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Les fleurs du silence


L'ENFANCE


-rencontre autour du haïku

- Le silence

- Thierry Cazals et Jack Kérouac


 rebonds de Thierry Cazals
recueillis par Juliette Schweisguth

suite..

Puis-je comparer ces retrouvailles en imaginant que le haïku serait comme l'enfant vivant en toi qui te prendrait par la main et qui te montrerait le monde de merveille en étonnement, avec un regard lavé de ses clichés ?

Oui, l'art du haïku a une forte parenté avec l'enfance. Pas seulement l'enfance chronologique, limitée aux premières années de vie, mais aussi et surtout, l'enfance intérieure, cet état d'ouverture et de porosité originelles, cette cascade d'éternelle jouvence qui irrigue les sous-sols de notre vie — même si nous n'y faisons pas attention.
J'anime, depuis quelques années, des ateliers sur le haïku dans des écoles réputées "difficiles" et je suis à chaque fois surpris par l'incroyable fraîcheur poétique du regard des enfants. Bien sûr, cette fraîcheur est parfois entravée par des peurs, des fermetures, des conditionnements. Comme chez les adultes, il faut parfois creuser en profondeur pour faire jaillir l'eau vive de la poésie. Mais, derrière chaque visage d'enfant, on sent cette eau libre qui frémit, qui frissonne. À titre d'exemple, je citerai ce poème de Paloma, une petite fille de CE2, jusqu'ici en situation de semi-échec scolaire :



Allongée sur ma pelouse
J'entends les oiseaux chanter
Je fais un aller sans retour



Voilà le chant d'une enfant qui sait que la vie ne se résume pas à accumuler des connaissances, capitaliser du savoir. Ce chant nous invite, sans plus attendre, à larguer les amarres, ouvrir toutes les cages, accepter de se perdre… pour mieux se retrouver.


Si l'on enseignait l'art du haïku à chaque enfant, deviendrait-il un adulte autre ?

J'aimerais le croire. J'aimerais croire que la simplicité et la fulgurance du haïku ont le pouvoir de rayonner sur toute une vie, et même au-delà…
Écoutons Fanélie (une élève de CE2) :



Ils se battent pour du beurre
Un papillon essaie
De les séparer



Cette délicatesse, cette perception fine et subtile, on rêverait qu'elles se prolongent à l'âge adulte. Il y aurait peut-être moins de guerres de part le monde…
On rêverait que les mots puissent délivrer l'homme de tous ses maux. Mais, la poésie, et c'est là sa force, n'agit pas de façon mécanique. Ses effets sont toujours imprévisibles, non reproductibles. On ne devient pas automatiquement "autre" au contact d'un poème. Tout dépend de l'intensité du contact. Tout dépend de notre degré d'engagement dans la rencontre. Notre cuirasse peut littéralement fondre sous l'action secrète du feu poétique ou seulement être effleurée par l'une de ses étincelles. Dans ce domaine, rien n'est joué d'avance…
Une chose est sûre, cependant : si des graines de poésie authentique ont été semées dans le cœur d'un enfant, il en naîtra toujours quelque chose, même si cela demande des années et des années pour se frayer un chemin vers la surface et éclore…
Parfois, la métamorphose est rapide. Au cours de mes ateliers dans les écoles, j'ai pu assister à de véritables éclosions instantanées. Ainsi, un petit garçon chétif, qui jusque là subissait passivement son surnom de "nain de jardin", a soudain eu le courage de déployer ses ailes. À la manière d'un chamane amérindien, il s'est rebaptisé "Plume d'Aigle" et s'est trouvé traversé par une inspiration pleine d'élan et de force, où l'immensité de la nature tenait une grande place. Écoutons-le :



Sous l'orage
Chantons, dansons
La danse de l'éclair



Un autre garçon, qui déclarait n'aimer que les jeux de "baston", s'est révélé être en fait une vraie boule de sensibilité. Voici la devise qu'il a composée pour se dévoiler :

« Ours griffeur, griffe tout, sauf les cœurs. »

Nous naissons tous avec un potentiel quasi-infini de germination. Ce qui fait la différence une fois parvenu à l'âge adulte, c'est la manière dont ce potentiel aura été accueilli, préservé, fertilisé tout au long de l'enfance.
« Si seulement les êtres humains pouvaient être plus respectueux envers leur fécondité… » constatait déjà Rilke.

 

Découvrir le haïku une fois adulte peut-il nous réconcilier avec l'enfant qu'on a été ? Cette découverte peut-elle faire renaître l'enfant perdu ou prisonnier en nous, lui redonner des graines et le libérer pour réconcilier une harmonie entre enfant-adulte ?

Oui, le haïku est un tremplin idéal pour "retomber en enfance". À travers lui, nous pouvons nous réconcilier avec notre enfant intérieur : cet état d'éternel commencement, cette dilatation extrême de la sensorialité, cette fraîcheur et cette souplesse de l'être qui autorisent toutes les rencontres…
Une des portes qui ouvre sur cette toute-disponibilité de l'enfance, c'est le silence. Les puissances du silence. Une façon d'habiter le monde sans immédiatement le tordre, le plier, l'enfermer dans les petites prisons de notre "moi jacasseur".
Quand je me penche sur mon passé, je m'aperçois que j'ai très peu de souvenirs d'enfance, si ce n'est cette sensation diffuse d'être assis, en paix, sans un mot, sans une pensée, en totale communion avec un champ de coquelicots, un papillon posé sur la pointe d'une ortie, le corps infiniment fluctuant de l'océan…
Ce silence-là n'était pas pour moi une fuite, un renoncement, mais un véritable bain de liberté où j'aimais m'enfoncer, me plonger, corps et âme…



 Nuages de toutes tailles
Insectes de toutes tailles
Solitude


Ce haïku (extrait d'un de mes livres, Le rire des lucioles) renvoie à cette sensation de solitude qui a parcouru toute mon enfance, une solitude vécue non pas comme un isolement, mais comme un élargissement infini, une plongée en apnée dans les eaux sans fond du silence.
Le silence a quelque chose à voir avec l'enfance extrême, c'est-à-dire la naissance. N'oublions pas que le petit d'homme naît totalement dénudé, privé de vêtement et de mot. Il est alors au maximum de son écoute, de son ouverture. Après, peu à peu, cette oreille finit par se refermer, se rétrécir, et c'est souvent avec des oreilles à moitié ouvertes ou au trois-quart fermées que nous plongeons, une fois devenu adulte, dans les eaux du silence. Cela explique la pauvreté du silence des soi-disant grandes personnes, un silence rempli de gêne, de rabâchages, de pensées étriquées…


Suite : Le silence


Créé le 1 mars 2002

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