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Archives : Vue de Francophonie

Mai-juin 2023

 

 

Lucia Eniu, Royaumes en papier ou les voyages de Marc Lemonde.

Illustrations par l’auteure

(Éditions Le Lys Bleu, 2023, 80 p., 13,50 €).

 

Une présentation par Dana Shishmanian

(*)

 

 

 

On le sait : un livre pour enfants – un bon, un vrai, pas un qui fait office de manuel pour éducateurs et idéologues – est avant tout destiné à l’enfant en chacun de nous. Sinon il n’arriverait jamais à sa cible : la sensibilité humaine génuine, celle qui s’ouvre au monde avec l’émerveillement des premières années de vie – soit, des premiers âges de l’humanité. Sans ce renouvellement, qui fait en propre la vocation des livres pour enfants, l’humanité en nous succomberait.

Ce livre est une merveille en lui-même. Non seulement il répond à sa vocation, puisqu’il éveille en nous le lecteur enfant, en toute simplicité, mais il le fait dans une synchronicité subtile de l’auteur, de son personnage, Marc Lemonde, et du lecteur. Ainsi, l’écrivain, qui se dévoile dès le début du livre et vient le refermer à la fin – tout en se laissant interpeller à l’occasion tout au long du parcours de lecture –, crée son personnage au sein de son monde d’écriture, comme un alter-égo :

« J’ai créé Marc Lemonde une nuit d’été, lorsque le paysage autour de ma maison semblait flotter dans la lumière blanchâtre d’une lune en papier. Une lune dessinée par un enfant gaucher, distrait et souriant. Je l’ai imaginé tout de suite et ses grands yeux noirs se sont ouverts sur moi. Des yeux en papier étincelants. Je lui ai offert un petit bâton ensorcelant et, tout en le prenant dans mes mains tremblantes, je l’ai déposé aux Portes du Royaume du Joueur d’échecs. Et je lui ai fait don d’une voix un peu aiguë, mais douce et polie. Une voix en papier. »

Le don va jusqu’à lui confier aussi, à cet enfant que l’écrivain amène à la découverte des « royaumes en papier », la tâche d’illustrer lui-même le livre qu’il parcourt, de ses propres dessins… C’est une suprême astuce car l’auteure illustre en effet son livre de ses propres dessins faits à la manière d’un enfant tout en étant parfaitement réussis artistiquement parlant. Ceci nous révèle avant tout le double talent de l’autrice : celui d’écrivaine et d’artiste graphique. Mais ces dessins enfantins nous font aussi rentrer dans l’intimité d’une création fascinante, en tant que lecteurs du second degré – puisque le lecteur implicite, au premier degré, de ces récits est le personnage lui-même, dans la mesure où il en est en même temps l’acteur et le narrateur : c’est par ses yeux que nous lisons ses histoires.

 

 

Ces « royaumes en papier » que nous fait découvrir Lucia Eniu sont ludiques (Le Royaume du joueur d’échecs, Le Royaume du vagabond), drôles (Le Royaume-Arbre, Le Royaume du rire, Le Royaume des émoticônes), poétiques (Le Royaume des papillons, Le Royaume-Œil), mythiques (Le Royaume des légendes), esthétiques (Le Royaume des miroirs, le Royaume des marionnettes), et faussement moralisateurs : le juste milieu n’est pas forcément le bonheur (Le Royaume de l’équilibre), le malheur peut sourire (« je vous souhaite bonne tristesse et que la désolation soit avec vous ! » se fait-on saluer au Royaume de la désolation), et l’utopie humaniste n’est, hélas, certainement, pas pour aujourd’hui (Le Royaume de la tolérance).

Quant au voyageur-narrateur… ce Marc Lemonde sera-t-il, adulte, Monsieur Tout-le-monde, qui se perdra dans le monde comme dans un labyrinthe tout en s’évertuant à le comprendre voire à l’aimer… ou est-ce l’autrice elle-même qui s’y projette tout en restant en-deçà de ces aventures censées être initiatiques… Peut-être parce que justement elles n’initient pas vraiment au « monde » puisque celui-ci ne s’avère pas tellement digne d’admiration… mais laissent plutôt au lecteur – comme au petit Marc Lemonde, le personnage-lecteur implicite – le soin d’approfondir le voyage par soi-même sinon en soi-même, à travers « les mondes en papier » de l’imagination.

« Je n’ai plus envie de voyager, soupira-t-il. Je suis fatigué. Puis-je faire un petit somme ? On pourrait reprendre les voyages un peu plus tard. Qui sait vers quels mondes surprenants vous m’enverrez, Monsieur l’Écrivain ? Des mondes en papier. Comme moi, soupira-t-il. Et mon petit homme s’endormit dans mes bras. »

 

Dana Shishmanian

(à partir de la préface du livre…)

 

 

Lucia Eniu lue par Dana Shishmanian

Vue de Francophonie, mai-juin 2023

 

 

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