Un
regard de poète au cœur du monde
Rien ne s’oppose à la
lumière, constate Sonia Elvireanu dans un des poèmes de ce recueil. La
palette du peintre évoqué en liminaire permet à la poésie d’éclore à la
faveur d’un lever de soleil.
Soleil… Le mot revient
souvent ici: « le soleil glissant
à travers tous les murs », « les scintillements du lever de
soleil », « le soleil du lieu où les dieux/ont ensemencé
le rivage », « …sous le rayon/de soleil ». Cette métaphore
filée imprègne et illumine forcément tout le recueil.
Inévitablement, la lumière
baigne cette poésie. Même l’ombre, l’obscurité semblent
factices : « Le noir infusé de lumière n’est pas opaque,
/les rayons du soleil s’y reflètent, /brisent l’obscurité comme la lune
dans la nuit » « comme dans une symphonie de
couleurs » « comme le rayonnement de l’amour ». Le
titre nous l’indique clairement, tout est révélé par le regard attentif
de la poétesse.
Avec Sonia Elvireanu, le
bleu semble presque une couleur chaude sous « les ailes de la terre
amoureuse », nous dit-elle. Tout resplendit ici. Tout est accord au sens
musical du terme.
Sonia évoque les dieux,
les lieux sacrés où la nudité d’un corps de femme consacre
l’éternité du monde et l’accord suprême entre une femme et un homme.
Dans le poème Nu sur la terrasse - on croirait le titre d’un tableau - où la poétesse
se met en scène. Le regard de
l’aimé glisse sur ce corps offert, la nature est un miroir qui reflète un
désir sous-jacent, prélude au sacrifice de la femme complice, à la faveur
d’un rite païen en harmonie avec la nature qui préside à la cérémonie :
l’autel sur lequel
tu es prêt à me
sacrifier,
l’œil de l’amour sans crépuscule,
cette scène de théâtre épiée par le lecteur voyeur est
l’ expression même du désir.
*
Dans ces lieux visités par
Sonia Elvireanu, « la lumière perce l’obscurité même dans un
hiver gris » et le poème monte vers un ailleurs entre sable, mer et
ciel, là où les dieux ont laissé une empreinte de mystère. Avant de
disparaître ?
« Borné dans sa
nature, infini dans ses vœux, l'homme est un dieu tombé qui se souvient
des cieux. » écrivait Lamartine (1).
*
Et pourtant la beauté,
l’harmonie, la sensualité célébrées par Sonia n’empêchent pas une
allusion à la guerre, si peu voilée qu’elle nous atteint
particulièrement. Dans Folie
ténébreuse, rien ne nous est donné, aucune indication géographique,
même pas un simple nom de ville, « une ville en flammes » : laquelle ? nous ne le
savons pas et c’est d’autant plus impressionnant.
Le paysage est flou, voilé
par l’horreur ; « le
brouillard de la démence », s’exclame Sonia Elvireanu tandis que
nous pensons à l’Ukraine. L’expression « une ceinture de feu » revient
deux fois. Le contraste avec tout le recueil est violent.
Est-ce pour nous mettre en
garde contre la beauté toujours évanescente d’un paradis menacé sur
terre ? On ne peut répondre avec certitude. Qu’importe. Il est
difficile de refermer - et le faut-il vraiment?
- cette parenthèse.
*
Sonia Elvireanu écrit en
symbiose avec le monde. Peut-on parler de panthéisme dans cette
poésie tellement la nature semble un temple vivant là où l’homme
limité et même entravé par sa condition de mortel devrait retrouver le
premier matin du monde avec dans la bouche un goût d’éternité ? Le
temps semble parfois suspendu en un « commencement sans fin ».
Rien ne
s’oppose à la lumière
même pas l’homme-mur
Par la grâce de sa poésie,
nous pouvons retrouver le sens de la lumière qui irradie un monde
harmonieux, sans fin où il devrait faire bon vivre. Sonia Elviranu en est
la prêtresse, le demiurge. Sans guide, nous ne savons pas à quelle porte
frapper, où retrouver l’entrée d’un monde perdu :
revenir sur le lieu qui n’appartient qu’à toi
croire que tu peux retrouver ton histoire…
Les dieux parlent par la
bouche de Sonia Elvireanu. Elle est aussi « sur le sable Nausicaa
[qui] accourt pour accueillir/l’étranger jeté sur le rivage par les
eaux »
*
Et me revient en mémoire
ce bel aphorisme de Nietzsche : « Il faut quitter la vie comme
Ulysse quitta Nausicaa avec plus de reconnaissance que d’amour » (2).
(1) Méditations poétiques.
(2) Par-delà le bien et le mal.
© Denis
Emorine
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