rencontre avec un poète du monde

ACCUEIL

ARCHIVES : VIE – POÈTE 

Septembre-octobre 2023

 

 

Armel Guerne – le dernier Chevalier du Graal.

 

Avant-propos et choix de textes en 2 parties

par Dana Shishmanian

 

 

Couverture de Charles Le Brun et Jean Moncelon, Armel Guerne, l'annonciateur

(Pierre-Guillaume de Roux éditeur, 2016)

 

 

Il me semble opportun sinon nécessaire de lire ou relire Armel Guerne aujourd’hui (1).

Notre monde n’a pas cessé de glisser sur sa pente – à savoir, vers une déchéance de l’humain, un délitement social, un aveuglement politique, une escalade guerrière aux relents de conflit mondial ultime, une destruction de la planète par tous les moyens – depuis que ce grand poète traducteur de poètes et héro de la Résistance élevait sa voix de colère vaticinante pour dénoncer l’histoire de mensonge hypocrisie et trahison qui se tramait sous ses yeux, dans les années d’avant, pendant et après la seconde guerre mondiale (2).

Mais n’avait-il pas perçu et mis à nu cette universelle dégringolade depuis déjà, selon lui, les débuts de l’ère industrielle, où s’élevaient en leur temps, en se débattant, les ailes sublimes de génies visionnaires et martyrs tels que Novalis, Hölderlin, Nerval ? Ainsi les voyait en tout cas Armel Guerne, en se reconnaissant en eux au point de les ramener à lui : ne traduisait-il pas en français – « la langue même de la Poésie » comme il la déclarait, lui le Suisse aux racines bretonnes – les romantiques allemands, pour « sauver » en quelque sorte leurs hauts esprits purs et cristallins, de la pâteuse matière opaque au spirituel dont il disait être faite la langue allemande – dont « le mouvement gourd était plus lent que l’esprit » et qui « véritablement n’est pas… faite pour l’ineffable » – langue qu’il déclarait aux sbires de la Gestapo avoir oubliée de parler le jour où les Allemands ont franchi les frontières sans passeport !… (3)

Acerbe et virulent dénonciateur des maux du siècle – le XXe s’entend, mais sa vision prophétique couvre entièrement et risque de dépasser hélas en prévision fatidique le premier quart du XXIe que nous sommes en train d’achever – Armel Guerne ne s’est jamais fait d’illusions sur le sort des idéaux qu’il n’a cessé de défendre toute sa vie, au risque de sa vie : ils deviennent soit, pour les politiciens, de purs slogans pour cacher des crimes de masse et manipuler les peuples, soit, pour ces derniers et certaines élites – des « ruminants intellectuels » comme il les appelait – des vœux pieux traduits en utopies idéologiques et forcément démagogiques voire totalitaires à terme – pour aboutir finalement à « une guerre ultime (…) qui sera faite au nom de la paix pour le ravage des continents, dans une apothéose du mensonge qui deviendra la vérité par-dessus lui » (4).

Mais pour certains esprits insoumis, lucides et intransigeants comme le sien, le sens vrai des mots comme liberté, vérité, amour, implique l’engagement total de l’être, quel que soit la fin : la victoire – ou l’échec. Il n’a jamais sombré dans le désespoir si ce ne fut pour y puiser une capacité renouvelée d’espérance, avec une obstination inébranlable : celle de la foi en une vérité qui est, quoi qu’on puisse lui opposer pour la détruire ou l’occulter. Il l’appelait Père : « Celui / Dont il ne suffit pas / De croire qu’il n’est pas / Pour qu’il ne soit pas là » (5). Il l’appelait Verbe nu.

Je vois en Armel Guerne un combattant de l’esprit, un gardien du Graal à savoir de la Parole gnostique et poétique, un dernier chevalier alliant sainteté et héroïsme au service de Dame Poésie vue comme le dernier recours de l’homme – non « la poésie parfumée (…) la poésie de la consolation » mais « la poésie telle qu’elle est (…) pure et impure déjà de tout le connaissable aux portes de l’inconnaissable » – tel « le nuage d’inconnaissance » du mystique anonyme anglais du XIVe s. qu’il a magnifiquement traduit – où le Beau ne se justifie que par le Vrai, appelant l’humanité en nous au réveil, à la responsabilité et à la libération du mensonge (6). 

 

*

 

Parce que, ainsi que le disait Armel Guerne le traducteur, essayiste et critique, à propos de ses auteurs : « Je n'ai jamais compris autrement la critique : contemplative, illuminée, pleine de discrétion aussi devant le grand visage émouvant de la poésie » – car « On ne peut que donner sa voix — fût-elle à bout de souffle — à la voix qui appelle » – j’aimerais accomplir ici, en lui donnant la parole pour écouter sa voix à travers un choix de ses textes, « un geste simple et bienheureux, total aussi comme un aveu découvrant sa révélation : quelqu'un est là, et ce qu'il a écrit est peut-être le chant même de notre temps. » (7)

 

Première partie

(cliquer ici pour ouvrir la page)

 

Les fragments qui composent le premier volet de cette évocation sont glanés dans quelques anthologies posthumes de ces écrits :

Le Verbe nu. Méditation sur la fin des temps. Anthologie de textes dont des inédits, et préface par Sylvia Massias, Seuil 2014.

L’âme insurgée. Écrits sur le romantisme. Édition augmentée par rapport à celle parue en 1977 aux éditions Phébus ; avec une préface de Stéphane Barsacq, éditions Points 2011 (sur le préfacier, voir entre autres son entretien avec Philippe Chauché dans La cause littéraire du 16 mars 2023).

Le poids vivant de la parole. Anthologie (reprenant l’édition homonyme parue chez Solaire en 1983, et Au bout du temps, Solaire-Fédérop 1981) incluant quelques textes mais surtout des poèmes, dont des inédits, avec une préface de François-René Daillie, éditions Fédérop 2007.

 

Seconde partie

(cliquer ici pour ouvrir la page)

 

Le second volet, dédié à sa poésie, consiste en plusieurs extrais de la dernière des anthologies susmentionnées – Le poids vivant de la parole – ainsi que trois d’un groupage de 20 poèmes parus, en avant-première au recueil Le jardin colérique (Phébus 1977) – aujourd’hui introuvable – dans la revue québécoise Liberté. Art et politique, volume 18, numéro 2 (104), mars–avril 1976, dont l’archive en ligne nous permet de les lire, regroupés dans un document téléchargeable : Armel Guerne. Vingt poèmes du Jardin colérique.

 

Notes

(1) Pour évoquer sa vie (1911-1980) et son œuvre (de penseur et poète – trop peu connu – mais surtout de passeur et traducteur insatiable, par mouvements entiers et par littératures, de l’Amérique à l’Asie avec comme pivot la vieille Europe, toujours selon ses propres choix dictés par une quête personnelle) je citerai quelques ressources et prises de position essentielles :

- John Vader, Prosper double-cross, Sunrise Press, 1977 ; traduction française, notes et annexes par Charles Lebrun : Nous n'avons pas joué. L'effondrement du réseau Prosper, 1943, éditions Capucin 2002 ; voir sur ce livre l’article du traducteur sur son site : Charles Lebrun : A propos d'un ouvrage de John Vader.

- Charles Le Brun & Jean MoncelonArmel Guerne. L’Annonciateur, éditions Pierre-Guillaume de Roux (qui nous a quitté le 11 février 2021 à 57 ans), 2016 (194 pages, 20,90 €).

- Jean Moncelon (sur son site), Armel Guerne – poète.

- Jean-Dominique Rey, Armel Guerne – un poète absolu, dans Le Matricule des Anges n°34 avril 2001.

- Henri Rosset, Armel Guerne ou le tocsin de l’Absolu, dans PHILITT (Philosophie Littérature et Cinéma), 30 novembre 2022.

- Jean-Yves Masson, introduction à Armel Guerne - La nuit veille (éditions InTexte 2006).

- Jean Moncelon, Armel Guerne - Les Jours de l’Apocalypse. Genèse de l’ouvrage (Cahiers du Moulin : avril 2003).

- Armel Guerne, « Franchisseur d’abîmes, évocateur d’infini ». Journée d’étude organisée par Florence Schnebelen, Bernard Franco et Jean-Yves Masson. Samedi 20 novembre 2021 Amphithéâtre Chasles. Sorbonne – Lettres.

- L’article Armel Guerne (1911-1980). Poète et traducteur dans l’encyclopédie Larousse.

- La préface de Sylvia Massias au volume anthologique Le Verbe nu. Méditation sur la fin des temps, Seuil 2014.

 

(2) Voir « Sans amour et sans haine », texte paru dans la revue Juin, 15 octobre 1946, ou « Et voici mon année », inédit non daté, reproduits dans Le verbe nu, 2014, pp. 165-169 ; 170-173.

(3) Voir dans ce sens « Hölderlin ou le mystique malgré lui », texte paru dans la revue La vie spirituelle, 1953, reproduits dans L’âme insurgée, 2011, pp. 57-91 (en particulier pp. 80-82).

(4) Cité de « Factum est », texte inédit non daté, reproduit dans Le verbe nu, 2014, p. 216.

(5) Son verbe, poème daté du 18 octobre 1969, reproduit dans Le poids vivant de la parole, 2007, p. 49.

(6) Cité de Temps des signes (1957), reproduit dans Le poids vivant de la parole, 2007, pp. 13-15.

(7) Cité de « Entre nous » (1979), d’après Le poids vivant de la parole, 2007, p. 134.

 

©Dana Shishmanian

 

 

Une vie, un poète : Armel Guerne

Francopolis septembre-octobre 2023

Recherche Dana Shishmanian

 

Créé le 1 mars 2002