C’est une princesse
très jeune et très belle qui s’appelle Moe
*.
Ses cheveux sont très longs et touchent la terre. Elle est
née un soir de pleine lune, et sa peau a l’éclat des
coquillages. Ses yeux ressemblent à ces perles dorées,
trouvées près des sables chauds des îles du soleil.
L’amour elle cherchait. Le mariage, elle a trouvé. Sa famille
lui a donné un époux. A présent, elle cherche un
remède. Le mari qu’on lui a donné est un très bel
homme. Il est grand comme un roi, c’est-à-dire plus grand que
les autres hommes. Il est de la lignée des Grands Chefs, les
Arii Rahi
*, une lignée de rois née de
l’amour entre les habitants de la terre et ceux des cieux.
Le roi est un homme plein de tendresse et d’affection. Mais les soirs
de pleine lune, il devient fou.
Un jour, Princesse Moe rencontre un poète, venu de la mer, sur
une pirogue sans balancier. Elle l’invite dans son fare et lui raconte
son histoire :
- Les nuits où la lune est Mahinatea
*,
mon mari devient un monstre. Des démons le tourmentent et il
devient fou. Ces nuits là, il se lève, sort du fare
* et traverse les villages en tuant tous ceux qui se
trouvent sur son passage.
Il hurle et casse tout. Il se heurte la tête contre les pierres
du marae
* comme s’il voulait l’éclater.
- Ton mari a besoin d’esprits bienveillants qui, en l’entourant,
combattraient et chasseraient loin de lui les esprits maléfiques
qui le tourmentent.
Princesse Moe se demande où aller, vers qui se tourner. Elle se
souvient de ses ancêtres qui remontaient la rivière
jusqu’à la Source pour avoir des réponses. A la Source se
trouvent toujours des réponses. Elle décide alors de
remonter la rivière jusqu’à elle.
Le matin suivant, avant l’aube, Princesse Moe se lève et se met
en marche vers la rivière. Lorsqu’elle est arrivée, elle
s’assoit pour se reposer, sur une grosse pierre près de l’eau.
Les pieds dans l’eau, elle fait des ronds. Une anguille vient lui
chatouiller les orteils.
- E Puhi
* ! Iaorana oe e Puhi* !
Je te salue, anguille de la rivière !
- Iaorana oe Princesse Moe ! Où vas-tu de si
bon matin ?
- Je veux remonter la rivière jusqu’à
la source pour lui demander un remède pour mon époux.
- Remonte la rivière en suivant le sentier qui
la longe. Si tu as besoin d’aide, appelle-moi ! Le chemin est long. Ne
t’arrêtes pas en route si tu veux atteindre la Source avant
la nuit.
Princesse Moe suit le sentier qui longe la rivière.
Bientôt elle arrive près d’une piscine si profonde et si
belle qu’elle a envie de s’y arrêter juste une minute pour se
baigner et jouer quelques instants avec les anguilles, les crevettes et
les petits poissons. Mais elle se souvient de son amie Puhi* :
- Ne t’arrêtes pas en route si tu veux
atteindre la source avant la nuit !
Enfin après de longues heures de marche, alors que le soleil, en
se couchant, charrie son aquarelle dans le ciel et sur la
terre, elle entend la clameur immense et puissante de la cascade.
Elle sent la force de ses eaux qui soulève des vents.
Juste avant d’arriver à la cascade elle entend résonner
un pahu*. Il bat doucement comme le cœur d’un enfant qui vient de
naître.
Attirée par le chant du pahu*, Princesse Moe quitte le sentier
et s’enfonce dans une forêt de bambou.
Tout à coup le pahu
* se tait.
Princesse Moe se trouve devant un immense tumu ora* dont elle voit les
racines aériennes s’animer comme mille bras et le tronc bouger
comme le corps d’un être humain. Tout en haut du tronc, elle voit
les yeux immenses et doux de l’arbre la regarder, et une toute petite
bouche lui sourire.
Le Tumu Ora* entoure la princesse de ses milliers de bras.
- Princesse Moe ! Iaorana oe
* ! C’est l’amour qui
te conduit jusqu’à nous aujourd’hui ! Ton amour pour ton
époux ! Les oiseaux de la forêt nous ont annoncé ta
venue. Le Itatae* lui-même est venu jusqu’ici nous le dire.
- Tu sais de quel mal souffre mon époux. Pour le sauver, il me
faut trouver un remède qui éloigne de lui les esprits
maléfiques. Je vais à la Source. Je vais rencontrer ma
sœur la source, au cœur de l’île, là où se trouvent
toutes les réponses. Mais je dois partir tout de suite et
continuer ma route. Le soleil va bientôt se coucher.
- Tu ne peux pas y aller les mains vides. Tu dois emmener une offrande
à l’esprit de la source. Reste ici dormir avec nous et demain
matin je te dirai quelle offrande préparer pour notre soeur la
Source. Reste dormir avec nous, petite princesse et repose toi.
- Je veux bien Tumu Ora*. Je suis si fatiguée.
Tumu Ora* la soulève de ses milliers de bras et la porte tout en
haut près de ses lèvres où, de son souffle, il la
réchauffe pendant toute la nuit. La cascade la berce de son
chant si doux et si régulier et très vite Princesse Moe
s’endort.
Le jour n’est pas encore levé, mais déjà les
oiseaux et tous les habitants de la forêt chantent les louanges
à Celui qui a tout créé. Princesse Moe est
réveillée par cette symphonie qui, peu à peu,
devient une clameur immense.
La rosée s’est déposée sur ses yeux pour qu’elle
puisse les laver avant d’aller se plonger tout entière dans la
rivière pour le bain matinal. Elle a l’étrange sentiment
que son âme est toute neuve, comme si la lune et la nuit
l’avaient lavée et renouvelée pendant son sommeil.
Après son bain de rivière, Princesse Moe cueille des
bananes et des papayes pour son premier repas de la journée.
Puis elle va s’asseoir au pied de Tumu Ora.
Tumu Ora prend la parole :
- Princesse Moe ! Courageuse Princesse Moe ! Tu vas
partir pour la Source, et avant de l’atteindre, tu rencontreras des
obstacles. Mais sache que les habitants de la nature veillent sur toi.
En route, tu cueilleras des fleurs noànoà
*,
des fleurs parfumées. Tu les noueras en couronne. Voilà
ce que tu amèneras en offrande à l’esprit de la Source.
De ses milliers de bras, Tumu Ora* soulève Princesse Moe
jusqu’à ses minuscules lèvres et dépose sur le
sommet de sa tête un baiser.
Puis Princesse Moe rejoint à nouveau le sentier qui longe la
rivière, jusqu’à la cascade où,
émerveillée, elle contemple les eaux cristallines qui se
déversent avec force dans un immense bassin bleu et profond. Au
pied de la cascade, elle se demande que faire à présent
pour arriver à la Source. Où se trouve la Source ?
Comment remonter au-dessus de la cascade ?
Elle se souvient alors de son amie Puhi* :
- Si tu as besoin d’aide, appelle-moi !
Elle s’assoit près de l’eau et appelle :
- E Puhi ! E Puhi ! Haere mai na* ! Haere mai na !
(Anguille ! Viens !)
- Je suis là, Princesse Moe! Je suis là
! dit l’anguille en se faufilant entre ses pieds.
- Puhi* ! Je te remercie d’être venue aussi
vite. Je ne sais pas comment atteindre la Source, ni où elle se
trouve. Je me sens impuissante devant cet immense mur d’eau.
- Il faut remonter en amont de la cascade puis
continuer ta route jusqu’aux rochers qui abritent la Source.
- Comment monter là-haut ? je ne vois que des
rochers !
- Chante Princesse ! Chante le chant de ton âme
et les habitants de la forêt te guideront vers le sentier secret.
Princesse Moe ferme les yeux et, sans bruit aucun, elle parle à
son âme :
- Chante mon âme ! Chante !
C’est alors que s’élève, du plus profond d’elle,
une chanson aussi belle que mystérieuse.
A cet instant, Princesse Moe ouvre les yeux et voit de l’autre
côté de la rivière un chemin qu’elle n’avait pas vu
auparavant. Les petits poissons de la rivière se mettent
à sauter très haut comme pour l’inviter à les
suivre.
Princesse Moe se jette à l’eau et traverse la rivière. De
l’autre côté, des libellules l’attendent pour la
guider.
Le long du chemin, Princesse Moe recueille dans son panier de pae’ore*
des fleurs parfumées pour composer sa couronne d’offrande. Elle
cueille des tiare tahiti
* du miri
*,
du santal, du moto’i
*, des hinano
*,
des pua
*, des opuhi pape
*.
Lorsqu’elle en a ramassé assez, elle s’assoit à l’ombre
d’un arbre et tresse la couronne.
Puis elle reprend sa route. Le chemin n’est que pierres maintenant.
Princesse Moe a l’impression de marcher sur une montagne rocheuse
où ne poussent que quelques fougères ça et
là.
Lorsqu’elle atteint le sommet de cet énorme rocher, elle voit,
tout en bas, la rivière s’écouler au fond d’un
précipice et de l’autre côté de cette immense
falaise, les rochers qui abritent la Source.
- Comment franchir un tel abîme ? se
demande Princesse Moe.
- Chante Princesse ! Chante le chant de ton âme
! lui murmure une libellule.
Princesse Moe ferme les yeux.
Elle entend tout près d’elle un puissant bruit d’ailes. Elle
ouvre les yeux et voit un très grand oiseau au plumage
éclatant de blancheur. Il tourne autour d’elle plusieurs fois
puis il se pose.
- Iaorana Princesse Moe ! Je vais t’aider à
franchir l’abîme. Viens t’asseoir sur mes ailes. Je
t’emmène ! Viens Princesse Moe ! N’aies pas peur !
- Je te remercie bel oiseau ! comment t’appelles-tu ?
- Je m’appelle Manu Hoania i Te Atua !
Cela veut dire ‘Oiseau béni de Dieu’.
Princesse Moe s’agrippe au cou de Manu Hoania i Te Atua qui, d’un
coup d’aile, l’emporte en franchissant l’abîme, puis
pénètre une grotte cachée sous la roche.
-Tu es arrivée Princesse ! Je serais
là pour te ramener.
L’oiseau blanc s’en va et Princesse reste silencieuse un long moment.
- Qu’auraient fait mes ancêtres? se dit-elle
dans ses pensées. Elle entend son âme lui répondre :
- Chante Princesse ! chante le chant de ton âme
!
Princesse Moe ferme les yeux.
Elle entend la source chanter avec elle. Elle ouvre les yeux, se penche
vers l’eau qui s’écoule et y dépose sa couronne de fleurs
noànoà
*.
- Reçois mon offrande, je te prie, ma sœur la
Source. Je suis venue chercher auprès de toi une réponse
au mal de mon époux.
Comme un milliers de cascades qui se seraient réunies pour
former un seul chœur, puis un seul son, elle entend la Source lui dire
:
- Sa guérison se trouve dans le chant de la
rivière. Mets dans ton panier un peu de mon eau. Emportes-la
avec toi. Chaque soir où la lune est pleine, agite ton panier,
et les esprits bienveillants de la rivière viendront entourer
ton époux. Aucun esprit maléfique ne pourra plus
s’approcher de lui.
- Je te remercie ma sœur la Source. Que puis-je faire
pour toi en retour ?
- Prends soin des rivières de ton île.
Les rivières sont les veines de la terre. Si nous mourrons, la
terre se meurt. Si nous vivons, tout est en vie. Prends soin des
rivières de ton île. Les rivières sont les veines
de la terre.
Chant : Prends soin des
rivières de ton île
Les rivières sont
les veines de la terre
Si nous mourrons, la
terre se meurt
Si nous vivons, tout est
en vie
Prends soin des
rivières de ton île
Les rivières sont
les veines de la terre
La Source se tait et Manu Hoania i Te Atua est de retour.
- Monte sur mes ailes Princesse Moe. Je te
ramène jusqu’à ton fare.
En quelques coups d’ailes, Princesse Moe est de retour dans son
village.
Quelques nuits plus tard, la lune est pleine. L’époux de
Princesse Moe se lève au milieu de la nuit. Mais avant qu’il ne
sorte de la maison et ne devienne fou, vite, Princesse Moe saisit son
panier d’eau et l’agite en suivant son époux.
Alors, le jeune roi, le sourire aux lèvres, va se recoucher, les
yeux remplis de rêves d’une rivière qui coule au fond
d’une vallée, sous un ciel rempli d’étoiles.
: fleur odorante que l’on trouve dans les vallées
humides et près des rivières.