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Vue en francophonie :

Conte   de   la   Polynésie

La Princesse Moe
par Rai Chaze

C’est une princesse très jeune et très belle qui s’appelle Moe*. Ses cheveux sont très longs et touchent la terre. Elle est née un soir de pleine lune, et sa peau a l’éclat des coquillages. Ses yeux ressemblent à ces perles dorées, trouvées près des sables chauds des îles du soleil.
L’amour elle cherchait. Le mariage, elle a trouvé. Sa famille lui a donné un époux. A présent, elle cherche un remède. Le mari qu’on lui a donné est un très bel homme. Il est grand comme un roi, c’est-à-dire plus grand que les autres hommes. Il est de la lignée des Grands Chefs, les Arii Rahi*, une lignée de rois née de l’amour entre les habitants de la terre et ceux des cieux.

Le roi est un homme plein de tendresse et d’affection. Mais les soirs de pleine lune, il devient fou.
Un jour, Princesse Moe rencontre un poète, venu de la mer, sur une pirogue sans balancier. Elle l’invite dans son fare et lui raconte son histoire :

-  Les nuits où la lune est Mahinatea*, mon mari devient un monstre. Des démons le tourmentent et il devient fou. Ces nuits là, il se lève, sort du fare* et traverse les villages en tuant tous ceux qui se trouvent sur son passage.
Il hurle et casse tout. Il se heurte la tête contre les pierres du marae* comme s’il voulait l’éclater.

- Ton mari a besoin d’esprits bienveillants qui, en l’entourant, combattraient et chasseraient loin de lui les esprits maléfiques qui le tourmentent.

Princesse Moe se demande où aller, vers qui se tourner. Elle se souvient de ses ancêtres qui remontaient la rivière jusqu’à la Source pour avoir des réponses. A la Source se trouvent toujours des réponses. Elle décide alors de remonter la rivière jusqu’à elle.
Le matin suivant, avant l’aube, Princesse Moe se lève et se met en marche vers la rivière. Lorsqu’elle est arrivée, elle s’assoit pour se reposer, sur une grosse pierre près de l’eau. Les pieds dans l’eau, elle fait des ronds. Une anguille vient lui chatouiller les orteils.

-    E Puhi* ! Iaorana oe e Puhi* ! Je te salue, anguille de la rivière !

-    Iaorana oe Princesse Moe ! Où vas-tu de si bon matin ?

-    Je veux remonter la rivière jusqu’à la source pour lui demander un remède pour mon époux.

-    Remonte la rivière en suivant le sentier qui la longe. Si tu as besoin d’aide, appelle-moi ! Le chemin est long. Ne t’arrêtes pas en route si tu veux atteindre  la Source avant la nuit.

Princesse Moe suit le sentier qui longe la rivière. Bientôt elle arrive près d’une piscine si profonde et si belle qu’elle a envie de s’y arrêter juste une minute pour se baigner et jouer quelques instants avec les anguilles, les crevettes et les petits poissons. Mais elle se souvient de son amie Puhi* :

-    Ne t’arrêtes pas en route si tu veux atteindre la source avant la nuit !
Enfin après de longues heures de marche, alors que le soleil, en se couchant,  charrie son aquarelle dans le ciel et sur la terre,  elle entend la clameur immense et puissante de la cascade. Elle sent la force de ses eaux qui soulève des vents.

Juste avant d’arriver à la cascade elle entend résonner un pahu*. Il bat doucement comme le cœur d’un enfant qui vient de naître.
Attirée par le chant du pahu*, Princesse Moe quitte le sentier et s’enfonce dans une forêt de bambou.
Tout à coup le pahu* se tait.

Princesse Moe se trouve devant un immense tumu ora* dont elle voit les racines aériennes s’animer comme mille bras et le tronc bouger comme le corps d’un être humain. Tout en haut du tronc, elle voit les yeux immenses et doux de l’arbre la regarder, et une toute petite bouche lui sourire.
Le Tumu Ora* entoure la princesse de ses milliers de bras.

- Princesse Moe ! Iaorana oe* ! C’est l’amour qui te conduit jusqu’à nous aujourd’hui ! Ton amour pour ton époux ! Les oiseaux de la forêt nous ont annoncé ta venue. Le Itatae* lui-même est venu jusqu’ici nous le dire.

- Tu sais de quel mal souffre mon époux. Pour le sauver, il me faut trouver un remède qui éloigne de lui les esprits maléfiques. Je vais à la Source. Je vais rencontrer ma sœur la source, au cœur de l’île, là où se trouvent toutes les réponses. Mais je dois partir tout de suite et continuer ma route. Le soleil va bientôt se coucher.

- Tu ne peux pas y aller les mains vides. Tu dois emmener une offrande à l’esprit de la source. Reste ici dormir avec nous et demain matin je te dirai quelle offrande préparer pour notre soeur la Source. Reste dormir avec nous, petite princesse et repose toi.

- Je veux bien Tumu Ora*. Je suis si fatiguée.

Tumu Ora* la soulève de ses milliers de bras et la porte tout en haut près de ses lèvres où, de son souffle, il la réchauffe pendant toute la nuit. La cascade la berce de son chant si doux et si régulier et très vite Princesse Moe s’endort.

Le jour n’est pas encore levé, mais déjà les oiseaux et tous les habitants de la forêt chantent les louanges à Celui qui a tout créé. Princesse Moe est réveillée par cette symphonie qui, peu à peu, devient une clameur immense.
La rosée s’est déposée sur ses yeux pour qu’elle puisse les laver avant d’aller se plonger tout entière dans la rivière pour le bain matinal. Elle a l’étrange sentiment que son âme est toute neuve, comme si la lune et la nuit l’avaient lavée et renouvelée pendant son sommeil.
Après son bain de rivière, Princesse Moe cueille des bananes et des papayes pour son premier repas de la journée. Puis elle va s’asseoir au pied de Tumu Ora.

Tumu Ora prend la parole :
-    Princesse Moe ! Courageuse Princesse Moe ! Tu vas partir pour la Source, et avant de l’atteindre, tu rencontreras des obstacles. Mais sache que les habitants de la nature veillent sur toi.
En route, tu cueilleras des fleurs noànoà*, des fleurs parfumées. Tu les noueras en couronne. Voilà ce que tu amèneras en offrande à l’esprit de la Source.
De ses milliers de bras, Tumu Ora* soulève Princesse Moe jusqu’à ses minuscules lèvres et dépose sur le sommet de sa tête un baiser. 

Puis Princesse Moe rejoint à nouveau le sentier qui longe la rivière, jusqu’à la cascade où, émerveillée, elle contemple les eaux cristallines qui se déversent avec force dans un immense bassin bleu et profond. Au pied de la cascade, elle se demande que faire à présent pour arriver à la Source. Où se trouve la Source ? Comment remonter au-dessus de la cascade ?
Elle se souvient alors de son amie Puhi* :
-    Si tu as besoin d’aide, appelle-moi !
Elle s’assoit près de l’eau et appelle :
-    E Puhi ! E Puhi ! Haere mai na* ! Haere mai na ! (Anguille ! Viens !)

-    Je suis là, Princesse Moe! Je suis là ! dit l’anguille en se faufilant entre ses pieds.

-    Puhi* ! Je te remercie d’être venue aussi vite. Je ne sais pas comment atteindre la Source, ni où elle se trouve. Je me sens impuissante devant cet immense mur d’eau.

-    Il faut remonter en amont de la cascade puis continuer ta route jusqu’aux rochers qui abritent la Source.

-    Comment monter là-haut ? je ne vois que des rochers !

-    Chante Princesse ! Chante le chant de ton âme et les habitants de la forêt te guideront vers le sentier secret.

Princesse Moe ferme les yeux et, sans bruit aucun, elle parle à son âme :
-    Chante mon âme ! Chante !
 C’est alors que s’élève, du plus profond d’elle, une chanson aussi belle que mystérieuse.

A cet instant, Princesse Moe ouvre les yeux et voit de l’autre côté de la rivière un chemin qu’elle n’avait pas vu auparavant. Les petits poissons de la rivière se mettent à sauter très haut comme pour l’inviter à les suivre.
Princesse Moe se jette à l’eau et traverse la rivière. De l’autre côté, des libellules  l’attendent pour la guider.
Le long du chemin, Princesse Moe recueille dans son panier de pae’ore* des fleurs parfumées pour composer sa couronne d’offrande. Elle cueille des tiare tahiti* du miri*, du santal, du moto’i*, des hinano*, des pua*, des opuhi pape*. Lorsqu’elle en a ramassé assez, elle s’assoit à l’ombre d’un arbre et tresse la couronne.

Puis elle reprend sa route. Le chemin n’est que pierres maintenant. Princesse Moe a l’impression de marcher sur une montagne rocheuse où ne poussent que quelques fougères ça et là.
Lorsqu’elle atteint le sommet de cet énorme rocher, elle voit, tout en bas, la rivière s’écouler au fond d’un précipice et de l’autre côté de cette immense falaise, les rochers qui abritent la Source.
-    Comment  franchir un tel abîme ? se demande Princesse Moe.
-    Chante Princesse ! Chante le chant de ton âme ! lui murmure une libellule.
Princesse Moe ferme les yeux.

Elle entend tout près d’elle un puissant bruit d’ailes. Elle ouvre les yeux et voit un très grand oiseau au plumage éclatant de blancheur. Il tourne autour d’elle plusieurs fois puis il se pose.
-    Iaorana Princesse Moe ! Je vais t’aider à franchir l’abîme. Viens t’asseoir sur mes ailes. Je t’emmène ! Viens Princesse Moe ! N’aies pas peur !

-    Je te remercie bel oiseau ! comment t’appelles-tu ?

-    Je m’appelle Manu Hoania i Te Atua !
Cela veut dire ‘Oiseau béni de Dieu’.
Princesse Moe s’agrippe au cou de Manu  Hoania i Te Atua qui, d’un coup d’aile, l’emporte en franchissant l’abîme, puis pénètre une grotte cachée sous la roche.
    -Tu es arrivée Princesse ! Je serais là pour te ramener.
L’oiseau blanc s’en va et Princesse reste silencieuse un long moment.
-    Qu’auraient fait mes ancêtres? se dit-elle dans ses pensées. Elle entend son âme lui répondre :
-    Chante Princesse ! chante le chant de ton âme !
Princesse Moe ferme les yeux.
Elle entend la source chanter avec elle. Elle ouvre les yeux, se penche vers l’eau qui s’écoule et y dépose sa couronne de fleurs noànoà*.

-    Reçois mon offrande, je te prie, ma sœur la Source. Je suis venue chercher auprès de toi une réponse au mal de mon époux.

Comme un milliers de cascades qui se seraient réunies pour former un seul chœur, puis un seul son, elle entend la Source lui dire :
-    Sa guérison se trouve dans le chant de la rivière. Mets dans ton panier un peu de mon eau. Emportes-la avec toi. Chaque soir où la lune est pleine, agite ton panier, et les esprits bienveillants de la rivière viendront entourer ton époux. Aucun esprit maléfique ne pourra plus s’approcher de lui.
-    Je te remercie ma sœur la Source. Que puis-je faire pour toi en retour ?

-    Prends soin des rivières de ton île. Les rivières sont les veines de la terre. Si nous mourrons, la terre se meurt. Si nous vivons, tout est en vie. Prends soin des rivières de ton île. Les rivières sont les veines de la terre.

Chant : Prends soin des rivières de ton île

Les rivières sont les veines de la terre
Si nous mourrons, la terre se meurt
Si nous vivons, tout est en vie
Prends soin des rivières de ton île
Les rivières sont les veines de la terre

La Source se tait et Manu Hoania i Te Atua est de retour.
-    Monte sur mes ailes Princesse Moe. Je te ramène jusqu’à ton fare.
En quelques coups d’ailes, Princesse Moe est de retour dans son village.

Quelques nuits plus tard, la lune est pleine. L’époux de Princesse Moe se lève au milieu de la nuit. Mais avant qu’il ne sorte de la maison et ne devienne fou, vite, Princesse Moe saisit son panier d’eau et l’agite en suivant son époux.
Alors, le jeune roi, le sourire aux lèvres, va se recoucher, les yeux remplis de rêves d’une rivière qui coule au fond d’une vallée, sous un ciel rempli d’étoiles.



Chant : Prends soin des rivières

Prends soin des rivières de ton île
Les rivières sont les veines de la terre
Si nous mourrons, la terre se meurt
Si nous vivons, tout est en vie.
Prends soin des rivières de ton île
Les rivières sont les veines de la terre.


Rai CHAZE, né Papeeti (Tahiti)
(fait parti du collectif: Mots de neige,de sable et d'océan.)

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Lexique

Moe
: prénom qui signifie ‘Rêve’
Arii Rahi : Grand chef
Mahinatea : nom de la pleine lune
Fare : maison
Marae : lieu de culte polynésien
Puhi : anguille
Iaorana oe e Puhi : je te salue, anguille
Pahu : tambour
Tumu ora : Banyan (arbre)
Iaorana oe : je te salue
Itata’e : oiseau de mer
No’ano’a : parfume
Pae’ore : feuille de pandanus
Tiare tahiti : fleur considérée comme l’emblème de Tahiti
Miri : basilic
Moto’oi : ylangylang
Hinano : fleur du pandanus
Pua : fleur jaune et odorante
Opuhi pape : fleur odorante que l’on trouve dans les vallées humides et près des rivières.

 

  
Rai CHAZE
recherche Ali Iken
pour Francopolis décembre 2008

 

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Créé le 1 mars 2002

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