévolement l’atelier d’écriture de la Maison de la Poésie Jean Joubert et celui du Musée Paul Valéry.

 

Le partage, la fraternité et la quête de la beauté ont toujours été mes objectifs. Les participants et les poètes qui y ont pris part s’en souviennent encore.

 

***

 

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POÈME

 

Je peux dire que la poésie m’a sauvé

 

 

Les villes d’Europe

sentent la bière et la frite

et dans chaque train vas viajando 

para no volver

jamás à ton enfance

 

 

Les flammes de Notre-Dame

llegan al cielo

et ta solitude ressemble

à une île du Pacifique

 

 

Pays,

les moaïs sont en pierre

et leurs visages semblent

indescriptibles como

el infinito, 

 

 

Tu es venu en France

para nacer en los suburbios

de París  sans dire au revoir

à personne

 

 

Pues la gente allá

en Santiago en Valdivia

en Valparaíso souffraient

de la répression, de la torture...

enfin,

 

Ton père adoptif avait

laissé les entrailles dans

une prison du sud 

la torture / l’obscurité de la cárcel

 

 

El ruido de las rejas

metálicas ont ciselé à jamais

ce chemin

tu marches maintenant,

vagabundo del alba,

 

 

Tu peux te dire

que la poésie t’a sauvé,

mon vieux,

voyageur immobile

de las sombras

 

 

Pour revenir à un endroit

inexistant de cette ville où

les militaires los pacos hoy

siguen apaleando

 

 

Matando asesinando

torturando les gens

disparaissent encore

comme aux temps de  Pinochet

(ce voleur de poules)

 

 

 

Aujourd’hui encore

matan a la gente

por las calles

comme jadis en los barrios

en las esquinas 

 

 

À nouveau on assassine

les gens dans les rues,

ils font disparaître

les cadavres des étudiants

des photographes

 

 

Des employés des mapuche

on tire à bout portant, y nadie

dice nada,

et personne ne dit rien,

 

 

Tu disais récemment

que la poésie t’a sauvé, gurise,

 y escribes este poema en esta

 vieja Europa où

 

 

La felicidad es un arbre

mas vives pensando

en tu patria que te matan,

los canallas 

 

 

Patria perdida,

pays perdu, 

es extraño imaginer

un volcán lointain

 

Un visage un aljibe

car l’exil

est un cercle inexistant,

Tu manges ton pain :

ce n’est pas ton pain,

 

 

A veces quisieras escribirle

un poème a una piedra

 

 

Pero te duele la sangre

por las calles, ce sang

de ton peuple qui se déverse

dans les rues

 

 

Cual un río infinito

por las calles

il n’y a pas de mots

à tout cela no hay palabras,

 

 

Dices, comme un arbre

de fuego

te estás desvaneciendo,

 

 

Comme un arbre

en feu

hoy despiertas gritando

en este cauce

 

 

Il te faudra –bien sûr-

respirer treize fois

par minute

 

 

 

Y escuchar ese llanto

por las calles ces cris

ces pleurs cette révolte,

 

 

Tu vivais dans une rue

du Chili qu’auparavant

on appelait

rue de la Fraternité,

 

 

Ta ville était un huerto

un caballo una montaña

nevada un volcán

 

 

Ton pays se réveille

maintenant tu maudis

la poésie

conçue comme un luxe

culturel por los neutrales

 

 

Mas quisieras arrancarle

las sombras a tu patria

y devolverle las manos

à ton pays perdu

 

 

A ta fenêtre australe

dans une vague égarée

du Pacifique

 

 

Quand ton figuier

ouvre un oeil

 

Quand ta montagne

pense à toi

 

 

De repente te abraza

la muerte de ton frère

la guitarra de Víctor Jara

 

 

El corazón de Neruda

bate en tus entrañas

comme une hélice de sable

 

 

Il bat dans tes entrailles

qui cherchent un

chemin

dans les ailes du colibri

 

 

Dans cet exil

qui n’est plus

ton exil

car l’exil n’existe pas

dans la poussière des siècles

 

 

En otoño

il est parfois étrange

que l’on meure d’amour

de ne pas avoir un pays

 

 

Je disais

qu’au Chili

la sangre corre por las calles

te acuerdas Federico ?,

te acuerdas Rafael ?,

te acuerdas Antonio ?,

 

 

Ta valise

a traversé les Pyrénées

Collioure

Rivesaltes

Nîmes

Arles

 

 

Tout à coup

tu te souviens

du camp

d’Argelès-sur-mer,

 

 

Tu te souviens

du camp du Barcarès

 

 

Tu te souviens du camp

de Saint-Cyprien

 

 

Tu te souviens du camp

du Vernet d’Ariège,

 

 

Tu te souviens du camp

de Septfonds,

 

Tu te souviens du camp

de Rieucros,

 

 

Tu te souviens du camp

de Gurs,

 

 

Tu te souviens du camp

de Bram

 

 

Tu te souviens du camp

d’Agde

 

 

Tu te souviens

du Stade National

 

 

Tu te souviens

de Chacabuco

 

 

Tu te souviens

de Villa Grimaldi

de Tres Alamos

 

 

De Dawson

 

 

Bizarrement ta valise

reste toujours fermée

en souvenir de tous ces hommes

en souvenir de toutes ces femmes

en souvenir de tous ces enfants

en souvenir de tous ces jeunes

torturés détruits massacrés exilés

 

 

Todo ese sufrimiento es el mío

todo ese sufrimiento es el tuyo

 

 

Toutes ces luttes se ressemblent

hier aujourd’hui l’artisan

le poète... le combattant...

 

 

En Espagne le ciel

lourd et sombre

portait le visage du tyran

 

 

Avez vous entendu parler

du Winnipeg ?

 

 

El Winnipeg era un barco

con anclas y banderas

comme un refuge d’acier

 

 

Pendant la guerre

subieron en este barco hombres

y mujeres con la espalda en el vacío

 

 

Des ouvriers

des professeurs

des femmes enceinte

des enfants

de l’Espagne toute entière

 

 

 

 

Subían en aquel barco

para no volver jamás

por el Atlántico

 

 

Iban les refugiés

en pleurs

comme l’oranger

 

 

Ouvrant un chemin

dans les ténèbres d’un nuage

sur les vagues

d’un pays

que je connais si bien

 

 

Dans chaque port chilien

on vous disait bonjour

cette année 1939

sur les vagues immenses de

Valparaíso

 

 

Pays perdu

refuge des pélicans

de loups marins

et de navires blessés

aujourd’hui ces mains

te rappellent

 

 

Como el agua transparente

entre les rochers et le sable

arena

brûlant comme une forge

 

Comme un volcan qui cherche

dans ses veines la lumière

oiseau phare blessure

chair de la chair carne de la carne

 

 

Arbre bleu

oiseau bleu

 

 

Géographie

en échasses

 

 

Je te nomme ici

un instant,

pays perdu

 

 

Tel le souffle

du volcan

sur la cendre

 

 

Quand la neige

de l’exil

brûle éternellement

à la racine

 

 

Entre la pierre et

cette montagne des Andes

 

 

Entre ton regard et

le monde

 

Comme cet arbre

qui laisse que ses branches

brûlent sous l’orage

du mois de mars

 

 

Juste pour se réinventer

juste pour resurgir

sous les pierres du chemin

 

 

Pierres petites pierres du chemin

pequeñas piedras del camino

 

 

Juste para re-in-ven-tar el mundo

Solo pour ré-in-ven-ter le monde

 

 

Este mundo donde vivimos

entre la sangre de tus muertos

tan amados y la de los míos

 

 

Ce monde où nous vivons

entre le sang de tes morts

si aimés et celui des miens

 

 

Pays perdu

patria perdida

 

 

Volcán

que te dibujas en la memoria

de los días

 

En todo lo que puedes y

lo que puedo

 

 

Parmi tout ce que tu peux et

ce que je peux

 

 

Pays perdu

pays perdu

pays perdu

 

 

En todo lo que puedes

y lo que puedo

 

 

Parmi tout ce que tu peux

y lo que puedo

 

 

Pays perdu

pays perdu

pays perdu

 

 

Entre Collioure

et Patagonie.

 

 

Entre mon exil

et ton exil.

 

 

Pequeña piedra

del camino.

 

Petite pierre

du chemin.

 

 

Pequeña piedra

del camino.                                          

 

 

                 (inédit)              

 

 

 

©Patricio Sanchez Rojas

 

 

(*)

 

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BIOBIBLIOGRAPHIE

 

Patricio SANCHEZ-ROJAS est né au Chili en 1959, où il a passé son enfance et une partie de son adolescence. En 1977 sa famille s’installe à Paris, puis il séjourne quelques années à Madrid et à Portland. Il est poète, enseignant, traducteur et animateur d'ateliers d'écriture. Il enseigne l’espagnol au collège, au lycée et à l’université. Naturalisé français en 1993. Il fut remarqué par Jean Joubert, qui écrira la préface de son livre Le Parapluie rouge (Domens, 2011). Ses poèmes figurent dans diverses revues de littérature et anthologies françaises, italiennes et hispanophones. Il a obtenu plusieurs récompenses littéraires au Chili, en Espagne et en France. En 2014, il participe au Festival Voix Vives de Toledo, la même année il rejoint l’équipe des animateurs du Festival Voix Vives de Sète. En 2018 il est poète invité au Ramallah-Poetry Festival, en 2023 il participe à la Rencontre International de littérature hispano-américaine à l’Institut Cervantès, Paris, et au Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges (FIG). Il collabore également avec le groupe de musique VIDALA, autour de la Nueva Canción de l’Amérique latine. Il réside dans un village proche de Montpellier.

 

 

Bibliographie :

 

Poèmes du bout du monde, Éditions Unicité, 2024.

—L’exil est une histoire aux nombreuses pages, Éditions de l’Aigrette, 2024.

—Et pourquoi le chemin.../ Y por qué el camino…, La rumeur libre, 2021.

—Cahiers de la Méditerranée/ Cuadernos del Mediterráneo, Domens, 2019-2021.

—Les Disparus, La rumeur libre, 2017.

—Journal d’une seconde, avec préface de Jean Joubert, L’Harmattan, 2015.

—Terre de feu, suivi de Nuages, Domens, 2013.

—Le Parapluie rouge, avec préface de Jean Joubert, Domens, 2011.

—Le Parapluie rouge, Encres Vives, 2011.

—Nuages, Obsidiana Press, 2008.

—El Calendario de la Eternidad, Sociedad Internacional de Escritores (S.I.E), 2007.

Breve Antología Personal y otros poemas, Los Andes, 2000.

—Montpellier, trois minutes d’arrêt, Los Andes, 1996.

—Poèmes écrits dans un Café, Imprimerie Université Paul-Valéry de Montpellier, 1991.

—Sea la luz, Nueva Poesía de Chile, Editorial Marana-Tha, 1990, (co-auteur). 

 

Livres, revues et colloques universitaires :

Conférence-rencontre avec les étudiants de L2 et L3 LLCER, Université de Grenoble Alpes, 2021.

Paul Valéry et la Méditerranée,  Musée Paul Valéry, Editions Fata Morgana, 2019.

Peinture et Poésie, Musée Paul Valéry, Sète, 2018.

Le livre pauvre, autour de Paul Valéry, Musée Paul Valéry, Donations Daniel Leuwers, Sète, 2018.

Colloque Écologie de la création, Centre de recherches LASI et LLACS, Université Paul Valéry de Montpellier, 2013.

Colloque International, Centre d’Etudes de la traduction, « Les stratégies des écrivains des Amériques pour faire connaître leurs œuvres en France », Université de Metz, 2001.

Revue IRIS, Centre de Recherche sur les Littératures Ibériques et Ibéro-Américaines, Université de Montpellier, 1988.

Revue de Création et de Critique Littéraire, Ventanal N°12, Université de Perpignan, 1987.

Revue Rastro, Université Paul Valéry de Montpellier, 1986.

 

 

Patricio Sanchez Rojas

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