Lettre à un ami de Ligurie
Un jour, je
me suis surprise à ne plus
lire Philippe
Jaccottet peut-être
parce qu’il
n’avait pas aimé Ingeborg
Bachmann ou
pour une chose
inconnue et
sans raison
mais j’ai pu
me l’avouer
et le silence
m’a aimée un peu plus,
entourée de
ses solitudes lunaires, j’ai voulu prendre
le temps pour
comprendre comment j’ai pu
quitter la
langue de ma mère et migrer vers
une langue
arrachée à la terre natale d’un peuple
qui ne m’a
pas vue naître.
J’ai été
heureuse dans ce pays étranger qui était
plein de mon
passé jamais vécu.
J’étais chez
moi ici chez l’autre page blanche.
Et comme le
dauphin au milieu de la mer,
j’étais
présente dans cette langue de terre
scandaleusement
amoureuse de moi
mais qui ne
me donnait aucun cadeau,
seulement une
tâche infinie.
Seule, près d’un olivier
1.
Tu t’emmures ici
sous un rocher
sans oracle.
Ta voix d’airain est
flèche transperçant la pierre,
traversant l’orage.
Tu es l'olivier qui ne connait
ni la révolution des astres,
ni l’errance.
Sans bénédiction,
sans amis,
tu es mon peuple.
Et le poème dans tes feuilles
se dépouille lentement de mots,
le vent lui ouvre des ailes.
2.
Quand l’exil te rend inutile
et brûle tes larmes,
son tronc t’apaise
dans ses plaies arides,
tu peux encore être
la source de ses silences :
guérir comme lui,
les mots le peuvent aussi.
Tissage sur l'absence
Toute chose
qui ne me rassure guère ouvre
une brèche
vers le poème.
Une écologie
de la peur
ne soigne pas
les arbres.
Mes yeux
aiment se perdre de vue
dans les
vagues.
Le vent agite
les flammes,
leur danse
m'apaise.
Ici, les bruits deviennent craintifs,
leur discrétion laisse la place aux oiseaux. Le silence habite leurs chants
et plus tard, un cri, un jappement, le vent dans les feuilles d’argent des
oliviers.
Les canards sauvages
Les canards
sauvages même en hiver
ont les
alizés sereins dans les ailes,
leurs plumes
chantent doucement dans l’eau
pour que le
bleu puisse s’élancer vers le bleu
d’azur et se
rapprocher de la mer où roulent
les galets
qui portent vers le fond, les noms
de nos amis
condamnés au naufrage.
Lecture d'un bourgeon d’amandier
Passe par ce
rêve sur une route solitaire
ici illumine la
douleur
jamais trop tard
pour notre
joie d'aimer.
Regarde-moi
mourir d'une si belle mort
étrangère dans
la maison des amandiers
jamais trop tard
mourir trop tôt.
De ma table, sur le mur d'en face, mon regard
traverse deux fenêtres. La fenêtre de gauche me situe clairement ici, dans
l'espace. La fenêtre de droite ouvre sur le temps d'il y a quelques
siècles. Je ne parviens pas à m'expliquer cette expérience qui se répète en
douceur chaque fois.
©Maria Maïlat (février 2021)
Le paysage de l’arrière-pays et la femme
La femme
regarde le paysage, chaque matin et chaque soir. Un paysage est rare et ne
pousse pas dans les villes, ni dans les villages, ni aux alentours des
autoroutes. Un paysage se laisse approcher plus difficilement qu'un animal
sauvage.
La
femme ne s'aperçoit pas que son corps change pendant qu'elle regarde
le paysage.
Le
regard du paysage qui la regarde est une sorte de capsule qui respire,
s'agrandit dans sa transparence, émane un air divin à
respirer, déploie des voiles immenses dans ses mouvements qui caressent le
corps de la femme. Le regard du paysage enveloppe ce corps solitaire qui
s'offre à lui chaque matin et chaque soir. Ce n'est pas une fleur bleue
même si les prunelles des yeux ressemblent à des bleuets azurés à peine
éclos. Et le corps change en y absorbant des écorces, des fleurs, des
épines, des feuilles, mille sortes de poussières fines et de sable,
des pluies, de la grêle, de la neige, des fourrures et des pelages,
d'innombrables ailes et des reflets de lumière remplie d'obscurité et de
silence. Ainsi, le malheur transformé en joie tisse dans le corps
de la femme tout le paysage jusqu'à ce que le paysage et elle ne
forment qu'un. Ainsi, elle peut enfin se laisser vivre baignée de
l'intérieur par l'amour. Et l'idée que la vie l'aime est présente en elle
autant que les dernières feuilles de l'amandier qui lui a fait espérer
cette métamorphose.
©Maria Maïlat (publié
sur son blog le
18 Juillet 2018)
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