Choix de textes de Mahmoud Darwich
Avec un choix d’œuvres d’artistes palestiniens
en guise d’illustration
(**)
« Je suis celui qui est /
Et celui qui vient »
(Partie 1)
*
– Notre poème aura-t-il été
vain ?
– Non… Je ne le crois pas.
– Mais alors pourquoi la
guerre devance-t-elle le poème ?
(p. 187)
*
Le mort N° 18
L’oliveraie était
verte, autrefois.
Était… et le ciel,
Une forêt bleue…
Était, mon amour.
Qu’est-ce qui l’a
changée ainsi, ce soir ?
. . . . .
Ils ont stoppé le
camion des ouvriers à un tournant.
Calmes,
Ils nous ont placés
face à l’est… Calmes.
. . . . .
Mon cœur était un
oiseau bleu, autrefois… Ô nid de mon amour.
Et tes mouchoirs
étaient chez moi, blancs. Étaient, mon amour.
QU’est-ce qui les a
souillés, ce soir ?
Je ne sais, mon
amour !
Ils ont stoppé le camion
des ouvriers au milieu du chemin.
Calmes,
Ils nous ont placés
face à l’est… Calmes.
. . . . .
Je te donnerai tout,
L’ombre et la
lumière,
L’anneau des noces
et tout ce que tu désires,
Un jardin d’oliviers
et de figuiers,
Et la nuit, je te
rendrai visite, comme à l’accoutumé.
J’entrerai, en
effet, par la fenêtre… et je te lancerai une fleur de sambac.
Et ne m’en veux pas
si j’ai du retard.
C’est qu’ils
m’auront arrêté.
. . . . .
L’oliveraie était
toujours verte.
Était, mon amour.
Cinquante victimes
L’ont changée ne
bassin rouge au couchant… Cinquante victimes,
Mon amour… Ne m’en
veux pas…
Ils m’ont tué…. Tué
Et tué…
1967
Sliman Mansour, Olive harvest (2013)
*
Autre mort… et je t’aime
(3)
J’ai entendu mon
sang et je t’ai écoutée.
Mais tu n’étais pas
encore arrivée.
Le lilas était la
couleur du départ
Et je tournais avec
le soleil.
Toi, le possible
chimérique.
L’ombre des palmiers
couvraient nos pas qui se formaient
Depuis ce matin et
hier.
Et nous tournions
avec le soleil.
J’étais le tué qui
ne revient pas.
J’ai oublié les
funérailles derrière les frontières de tes mains,
J’ai entendu mon
sang et je t’ai écoutée…
Où aller ?
Je n’ai pas les clés
de ma maison
Et ma maison n’est
pas devant moi.
Je ne possède pas
d’arrières, derrière moi,
Ni d’avants,
par-devant moi.
Où aller ?
Mes sangs me
pourchassent, les guerres me font la guerre et les points cardinaux
Me fouillent pour
trouver mes destinations.
Je pars dans une
direction inexistante
Comme si tes mains sur
mon front étaient deux instants.
Je tourne tourne
Et elles demeurent
là.
Je marche marche
Et elles ne viennent
pas.
L’éternité tes
mains.
Aah d’un temps dans
un corps !
(…)
Où aller ?
Les ruisseaux
demeurent dans mes veines
Et les épis
croissent sous mes habits.
Les maisons sont
désertées dans les lignes de ma main,
Les chaînes
s’enroulent autour de mon sang
Et je ne dispose pas
d’avants, par-devant moi,
Ni d’arrières,
derrière moi.
Comme si tes mains
étaient le seul lieu,
Le pays.
Aah d’une patrie
dans un corps !
1973
Heba Zagout,
Paix (2020)
*
Telle est son image, et voici le suicide de l’amant
(…)
Je suis l’adversaire
des liens.
Un oiseau est passé,
il m’a bordé et a voyagé.
Un oiseau est passé
et m’a pétrifié, ombre sur les pierres.
L’ombre peut-elle
vivre ?
La nuit est venue.
Venue la nuit. Venue la nuit.
De sa main et de son
sommeil.
Je suis l’adversaire
des liens.
Les arbres boivent
nos morts et grandissent dans leurs disparus.
Je suis l’adversaire
des liens
Et contre l’éternel
recommencement.
Telle est ma langue.
Je suis l’adversaire
des commencements.
Prolonger un fleuve
de musique qui consigne mon histoire et me dépouille des détails de
l’identité,
Telle est ma langue.
Je suis l’adversaire
des épilogues.
Que notre chose soit
notre propre commencement et sa fin et que je parte,
Telle est ma langue…
Et je témoigne qu’il
est mort, le papillon, le marchand de sang, l’amoureux des portes.
J’ai une cellule de
prison qui s’étend d’une année… à une langue,
D’une nuit… à des
chevaux,
D’une blessure… aux
blés.
Et j’ai une cellule,
érotique comme la mer.
Il dit : Ma
bien-aimée, vagues de mer.
Et il passa sa vie
dans le mur ondulant… le plafond bas
En son rêve fugitif.
Je suis le locuteur
absent.
J’attendrai mon
attente. Je connaissais mon je,
Car mon enfance est
un homme que j’aime…
Et j’aime la femme
qui passe par ma mémoire et mes feux
Et ne demeure, ni
s’en va.
J’aime une mouette
que j’ai nommée patrie.
Je suis l’adversaire
des liens, du commencement et de l’épilogue, l’adversaire de mes noms.
Je suis le locuteur
absent.
Il disparaît. J’ai
vu ses yeux,
Assisté à la chute
de ma fenêtre.
Céleste est la mer
qui, auprès de ma mémoire, a dérobé les rues à ses mains.
Il disparaît et les
cloches sonnent dans la distance séparant ses pas de mon sacrifice.
Céleste est la mer
qui, auprès de ma mémoire, a dérobé les lettres à ses mains.
Je viens de
l’au-delà des choses et à travers elles.
Je viens à satiété
des baisers de mon aimée, à portée de vue de l’oubli.
Je viens de ses
cellules,
De sa colonne
vertébrale, je viens
De son foudroiement
par le miel du désir,
À satiété de ses
frémissements,
À portée de vue de
l’oubli
Et je détiens un
temps que consignent les graines du plaisir et l’herbe qui s’étend
Derrière les choses
et l’oubli.
Et je viens.
J’étais le témoin de
l’oubli et son témoin,
Me voici son martyr
et le sien.
Des martyrs, je
viens
Aux martyrs.
Je suis le locuteur
absent.
Je suis celui qui
est
Et celui qui vient.
(…)
(pp.
104-106)
Abdel
Aziz Ibrahim, Bitter fruit (1984)
(…)
Les jours m’ont
dit :
Va vers le temps,
Tu trouveras ta
place apprêtée dans le temps de tes yeux.
J’ai alors
dit : Une existence entière ne suffirait pas pour l’embrasser, et
l’existence…
Les jours m’ont
dit :
Va vers le lieu,
Tu trouveras ton
temps, revenu des vagues de tes yeux.
J’ai alors
dit : Un corps ne suffirait pas pour l’apercevoir, et cette mer…
Quel est le nom de
la terre ?
Mer verte. Traces de
pas. États-croupions. Bandits. Amantes.
Prophètes. Lais quel
est donc le nom de la terre ?
La silhouette d’une
amante qui t’abandonne près de la mer.
Quel est le nom de
la mer ?
Confins de la terre.
Sa sentinelle. Encerclement de l’eau. Bleue bleue. Deux mains se sont
déployées pour l’étreindre et les flibustiers, primitifs et modernes,
célébrèrent un cadavre.
J’ai alors
crié : Es-tu la mer ? Quel est le nom de la mer ?
Le corps d’une
amante qui t’abandonne près de la terre.
Les jours nous ont
dit :
Vous vous
rencontrerez. Vous ne ferez plus qu’un. Vous vous répandrez.
J’ai dit : Elle
recèle des explosions,
Comme si les
orangers étaient sa fournaise éternelle.
Tu exploses. Tu
exploses. Tu exploses dans ma poitrine et ma mémoire
Et je m’élance de
tes éclats en liberté, rose, première balle, oiseau dans l’horizon
attenant.
Et je me prolonge
dans tes éclats en liberté.
Un fleuve de
chansons d’amour coule dans un éclat.
Le vent m’a
dispersé, j’ai étouffé des voix de millions d’êtres
Et je me suis élevé
sur l’écho et les couteaux.
Merci ! Je dors
sur les gravats et ils s’envolent.
Merci à la
rosée !
Et entre les doigts
des pauvres, je passe, épi, banderole, et mouture d’un fusil.
Contre le vent,
Tu exploses dans
toutes les directions
Et la langue des
chansons s’achève lorsque tu commences.
En toi, les chansons
trouvent leur métal… leurs balles… et leurs images.
Et je dits : La
mer. Non !
Et la terre !
Non !
Entre toi et moi, il
y a Nous !
Partons nous
anéantir et que s’assemble l’adieu.
(…)
1975
(pp.
114-116)
Abdel
Aziz Ibrahim, A
Blossom in Shatila - 2 (1982)
*
Nous sortirons
Nous
sortirons.
Nous l’avons
dit : Nous sortirons.
Nous vous l’avons
dit : Nous sortirons un peu de nous-mêmes. Nous sortirons de
nous-mêmes
Vers une marge
blanche, méditer le sens de l’entrée et de la sortie.
Nous sortirons d’ici
peu. Notre Père qui était en nous est rentré chez sa Mère, le Verbe.
Nous avons
dit :
Nous sortirons.
Étrennez une foule en l’honneur d’un sang qui a débordé de nous
Et inondé vos
canons. Arrêtez, cinq minutes, ces avions en piqué.
Interrompez, trois
minutes encore, le bombardement par terre et par mer,
Que sortent ceux qui
sortent et entrent ceux qui entrent…
Nous sortirons. Nous
avons dit : Nous sortirons.
Laissez donc une
petite place pour les derniers adieux.
Que la paix soit sur
nous, que la paix soit sur nous.
(…)
Nous sortirons.
Nous avons
dit : Nous sortirons un peu de nous-mêmes, vers nous.
Nous sortirons de
nous-mêmes
Vers la parcelle de
mer blanche, bleue. Nous étions là-bas et là.
L’absence métallique
signale notre présence. Beyrouth était là-bas. Et là.
Et nous étions sur
la parcelle de terre ferme, une horloge et une journée d’œillets.
Adieu à ceux qui,
peut-être, de notre temps, viendront silencieux
Et de notre sang,
viendront debout pour que nous entrions.
Nous sortirons.
Nous avons
dit : Nous sortirons lorsque nous rentrerons.
1986
Irina Naji,
Jérusalem
*
(Partie
2)
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