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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

 

 

Mars-Avril 2021

 

 

« Le silence m’a aimée un peu plus… »

 

 Photographies et poèmes inédits de Maria Maïlat

 

(*)

« Je me suis cachée très bien ! » (février 2021)

 

 

Lettre à un ami de Ligurie

 

Un jour, je me suis surprise à ne plus

lire Philippe Jaccottet peut-être

parce qu’il n’avait pas aimé Ingeborg

Bachmann ou pour une chose

inconnue et sans raison

mais j’ai pu me l’avouer

et le silence m’a aimée un peu plus,

entourée de ses solitudes lunaires, j’ai voulu prendre

le temps pour comprendre comment j’ai pu

quitter la langue de ma mère et migrer vers

une langue arrachée à la terre natale d’un peuple

qui ne m’a pas vue naître.

J’ai été heureuse dans ce pays étranger qui était

plein de mon passé jamais vécu.

J’étais chez moi ici chez l’autre page blanche.

Et comme le dauphin au milieu de la mer,

j’étais présente dans cette langue de terre

scandaleusement amoureuse de moi

mais qui ne me donnait aucun cadeau,

seulement une tâche infinie.

 

 

 

Seule, près d’un olivier

 

1.

 

Tu t’emmures ici

sous un rocher 

sans oracle.

 

Ta voix d’airain est

flèche transperçant la pierre,

traversant l’orage.

 

Tu es l'olivier qui ne connait 

ni la révolution des astres, 

ni l’errance.

 

Sans bénédiction, 

sans amis, 

tu es mon peuple.

 

Et le poème dans tes feuilles

se dépouille lentement de mots,

le vent lui ouvre des ailes.

 

 

2.

 

Quand l’exil te rend inutile 

et brûle tes larmes,

son tronc t’apaise 

dans ses plaies arides,

tu peux encore être 

la source de ses silences :

guérir comme lui, 

les mots le peuvent aussi.

 

 

 

Tissage sur l'absence

 

Toute chose qui ne me rassure guère ouvre

une brèche vers le poème.

 

Une écologie de la peur

ne soigne pas les arbres.

 

Mes yeux aiment se perdre de vue

dans les vagues.

 

Le vent agite les flammes,

leur danse m'apaise.

 

 

 

Ici, les bruits deviennent craintifs, leur discrétion laisse la place aux oiseaux. Le silence habite leurs chants et plus tard, un cri, un jappement, le vent dans les feuilles d’argent des oliviers.

 

 

 

Les canards sauvages

 

Les canards sauvages même en hiver

ont les alizés sereins dans les ailes,

leurs plumes chantent doucement dans l’eau

pour que le bleu puisse s’élancer vers le bleu

d’azur et se rapprocher de la mer où roulent

les galets qui portent vers le fond, les noms

de nos amis condamnés au naufrage.

 

 

 

Lecture d'un bourgeon d’amandier

 

Passe par ce rêve sur une route solitaire

ici illumine la douleur

jamais trop tard

pour notre joie d'aimer.

 

Regarde-moi mourir d'une si belle mort

étrangère dans la maison des amandiers

jamais trop tard

mourir trop tôt.

 

 

 

De ma table, sur le mur d'en face, mon regard traverse deux fenêtres. La fenêtre de gauche me situe clairement ici, dans l'espace. La fenêtre de droite ouvre sur le temps d'il y a quelques siècles. Je ne parviens pas à m'expliquer cette expérience qui se répète en douceur chaque fois.

 

©Maria Maïlat (février 2021)

 

 

Le paysage de l’arrière-pays et la femme

 

La femme regarde le paysage, chaque matin et chaque soir. Un paysage est rare et ne pousse pas dans les villes, ni dans les villages, ni aux alentours des autoroutes. Un paysage se laisse approcher plus difficilement qu'un animal sauvage.

La femme ne s'aperçoit pas que son corps change pendant qu'elle regarde le paysage.

Le regard du paysage qui la regarde est une sorte de capsule qui respire, s'agrandit dans sa transparence, émane un air divin à respirer, déploie des voiles immenses dans ses mouvements qui caressent le corps de la femme. Le regard du paysage enveloppe ce corps solitaire qui s'offre à lui chaque matin et chaque soir. Ce n'est pas une fleur bleue même si les prunelles des yeux ressemblent à des bleuets azurés à peine éclos. Et le corps change en y absorbant des écorces, des fleurs, des épines, des feuilles, mille sortes de poussières fines et de sable, des pluies, de la grêle, de la neige, des fourrures et des pelages, d'innombrables ailes et des reflets de lumière remplie d'obscurité et de silence. Ainsi, le malheur transformé en joie tisse dans le corps de la femme tout le paysage jusqu'à ce que le paysage et elle ne forment qu'un. Ainsi, elle peut enfin se laisser vivre baignée de l'intérieur par l'amour. Et l'idée que la vie l'aime est présente en elle autant que les dernières feuilles de l'amandier qui lui a fait espérer cette métamorphose.

©Maria Maïlat (publié sur son blog le 18 Juillet 2018)

 

 

 

(*)

Je remercie l’auteure pour l’accord de publication de ses photographies artistiques et de ses textes inédits. (D.S.)

 

Pour faire connaissance avec l’œuvre de Maria Maïlat, poète et écrivaine, critique de théâtre et d'art, anthropologue, photographe, aller sur le site de Fayard, sur Babelio, sur son blog, et commander certains de ces livres ici. On peut lire des poèmes d’elle dans Paysages écrits de décembre 2015 ou sur le site Terre des femmes, et des proses sur le site Temporel. On peut également lire des poèmes d’Attila Zsolt Papp en sa traduction dans Recours au poème.

Présence à Francopolis : dans notre rubrique D’une langue à l’autre de septembre 2017 avec un groupage de textes de la poète hongroise Agota Kristof en sa traduction, et un coup de cœur au précédent numéro.

 

 

 

Créaphonie : Maria Maïlat

Francopolis, mars-avril 2021

Recherche Dana Shishmanian

 

 

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