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Archives : Vue de Francophonie

Mai-juin 2023

 

 

Patrick Devaux, Le trou de ver.

Illustrations de Catherine Berael. Préface de Jean-Michel Aubevert

(Éditions Le Coudrier, 2023).

 

(*)

 

 

 

« un geste/ d’éternité// à/ sauver du trou noir ».

À lire le titre du recueil de Patrick Devaux Le trou de ver on se pose la question pourquoi le poète choisit un concept de l’astrophysique en guise de titre pour sa poésie.

Le trou de ver est décrit par les physiciens comme un tunnel espace-temps qui permettrait le voyage dans le temps. C’est ce que le poète et tout écrivain fait lorsqu’il retourne dans le passé pour récupérer des bribes de sa vie, faite d’une infinité d’instants fugitifs, éphémères. La mémoire donne accès au voyage incessant du présent dans le temps vécu qui n’existe plus, de relier le passé et le présent. Les fulgurations des choses d’autrefois échappent par ses fentes, nous parviennent comme par un trou de vers par lequel passent des informations de l’invisible, du multivers.

Que subsiste-t-il de nos sentiments, de nos émotions, de ce qui est le plus intime à chacun, du tourbillon intérieur provoqué par les événements qui nous bouleversent ? Comment les retrouver sinon sortant du temps historique pour retrouver le temps infini et nos expériences de vie dans sa nuit ? Une belle illusion le temps récupéré, car on ne peut plus revivre l’émotion perdue, seulement essayer  de la saisir par les mots. On peut au moins recréer sa présence en nous, mais son image n’est qu’une ombre du vécu. Et alors « ce qu’on sait des choses/ c’est parfois/ un trou/ de/ ver// dans la nuit// ta main blanche/ le traverse// tu me tends/ le poème/ ultime ».

Seul le poète pourrait témoigner de cette présence invisible en lui, par le souffle de l’inspiration qui le traverse comme « une buée sur les vitres » pour se poser dans ses poèmes. Il est à l’approche d’un mystère qu’il ne connaît pas, qu’il ressent et qu’il aimerait communiquer : « je parle/ de buée/ sur les vitres// du doigt/ qui tremblait// dans/ ce que// la pensée/ voulait/ dire ».

Ce qu’il voit de l’invisible dans un éclair poétique, comme on voit un coin du réel/irréel dans la lumière des phares d’une voiture, une vision fugitive, ses brèves illuminations, il essaie de les mettre dans ses poèmes, car il perçoit dans la nuit avec les yeux jaunes de la louve qui traverse ses poèmes.

Le trou de ver suggère un mouvement en profondeur, un passage d’un côté visible vers l’autre côté invisible. Le regard du poète passe de l’autre côté des choses pour capter quelque chose que l’œil physique ne peut pas saisir. Il va vers l’essence de tout ce qui existe autour de lui. Les choses matérielles, qui périssent, laissent cependant des traces de leur existence, le souvenir de leur vie palpable, ce que le poète essaie sans cesse de retrouver.

S’interrogeant sur les choses qui cachent leur part invisible, leur essence, au-delà de leur matière périssable, il se répond : « Ce qu’on/ sait des choses/ c’est parfois/ un trou/ de/ ver// dans la nuit// ta main blanche/ le traverse//tu me tends// le poème/ ultime ». C’est par ce trou de vers qu’un rayon poétique lui parvient comme un vieux parfum oublié pour témoigner « qu’il traîne des parfums qui furent des présences » (Gérard Prévot). Ce qu’on sait des choses « c’est/ peut-être/ le geste appris/ à/ ne pas/ agiter/ l’insecte// jusqu’au/ point mort// brisant/ son vol » ; « c’est parfois/ de/ se faire/ éjecter/ de/ son âme/ au bon moment// pour //retrouver /le geste/ retenu » ; « c’est un banc seul/ dans la nuit// il se souvient/ de/ tout// du cri/ du/ rapace nocturne/ agaçant/ l’ombre ».

Cela devient l’un des leitmotivs des poèmes de Patrick Devaux tout comme la métaphore de la louve aux yeux jaunes, une vision du poète dans la nuit qui pourrait être le regard poétique qui voit de l’autre côté des choses.

 « Écrire/ c’est du temps volé », « écrire/ est devenu/ l’obsession// d’avoir baissé// la vitre// dans le silence/ d’un soir/ de/ brume// tandis que/ la louve// regardait/ de/ l’autre côté/des choses ». C’est capter un éclat de l’invisible, de la nuit du temps, retrouver  le souvenir d’un regard, d’un geste, d’un objet, d’un mouvement, d’une émotion. L’écriture a ses deux côtés comme le trou de ver, l’un visible, les mots dits, écrits, qui retiennent les traces des choses, et les mots non-dits de l’invisible, le virtuel informe où fouille le poète dans sa quête sans fin pour un   ultime poème à témoigner de sa vie. Le vécu de l’être humain n’est que souvenir de ce qui a existé, englouti par le temps, retrouvé par l’instant de grâce de l’inspiration poétique, « un geste/ d’éternité// à/ sauver du trou noir ».

Poète d’une profonde sensibilité, Patrick Devaux a sa manière à lui de parler de la fragilité des choses, de la vie,  et d’organiser ses vers très courts, mais riches de sens,  de déployer verticalement sur la page, tel le souffle d’une respiration ou l’écoulement de l’eau, de brèves émotions ou pensées. Elles passent par le trou de ver tels des éclairs, lui rendent le vécu par miettes, lui offrant ainsi la chance de fixer poétiquement ce qui était et qui n’est plus, de se retrouver par l’écriture, de témoigner de sa vie sur la terre, de partager ses émotions, ses doutes, ses hésitations, ses instants de beauté et ses épreuves.

Écrire « c’était/ du temps/ volé// quelques secondes// à peine », c’est retenir le temps, sauver de l’oubli la lumière d’une présence vive autrefois, échappée « de la fente de la nuit », car « il reste/si/peu//parfois/de nous//un geste/peut-être/furtif ».

Écrire toute sa vie ne signifie pas avoir su dire les choses, car l’écriture elle aussi n’est qu’une ombre du langage originaire, insaisissable, introuvable, le côté blanc du trou de ver, peut-être : « j’ai tant écrit/ après// avoir / si peu/ su/ dire ».

Le recueil est préfacé par Jean-Michel Aubevert, lui-même poète et raisonneur de la beauté fragile de ce monde dont la sensibilité résonne avec celle de Patrick Devaux, de même que celle de Catherine Berael, peintre et écrivain qui illustre avec finesse par dessins et aquarelles les livres du poète. Jean-Michel-Aubevert fait de son commentaire un véritable poème en prose.

 

© Sonia Elvireanu

 

 

Patrick Devaux lu par Sonia Elvireanu

Vue de Francophonie, mai-juin 2023

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