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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

Hiver 2024

 

 

Émilienne Kerhoas, grande voix de la poésie bretonne.

 

Par Patrice Perron

 

(*)

 

 

Émilienne Kerhoas

(Née Saleun le 25 juin 1925 - Décédée le 10 novembre 2018 à Brest)

Nom du photographe inconnu

 

 

Dans le creux des mots comme dans le creux de mes mains,

je bois ce qui jamais n’étanchera ma soif.

Dans Lueurs aiguës et nœuds, Éditions de La sirène étoilée, 2014.

 

 

La vie court son chemin… (évocation)

Je n’ai sans doute pas la légitimité indiscutable que peuvent avoir d’autres auteurs à parler d’Émilienne Kerhoas, ceux qui depuis longtemps l’ont côtoyée, ont animé des lectures autour de son œuvre  et entretenu des échanges suivis et réguliers avec elle, comme Jean-Paul Kermarrec, Jean-Albert Guénégan, Pol Huellou, Marc Legros, Yves Piquet, entre autres, mais aussi des plus récents comme Alain-Gabriel Monot et Gilles Plazy (venu s’installer à Trégunc). J’en oublie, qu’ils m’en excusent. Mais je le fais quand même, pour l’estime que je lui ai portée depuis longtemps.

Sans oublier le premier, à la toute fin des années 50, qui va jouer un rôle important dans le développement de son parcours : Jean Germain, éditeur et directeur de la revue Les Nouveaux Cahiers de Jeunesse, à Bordeaux. Dans sa revue, dès 1962, nous retrouvons, aux côtés d’Émilienne, par exemple, Jean Chatard, Jean Mével, Robert Momeux, Clovis Sergeant, André Blanchard, entre autres.

Le second c’est Jehan Despert, qui lui consacrera un essai en 1976, Profil poétique d’Émilienne Kerhoas. Ils écriront ensemble un essai consacré à André Blanchard en 1980.

Pour ma part, je l’ai rencontrée dans un salon, en 1980 (j’étais jeune à l’époque et je n’avais que quelques minces recueils à mon actif), salon dans lequel je lui ai acheté Épars (paru en 1969) dont la 4ème de couverture contient 4 lignes de présentation écrites par André Blanchard. Ce livre constitue pour moi la porte d’entrée au travail d’Émilienne. Un recueil que je considère, encore aujourd’hui, comme l’un des plus modernes de son écriture. Elle y associe des poèmes rimés aux vers alternant les longueurs, mais réguliers à distance (par exemple 8, 6, 8, 6 pieds dans une strophe), de brefs poèmes en prose d’une légèreté d’écriture remarquable même si le sujet ne l’était pas forcément, et des poèmes aux vers de même longueur, de facture plus classique. D’ailleurs, les textes en prose sont présentés en italique. Et il y a déjà un chapitre dédié à sa fille Catherine. Ce qui tranchait, à l’époque, avec son premier recueil, Saint-Cadou, paru en 1957 chez Jean Germain, déjà lui, dans lequel les vers sont libres. Ce recueil a été réédité par Gilles Plazy, aux éditions de La sirène étoilée, en 2014, dans une version modernisée.

 

 

Cette présence simultanée de vers et de prose se retrouvera dans les recueils À fleur d’âme et Les Marches, toujours publiés chez Jean Germain, aux éditions Les nouveaux cahiers de jeunesse en 1976 et 1978.

Peu de temps après, en 1984, j’ai voulu acheter Le sens du paysage, paru en 1974 aux Éditions Jean Germain. Il était épuisé et Émilienne m’a dit qu’elle trouverait une solution.

Qu’elle ne fut pas ma surprise de recevoir juste début décembre, un peu avant Noël, une lettre et un épais cahier à la couverture noire, dans lequel était reproduite, de sa main, l’intégralité du recueil. Et comme le cahier n’était pas rempli, elle avait ajouté tout le recueil, alors inédit, intitulé La mort impossible, préfacé par Christian Bobin, excusez du peu. Quel cadeau ! Ce recueil sera finalement autoédité et imprimé chez Cloître imprimeur en 1988, ad integrum, après avoir été refusé, de son propre aveu, par Rougerie (dont ce n’est pas le format d’écriture), Prié et Lettres Vives. Ils doivent aujourd’hui savoir ce qu’ils ont raté !

 

 

 

Depuis lors, nous avons échangé régulièrement, par courrier et par téléphone, même quand Internet et les mails sont apparus. Internet ne l’intéressait pas vraiment. J’ai eu l’occasion de lui rendre visite quand elle s’est installée au Faou. (Je l’avais rencontrée Rue de l’observatoire, à Brest, où elle a habité à un moment de sa carrière d’institutrice). D’ailleurs, un jour, m’étonnant de son changement d’adresse au Faou (de Route de Brest, elle passait à Rue du Docteur Bourhis), elle me répondit : j’ai changé d’adresse, mais pas de maison.

La mort de Jacques, son mari (initiateur des classes de mer) l’a profondément bouleversée.

Il en naîtra le beau recueil La pierre du jardin, édité par Double Croche.

 

 

L’apparition des Éditions Double Croche dans le parcours d’Émilienne n’est pas un hasard. C’est la rencontre avec Yves Piquet, avec qui elle va travailler. Cela débouchera sur la publication de 4 livres d’artistes, dont La flèche du temps en 1994 et Le champ de l’ombre en 2004. Yves Piquet a réalisé des ouvrages avec de nombreux artistes à partir de 1984 et Émilienne en a fait partie.

En 1984 parait, chez Subervie, un recueil extrêmement différent de tout ce qu’elle a écrit avant ou après cette publication, comme une parenthèse (mais quelle parenthèse !) : Sous le soleil très haut. C’est presque du théâtre, mais en prose à l’exception de quelques textes. Dans Petite suite mythique, elle écrit :

 

Homme jeune, tu as le silence et la parole comme deux domaines distincts et tu ne sais pas encore, dans ton langage, inclure l’indicible.

Mais tes mots sont ailés et germent sans qu’on le veuille.

 

 

La vie court son chemin, de bonheurs et de drames. Émilienne, une nouvelle fois, est touchée par la mort d’un être cher : après Jacques, son mari, c’est Catherine, une de ses filles, qui frappée par un cancer des voies respiratoires, décède en 2015. Qu’y a-t-il de pire, pour un parent, que de voir partir un de ses enfants avant soi ?

Émilienne, peut-être pour initier son deuil, se met à écrire, jusqu’à construire un recueil puissant, simplement intitulé Catherine. Elle y écrit un préambule, dont cet extrait (daté du 28 décembre 2015) :

 

Catherine,

Sur ce joli livret (offert par Françoise et Carlo Aventuriero), aux belles pages parsemées de points d’or, je te parle et je t’écris, je te chante.

 

 

 

La douleur et le chagrin sont omniprésents, mais dignes, et porteurs de valeurs humaines dont la résilience et l’espérance spirituelle. Chaque texte est dédié à un proche, membre de la famille ou ami.

Quelques mois après ce drame que j’ignorais, Émilienne m’a posté ce recueil, mince plaquette de 28 pages. Je lui ai demandé :

- Aimerais-tu que je fasse une note de lecture ?

La réponse a été directe :

- Non. C’est trop personnel. C’est juste pour la famille, les proches et les amis.

Dont acte.

Puis, un jour de fin septembre 2018, au téléphone, Émilienne me dit : il faudrait choisir un jour pour que tu viennes déjeuner.

Nous n’avons pas eu le temps de nous retrouver. J’apprends, dans le journal, puis par confirmation d’amis poètes, qu’Émilienne vient d’être hospitalisée à La Cavale Blanche après un sévère AVC. Elle décède à l’hôpital de Brest le 10 novembre 2018.

Son inhumation a lieu au cimetière du Faou, en présence de sa famille, de ses proches et de nombreux poètes. Un bel hommage lui est rendu, notamment par la voix de Marc Legros.

 

Quelques autres poèmes

                

La maison dans Le sens du paysage.

Manuscrit de la main d’Émilienne

 

 

 

Résurrection. Dans la revue Les Nouveaux Cahiers de Jeunesse. 1962.

Éditions Jean Germain à Bordeaux

 

 


Dans Saint-Cadou

 

Dans Catherine.

 

Le poème bleu dans Le sens du paysage. Manuscrit de la main d’Émilienne.

 

 

Photo Yvon Kervinio dans Au fond de vos yeux. Éditions L’aventure Carto.

 

Bibliographie non exhaustive (uniquement en poésie)

Par Les Nouveaux Cahiers de Jeunesse, Jean Germain, à Bordeaux :

- Saint-Cadou. 1957

- À l’épreuve du temps. 1959.

- La terre Promise. 1963,

- Épars. Le 30 juin 1969. Jour de la Sainte Émilienne. (Marqué dans le recueil). Prix Valentine de Wolmar de l’Académie Française 1970.

- Le Sens du paysage. 1974.

- À Fleur d’âme. 1976.

- Les Marches. 1978.

 

Puis :

- Sous Le Soleil Très Haut. Subervie. 1984.

- La Mort Impossible. 1988. Auto-édition.

- Inapaisable Terre. 1993. Auto-édition.

 

4 ouvrages d’artiste avec le célèbre Yves Piquet et les Éditions Double Croche :

- La Flèche du Temps. 1994.

- Traversée. 1997.

- Falaises. 2000.

- Le Champ de l’ombre. 2004.

 

Avec les Éditions Double Croche :

- La Pierre du Jardin. 1999.

- Le tombeau de Théia, suivi de Arbre et Cristal. 2010.

 

Avec Les Éditions La Sirène Étoilée :

- Saint-Cadou. Réédition et nouvelle présentation. 2014.

- Lueurs Aiguës et Nœuds. 2014.

 

Avec Les Éditions Double Croche !

- Catherine. 2016.

 

 

Émilienne par Yvon Kervinio. 2017.

 

Tu peux retraverser le jardin endormi,

Les roses ont gardé le silence.

Dans Épars.

 

©Patrice Perron

 

 

(*)

Présentation de Patrice Perron :

« Je commets de la poésie, des nouvelles, des récits, des ouvrages avec différents artistes dont Yvonne Jarnoux, Georges Le Fur, Martine Rouat Pineau, Alis Thebe, George Point, Yvon Kervinio, Marie Lemaire. Et les contributions de Jean-Luc Guillemoto et Sophie Desvéronnières.

J’accompagne certains tableaux de Morwenna Calvez, de mes textes.

J’écris des articles en revues et je donne des récitals avec musicien(s). »

 

Photo de Patrice Perron par Yvon Kervinio

 

Patrice omet de dire ici qu’il a commis depuis 1977 à ce jour 36 livres – en auteur ou co-auteur : poésie, récits, nouvelles, réflexions…

Présent depuis quelques années dans les pages virtuelles de Francopolis, notamment aux rubriques Francosemailles et Créaphonie (notes de lecture), Gueule des mots (poèmes) et… Éditions spéciale Boules de Noël (poèmes).   

(D.S.)

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Une vie, un poète : Émilienne Kerhoas

Par Patrice Perron

Francopolis - Hiver 2024

Recherche Dana Shishmanian

 

Créé le 1 mars 2002