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ARCHIVES FRANCO-SEMAILLES

 

Automne 2025

 

Héloïse Cerboneschi :

« Tu ne les entends pas… »

Poèmes inédits

 

©Jacques Grieu, Première gelée blanche

 

(*)

 

 

Tu ne les entends pas

Mais là où je suis

Les Moody Blues chantent comme les anges

Et c'est extra

 

Que te dire d’autre que l’insensé

Afin que mes sens

Qui ont perdu le sens de l’orientation

Retrouvent du bon sens ?

 

Ainsi flottait la queue de la comète

Voluptueuse sur l’Océan psychédélique

Où pourrissaient les Fleurs du Mal

Dans d’authentiques vases Ming

 

Lettres à Milena. Lettres à Lou. Lettre à Élise

Lettre morte oubliée dans la poche d’Oscar Wilde

La barbarie est une sublime décadence

Quand les blessures se portent comme des bijoux de pacotille

 

Enfin bref…

Rien n'est plus beau que les chants gothiques

S’élevant dans la transparence d’une cathédrale antarctique

Ou peut-être autre chose. Une chose inoubliable

Innommable

 

Une chose que l'on porte à son doigt

Comme un diamant noir

Une énigme miraculeuse

Mais qui n'existe pas.

 

 

***

 

T’aimer, est un enfer stalinien et mouvant

 

T’aimer, quand s’étirent sous ma cambrure

Luxurieuses et doucereuses comme des pelisses

Tes secrètes déviances

Quand ton souffle incandescent de tortionnaire

Brûle un par un mes organes de serpent d’ivoire

 

Tes incomparables veilles se succèdent

Et me décèdent

(Il y eut malgré tout compromission entre peaux sages)

À mi-nuit, la chambre est de pâleur septembrale

Et le lit se couvre de nos nudités entremêlées

 

Sous le bow-window toujours entrouvert

Des lenteurs de cargos fantômes dérivent

Et tandis que tu dors, plié dans le désordre

Ma nuque soutient le monde qui se défait

Et ma voix reconstruit le bruit originel

 

Mes mots d’amour te viendront

 

Écrits au revers du carbone

De nos nuits torpillées

Des mots rudes et blessants

Beaux comme l’orgasme inachevé

Et qui laisse à la langue

Cette défaillance sucrée/poivrée

Infiniment lacérante

 

 

***

 

Mais je suis restée là. Posée sur le canapé

La laine synthétique ne me réchauffe plus

Ce qui s'accumule m'exaspère à peine

Je pense parfois à Toi

Moins qu'aux arbres sacrifiés

Et aux petites bêtes qui cherchent un refuge

 

Une enfant qui jouait de la flûte traversière

A oublié le chemin de l’école

Un petit chien l'attend sous le porche

Je le nourris entre deux voyages

De très courts voyages

 

Le monde est plein d'humains qui m'exaspèrent

Le 5 juillet 1965, à Londres, sur la scène du Royal Opera

Sophia Cecelia Kaloyeropoulos, dite Maria Callas

Chantait en public pour la dernière fois

Je n’étais pas dans la loge d’honneur

Je n’étais nulle part. C’est mon habitude

 

Peut-être née, peut-être pas

Où est inscrite ma date de naissance ?

Les accoucheuses du boulevard de Port Royal

Sont des femmes très peu sages mais très discrètes

Beaucoup de bébés sont restés cachés et leurs mères

Les cherchent encore

 

En fait, je pense souvent à Toi

Surtout à tes cernes profonds qui m’avaient tant émue

Je les avais caressées de mon majeur droit

Pourquoi ?

Parce que c’est mon doigt le plus long et le plus habile

 

Tu avais eu quelques gestes plus inconvenants

Des gestes d’homme. Les femmes sont moins audacieuses

N’est-ce pas inconvenant de passer la main sous mon pull

Pour pianoter tout le long de ma colonne vertébrale ?

 

Enfin bref. Je pense constamment à Toi

À tes cernes qui se creusent chaque jour davantage

À ma date de naissance dont l’inconstance me tourmente

La nuit, la nuit seulement

Je relève les stores de la fenêtre de ma chambre

Un oiseau d’un autre quartier vient se poser

Sur l’oreiller qui ne sert à rien

 

Nous discutons. De ce qui cloche chez moi

Non ! C’est faux. Nous ne parlons que de Toi

De ton lieu de vie et des fleurs de paulownias

J’ai rempli toute une page de la même phrase

En anglais : Don’t let me down !

Je l’enverrai poste restante

Comme au siècle dernier...

 

***

 

La pendule donne une heure crépusculaire

Je contemple l’homme nu, avec souffrance

Le lit, comme un jardin à la française

Le désordre est ailleurs…

 

D’automnes et d’hivers ont ciselé

Une vilaine dédicace à ma bouche

Pourtant il faut sortir, marcher, piéger

Graver des noms sur les arbres

Le tien, le mien et me rappeler

Que ton ombre était ma forêt

 

Là, des enfants sans cerfs-volants

Ils sont armés, ils savent la guerre

Des hommes tristes, des chiens heureux

Des clowns jongleurs qui font la manche

Une funambule aux pas aveugles

Elle tombe et la foule n’applaudit pas

 

Mais la nuit

La lune est fuchsia, la lune est geisha

La lune hivernale aux yeux de miroir

Lumineuse, s’épanche et surprend

Écriture noire de colombe noire

Une vilaine dédicace à ta bouche

 

 

***

 

J’irai

M’assombrir dans l’abrupt de la Lune

Elle – Ma somnambulique solitude

Ma tristesse aux lèvres pâles

Descendue jusqu’à moi

Sanguine dans ses cratères peu profonds

Et cette musique à transpercer l’oubli

Comme le cri persistant du freux sous l’ondée

 

J’irai donc

Le corps et les cheveux tout froissés

D’une étreinte à chevaucher le temps

Harassante sur sa note ultime

Douce perdition / Semblant d’éternité

S’il me reste un peu d’albâtre au bout des doigts

À dessiner des incertitudes tombées du crépuscule

Je donnerai vie à la vague

 

Car vois-tu le désert 

N’a que faire de l’Antarctique

Écumant sa rage blanche

Renversant les brise-glaces

Balayant les bases et ses scientifiques

Tandis que

Sous la courbe des oiseaux migrateurs

Ses vaisseaux flegmatiques marchent l’amble

 

Au froid d’une saison monstrueuse

Là n’est plus ma désespérance

Ma sombre folie

Tu es revenu, à faire flamber mes nuits

Et le cobalt de mon regard

A saisi ta cage thoracique

Où se déglingue dans le fracas des Walkyries

Mon cœur suspendu au tien

 

 

***

 

Je suis cette femme solaire malgré l’errance

J’avance dans de prétendues ténèbres

Me dispersant comme une nuée d’insectes

Pour échapper à l’éblouissement de l’amour

 

L’amour n’est qu’une offrande fugitive

Un souffle de vent brûlant qu’emportent

Les oiseaux qui migrent sans jamais revenir

Je les ai suivis et tu m’as perdue, bien au-delà

Je suis dans l’éloignement de Toi car ta voix

A couvert ma voix et creusé

Avec ta rage d’homme invisible, amnésique

Dans ma cage thoracique

Ne laissant qu’une flaque de sang de mon cœur

 

Tu disais maintenant, demain, attends, plus tard

Je rampais dans un tunnel dégoulinant d’ecchymoses

Écoutant tes paroles brumeuses, confuses, mensongères

Oh ! Ne me dis plus rien. Je suis bien au-delà de Toi

 

Je reviendrai peut-être, le corps tatoué de cicatrices

Saoulée de l’obscur du sable saharien

Il pleuvra très doucement dans nos yeux repentis

Tu plongeras ta tête dans mon cou, entre mes cuisses

Pour y débusquer ce qu’il me reste d’amour de Toi

 

 

***

 

Mon désarroi

Quand l’arbre chétif me tend ses bras dénudés

Et quand

Dans sa méconnaissance de l’âme humaine

Il implore

Mais plus rien ne subsiste

Que le sublime envol de tes mains de pianiste

Des entrailles froides de la nuit

 

Monte un faisceau de spasmes et d’orgasmes

Ce n’est qu’une falaise à déplacer

Ou à contourner

Puis il y a Toi

Qui te nourris de la violence

Des lumières d’un bloc opératoire

 

Ce n’est pas comme si tu étais là

A t’ébrouer comme un chien

Dans tous mes no man’s lands

Ce n’est pas comme si la vie était en moi

 

Vois-tu, j’ai perdu mes détails, mon arrogance

Je me suis dénudée comme l’arbre

Est-ce toi qui disais

Que le sang est un vin imbuvable ?

 

 

©Héloïse Cerboneschi

 

(*)

 

Sur cette poétesse discrète et exigeante, voir notre présentation au Salon de lecture du numéro d’hiver 2024 (où sont rappelées aussi ses précédentes présences à Francopolis, à commencer par le Salon de lecture de janvier 2012).

 

 

 

Héloïse Cerboneschi

Francosemailles, Automne 2025

Recherche Éliette Vialle

 

 

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