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Archives : Vue de Francophonie

 


Septembre-octobre 2021

 

 

En confinement

de Jeanne Gerval ARouff

 

Présentation par Dana Shishmanian

 

(*)

 

Couverture :

Promesse Verte. Assemblage de verre, 1990

 

Être témoin de la gestation d’un livre – comme je l’ai été, pendant plusieurs mois de ces deux dernières années, 2020-2021, pour ce « journal de confinement » de Jeanne Gerval ARouff – est un privilège rare et gratifiant. C’est comme recevoir, sans aucune idée de mérite ou démérite, d’attente ou de promesse, de récompense ou de don, les fruits d’une poussée prodigieuse, avec floraison et maturation accélérées : celle de l’arbre de l’esprit

 

Arbre-Cosmos - Arbre-mémoire, 1992 (à l’Espace de création)

 

Jeanne Gerval ARouff l’appelle de nombreuses manières : arbre-cosmos, arbre-mémoire, arbre-feuille, arbre-échiquier, arbre de l’Eden, arbre inversé, arbre aux mille soleils, arbre de la créativité… Scié, embrasé, crucifié par la main de l’homme irresponsable qui ignore son vrai destin sur cette Terre… il repousse de ses cendres. À travers l’art, à travers la parole, à travers l’amour !…

Ce livre semble fait de bric et de broc, de signes-objets ou signes-sujets – qu’ils surgissent du quotidien ou d’ailleurs – qui s’accordent d’eux-mêmes pour faire sens dans l’esprit de l’artiste… et pour inspirer sa parole poétique, en rappelant ensemble œuvres, souvenirs, lectures, actes de foi, tragédies humaines, espérances et implorations. Faire de l’art à partir d’objets anodins, faire de la poésie à partir des petits riens domestiques, tout comme d’un deuil, d’une écoute musicale, d’une tombée de lumière enjambant l’ombre de ses pas, c’est là le don d’une créativité sans confinement ; et que la contrainte du confinement stimule, justement, au plus haut point. 

 

 

 

 

Ainsi, un oignon-mandala, la paire yin-yang que forme un avocat offert coupé en deux, une flaque de lumière tombée sur l’arbre dans la cour de la résidence, le mont Le Pouce irisé, contemplé de la fenêtre de l’appartement, un vêtement dont les points de broderie, grossis, évoquent – tant l’homme-victime en est marqué – ce « monstre » invisible qui nous mine la vie depuis 18 mois et tue partout autour de nous, ou bien quelques objets à charge d’émotion qui nous accompagnent dans nos prières, ou enfin, des assemblages et montages éphémères faits des plus humbles matières – artefacts humains provenant du commerce ou rejetons de la terre, pierres, bois, feuilles, coquilles…

 

Guetteur-Rêveur, composition éphémère 2021

 

À tout cela s’ajoutent plusieurs grandes toiles de l’artiste, que le sort a éparpillées de par le vaste monde depuis des décennies (comme aussi tant d’œuvres de Malcolm de Chazal, dans son temps), et dont Jeanne a pu retrouver, par chance pour nous, des photos, nous permettant ainsi de reconstituer certaines parties de son œuvre plastique – une œuvre pluridisciplinaire majeure dans le paysage de l’art contemporain, et ce, dépassant très largement la scène artistique et littéraire mauricienne.

 

The City that never sleeps, 1986-1987

 

Black Presence, 1987

 

Errance Santa-féenne, 1986-1987 – État II. Irruption îlienne, 2013

 

L’artiste-écrivaine de 85 ans nous introduit ainsi dans l’intimité de son vécu « en confinement », où chaque jour est une danse sur la lame du rasoir entre privations, solitude, souffrance, et perpétuel émerveillement. Un exemple pris au hasard (jour 45 du deuxième confinement, 2021) :

 

Vendredi 23 avril. TRACES…

 

Du balcon-atelier – 16h :

Le Pouce dans les nuages –

averses rafales sifflements

après-midi nuit

 

L’urgence n’attend pas. Faire feu de tout bois :

Une poignée de sable –

plissement de vagues sous le vent

juste une échappée

 

Charte de l’Âme Suprême –

choisir le bleu de pureté

un pas en tropique    

 

22h – Du balcon-atelier – À travers la vitre.

L’Intendance s’agite –

douces lumières du jardin veillent

branche arbre inversé

 

Racines au ciel Ah !

Esprit pouvoir créateur

dans le cœur de l’homme

 

Ou, au premier jour de sortie du confinement :

 

Jeudi 1er juillet, premier jour d’après le confinement… premiers pas dehors. TRACES…

 

Oiseau-poisson – Ah !    

au clair du balcon-atelier  

ombre illuminée  

 

Balcon-atelier –

Le Pouce et le Pieter Both

entrouvrir la porte

 

Doux petit soleil –

Avancer à la badine  

à tout petits pas            

 

Au soleil tout doux –

en avant dans la lumière

petit pas sur l’ombre

 

Entre TRACES… et TOTEMS… l’univers de l’artiste-écrivaine se recompose à chaque instant sous nos yeux, le même et autre à chaque pas, aussi divers et surprenant dans son incessante métamorphose re-signifiante que fidèle à son Île-Centre, à son Axe du Monde qui plonge sa pointe loin, très loin hors du monde…

Un monde qui se trouve en proie aux catastrophes et pires menaces, une Terre-confinée qui retient son souffle, rétrécie, abasourdie, pleurant ses richesses naturelles dévastées et ses enfants humains attaqués dans leur chair, une Terre malade de nous… que l’ART se sent la vocation de pouvoir guérir.

 

Traces de pas, lettres, chiffres, et encres d’imprimerie (version couleur 2020, à partir d’une version en noir et blanc de 1993)

 

De L’Invocation pour guérir la Terre qui ouvre ce livre, en guise de prologue, à l’offrande majestueuse qui le clôt – ce nouveau Je t’offre mon arbre par lequel une grande artiste-écrivaine renouvelle les vœux de toute une vie d’innovation, de recherches, d’expériences spirituelles et esthétiques, de combats citoyens, d’œuvres et de livres exposés voire déposés, telles des semences pour une moisson future, un peu partout dans le monde – nous suivons avec elle « Un chemin qui – peu à peu – dépouille / jusqu’à la dernière peau ! »

Et nous assistons ainsi, éblouis, à l’épanouissement d’une FORME unique, aussi fragile que puissante, aussi naturelle que surnaturelle, presque.

 

Jour après jour Oh ! –

l’homme-scie entaille encore l’arbre

aux empreintes cosmiques

 

Vivre l’arbre Ah !

arbres tombés par l’homme-scie

s’initier aux arcanes

 

Sauver l’arbre Ah !

unité de l’univers

un autre toi-moi

 

Jour succède au jour –

à déchiffrer ses mille glyphes

l’arbre simplifie l’homme

 

Nouveau soleil Ah ! –

des profondeurs toutes de l’être

je t’offre mon arbre

Version revue 2021 du poème Je t’offre mon arbre,

dans Signes-Souffle ou Logo d’l’Âme, 1995

 

L’Arbre de l’Eden (à l’exposition Gauguin, 2003)

 

Un chant de l’amour s’élève aussi, pour marcher sur la mort, comme dans ce vaste poème écrit en 2007 (reproduit dans le livre d’après le blog Patrimages de Patricia Laranco du 5 février 2010) :

 

À L’AUTEL DE FEU ET D’EAU (extrait)

 

De quelle mémoire traîne-t-elle nostalgie et désir

quel amour latent répand en elle effluves de feu 

enduite d’huile sa chair se souvient

brûlante d’étreintes rubéfiantes

haletante jusqu’au cri devant tant d’espaces sublimés

ressuscitant d’entre les spasmes

transmutant le cri en vibrations essentielles

 

notes     résonances    musiques

irradiations des planètes revisitées

et de leurs pierres étincelantes

 

oum      oum oum  oum oum oum oum

  

souvenir de l’Aphrodite du myrte et des nuits vénusiennes

prégnance des lueurs vertes irisant le temple nuptial

réminiscence des senteurs du santal blanc

rémanence d’explosions et de lumières mercuriales

incarnant la danse immémoriale des planètes en fusion

rassemblant enchâssées les fragrances fruitées

des corps et des âmes dans la vasque-abreuvoir rituelle

 

noces    parfums    extases

irradiations des planètes revisitées

et de leurs pierres fécondées

par des fiançailles d’éternité

 

 

Merci, Jeanne, merci encore !

 

©Dana Shishmanian

 

 

(*)

Pour commander le livre, utiliser l’adresse de contact de Francopolis.

 

Le Mauricien- Sunlights week-end – samedi 3 avril et dimanche 4 avril 2021, page 27 :

Norbert Louis sur Jeanne Gerval ARouff

 

Jeanne Gerval ARouff

Présentation par Dana Shishmanian

Vue de Francophonie, septembre-octobre 2021

 

 

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