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Les fleurs du silence


RENCONTRE AUTOUR DU HAÏKU


- L'enfance

- Le silence

Thierry Cazals & Jack Kerouac


 rebonds de Thierry Cazals
recueillis par Juliette Schweisguth


Quand et comment as-tu découvert le haïku ?

Impossible de dater précisément ce "quand". D'ailleurs, de façon générale, je ne suis pas vraiment ami avec les dates. Les vraies rencontres, celles qui changent réellement le cours d'une existence, font exploser toute chronologie. L'avant ? L'après ? Tous ces repères sont des ornières, des garde-fous destinés à nous protéger du vertige de l'éternité. Les vraies rencontres, elles, abolissent l'illusion du temps et nous relient à notre être premier : un état sans division, où tout est présent, tout est déjà là.
Le haïku et moi, c'est comme si nous nous étions toujours connus. Je n'ai jamais ressenti une telle familiarité, une telle osmose avec un autre genre poétique quel qu'il soit. J'ai l'impression que cette rencontre continue de se déployer au fond de moi et qu'elle n'a ni début ni fin.
Cela dit, je n'ai pas envie de fuir le tranchant de ta question. Disons donc que mon premier "contact" avec le haïku remonte à une dizaine d'années environ. À l'époque, je venais de traverser une longue période d'intense exploration intellectuelle : études de sciences politiques, doctorat de sociologie, journalisme aux Cahiers du Cinéma… Je vivais beaucoup dans les concepts et les théories. Mon écriture s'en ressentait : opaque, compliquée, labyrinthique. J'aurai pu continuer à errer longtemps dans ce labyrinthe, victime du minotaure suprême : la prétention de pouvoir tout expliquer par le seul biais de l'abstraction. En fait, au fond de moi, j'aspirai à tout autre chose : la limpidité, la simplicité, l'évidence. Je cherchai une forme d'écriture qui me permette de me frotter directement à l'épiderme du monde. Je ne savais pas que cette recherche me conduirait jusqu'au Japon : un pays que je n'ai jamais visité physiquement, mais où je me suis senti tout de suite "chez moi". Ma première rencontre concrète avec le haïku a été l'anthologie de Maurice Coyaud, Fourmis sans ombre, que mon frère aîné Alain me fit lire un jour. Je plongeai avec joie dans cet océan-là. Un océan de la taille d'une goutte d'eau.



Goutte de rosée
Toute ronde
Panique chez les fourmis

(Bosha)



Ces brefs poèmes de trois vers donnaient l'impression de ne presque rien dire, pourtant j'appréciai sur le champ leur humour, leur densité, leur fulgurance (on était loin de ma thèse de 700 pages sur les mutants dans la science-fiction !). Un peu plus tard, je découvris l'anthologie de Roger Munier, aux éditions Fayard, puis les haïkus d'Issa aux éditions Moundarren…



Les montagnes lointaines
Se reflètent dans les prunelles
De la libellule

(Issa)



Le labyrinthe venait de prendre feu et, avec lui, l'envie d'enfermer le monde entre les parois d'un système. Je venais de redécouvrir la saveur de l'Ouvert. Une découverte qui s'apparente plus à des retrouvailles secrètes. Le haïku ne nous apprend rien. Il nous déleste, nous vide de toute prétention. Il nous invite à redevenir ce que nous sommes : une vaste caisse de résonance prête à vibrer au moindre frisson de vie. Inutile d'emporter trop de bagages dans ce voyage-là. Tôt ou tard, il nous faudra tout abandonner sur le bas-côté du chemin. Au final, on ne se retrouve pas plus intelligent ou plus savant. Mais plus nous-mêmes. Comme l'exprime cet aphorisme d'Henri Michaux : « La porte de la perruche ouvre sur une perruche. »

 

.....suite : L'enfance


Créé le 1 mars 2002

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