« Des mots du poète, chacun saisit
ce qui lui plaît : mais leur sens ultime est de tendre vers Toi la
main. »
Tagore, in : De l’aube au crépuscule
Le titre de ce recueil résume à lui
seul le dire du poète : que reste-t-il de l’essentiel si ce n’est des franges ? Existe-t-il encore
une place pour l’homme dans un monde à la schizophrénie ambiante, un
monde qui se gorge de batailles, traîtrises et massacres, un monde
où l’élan et la force de l’amour laissent place aux délires de puissance
?
On retrouve, dans ces textes, les
thèmes favoris de l’auteur : l’essentiel du vivre, l’humour, la
tendresse, l’amour, l’écoute attentive, la misère de l’autre,
l’admiration du spectacle qu’offre la nature, car le poète peint ses
fleurs dans les failles de l’aube.
L’auteur est un amoureux des
mots, chaque page est un nid de diamants, un graal des mots. Il
ponce, élargit, virevolte, jongle avec les virgules qui sont les
cigales de la phrase, ose réveiller les termes d’antan, si loin de
nos textos souvent
incompréhensibles : et si l'on faisait de nouveau danser cornegidouille,
ventrebleu ? Mais tout
cela s’en est allé, faisant place à un franglais de pacotille.
Au lieu de se perdre dans les
réseaux sociaux, égouts de la République, dont il ne restera rien
dans quelques décennies, au lieu d’honorer le dieu ordinateur et ses
mails en pagaille, écrivons pour garder une trace. Quels seront les
sédiments de tout ce fatras de phonétique, de cette bouillie
d’anglicismes et d'écriture inclusi.ve ?
Que restera-t-il de nos langages
dans les années à venir, alors que les dessins des cavernes ou ceux
des pyramides ont survécu durant des millénaires, les volumes du codex,
quelques siècles durant ? Médite,
lecteur, sur la dématérialisation de la pensée, sur l'évanescence de nos supports…
Même si écrire est parfois un
sacrifice, l’amour s’y infiltre, infuse dans ses lunes d’insomnie ; la
géographie d’un désir y déroule sa carte du Tendre. La vestale désormais
hante mes nuits : feu de mes entrailles.
Ce recueil est une ode à
l’écriture, au pouvoir des mots, à leur force : écris, écris mon
frère, car écrire est une prière, c’est soulever un
coin de la foi, jubilation et blessure secrète, c’est palper un pli de la
robe christique.
Il est temps d’écailler les mots
aux ombres indolentes : les mouettes chères au poète passent, elles
scandent quelques jacqueries à la face des bourrasques, c’est le
temps du rêve, de la semaison de tendresse. Tiens ! Voici la
première abeille du matin, qui va goûter son pollen, car faire du miel
n’est en rien facile !
Lecteur, burine ta page, écris
avec le sang des roses, peut-être le désir du poète s'y
réalisera-t-il ? J’aimerais tellement qu’un jour, des amoureux
esquissent une ou deux de mes lignes sur la tombe qui sera mienne : superbe, mais désir à
réaliser le plus tard possible.
La poésie de Luezior est une
caresse, des pensées qui s’échangent dans les carrefours de la vie, des
lèvres qui s’enlierrent, qui transforment les ténèbres en aube, des
étoiles pour éclairer les jours sombres, des barques pour dériver.
Les mots de ce recueil sont des
îles où s’ouvrent les tabernacles, où vit le dire et où s’enlumine
l’essentiel. Comme l’écrit P. Emmanuel : dire c’est aimer, aimer
non seulement le langage mais l’esprit qui se manifeste en lui. C’est
ce que nous trouvons dans les lignes de Luezior.
Grâce au poète, peut-être nos yeux
verront-ils / au-delà de nos convoitises/ l’appel vigoureux de la
vie ?
Nous ne saurions terminer cette
recension sans mentionner la toile Composition du peintre
Jean-Pierre Moulin qui orne la première de couverture, toile qui exprime
toute la tension, l’élan, la force, le possible, la vie qui pulse dans ce
recueil.
©Nicole Hardouin
|